La séance est ouverte à dix heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (proposition n° 496 [2015-2016], texte de la commission n° 11, rapport n° 10).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un grand honneur pour moi de venir débattre avec vous de cette proposition de loi, que je crois ambitieuse, sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Le Gouvernement est pleinement engagé dans ce débat, qui a été possible – chacun le sait ici – grâce à la détermination et à la pugnacité de l’auteur de cette proposition de loi, le député Dominique Potier. Je partage sa détermination.
Nous avons tous été sensibles au drame du Rana Plaza. L’effondrement de ces ateliers de confection avait mis en lumière un système ahurissant, où l’entreprise donneuse d’ordre ne s’est ni préoccupée ni inquiétée des conditions de travail déplorables dans lesquelles son sous-traitant réalisait les commandes. Cette dissociation n’est pas acceptable.
Si la chronologie des événements peut laisser penser que la proposition de loi dont nous discutons est un texte de circonstance, il n’en est rien. Les travaux d’aujourd’hui s’inscrivent dans un débat plus ancien, où la catastrophe du Bangladesh nous a rappelé l’urgence à agir.
La proposition de loi initiale sur le devoir de vigilance, qui avait été déposée à la fin de l’année 2013 par Philippe Noguès, Dominique Potier et Danielle Auroi, avait permis de faire écho à la mobilisation de la société civile et de démontrer la détermination du Parlement à renforcer la responsabilité sociale des entreprises multinationales. Cette proposition de loi a eu le mérite de se saisir de ces enjeux extrêmement lourds, mais elle soulevait aussi de très sérieuses difficultés juridiques. La deuxième proposition de loi, celle qui est aujourd’hui portée par Dominique Potier et qui a été adoptée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale au mois de mars 2016, vise précisément à résoudre les difficultés juridiques soulevées par le texte initial.
Le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre est évidemment un sujet au cœur de nos préoccupations depuis plus d’une dizaine d’années. Il contribue à la responsabilisation des entreprises. Le développement économique ne peut plus se faire au détriment du progrès social, des avancées des droits de l’homme, de la santé publique ou encore de la protection de l’environnement.
L’idée de responsabiliser l’activité économique des entreprises est présente au niveau tant international que national.
À l’échelle mondiale, l’ONU a adopté trois résolutions pour encourager les entreprises à suivre des démarches responsables à l’égard de leur environnement ou du respect de valeurs fondamentales. L’Union européenne s’est également engagée, comme chacun le sait, dans une démarche de responsabilité sociale des entreprises, avec l’adoption de la directive du 22 octobre 2014 concernant la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, dont la transposition interviendra prochainement.
À l’échelle nationale, l’action dans ce domaine est réelle. Elle répond à un engagement pris par le Président de la République en 2011. Il avait déclaré vouloir traduire dans la loi « les principes de responsabilité des maisons mères vis-à-vis des agissements de leurs filiales à l’étranger lorsqu’ils provoquent des dommages environnementaux et sanitaires ».
Le Gouvernement et le Parlement ont déjà œuvré dans ce domaine, grâce à l’adoption de la loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, dont l’article 5 promeut le devoir de vigilance des entreprises. Je pourrais également mentionner le projet de loi, actuellement en discussion, relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique – je le connais bien !
Sourires.
La présente proposition de loi est donc en cohérence avec les engagements de la France. Elle tend à poursuivre la politique menée depuis plus de quatre ans. C’est pourquoi je souhaite réaffirmer la volonté du Gouvernement de rendre effectif un devoir de vigilance en France.
Il ne suffit pas de se contenter d’une dénonciation des excès criants de la mondialisation. Il faut aussi se mobiliser pour les combattre. Soumettre les entreprises à une obligation de vigilance dans la mise en œuvre des mesures nécessaires et exiger d’elles un rapport sur les risques d’atteinte aux droits fondamentaux contribue à la réalisation de cette ambition. Les multinationales placées sous le contrôle de chacun seront incitées à développer des pratiques vertueuses en rapport avec les attentes des citoyens.
La proposition de loi va ainsi dans le bon sens, même si, en première lecture, elle a suscité des critiques, notamment de la part de la majorité sénatoriale. Ces remarques doivent évidemment être prises en considération. Pour certains, l’instauration d’un devoir de vigilance soulève des risques juridiques, notamment constitutionnels. Pour d’autres, elle porterait atteinte à l’attractivité de notre pays et à la compétitivité de nos entreprises. Cependant, ces critiques ne doivent pas desservir l’objectif des auteurs de la proposition de loi, en retirant tout contenu réel aux trois articles initialement proposés.
Le texte adopté par la commission des lois vise principalement à transposer la directive européenne sur la responsabilité sociale des entreprises. Ce n’est ni l’objectif des auteurs de la proposition de loi ni celui du Gouvernement, qui a toujours soutenu le texte initial, dont la vocation me paraît différente. La proposition de loi impose la mise en place de mesures de vigilance spécifiques pour les grandes entreprises tout au long de la chaîne de valeur et l’engagement de la responsabilité de celles qui y contreviendraient. Le Gouvernement soutient donc le rétablissement, proposé par certains sénateurs, des principes essentiels du texte, dans un sens conforme à l’esprit proposé par Dominique Potier.
Pour autant, la proposition de loi adoptée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale appelle des ajustements rédactionnels afin de la rendre juridiquement irréprochable, en particulier du point de vue constitutionnel. Il est également indispensable de veiller à la compatibilité de cette mesure avec le droit national et avec les engagements européens et internationaux de la France. Ainsi, les sanctions en cas de non-respect de l’obligation de vigilance ne devront pas être disproportionnées au regard des manquements en cause. De plus, les contours de l’engagement de la responsabilité des entreprises devront être précisés.
Le texte devra également être efficace d’un point de vue économique, cette préoccupation m’accompagnant évidemment en permanence en tant que ministre de l’économie et des finances. Les contours du devoir de vigilance doivent donc être adaptés aux exigences de la compétitivité de l’économie française. Je sais que l’instauration de ce devoir de vigilance, exigeante obligation de moyens à l’égard des sociétés mères, ne portera pas atteinte – au contraire ! – à la compétitivité de nos entreprises.
Rien ne sert d’agiter les craintes des entrepreneurs. Le mécanisme de la responsabilité des entreprises donneuses d’ordre du fait de leur sous-traitant est un principe qui existe déjà en droit français. Par exemple, il a été adopté, avec le soutien de tous ou presque, en 2014, pour réguler les difficultés suscitées par la présence de travailleurs détachés sur le territoire français. Je suis sûr que ce texte, comme les autres lois, n’entravera pas l’installation de nouvelles entreprises sur notre territoire et ne réduira pas la compétitivité de celles qui sont déjà installées. Au contraire ! Il participera, j’en suis persuadé, à un meilleur fonctionnement de nos entreprises.
Le travail parlementaire devra se faire avec le sérieux et la précision juridique nécessaires pour apporter les clarifications attendues.
Je suis convaincu que la morale, le droit et l’économie ne sont pas opposés. Les précédentes initiatives du Gouvernement dans le domaine l’ont prouvé.
Loin d’être un handicap pour notre pays, l’instauration du devoir de vigilance permettra d’impulser une nouvelle dynamique à la responsabilisation des entreprises. Les auditions menées par les auteurs de la proposition de loi prouvent que nos débats sont suivis attentivement par la société civile, les syndicats, les organisations non gouvernementales.
Il est donc temps d’adopter un texte exigeant, précis et juridiquement applicable. Notre engagement en faveur de la moralisation et de la transparence de la vie économique est attendu par tous. La France se dotera ainsi d’une législation exemplaire en la matière et participera à la prévention de nouvelles tragédies humaines et environnementales.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre revient en deuxième lecture devant notre Haute Assemblée à la demande du Gouvernement.
Si votre commission des lois souscrit, comme en première lecture, à l’objectif de cette proposition de loi, elle ne peut que réitérer ses plus grandes réserves à l’encontre d’un texte déficient juridiquement et inadapté économiquement, qui correspond à une approche punitive de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.
