Le but de ces amendements, qui ont l’accord du Gouvernement, est de montrer sa sollicitude – totalement désintéressée, évidemment – envers la communauté arménienne en créant un délit de « négation, minoration ou banalisation » de crimes de génocide et d’autres crimes contre l’humanité étendu à toutes les victimes de notre histoire sanglante, pour contourner les décisions du Conseil constitutionnel de 2012 et de 2016.
Ce débat, cela a été rappelé, nous l’avons déjà eu plusieurs fois au Sénat. Le premier auquel j’ai participé, c’était en mai 2011, portait sur une proposition de loi mémorielle tendant à réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien. Robert Badinter était alors intervenu, au nom du groupe socialiste, dans le cadre de la discussion générale.
Après avoir rappelé toutes les raisons, intellectuelles, humaines et personnelles, qu’il aurait de soutenir le texte de la proposition de loi, toute l’horreur que lui inspiraient les génocides et les crimes contre l’humanité, véritables flétrissures de celle-ci, Robert Badinter n’en déclarait pas moins qu’il voterait la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, parce que, disait-il, ce texte était non conforme à la Constitution – ce qui fut confirmé par la suite. Il indiquait en outre : « Il n’est pas bon, il n’est pas conforme à notre vocation nationale que nous ayons des lois qui disent l’histoire et, pis encore, sous peine de prison… Cet apanage, nous devons le refuser ! Cela ne saurait relever de notre convenance ni, moins encore, de notre compétence. » Il poursuivait : « Des actions sont possibles au pénal, sur le fondement de la loi de 1881, de la non-discrimination, de l’appel à la haine, etc. »
Robert Badinter rappelait que, ayant été confronté à des révisionnistes, il avait obtenu leur condamnation, « parce qu’ils avaient manqué aux devoirs de l’historien, c’est-à-dire la bonne foi, l’étude approfondie des sources, la confrontation des documents, bref, la démarche d’un esprit libre et d’une science qui avance ! ».
Mes chers collègues, de telles lois ne sont pas seulement une atteinte disproportionnée au principe fondamental de la liberté d’expression ; elles sont devenues de précieux atouts dans la « concurrence des victimes » – je reprends là l’expression de notre collègue Esther Benbassa – et un puissant stimulant du communautarisme, que, par ailleurs, le Gouvernement prétend vouloir combattre sans relâche.
Je ne suis pas certain que ceux qui soutiennent ce texte aient bien mesuré ses conséquences. On nous présente cela comme une initiative devant renforcer la paix sociale ; je crains que ce ne soit exactement l’inverse et que vous n’ayez ouvert une sacrée boîte de Pandore. C’est pour cette raison que, dans sa grande majorité, le groupe du RDSE ne votera pas ces amendements.