Je suis heureuse d'être devant vous ce matin pour cette audition ; les relations entre l'Autorité de la concurrence et le Parlement sont importantes.
Après une formation à la gestion d'entreprise, j'ai choisi d'entrer au service de l'État par goût des politiques publiques. En tant que présidente de chambre au Conseil d'État, j'organise le traitement de 700 à 1 000 dossiers par an par une équipe de magistrats et d'un greffe. Ces dossiers portent sur l'environnement, l'urbanisme, les professions réglementées, la justice et les contentieux financiers. Lorsque j'étais directrice des affaires juridiques au ministère de l'écologie, j'ai suivi la loi Grenelle II, ainsi que des lois favorisant la concurrence, telles que la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité et la loi relative à l'organisation et la régulation du transport ferroviaire.
Je me suis intéressée depuis longtemps à certains secteurs tels que la presse et la radio, au ministère de la culture puis en tant que membre de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, au sein de laquelle j'ai traité la mutation de ce secteur.
Je me suis également penchée sur la régulation via diverses autorités sectorielles telles que la Commission de régulation de l'énergie (CRE), le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) ou l'Autorité des marchés financiers (AMF).
En tant que membre de l'Autorité de la concurrence, j'ai participé à des décisions portant sur des concentrations telles que le rapprochement entre la Fnac et Darty, à des sanctions de pratiques anticoncurrentielles et à des avis au Gouvernement et au Parlement.
J'ai acquis quelques convictions au fil de ma carrière, que je souhaite mettre au service de l'Autorité.
Face aux dossiers complexes, je crois à la rigueur dans l'analyse des faits et du droit, tout en recherchant l'innovation et l'adaptation. J'ai à coeur de me nourrir du droit comparé et des échanges avec les professionnels.
Je crois fortement aux valeurs d'indépendance et d'impartialité qui s'appliquent à tout responsable public.
Je pense qu'on décide mieux à plusieurs que seul. En tant que juge, j'ai une pratique approfondie de la décision collégiale. Membre de l'Autorité de la concurrence, j'ai apprécié à quel point la diversité de son collège participait à la richesse et à la pertinence de ses décisions.
J'estime qu'il faut s'interroger sur l'applicabilité et les conditions d'exécution des décisions.
Enfin, l'État doit faire preuve d'adaptation. Tous les organismes publics doivent s'imposer de réfléchir régulièrement à leurs missions et à leurs conditions d'exercice, tout comme le font les entreprises.
Je crois profondément à la nécessité de la concurrence. L'économie a besoin de règles du jeu claires et d'arbitres pour les appliquer, afin de garantir un marché libre et non faussé. Les vertus de la concurrence dépassent le cadre économique : elle pousse la société à se moderniser, à innover.
Le développement de la concurrence n'est pas le seul objectif de l'État. L'aménagement du territoire, la solidarité, le développement de l'industrie ou de la recherche sont tout aussi légitimes. Néanmoins, la concurrence doit posséder une place éminente parmi ces objectifs. L'Autorité y veille spécifiquement, grâce au choix du législateur de conforter ses missions et à l'action de M. Bruno Lasserre, à qui je dis ici mon admiration.
En ce qui concerne les concentrations, l'Autorité doit continuer à adapter ses principes à chaque secteur considéré. Ainsi, à l'occasion du rapprochement entre la Fnac et Darty, l'Autorité a pris en compte, dans sa décision, les ventes en ligne - elle a été la première à le faire parmi ses homologues en Europe.
La répression des pratiques anticoncurrentielles, pour laquelle l'Autorité doit disposer de moyens d'investigation importants, se fait en étroite symbiose avec le ministère de l'économie et la DGCCRF. La coopération est extrêmement fructueuse. La répartition des rôles équilibrée retenue en 2009 reste satisfaisante. Ses modalités sont connues : l'Autorité ne se saisit des dossiers que s'ils ont une résonance nationale ou nécessitent de fixer un cap lorsque la doctrine n'est pas claire.