D’un point de vue juridique, je vous rappelle les incertitudes concernant les normes de référence sur la base desquelles le plan de vigilance devrait être élaboré, en matière sociale, environnementale, sanitaire ou encore de lutte contre la corruption, rendant incertain le contenu même de l’obligation à respecter, alors que des sanctions seraient encourues en cas de manquement.
Les critiques concernent aussi l’imprécision du régime de l’amende civile et la portée incertaine du régime de responsabilité figurant dans le texte.
De plus, j’insiste sur le risque contentieux accru qui résulterait d’un tel texte pour les entreprises françaises, avec une possible instrumentalisation, dès lors que toute personne intéressée à ce qu’une entreprise mette en œuvre un plan de vigilance pourrait engager une action en responsabilité en cas de dommage pouvant être rattaché de manière directe ou indirecte à son activité à l’étranger.
D’un point de vue économique, je vous rappelle le risque d’atteinte à la compétitivité des entreprises françaises que fait courir la présente proposition de loi. En effet, elle créerait une inégalité de traitement entre les entreprises françaises et les autres entreprises européennes, compte tenu des obligations qu’elle ferait peser sur les premières uniquement, et constituerait une atteinte à la concurrence, car les entreprises étrangères intervenant en France n’y seraient pas soumises, ce texte ne trouvant à s’appliquer qu’aux sociétés dont le siège est en France.
Le texte pourrait créer une perturbation des relations économiques et contractuelles tout au long des chaînes de sous-traitance, qui affecterait de très nombreuses entreprises françaises de toute taille. Je pense aux grandes entreprises, premières visées par le texte, mais aussi à tous leurs sous-traitants français, qui en subiraient nécessairement les répercussions ; pour la plupart, ce sont des petites et moyennes entreprises.
Au surplus, je ne peux pas négliger le risque de retrait des entreprises françaises de certains marchés étrangers pour éviter les risques liés à l’obligation de vigilance.
À l’inverse, des sous-traitants étrangers pourraient refuser de travailler pour des entreprises françaises en raison des charges que représenterait indirectement pour eux l’obligation de vigilance.
En tout état de cause, il est peu probable qu’une telle législation, si elle était adoptée par la France, améliore par elle-même la situation sociale et environnementale des pays en développement, où se trouvent nombre de sous-traitants de multinationales occidentales, ou fasse évoluer la législation de ces pays, alors qu’elle ne manquerait pas de perturber profondément le tissu économique français.
Tout en rejetant la proposition de loi telle que promue par ses auteurs pour l’ensemble des motifs juridiques et économiques que je viens de rappeler – je pense en particulier à l’accroissement des risques contentieux qui en résulterait pour les entreprises françaises –, votre commission avait conclu que le débat sur l’objectif pertinent de ce texte devait se situer dans une perspective européenne de plus long terme, afin que soient mises en place des règles communes à toutes les entreprises européennes.
Toutefois, au vu des éléments portés à sa connaissance, notamment par le Secrétariat général des affaires européennes, en première lecture, j’avais jugé improbable la présentation prochaine à l’échelon européen d’une initiative analogue à la présente proposition de loi, de sorte que ce texte, s’il était adopté, créerait de manière durable des distorsions de concurrence au détriment des entreprises françaises.
Ainsi, en l’état de sa rédaction issue de l’Assemblée nationale, cette proposition de loi ne pouvait pas être adoptée par la commission des lois ni par notre assemblée. Pour ces raisons, elle avait été rejetée par votre commission, puis par le Sénat en première lecture.
Pour autant, votre commission a été saisie de cette proposition de loi en deuxième lecture, puisque le Gouvernement a demandé lui-même son inscription à l’ordre du jour du Sénat et devrait donc assurer l’aboutissement de la procédure législative devant conduire à son adoption définitive. Elle a donc jugé nécessaire d’adopter un texte dans une rédaction prenant sérieusement en compte les objections qu’elle a déjà formulées, au lieu de le rejeter de nouveau.
Ainsi que je l’avais relevé en première lecture, je vous rappelle que la France doit transposer, d’ici au 6 décembre 2016, la directive du 22 octobre 2014 modifiant la directive de 2013 en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes. Celle-ci rejoint l’objectif de la présente proposition de loi.
L’objectif de cette directive est de faire en sorte que les entreprises qui relèvent de son champ donnent « une image complète et fidèle de leurs politiques, de leurs résultats et de leurs risques » en matière d’informations non financières.
Votre commission des lois estime que l’obligation de publier des informations sur les procédures de diligence raisonnable destinées à prévenir les risques dans un certain nombre de domaines s’apparente à l’évidence à l’obligation d’établir, de rendre public et de mettre en œuvre un plan de vigilance destiné à prévenir un certain nombre de risques comparables.
Toutefois, si la directive retient une approche reposant sur la transparence et l’incitation, la proposition de loi retient, quant à elle, une approche plus coercitive et punitive.
Si la France dispose déjà d’une législation assez avancée en matière de publication d’informations non financières, satisfaisant déjà en large partie aux exigences de la directive, il faut néanmoins procéder à la transposition de certaines dispositions non encore satisfaites par le droit français, en particulier la publication d’informations sur les mesures de diligence raisonnable mises en œuvre et les principaux risques dans ces mêmes domaines.
Je considère que la présente proposition de loi, si elle peut paraître plus ambitieuse de prime abord, en allant simplement au-delà du socle des obligations prévues par la directive, est en réalité en contradiction avec la directive, en faisant peser sur les sociétés françaises des obligations bien plus lourdes.
De plus, le dispositif d’amende civile et le régime de responsabilité contredisent la logique de la directive, qui ne comporte aucun mécanisme de sanction.
Depuis l’examen de la présente proposition de loi en première lecture, le Parlement a également été saisi du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dont l’article 8 instaure une obligation de prévention et de détection des faits de corruption et de trafic d’influence pour les sociétés employant au moins 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires net d’au moins 100 millions d’euros.
J’observe que l’obligation prévue dans ce projet de loi correspond assez largement aux obligations de la directive en matière de lutte contre la corruption.
Il s’agit bien de mettre en place des procédures de diligence raisonnable en matière de lutte contre la corruption, appuyées sur une analyse des risques. Aucune publicité particulière n’est cependant prévue par ce projet de loi.
Je constate aussi que la présente proposition de loi inclut la question de la lutte contre la corruption dans le champ du plan de vigilance sans mentionner les sous-traitants. L’obligation de vigilance ne concernerait ici que la société mère et les sociétés qu’elle contrôle.
En l’état, ce projet de loi et cette proposition de loi se trouvent donc en contradiction l’un avec l’autre sur la question de la prévention de la corruption.
Attentive à l’exigence de transposition de la directive, votre commission des lois juge nécessaire d’assurer la cohérence des divers textes qui entrent dans le champ de la directive et interviennent sur la problématique de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, cohérence qui fait manifestement défaut, selon moi, car aucune coordination ne semble être assurée par le Gouvernement entre ces divers textes.
Dans ces conditions, sur mon initiative, et dans le respect des règles de recevabilité en deuxième lecture, votre commission des lois a souhaité procéder à la transposition des dispositions de la directive correspondant aux objectifs de la proposition de loi.
Aussi, afin d’assurer la convergence entre la présente proposition de loi et les dispositions correspondantes de la directive, votre commission des lois a adopté plusieurs amendements.
Un premier amendement, sur l’article 1er du texte, introduit un nouvel article L. 225-102-1-1 dans le code de commerce, au sein des dispositions relatives au contenu du rapport du conseil d’administration aux actionnaires, pour préciser que ce rapport doit également rendre compte des mesures de diligence raisonnable prises pour prévenir les principaux risques sociaux et environnementaux dans les sociétés cotées remplissant les critères fixés par la directive.
Le rapport devrait ainsi rendre compte des principaux risques dans les différents domaines visés. Il devrait également rendre compte des mesures de prévention de la corruption que la société serait tenue de prendre en application de l’article 8 du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Il devrait enfin rendre compte des mesures de vigilance raisonnable prises par la société, afin de prévenir les risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, les risques de dommages corporels ou environnementaux graves et les risques sanitaires, en France et à l’étranger, du fait de son activité, de celle de ses filiales et de celle de leurs sous-traitants.
