Nous arrivons, à cette étape de la discussion du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, à la question importante de la lutte contre les discriminations dans le recrutement.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi du 31 mars 2006, qui a été évoquée tout à l'heure, prévoyait la mise en place obligatoire du CV anonyme. Il est vrai que nous avons fait évoluer cette obligation, qui n’avait jamais fait l’objet, ainsi que Mme la rapporteur l’indiquait voilà un instant, d’un décret d’application, pourtant prévu dans le texte.
Le CV anonyme peut être efficace dans certains cas. D'ailleurs, des entreprises maintiennent cette pratique. Toutefois, il ne constitue pas une solution permanente idoine pour lutter contre les discriminations. Ce n’est pas moi qui l’affirme ; c’est la conclusion à laquelle est parvenu le groupe de travail présidé par Jean-Christophe Sciberras que j’avais mis en place avec François Rebsamen, au mois d’octobre 2014.
D'ailleurs, les membres de ce groupe rejoignent sur ce point le Défenseur des droits, qui, dans un rapport remis en mai 2015, estimait que le CV anonyme ne pouvait être ni une réponse générale ni une réponse unique.
D’autres modes de recrutement non discriminants existent, tels que le CV vidéo, qui est promu par la Fondation Agir contre l’exclusion – la fondation FACE –, que préside Gérard Mestrallet, « grand patron » que vous connaissez toutes et tous, mesdames, messieurs les sénateurs, mais aussi les recrutements par simulation qui se montrent efficaces et méritent d’être développés.
Le Gouvernement en a tiré les conséquences dans la loi Rebsamen, parue au mois d’août 2015, en supprimant non pas le CV anonyme, mais l’obligation de celui-ci. Je tiens à dissiper la confusion qui peut parfois exister sur la réalité de cette loi : il ne s’agit en aucun cas de renoncer à la lutte contre les discriminations, dans laquelle nous sommes engagés et devons être aussi efficaces que possible. Nous avons notamment lancé une campagne de testing auprès d’un échantillon d’entreprises de plus de 1 000 salariés, afin de détecter certaines pratiques de discrimination à l’emploi et d’en tirer les conséquences.
Cette campagne est arrivée à son terme voilà quelques semaines. Nous allons bientôt en recevoir les résultats, comme je l’ai indiqué lors de la conférence de presse de présentation du rapport intitulé Le coût économique des discriminations, qui a été remis par France Stratégie à Myriam El Khomri le 20 septembre dernier. Ces résultats vont nous permettre d’appréhender encore plus précisément les mécanismes de discrimination – il en existe, naturellement – et d’envisager des mesures adaptées pour lutter contre ce qui apparaît comme une très grande injustice pour les jeunes, notamment ceux des quartiers.
Enfin, dans le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, nous allons créer une action de groupe, qui permettra aux syndicats et aux associations d’ester collectivement en justice au nom des candidats lésés, pour obtenir de l’entreprise qu’elle cesse ces discriminations. J’insiste sur ce point, car l’action de groupe, en particulier dans le droit du travail, marquera une forme de révolution dans notre ordre juridique.
Nous luttons donc contre les discriminations !
Cela dit, je veux vous donner mon sentiment très personnel – c’est presque une considération philosophique – sur ce sujet : pourquoi un jeune des quartiers serait-il obligé de passer par le CV anonyme pour justifier de ses compétences ? §Je considère que, quels que soient ses origines, son adresse, sa couleur de peau ou son sexe, un jeune n’a pas besoin de « se cacher » derrière un CV anonyme. D’ailleurs, quoi qu’il arrive, il devra toujours se présenter à un entretien final, au cours duquel il devra défendre ses qualités !