Si l'Autorité a pu acquérir un rôle structurant dans la vie économique, c'est parce que les entreprises savent qu'elles risquent des sanctions importantes, fixées par le législateur, soit au maximum 10 % du chiffre d'affaires du groupe auxquelles elles appartiennent. Les sanctions élevées ne constituent pas une fin mais elles sont pleinement justifiées lors d'un dommage important porté à l'économie. L'Autorité sait toutefois prendre en compte les difficultés économiques des entreprises mises en cause.
Dernier grand domaine d'activité de l'Autorité, les avis et recommandations. Sa capacité à mener des enquêtes sectorielles, par exemple en ce moment sur les prothèses auditives, est reconnue. Par son pouvoir d'avis, l'Autorité peut éclairer le débat public, faciliter les évolutions, tracer des perspectives. Ainsi en a-t-il été du dossier très conflictuel des VTC - les avis de l'Autorité ont participé à définir leur nouveau cadre d'exercice - et du transport interrégional par autocar - les propositions de l'Autorité ont été retenues par le législateur, favorisant l'émergence d'un nouveau marché économique, avec des emplois à la clé.
L'Autorité de la concurrence doit continuer à rechercher des gisements de croissance et à mettre en cause des règlementations qui préserveraient des rentes injustifiées. Le mouvement lancé par la loi d'août 2015 sur les professions réglementées a montré que l'Autorité était attachée à l'existence de débouchés pour les jeunes diplômés.
Le réseau européen des autorités de la concurrence fonctionne bien depuis 2004, favorisant une répartition fluide des dossiers et un travail en commun extrêmement précieux. Ainsi, c'est en collaborant avec les autorités suédoise et italienne que l'Autorité de la concurrence est parvenue à forger une décision sur les plateformes de réservation hôtelière acceptée par les différents acteurs et étendue à toute l'Union européenne.
Le numérique est l'un des secteurs où la vigilance doit être prioritaire. Les acteurs des plateformes sont capables d'acquérir très rapidement le contrôle de pans entiers de l'économie. Nous pouvons lutter en recourant, si nécessaire, à des actions concertées avec les autres autorités nationales chargées de la concurrence et la Commission européenne. À cet égard, l'Autorité a récemment travaillé avec son homologue allemande sur l'analyse économique du big data.
Deuxième secteur de vigilance prioritaire, la grande distribution. L'action de l'Autorité y est, légitimement, très attendue. Des avancées récentes doivent être soulignées, telles que la nouvelle obligation de notification des rapprochements entre centrales d'achat auprès de l'Autorité, qui sera très vigilante. Désormais, il faut informer l'Autorité : durant deux mois, les accords ne peuvent entrer en oeuvre, ce qui lui permet d'examiner les risques que ces rapprochements font naître à l'égard de la concurrence. Elle a aussi élaboré en 2015 une cartographie très complète des risques concurrentiels tant du côté des fournisseurs que des consommateurs.
Les concessions autoroutières méritent également toute l'attention de l'Autorité. De nouveaux pouvoirs ont été conférés à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer).
L'Autorité est confrontée à un enjeu de budget, d'effectifs et de dimensionnement. Je serai très attentive à ses moyens. Elle ne doit pas être victime de son succès mais, au contraire, doit pouvoir remplir ses nouvelles missions avec efficacité. Elle a déjà commencé à se pencher sur le cas des professions règlementées, et elle a déjà rendu ses conclusions pour les notaires et les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation.
Alors que l'économie se mondialise, les autorités nationales de la concurrence sont plus pertinentes que jamais. La présence reconnue d'une autorité forte est un élément important de l'attractivité de l'économie française. En outre, l'autorité française joue un rôle important d'accompagnement des autorités de pays émergents, notamment pour que les entreprises françaises trouvent des marchés concurrentiels et ouverts à l'étranger.