Des informations concernant les sous-traitants ne seraient publiées que lorsque cela se révèle pertinent et proportionné, compte tenu de la nature d’abord contractuelle des relations de la société mère ou de ses filiales avec les différents fournisseurs et sous-traitants, comme le précise la directive elle-même.
Votre commission conserve ainsi l’objectif de vigilance des grandes entreprises à l’égard des différents risques sociaux et environnementaux qui peuvent résulter de leur activité ou de celle de leurs filiales ou sous-traitants sur le territoire français ou à l’étranger, tout en l’intégrant mieux dans le cadre actuel du droit des sociétés et en respectant les exigences de la directive.
En cas de méconnaissance de ses obligations par une société, votre commission a conservé, à l’article 1er, un mécanisme d’injonction de faire sous astreinte, tout en clarifiant sa rédaction, en adoptant en ce sens un deuxième amendement.
Il s’agit de s’inspirer plus directement des mécanismes analogues déjà prévus par le droit des sociétés en cas de manquement d’une société à ses obligations de publicité.
Ainsi, si le rapport ne comprend pas toutes les informations prévues, toute personne intéressée pourrait demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte à la société de communiquer ces informations.
Un tel mécanisme ne méconnaît pas la logique de la directive en raison de son caractère incitatif et non punitif.
En revanche, compte tenu des difficultés qu’elle représentait, votre commission a supprimé l’amende civile de 10 millions d’euros par l’adoption d’un troisième amendement sur l’article 1er. En effet, comme je l’ai exposé en première lecture dans mon rapport, le caractère disproportionné de cette amende soulève un problème sérieux de constitutionnalité.
Il existe également une interrogation au regard du principe de la légalité des délits et des peines, compte tenu du caractère général et relativement imprécis de l’obligation de vigilance.
Pour assurer l’effectivité de cette obligation, il est plus simple de recourir aux mécanismes habituels du droit des sociétés, c’est-à-dire l’injonction de faire sous astreinte, à la demande de toute personne intéressée.
Votre commission a également supprimé l’article 2, relatif au régime de responsabilité prévu spécifiquement en cas de non-respect par une société des obligations relatives au plan de vigilance, en adoptant un quatrième amendement.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. À l’article 3, votre commission a adopté un cinquième amendement de coordination prévoyant l’application du texte dans les îles Wallis et Futuna.
Marques d’impatiencesur les travées du groupe socialiste et républicain.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Votre commission a enfin adopté un sixième amendement, qui prévoit une entrée en vigueur différée de cette nouvelle obligation, à compter du rapport du conseil sur les comptes du premier exercice ouvert à compter la publication de la loi, c’est-à-dire le rapport présenté à l’assemblée générale de 2018 sur l’exercice 2017 dans le cas où la loi serait publiée avant le 31 décembre 2016.
Applaudissementssur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avions indiqué en première lecture, la multiplication de crises environnementales ou sociales impliquant des acteurs liés par leur activité économique impose de penser de nouvelles modalités d’encadrement et de régulation du pouvoir des chaînes de valeur toujours plus complexes.
Trop souvent les multinationales, en plus d’essayer de ne pas se soumettre à l’impôt, souvent avec succès, refusent tout simplement d’assumer la responsabilité sociale et environnementale, civile et pénale de leurs activités. Elles créent des filiales avec des liaisons opaques, qui recourent à une cascade de sous-traitants et se cachent derrière l’autonomie de la personne juridique lorsqu’une catastrophe humaine ou environnementale survient.
Comment, dès lors, remonter la chaîne des sous-traitants et des fournisseurs dans les approvisionnements ? Comment « responsabiliser » les sociétés mères à l’abri de leurs montages juridiques ? C’est bien l’objet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.
À cet égard, nous ne pouvons que saluer le travail et la ténacité de nos collègues députés – M. le ministre a fait référence, à juste titre, à M. Dominique Potier –, qui ont eu le courage de proposer des solutions novatrices, même s’il nous semble possible d’aller plus loin vers la reconnaissance d’une responsabilité particulière des entreprises donneuses d’ordre. En effet, à l’origine de ce débat, la proposition de loi dont nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine étaient cosignataires avait un champ d’application plus large, en termes tant de seuil que de définition de la chaîne de valeur, avec un renversement de la charge de la preuve qui facilitait la mise en jeu de la responsabilité et la qualification de loi de police.
C’est pourquoi nous regrettons sincèrement la frilosité, voire la cécité de la majorité sénatoriale sur ces enjeux majeurs.
Car le devoir de vigilance, tel qu’il était initialement envisagé, constitue un vrai pas en avant en recourant à une définition de la notion de groupe plus proche de la réalité. En effet, le groupe n’est plus envisagé uniquement sous l’angle d’un pouvoir effectif de contrôle, mais aussi sous l’angle élargi d’une sphère d’influence. Comme le suggère la norme ISO 26 000, il s’agit de s’intéresser à l’impact et aux risques potentiels qu’un acteur économique peut entraîner, plutôt qu’à son espace de contrôle et d’exercice direct du pouvoir.
Nous comprenons d’autant moins la position de la commission que, comme il a été rappelé lors des précédents débats, ce texte est au service de la compétitivité des entreprises. Nous le maintenons, loin de les fragiliser, il permettra de valoriser les efforts des sociétés vertueuses qui appliquent déjà des procédures d’identification et de réduction des risques. Il rétablira des conditions de concurrence plus justes en sanctionnant le dumping social et environnemental. Et, comme je l’ai déjà souligné, cette proposition de loi constitue un pas supplémentaire dans la lutte, chère à mon collègue Éric Bocquet, contre les paradis fiscaux, la fraude fiscale, car elle impose plus de transparence ; elle vise à lutter contre la corruption.
Dans un premier temps, en première lecture, la majorité du Sénat avait purement et simplement supprimé le texte, refusant de fait toute idée de responsabilité.
Nous pouvons constater maintenant que les amendements proposés par le rapporteur en commission, s’ils restent très en deçà du texte issu de l’Assemblée nationale, montrent que celui-ci accepte, d’une part, le principe selon lequel la prise en compte des droits humains et des libertés fondamentales dans l’activité économique est absolument nécessaire et l’effondrement du Rana Plaza n’est pas un détail de l’histoire et, d’autre part, le fait que l’activité économique et commerciale peut entraîner des risques sociaux, environnementaux et de corruption et qu’il est bien de la responsabilité des entreprises de les prévenir par des actions connues et vérifiables. Enfin, il accepte l’idée de responsabilité du donneur d’ordre sur la chaîne de valeur. C’est une conversion que je voulais saluer, chers collègues de la majorité sénatoriale, même si le discours du rapporteur demeure particulièrement navrant, notamment dans sa première partie.
Pour autant, nous savons combien les belles intentions ne suffisent pas. Nous savons comment les entreprises tentent d’échapper à leurs responsabilités.
C’est la raison pour laquelle nous jugeons cette proposition de loi totalement insuffisante. Nous voterons donc contre ce texte qui, s’il reste en l’état, ne peut pas nous satisfaire.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour la deuxième lecture de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Peut-être aurait-on plutôt dû, par souci de vérité, la baptiser « proposition de loi pour la responsabilité sociale et environnementale des multinationales » ou encore « proposition de loi contre les excès et les travers de la mondialisation ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Les enjeux sont globalement les mêmes qu’en première lecture : le contrôle par les grandes entreprises de leur chaîne de sous-traitance à l’étranger, la prise en compte des risques sociaux, sanitaires, humains et environnementaux, la possibilité ou non de prendre des mesures de sanction contre les entreprises non vertueuses. J’avais mentionné en première lecture l’importance des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, mais aussi l’importance des principes de l’OCDE de 1976 et de la déclaration tripartite de l’Organisation internationale du travail de 1977, qui définissent les règles applicables au niveau mondial.
Souvenons-nous également qu’il existe en France la jurisprudence dite Erika, qui reconnaît la compétence des juridictions françaises à l’égard des faits survenus en dehors du territoire français et sanctionne la négligence des sociétés mères.
