Intervention de Yvon Collin

Réunion du 13 octobre 2016 à 10h30
Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour la deuxième lecture de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Peut-être aurait-on plutôt dû, par souci de vérité, la baptiser « proposition de loi pour la responsabilité sociale et environnementale des multinationales » ou encore « proposition de loi contre les excès et les travers de la mondialisation ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Les enjeux sont globalement les mêmes qu’en première lecture : le contrôle par les grandes entreprises de leur chaîne de sous-traitance à l’étranger, la prise en compte des risques sociaux, sanitaires, humains et environnementaux, la possibilité ou non de prendre des mesures de sanction contre les entreprises non vertueuses. J’avais mentionné en première lecture l’importance des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, mais aussi l’importance des principes de l’OCDE de 1976 et de la déclaration tripartite de l’Organisation internationale du travail de 1977, qui définissent les règles applicables au niveau mondial.

Souvenons-nous également qu’il existe en France la jurisprudence dite Erika, qui reconnaît la compétence des juridictions françaises à l’égard des faits survenus en dehors du territoire français et sanctionne la négligence des sociétés mères.

La proposition de loi avait été nettement rejetée par la majorité sénatoriale l’an dernier. Toutefois, le contexte législatif a évolué depuis, avec la mise à l’ordre du jour de la directive européenne relative à la publication par les entreprises d’informations non financières. Sa transposition dans le droit français était d’ailleurs initialement prévue à l’article 62 du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, toujours en cours d’examen par notre assemblée.

La majorité sénatoriale a décidé de supprimer cet article du projet de loi et, en lieu et place, de faire de la présente proposition de loi le véhicule de cette transposition. Dont acte. Cependant, l’Assemblée nationale ne rétablira-t-elle pas les versions initiales de ces deux textes ?

Quoi qu’il en soit, dans sa philosophie, la proposition de loi est sensiblement différente de la version présentée en première lecture. Je n’irais pas jusqu’à dire, comme l’a fait le rapporteur, que la version des députés serait en contradiction avec la directive. Toutefois, force est de constater que sa dimension contraignante a été remplacée par une logique d’incitation que l’on peut qualifier de plus libérale.

Alors que la proposition de loi initiale rendait obligatoire la mise en œuvre d’un plan de vigilance comportant des mesures propres à identifier et à prévenir les dommages corporels ou environnementaux graves, ainsi que les risques sanitaires, la présente version demande aux grandes entreprises de mettre en œuvre des procédures dites de vigilance raisonnée seulement « lorsque cela s’avère pertinent et proportionné ». Cette rédaction laisse, on le voit, bien plus de marges d’appréciation !

La commission des lois a également supprimé la disposition sur l’amende civile.

Je n’ai pas le temps de m’étendre trop longuement sur les subtilités de ces débats techniques. Néanmoins, au-delà des deux logiques distinctes, l’une plus coercitive, l’autre plus libérale, je souhaite relativiser la portée de cette proposition de loi, quelle que soit sa version finale.

En effet, elle crée une obligation de moyens, monsieur le ministre, mais non de résultat. Les mesures de vigilance raisonnable permettent de couvrir la responsabilité juridique des entreprises, mais ce n’est pas une garantie absolue contre le risque de nouveaux drames. Cela passe bien davantage par la prévention des risques et la promotion des droits des travailleurs dans les pays en développement, ainsi que par l’élaboration de droits du travail dignes de ce nom.

Enfin, si des catastrophes comme l’effondrement du Rana Plaza, ou encore le travail des enfants et la pollution de l’environnement, suscitent une indignation légitime, nous devons sans doute réfléchir à deux fois avant d’adopter des lois d’émotion, qui s’avèrent le plus souvent n’être que des textes d’affichage à portée malheureusement limitée.

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