Intervention de Françoise Gatel

Réunion du 12 octobre 2016 à 21h30
Égalité et citoyenneté — Article 37

Photo de Françoise GatelFrançoise Gatel, rapporteur :

Il est nécessaire de rétablir une responsabilité civile, comme il en existait une jusqu’en 2000. Cela ne remettra pas en cause l’équilibre de la loi de 1881.

Comme je l’ai précisé tout à l’heure, nous avons clairement exonéré les journalistes professionnels, les pigistes et les correspondants régionaux de presse de cette responsabilité civile, afin qu’ils ne puissent faire l’objet de recours abusifs. Je rappelle que notre propos vise ceux que l’on appelle les « corbeaux numériques ». L’amendement fait référence aux journalistes dits professionnels tels que définis dans la loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, qui a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 6 octobre dernier.

Monsieur le ministre, vous souhaitez supprimer les dispositions introduites par les amendements déposés par MM. Pillet, Mohamed Soilihi et Richard, visant en effet à revenir sur une jurisprudence de 2000 de la Cour de cassation qui a éradiqué la responsabilité civile de droit commun dans le domaine des abus de la liberté d’expression.

La Cour de cassation a d’abord soumis au formalisme de la loi de 1881 les assignations en matière civile, puis a interdit toute réparation d’un dommage né d’un abus de la liberté d’expression sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240, du code civil.

Je rappelle que telle n’était absolument pas l’intention des rédacteurs de la loi du 29 juillet 1881, qui est une loi pénale. « L’action civile devant les tribunaux civils ne peut être évidemment régie que par les règles du code de procédure civile », écrivait en 1911 Georges Barbier dans le Code expliqué de la presse.

Monsieur le ministre, vous arguez que cette unification est justifiée. Il me semble toutefois qu’il s’agit non pas d’une unification, mais d’une disparation de la responsabilité civile, qui plus est dépourvue de fondement légal. Elle prive de réparation des personnes affectées par un dommage.

Je trouverais regrettable de supprimer purement et simplement ces dispositions alors que l’on s’accorde de façon unanime, me semble-t-il, à estimer que la Cour de cassation est allée très loin.

Je crois savoir que la direction des affaires civiles et du sceau avait proposé à MM. Pillet et Mohamed Soilihi trois pistes de réflexion concernant cette jurisprudence, qui avait même été qualifiée de « très critiquable et critiquée ».

La première solution suggérée consistait en une autonomisation de la responsabilité civile pour abus de la liberté d’expression, pouvant prendre la forme d’un alinéa ou d’un article supplémentaire à la loi du 29 juillet 1881 indiquant expressément qu’elle n’est pas exclusive de l’application du droit commun de la responsabilité civile.

La deuxième solution, plus protectrice de la liberté de la presse mais moins protectrice des droits des victimes, était de neutraliser la jurisprudence la plus excessive de la Cour de cassation pour préciser dans la loi de 1881 que les abus de la liberté d’expression qui ne sont pas incriminés peuvent être réparés sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile.

La troisième solution envisagée consistait en la dépénalisation des infractions relatives à la législation de la presse, notamment de la diffamation, pour soumettre les demandes en réparation uniquement au régime de la responsabilité de droit commun.

Monsieur le ministre, je constate de vives tentations de prendre fait et cause pour les journalistes, dont, je le répète, nous n’attaquons nullement les libertés, et de mener une nouvelle campagne de dénigrement du Sénat, accusé d’être liberticide.

Je comprendrais que l’on me dise qu’il n’est pas possible de procéder à une réforme aussi importante au travers de ce texte, mais je ne peux accepter que la proposition contenue dans les amendements transpartisans de MM. Pillet, Richard et Mohamed Soilihi soit balayée d’un revers de la main par le Gouvernement, alors qu’un grand nombre de juristes, au sein même de la Chancellerie, reconnaissent qu’une réforme est sans doute nécessaire.

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