La proposition de loi avait été nettement rejetée par la majorité sénatoriale l’an dernier. Toutefois, le contexte législatif a évolué depuis, avec la mise à l’ordre du jour de la directive européenne relative à la publication par les entreprises d’informations non financières. Sa transposition dans le droit français était d’ailleurs initialement prévue à l’article 62 du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, toujours en cours d’examen par notre assemblée.
La majorité sénatoriale a décidé de supprimer cet article du projet de loi et, en lieu et place, de faire de la présente proposition de loi le véhicule de cette transposition. Dont acte. Cependant, l’Assemblée nationale ne rétablira-t-elle pas les versions initiales de ces deux textes ?
Quoi qu’il en soit, dans sa philosophie, la proposition de loi est sensiblement différente de la version présentée en première lecture. Je n’irais pas jusqu’à dire, comme l’a fait le rapporteur, que la version des députés serait en contradiction avec la directive. Toutefois, force est de constater que sa dimension contraignante a été remplacée par une logique d’incitation que l’on peut qualifier de plus libérale.
Alors que la proposition de loi initiale rendait obligatoire la mise en œuvre d’un plan de vigilance comportant des mesures propres à identifier et à prévenir les dommages corporels ou environnementaux graves, ainsi que les risques sanitaires, la présente version demande aux grandes entreprises de mettre en œuvre des procédures dites de vigilance raisonnée seulement « lorsque cela s’avère pertinent et proportionné ». Cette rédaction laisse, on le voit, bien plus de marges d’appréciation !
La commission des lois a également supprimé la disposition sur l’amende civile.
Je n’ai pas le temps de m’étendre trop longuement sur les subtilités de ces débats techniques. Néanmoins, au-delà des deux logiques distinctes, l’une plus coercitive, l’autre plus libérale, je souhaite relativiser la portée de cette proposition de loi, quelle que soit sa version finale.
En effet, elle crée une obligation de moyens, monsieur le ministre, mais non de résultat. Les mesures de vigilance raisonnable permettent de couvrir la responsabilité juridique des entreprises, mais ce n’est pas une garantie absolue contre le risque de nouveaux drames. Cela passe bien davantage par la prévention des risques et la promotion des droits des travailleurs dans les pays en développement, ainsi que par l’élaboration de droits du travail dignes de ce nom.
Enfin, si des catastrophes comme l’effondrement du Rana Plaza, ou encore le travail des enfants et la pollution de l’environnement, suscitent une indignation légitime, nous devons sans doute réfléchir à deux fois avant d’adopter des lois d’émotion, qui s’avèrent le plus souvent n’être que des textes d’affichage à portée malheureusement limitée.
M. Yvon Collin. Le groupe du RDSE, conscient des arguments avancés par les uns et les autres, reste bien évidemment attaché aux principes d’égalité et de responsabilité. Mais, réservée comme en première lecture sur la portée réelle de cette proposition de loi, une majorité des membres du RDSE devrait s’abstenir.
Applaudissements sur les travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous réexaminons en deuxième lecture une proposition de loi qui aborde des enjeux sensibles parce qu’elle concerne l’humain, parce qu’elle nous rappelle des drames et parce qu’elle a vocation à faire cesser des pratiques indignes qui ignorent ou bafouent les droits de l’homme et mettent en péril nos écosystèmes. Nous avons le devoir de tout faire pour que l’irréparable ne se reproduise pas.
L’examen de ce texte est attendu par les ONG et par nos concitoyens qui prennent chaque jour davantage conscience des réalités économiques, sociales et environnementales de la mondialisation. Il est également attendu par les consommateurs qui, face à la globalisation des chaînes de production, réalisent qu’ils ont aussi un pouvoir : celui de choisir de porter un tee-shirt qui ne soit pas issu de l’esclavage d’un autre être humain.
En toute responsabilité, le texte proposé par la commission s’inscrit dans la philosophie de la directive européenne d’octobre 2014. Il s’agit de renforcer la contribution des grandes entreprises françaises à l’amélioration des normes sociales et environnementales, au respect des droits de l’homme et à la prévention de la corruption dans le monde, sans pour autant faire porter exclusivement sur les entreprises françaises des contraintes et des sanctions qui, pour être efficaces, doivent s’imposer à l’ensemble des grandes multinationales.
Nous étions en désaccord avec le texte initial qui aurait pénalisé les seules entreprises françaises, fragilisant encore la situation économique et sociale de notre pays. Ce texte aurait certes pu satisfaire notre orgueil national en nous instituant comme les fers de lance de la lutte pour la responsabilité sociale des entreprises, mais il n’aurait en définitive été appliqué qu’aux multinationales françaises et donc n’aurait pas changé la situation dramatique des millions de travailleurs exploités à travers le monde. La France doit avoir une autre ambition !
Nous l’avions souligné en première lecture, faire évoluer les pratiques de manière efficace et sensible sur le terrain passe bien davantage par la mise en œuvre de dispositifs contraignants à l’échelle européenne et internationale que par un durcissement unilatéral de la législation française, déjà parmi les plus exigeantes en la matière.
Aujourd’hui, avec ce texte, vous nous proposez, monsieur le rapporteur, de franchir une étape essentielle : celle qui consiste à transposer la directive européenne du 22 octobre 2014 dont le délai de transposition expire au 6 décembre 2016.
On peut s’interroger, monsieur le ministre : pourquoi votre gouvernement, si favorable à la prise en compte de ce sujet, a-t-il tant tardé à proposer au Parlement la transposition de cette directive ? C’est seulement dans le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté que l’on a vu apparaître un certain nombre de propositions. Un sujet aussi grave n’aurait-il pas mérité autre chose qu’un article isolé dans une loi volumineuse ? C’est fort heureusement ce dont le Sénat a convenu.
L’objectif de cette directive pourrait se résumer de la sorte : permettre la photographie complète des politiques mises en œuvre par les entreprises en matière d’informations non financières, de leurs résultats et de leurs risques.
Le rapport de gestion des entreprises devra donc inclure une « déclaration non financière » présentant des informations liées aux incidences de leurs activités en matière environnementale, sociale, de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption.
Il devra également inclure la description des politiques appliquées par l’entreprise et les procédures de diligence raisonnable qu’elle pense mettre en œuvre, la présentation des résultats, une analyse des risques principaux et des indicateurs de performance de nature non financière.
Bien que votre texte, monsieur le rapporteur, ne prévoie pas de mécanisme de sanction ou de régime juridique de responsabilité, l’article 1er tel qu’il est proposé déploie un mécanisme d’injonction de faire sous astreinte inspiré du droit des sociétés, en cas de manquement aux obligations de publicité.
Ainsi, dans les cas où le rapport serait incomplet, toute personne intéressée pourrait demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte à la société de communiquer ces informations.
À l’heure où l’on observe une mobilisation citoyenne puissante, où la pression des ONG et des médias peut menacer l’image de marque d’une entreprise et entraîner de lourdes répercussions économiques, cette mesure paraît suffisamment dissuasive.
Il convient, enfin, de s’interroger sur le champ d’application de ce dispositif quelque peu transformé par la commission. Sont concernés les sociétés cotées, les établissements de crédit, d’assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles, dès lors qu’ils dépasseraient les seuils de chiffre d’affaires net de 40 millions d’euros, de total de bilan de 20 millions d’euros et compteraient plus de 500 salariés, soit une définition plus large que celle du texte initial, qui plaçait le curseur à 5 000 salariés.
Adopter votre texte, monsieur le rapporteur, c’est enclencher une démarche incitative réaliste reposant sur la transparence. Cette adoption ferait de la France le premier des pays fondateurs de l’Union européenne à transposer la directive du 22 octobre 2014. À ma connaissance, à ce jour, seuls six pays de l’Europe de l’Est l’ont transposée.
Un des arguments récurrents de nos collègues de l’Assemblée nationale consiste à dire que la France doit montrer l’exemple à ses voisins. Eh bien, montrons-le en étant une des premières puissances européennes à transposer la directive ! Encourageons nos voisins européens, pays sièges de grandes multinationales, à s’engager résolument dans la défense des droits de l’homme et du bien commun.
La responsabilité sociale des entreprises repose aujourd’hui sur un fondement : les entreprises ne sont pas que des acteurs économiques ; elles incarnent aussi les valeurs humaines et les principes fondamentaux de nos sociétés. Cela les place face à leurs responsabilités citoyennes.
Cependant, au-delà du principe de moralité, il y a un enjeu commercial dont un certain nombre de multinationales commencent à prendre conscience, car la responsabilité sociale des entreprises peut devenir un atout stratégique, un levier de croissance et de compétitivité. Viser une performance globale, à la fois économique, sociale, sociétale et environnementale, et maîtriser les risques sont autant de choix qui singularisent et peuvent conforter l’entreprise.
La transposition de la directive européenne qui nous est ici proposée répond à cet objectif de performance globale et s’inscrit dans une démarche réaliste et vertueuse.
Il y a quelque chose de réconfortant et d’encourageant à penser que des enjeux humanistes et économiques peuvent parfois converger. Mais nous sommes lucides. Seule une prise de conscience internationale permettra d’apporter de réelles solutions à la situation et au quotidien des travailleurs exploités à travers le monde !
Enclencher une dynamique européenne constitue une première étape essentielle, mais elle n’est en aucun cas suffisante. Elle doit être précisée, ce que nous proposerons au travers d’un certain nombre d’amendements.
En tout état de cause, le groupe UDI-UC votera dans sa majorité l’adoption du texte dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, certains ont souligné que les enjeux humanistes et économiques pourraient un jour converger : ils doivent converger ! Il est temps d’en finir avec la frilosité !
Sourires.
Ne cherchez pas à me déstabiliser, monsieur le président !
Je remercie le Gouvernement d’avoir repris le texte initial et de le soumettre de nouveau au débat. L’enjeu est fort, puisqu’il s’inscrit à l’échelle humaine et planétaire.
La commission des lois, qui avait rejeté ce texte en première lecture, a adopté cette fois une approche plus constructive, que je salue. Néanmoins, cela ne nous satisfait pas.
Comme l’ensemble des textes que nous étudions, il est nécessairement technique et juridiquement complexe. Aussi, en préalable, permettez-moi de sortir du contexte du texte lui-même et de rappeler quelle est sa raison d’être ainsi que son sens, deux points qui devraient éclairer nos réflexions et nos travaux.
On le sait maintenant, beaucoup de produits vendus sur nos étals et dans nos magasins, y compris dans nos magasins de luxe, sont fabriqués dans des pays où la main-d’œuvre, particulièrement mal rémunérée, est exploitée dans des conditions humainement inacceptables, au mépris de l’ensemble des règles internationales et des droits humains les plus fondamentaux.
Le drame du Rana Plaza a mis en lumière les trop nombreux exemples de violations des droits humains et de catastrophes environnementales liés aux activités d’entreprises multinationales. Il a posé la question de la responsabilité, cette responsabilité qui nous préoccupe aujourd’hui en séance.
Avant d’en venir au texte, j’évoquerai un exemple très parlant aux yeux du grand public, témoignant de cette logique infernale qui guide de puissants groupes affichant partout la splendeur de leurs marques.
Prenons le cas de Nike. Certes, il s’agit d’une entreprise américaine, mais elle détient également une filiale française : nous sommes donc concernés ! Nike : super sponsor de notre super équipe de France de football ! Les maillots de l’équipe de France se vendent bien en ce moment et sont portés dans la rue avec fierté, par des enfants, par des jeunes et même par des moins jeunes, supporters de nos couleurs. Les maillots de qualité sont vendus en moyenne 85 euros. L’achat à la production, qui se fait dans le sud-est asiatique, est de l’ordre de 6 euros l’unité. Quant à l’ouvrier, celui qui réalise le produit, il ne touche que 65 centimes d’euros par maillot !
Les grandes marques comme Nike, Adidas ou Puma, si elles ont édicté des codes de conduite, restent très loin de ce qu’elles pourraient et de ce qu’elles devraient faire. Elles respectent une logique de pur business : au-delà de leur discours affiché de marques responsables, elles s’inscrivent plus que jamais dans une dynamique financière et privilégient toujours plus les dépenses de marketing. De fait, elles maintiennent une pression toujours plus forte sur leurs prix d’achat et sur les délais de fabrication.
C’est pourquoi les marques quittent maintenant la Chine, où la rémunération des salariés s’est améliorée, pour s’installer dans des pays voisins. Le collectif Éthique sur l’étiquette a fait mener une étude comparative sur les pays concernés : au Vietnam, le salaire moyen ouvrier est de 33 % inférieur au salaire vital, au Cambodge de 45 %, en Inde et en Indonésie de 50 %. Le salaire vital pour une famille avec deux enfants permet, je le rappelle, de couvrir les frais de logement, d’alimentation, d’éducation et de santé. Si l’on ne fait rien, ces puissantes multinationales ont encore de beaux jours de business devant elles, au détriment des droits humains fondamentaux !
Le texte initial de l’Assemblée nationale, réintroduit en deuxième lecture, a cette fois été pris en considération par la commission des lois, mais celle-ci n’a pas manqué d’en amoindrir considérablement la portée.
Ce texte n’est pourtant pas si ambitieux, il vise simplement à imposer aux grandes entreprises multinationales l’élaboration d’un plan de vigilance valable pour l’ensemble de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs afin de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement.
Il s’agit donc d’une obligation de moyens et non de résultat. De plus, ce sont les entreprises elles-mêmes qui définiront leur plan de vigilance.
La responsabilisation des entreprises est une nécessité. D’ailleurs, la France n’est pas seule à évoluer sur le sujet ; les Suisses ont lancé une « initiative populaire » ; l’Allemagne et le Royaume-Uni expérimentent déjà des mécanismes de responsabilisation afin de prévenir les atteintes aux droits humains. Au niveau international, la réflexion continue également de progresser sur ce sujet.
Je souhaite illustrer ce que permettrait un plan de vigilance en faisant le lien avec les travaux récents du Sénat. Un tel plan obligerait, par exemple, les opérateurs de téléphonie mobile à s’assurer du bon devenir des téléphones usagés repris.
C’est une suggestion du récent rapport de la mission d’information du Sénat sur l’inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles, présidée par Jean-François Longeot et dont le rapporteur était Marie-Christine Blandin. Au lieu de fermer les yeux sur des exportations de téléphones usagés mélangeant occasions et déchets, cela favoriserait l’emploi ainsi que des filières environnementalement et socialement correctes.
Nous vous proposerons deux amendements : le premier visant à rétablir les seuils, le deuxième tendant à rétablir le nécessaire mécanisme de responsabilité en cas de défaut de devoir de vigilance.
Si le texte devait demeurer dans sa rédaction actuelle, nous ne pourrions que nous abstenir. J’espère donc que les divers amendements de retour au texte initial seront adoptés.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voilà enfin réunis pour l’examen en deuxième lecture de cette proposition de loi.
Je tenais, en introduction, à remercier le Gouvernement pour l’inscription tant attendue de ce texte à l’ordre du jour, car il est important que nous puissions l’adopter définitivement au plus vite. Je salue également le travail de nos collègues députés, Dominique Potier bien évidemment, mais aussi les membres des quatre groupes ayant soutenu cette initiative.
Il importe d’adopter définitivement ce texte au plus vite, car en permanence, dans de nombreux pays du monde, se produisent des drames qui, sans avoir l’ampleur malheureuse et la portée médiatique de l’effondrement du Rana Plaza, sont, pour chacun d’entre eux, une catastrophe humaine ou environnementale. Certaines situations défraient la chronique, comme les révélations sur le travail forcé pour la construction des stades au Qatar en vue de la prochaine Coupe du monde de football ou sur les sous-traitants ougandais d’un grand cimentier français qui feraient exploiter des mines par des enfants.
D’autres pratiques sont régulièrement révélées comme, récemment, la corruption généralisée impliquant des entreprises européennes extrayant le talc des mines d’Afghanistan et permettant de financer les talibans et l’État islamique. Cette semaine encore, au lendemain du salon de l’automobile, la presse s’est fait l’écho de doutes sur le recours au travail d’enfants pour la fabrication de composants de voitures électriques.
Plus incidemment, c’est dans nos smartphones, nos produits ménagers, nos vêtements, nos aliments, que se dissimulent des conditions de travail inhumaines, sans hygiène, sans sécurité. Des personnes travaillent douze heures par jour, six jours sur sept, pour des salaires de misère, sans protection sociale. Souvent, ces travailleurs sont victimes de brimades. Sans parler d’un pays comme le Bangladesh où, un jour sur deux, une femme travaillant dans l’industrie textile décède !
La plupart de ces personnes ne savent pas ce qu’est un contrat de travail. Certaines d’entre elles sont même des travailleurs forcés !
Il faut légiférer au plus vite, donc, car il est temps, dans une mondialisation toujours plus poussée par une concurrence exacerbée, de jeter les bases d’une nouvelle éthique des relations internationales, d’ouvrir une nouvelle ère de la protection des droits humains.
Il est temps de responsabiliser les entreprises qui, cherchant à tout prix les coûts de main-d’œuvre les plus bas, installent leurs filiales en Afrique, en Asie, en Amérique latine, où, on le sait, les législations ne sont pas aussi exigeantes. Elles y sous-traitent une partie de leur activité, dans des conditions qui ne seraient jamais tolérées en France, mais qui, parce qu’elles se déroulent dans un autre pays, loin du nôtre, loin de nos lois et de notre attention, ne soulèvent aucun problème, ni de réglementation ni même de conscience !
Cette proposition de loi vise à transcrire dans l’ordre juridique français les obligations internationales auxquelles la France a souscrit, notamment les principes directeurs des Nations unies adoptés à l’unanimité en 2011 sur les entreprises et les droits humains, invitant les premières à soutenir et à appliquer dans leur sphère d’influence un ensemble de valeurs fondamentales, ainsi d’ailleurs que les orientations arrêtées par l’OCDE.
Cette proposition de loi s’inscrit dans une logique de transparence et d’éthique engagée en France avec l’adoption de la loi relative aux nouvelles régulations économiques en 2001 et le Grenelle II en 2010, ainsi que, plus récemment, avec la loi sur la biodiversité qui établit le préjudice écologique dans le code civil ou, prochainement, avec la loi Sapin II qui visera à lutter contre l’évasion fiscale pratiquée par certaines multinationales.
Pour finir, il importe de légiférer au plus vite, car c’est toute la société civile qui attend ce texte et qui nous regarde : ONG, syndicats, et surtout consommateurs, de plus en plus attentifs aux conditions de production, comme le révèle une étude selon laquelle trois Français sur quatre soutiennent notre proposition. C’est également ce que révèle une pétition qui a recueilli 200 000 signatures.
De nombreuses entreprises de tous secteurs ont également marqué leur intérêt. Laissez-moi vous rappeler, chers collègues, qu’à l’Assemblée nationale ce texte a été voté très largement, à la quasi-unanimité, y compris par des députés de l’opposition !
Monsieur le rapporteur, je note avec intérêt que vous avez abandonné vos premières intentions qui vous avaient amené, en première lecture, à exhumer la procédure de motion préjudicielle, véritable obstruction à tout débat, surprenant jusqu’aux meilleurs connaisseurs de notre règlement. Initiative heureusement abandonnée, mais immédiatement remplacée par la suppression de tous les articles du texte !
Cette fois, et c’est une avancée que nous saluons, vous reconnaissez que les entreprises doivent faire preuve de vigilance.
Malheureusement, vous n’allez pas au bout du raisonnement et vous dénaturez l’esprit de la proposition de loi par vos amendements qui, de fait, reviennent à écrire un tout autre texte. Vous vous contentez d’esquisser une transposition de la directive européenne sur le reporting extrafinancier, sujet qu’il nous faudra traiter, mais vous passez, ce faisant, à côté de la cible de notre proposition de loi, qui vise à couvrir à trois cent soixante degrés le champ de la responsabilité des entreprises, englobant la défense des droits humains, la protection de notre environnement et la lutte contre la corruption.
Mes chers collègues, nous vous proposons aujourd’hui de dépasser le stade des intentions et de passer à l’acte.
Car, lorsque la logique du reporting est fondée sur une déclaration des entreprises qui n’est vérifiée qu’a posteriori, notre proposition permet de gérer les risques en amont et donc de prévenir les dommages. Lorsque vous préconisez une obligation de communication du plan de vigilance, nous y ajoutons une obligation de mise en œuvre. Lorsque vous ne prévoyez aucune sanction au manquement à l’obligation de reporting, nous prévoyons un recours devant le juge pour les victimes d’une violation et une mise en cause de la responsabilité du donneur d’ordre.
Monsieur le rapporteur, vous reconnaissez que bon nombre d’entreprises se sont déjà dotées de leur plein gré de dispositifs proches du devoir de vigilance dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises, mais vous ne souhaitez pas contraindre celles qui ne le feraient pas, au nom de la compétitivité. Permettez-moi de relever la contradiction !
Ne pas adopter ce devoir de vigilance, c’est admettre que la compétitivité prime l’éthique et que la vie de travailleurs exploités loin de chez nous n’a que peu de valeur au regard de la recherche de la rentabilité.
Plus que cela, admettre que certaines entreprises puissent déroger aux principes de vigilance, c’est accepter une pression à la baisse sur nos standards nationaux en matière de protection sociale, de droits humains, de protection de la biodiversité et de l’environnement. C’est inciter à la délocalisation. Le moins-disant généralisé pénalise notre économie.
Monsieur le rapporteur, vous craignez l’isolement de la France, mais nous ne sommes pas les seuls à agir dans ce sens. De nombreux pays disposent de législations qui vont dans la même direction.
Vous estimez par ailleurs que cette proposition de loi est punitive, car elle est assortie d’une possibilité de sanction. Faut-il rappeler tout d’abord que la responsabilité de l’entreprise ne serait engagée, à la suite d’un accident dans une filiale ou chez un sous-traitant, qu’en cas d’absence de plan ou de défaut de mise en œuvre de ce plan ?
Vous considérez qu’il existe un risque d’inconstitutionnalité en relevant une responsabilité du fait d’autrui. Pourtant, notre droit prévoit déjà une obligation de vigilance. C’est le cas, notamment, en droit bancaire, en droit comptable, en droit de la concurrence ou encore en droit du travail – je pense au mécanisme de solidarité financière pour lutter contre le travail dissimulé. Le devoir de vigilance est une obligation de moyens et non de résultat !
Vous remettez en cause l’amende civile considérant que sa légalité serait incertaine et sa proportionnalité douteuse. Or le Conseil constitutionnel lui-même a pu, dans d’autres cas, notamment en droit de la concurrence, estimer que la proportionnalité était acceptable. Le montant plafond de 10 millions d’euros n’est qu’un plafond : seul le juge aura la charge de déterminer le niveau de l’amende.
Cessez donc de diaboliser ce texte ! Il représente une avancée à la fois ambitieuse et raisonnée pour que notre pays, comme dans d’autres domaines et à d’autres époques – je pense à l’abolition de l’esclavage –, éclaire le chemin vers une plus grande responsabilité sociétale des entreprises à l’échelle européenne.
C’est d’une conception de la mondialisation que nous parlons, celle de la place que l’on donne au respect des droits de l’homme, c’est une bataille que nous menons pour mettre fin à des formes modernes d’esclavage !
Pour terminer, monsieur le ministre, sans revenir sur l’urgence qui s’attache au vote de ce texte, je souhaite que soit précisé le calendrier devant nous amener à son adoption définitive et à la parution du décret qui permettra son application. Nous souhaitons que vous usiez de toutes vos prérogatives pour convoquer le plus rapidement possible une commission mixte paritaire.
L’adoption de ce texte marquera cette législature, rappelant que nous sommes fidèles aux valeurs humanistes de la France et que, sous notre majorité, notre pays assume ses responsabilités pour éclairer le chemin vers un nouvel âge de la mondialisation !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours malaisé d’analyser froidement les initiatives qui ont l’apparence de la supériorité morale. Nous savons tous combien les meilleures volontés peuvent tourner au cauchemar, particulièrement lorsqu’elles interviennent dans un domaine saturé par l’émotion.
Cette proposition de loi nous fait courir le même risque : d’apparence inoffensive, elle soulève de nombreuses objections juridiques et révèle un état d’esprit que nous ne pouvons cautionner.
D’apparence inoffensive, disais-je, elle a même à première vue l’aspect d’un texte salutaire. Il y aura évidemment consensus dans cet hémicycle pour nous accorder sur le principe de la responsabilité sociale des entreprises, la RSE. Qui d’entre nous n’a pas été choqué par l’affaire de l’Erika ou par la tragédie du Rana Plaza ? Mais cette proposition de loi engage bien davantage qu’un examen rapide ne pourrait le laisser penser.
Je ne m’étendrai pas sur le contenu juridique du texte, analysé par le rapporteur au cours des différentes lectures, mais soulignerai sa rédaction vague, qui ouvre des brèches considérables dans la stabilité juridique dont ont besoin les entreprises, placées dans un climat particulièrement concurrentiel. Il sera très difficile pour les entreprises de prouver qu’elles respectent la loi ; quant aux obligations créées, elles auront un coût très important, voire seront impossibles à appliquer à toute la chaîne de sous-traitants et de fournisseurs.
Par ailleurs, le champ potentiel de ce texte est considérable. Le cabinet ATEXO, que la délégation aux entreprises a chargé d’une étude sur la portée économique de la proposition de loi, a estimé qu’elle concernerait entre 146 et 243 entreprises, auxquelles il faudrait ajouter leurs filiales directes ou indirectes. Le chiffre de 243 entreprises peut paraître faible, mais il représente en réalité plus de 4 millions de salariés, plus de 33 % de la valeur ajoutée produite en France et plus de 50 % du chiffre d’affaires à l’export. En bref, la proposition de loi aurait potentiellement un impact sur de très larges pans de l’économie française.
En tout état de cause, est-il raisonnable d’avoir une attitude unilatérale et franco-française en ce domaine ? Dans un monde de compétition internationale, l’échelle pertinente sur le sujet est-elle la France ? Certainement pas ! Une responsabilité sociale qui dépasse les frontières nationales doit s’accompagner logiquement d’une démarche juridique qui dépasse ces mêmes frontières. L’aire naturelle de cette démarche est l’Union européenne. C’est pourquoi je souscris totalement à la position du rapporteur de la commission des lois, qui propose de procéder à la transposition en droit national de la directive du 22 octobre 2014, que le Gouvernement n’a jusque-là pas cru bon d’opérer.
J’ajoute que les entreprises françaises sont très engagées dans une démarche volontaire et efficace en matière de RSE. La France est même leader, 47 % de ses entreprises ayant un système de management de la RSE considéré comme très performant, alors qu’elles sont seulement 40 % dans l’OCDE.
Enfin, je regrette l’état d’esprit de ce texte, qui considère l’entreprise davantage comme une source de dommages que comme créatrice de richesses et qui soupçonne plutôt que de faire confiance. La confiance, pourtant, le Président de la République lui-même l’appelait de ses vœux il y a un peu plus d’un an lorsqu’il disait aux entrepreneurs, lors de sa visite au salon Planète PME : « Vous êtes des chefs d’entreprise donc vous prenez des risques. Vous prenez des risques pour vous-mêmes, parfois pour votre famille. Vous prenez des risques aussi pour que notre pays soit plus fort, qu’il crée plus d’emplois, qu’il ait plus de richesse et qu’elle soit distribuée. C’est la raison pour laquelle nous devons avoir, avec des chefs d’entreprise, avec ceux qui créent, une relation de confiance. »
Or la confiance se construit sur des actes, et non pas seulement sur des paroles. C’est pourquoi je reste hostile à la proposition de loi initiale et voterai donc le texte de la commission des lois.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne suis pas membre de la commission des lois, aussi est-ce avec intérêt que j’ai lu le rapport de notre collègue Christophe-André Frassa.
Monsieur le rapporteur, j’avais été quelque peu refroidi par votre approche nihiliste en première lecture. Rappelons les faits : après avoir envisagé la motion préjudicielle, vous aviez méthodiquement supprimé les articles un à un.
Je dois avouer que vous m’avez surpris en changeant votre fusil d’épaule ! Il vous était sans doute délicat de maintenir un rejet pur et simple d’une législation de progrès, alors que grandit la mobilisation civile et internationale en faveur de l’instauration d’un devoir de vigilance.
Mes chers collègues, vous le constatez comme moi, le rapporteur a considérablement élargi son spectre : il s’agit non plus d’empêcher qu’une nouvelle législation naisse, mais de faire en sorte que celle-ci ne change rien. N’allons surtout pas plus loin que la réglementation européenne qui ne traite pas ce sujet ! Ne prévoyons pas de bâton pour sanctionner les entreprises qui ne respecteraient pas cette loi ! Sauvegardons d’abord et avant tout la compétitivité ! Cette forme de laisser-faire est dissimulée derrière une intention de façade.
Je dis « de façade » parce que, en réalité, je n’ai pas vraiment compris, monsieur le rapporteur, quel était l’objectif de votre réécriture de la proposition de loi… Votre rapport est plein de détails sur la nécessité de préserver la compétitivité des entreprises et de faire en sorte de ne pas punir ces dernières. En lisant et relisant votre rapport, on s’étonne. Il y a en effet des absents : les salariés des sous-traitants dont votre rapport ne fait pas mention. Vous écrivez « Rana Plaza » une fois, sans préciser s’il s’agit d’un atelier ou d’une épine dans le pied. J’ai l’impression, à la lecture du rapport, que certains sont pressés d’en finir avec ce débat qui constituerait « une atteinte à la concurrence », « engendrerait des coûts importants », voire « pourrait créer une perturbation des relations économiques et contractuelles tout au long de chaîne de sous-traitance ».
Cette proposition de loi a vocation à sauver des vies et à préserver l’environnement, mais on l’oublierait presque dans le rapport. Des salariés rescapés du Rana Plaza sillonnent pourtant la planète pour convaincre les opinions publiques qu’il faut inciter les compagnies occidentales à améliorer la sécurité de leurs usines. Des initiatives naissent dans de nombreuses démocraties : un référendum est à venir en Suisse ; le Modern Slavery Act a été adopté en 2015 au Royaume-Uni. Notons d’ailleurs que le lexique anglo-saxon démontre que les comparaisons que nous avons faites avec la fin de l’esclavage en France n’étaient pas aussi caricaturales que certains auraient bien voulu le faire croire.
Les États-Unis ont adopté une ligne très sévère avec le Bangladesh, puisqu’ils sont allés jusqu’à exclure ce pays d’un dispositif qui supprimait toute taxe dans le domaine de la poterie en juin 2013.
Ces exemples internationaux sont là pour vous convaincre que notre initiative ne relève pas du gauchisme de salon. Partout dans le monde, citoyens et institutions prennent conscience que la mondialisation sans frein n’a aucun sens. Ou plutôt qu’elle a bien un sens ou un objectif : le règne de l’oligarchie, comme l’écrit Thomas Guénolé dans un essai récent intitulé La mondialisation malheureuse. Sans règle, c’est la jungle. Toutes les démocraties occidentales, même celles que les partisans du laisser-faire ont tendance à citer en exemple, édictent des règles. Il ne suffit pas d’attendre que le MEDEF tienne ses promesses ou que les multinationales respectent leurs engagements humains. Il faut parfois, et je vais peut-être vous choquer, monsieur le rapporteur, utiliser le bâton.
Je prendrai en exemple le décret de 2014 sur les investissements étrangers, dit « décret Montebourg ». Que n’a-t-on pas entendu à l’époque ? Les investisseurs étrangers allaient tous fuir sous des cieux plus hospitaliers – le Royaume-Uni, les États-Unis, etc. Et qu’a-t-on appris il y a deux semaines ? Que le gouvernement britannique conservateur durcissait son contrôle des investissements étrangers, nombre d’observateurs y voyant l’influence du décret Montebourg.
C’est de la politique concrète. Quel est notre objectif aujourd’hui ? Éviter un nouveau Rana Plaza. La proposition de loi permet d’éviter cela. Monsieur le rapporteur, pensez-vous que votre réécriture du texte empêchera de nouveaux drames ?
Vous comprendrez donc que votre argument selon lequel il ne faut surtout pas que la France soit en avance dans le domaine du devoir de vigilance ne m’a pas convaincu. Je suis très fier de la position de mon groupe qui a décidé de restaurer la version de la proposition de loi adoptée par les députés pour rester fidèle à son objectif : faire en sorte que la consommation ici ne s’appuie pas sur l’exploitation d’hommes et de femmes là-bas.
Les consommateurs, ou plutôt devrais-je dire les citoyens, veulent du concret. Les entreprises, dit-on, sont prêtes pour le concret. Les députés de gauche, mais aussi, me semble-t-il, certains députés du centre et de droite, sont prêts pour le progrès. Chers collègues de toutes les travées, le sommes-nous aussi ? Le groupe socialiste est clair sur cette question. Je suis certain qu’il ne sera pas isolé au Palais du Luxembourg.
(Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Mais il est possible d’imaginer un commerce international où l’on puisse, à la fois, vendre des avions et des tee-shirts et où les salariés de Dassault comme ceux des ateliers textiles du Bangladesh puissent bénéficier d’une égale dignité au travail !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
J’entends déjà les rafales d’arguments que ne manquera pas de développer l’orateur suivant. §
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de m’étonner de la conclusion de l’orateur socialiste qui m’a précédé. Qu’il vienne voir comment sont traités les salariés dans la société Dassault ! Ils touchent la moitié des bénéfices de l’entreprise, à égalité avec les actionnaires. Je ne crois pas qu’ils soient très malheureux !
M. Serge Dassault. La proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre, présentée par le groupe socialiste, est extrêmement dangereuse pour toutes nos entreprises – les grands groupes comme les PME – et pour l’emploi, mais aussi, et plus généralement, pour la France, son économie et son attractivité. Notre pays n’est pas responsable des problèmes qui se posent dans les entreprises du monde entier. Il cherche à vendre ses produits et il trouve des sous-traitants. Ce n’est pas à lui d’aller vérifier que ces derniers respectent bien les règles humanitaires… C’est le travail de chaque État.
Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
La proposition de loi vise à instaurer en droit français une obligation de vigilance des entreprises à l’égard de leurs filiales, de leurs sous-traitants et fournisseurs, quelle que soit leur localisation dans le monde. Mais les filiales sont contrôlées et ne dépendent pas des pays étrangers. Ce n’est peut-être pas le cas pour les sous-traitants.
Le champ de cette obligation est très vaste : règles sanitaires, protection de l’environnement, droits de l’homme, corruption, risques d’accident… Mais comme les normes varient d’un pays à l’autre, elles sont impossibles à respecter. Une entreprise choisit un sous-traitant à l’étranger pour ses prix et la qualité de ses fabrications, et non pour ses règles de sécurité ou ses mesures de protection de l’environnement.
De plus, cette proposition de loi prévoit des sanctions pouvant atteindre 10 millions d’euros, que les entreprises françaises seraient les seules à respecter. Un tel dispositif n’existe nulle part ailleurs. Ces sanctions pourraient conduire les PME à la faillite. Si c’est ce que vous voulez, continuez ainsi, mais ne dites pas que vous cherchez à préserver l’emploi !
Cette proposition de loi est inacceptable, car les entreprises françaises sont déjà exemplaires et vigilantes en matière de respect des droits fondamentaux des salariés et de nos normes environnementales.
Elles se soumettent déjà et depuis fort longtemps, de manière responsable et volontaire, aux normes internationales dans ces domaines sensibles, que ce soit dans le cadre européen ou dans ceux de l’OCDE et des Nations unies, mais elles n’ont aucune information sur les normes applicables dans d’autres pays.
Je voudrais souligner les graves conséquences que cette législation pourrait avoir sur notre industrie et sur sa compétitivité. Il faut envisager la question dans son ensemble et ne pas examiner seulement les problèmes humanitaires, dont nous ne sommes pas responsables.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.
En effet, cette proposition de loi, qui vise les grandes entreprises françaises implantées dans le monde, pénalisera toute la chaîne de leurs fournisseurs, qui seront contraints de respecter les mêmes obligations.
Cette initiative franco-française, que seuls les socialistes français réclament, entraînera une distorsion de concurrence sur le marché international au détriment de nos entreprises.
Enfin, j’ajoute que cette législation provoquera une forte inflation des coûts et des risques juridiques pour les entreprises françaises. Le marché de l’emploi dans notre pays, déjà bien dégradé, en subira alors toutes les conséquences, car cette loi obligera nombre d’entreprises françaises à se délocaliser pour se soustraire à ces nouvelles obligations que nous serons les seuls à appliquer. Cela ira à l’encontre de la volonté politique du gouvernement socialiste de restaurer la compétitivité des entreprises françaises par l’allègement des charges. Une fois de plus, ce sont nos entreprises qui seront pénalisées parce qu’elles seront les seules à appliquer ces règles.
Je me demande ce que cherche Bruno Le Roux, auteur de la proposition de loi, et la raison pour laquelle ce n’est pas le Gouvernement qui la présente. Pourquoi cherche-t-il à pénaliser nos entreprises, qui de ce fait partiront et créeront des emplois ailleurs ?
Il faut arrêter « d’empoisonner » nos entreprises avec de nouvelles normes stupides qui ne sont pas appliquées dans les autres pays. Sinon, elles finiront toutes par partir, et il ne restera plus que des chômeurs en France.
Le Gouvernement raconte qu’il fait tout pour renforcer nos entreprises ; mais les socialistes font tout pour les affaiblir. Ce n’est pas normal !
Cette proposition de loi est suicidaire pour nos entreprises, qui ne sont pas responsables des conditions de travail dans le monde entier et qui ont assez de normes à respecter. Arrêtez de les emm… !
Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Après l’article L. 225-102-1 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 225-102-1-1. – Dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé qui, à la clôture de deux exercices consécutifs, dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger, réalisent un total de bilan de plus de 20 millions d’euros ou un montant net de chiffre d’affaire de plus de 40 millions d’euros et emploient au moins cinq cents salariés permanents, le rapport mentionné à l’article L. 225-102 rend compte :
« 1° Des principaux risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, risques de dommages corporels ou environnementaux graves, risques sanitaires et risques de corruption résultant de son activité, de celle des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 et de celle des fournisseurs et sous-traitants avec lesquels la société entretient une relation commerciale établie ;
« 2° Des mesures destinées à prévenir et détecter la commission de faits de corruption ou de trafic d’influence, mises en œuvre par la société en application du chapitre XI du titre III du livre II ;
« 3° Lorsque la société n’est pas soumise à l’obligation de mettre en œuvre les mesures mentionnées au 2°, des mesures de vigilance raisonnable mises en œuvre par la société afin de prévenir les risques de corruption, en France ou à l’étranger, au regard de la loi applicable localement, résultant de son activité et de celle des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 ;
« 4° Des mesures de vigilance raisonnable mises en œuvre par la société afin de prévenir les risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, les risques de dommages corporels ou environnementaux graves et les risques sanitaires, en France ou à l’étranger, au regard de la loi applicable localement, résultant de son activité et de celle des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 ;
« 5° Lorsque cela s’avère pertinent et proportionné, des mesures de vigilance raisonnable mises en œuvre dans les domaines mentionnés aux 3° et 4°, en France ou à l’étranger, au regard de la loi applicable localement, par les fournisseurs et sous-traitants avec lesquels la société et les sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 entretiennent une relation commerciale établie.
« Lorsque la société ne met pas en œuvre de mesures dans certains domaines mentionnés aux 3° et 4°, le rapport en précise les raisons.
« Les mesures mentionnées au présent article font l’objet d’une vérification dans les conditions prévues au septième alinéa de l’article L. 225-102-1.
« Lorsque la société établit des comptes consolidés, les informations fournies sont consolidées et portent sur la société elle-même ainsi que sur l’ensemble de ses filiales et des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3. Le présent article n’est pas applicable aux filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent le seuil mentionné au premier alinéa dès lors que ces informations sont publiées de façon consolidée par la société qui les contrôle au sens de l’article L. 233-3.
« Lorsque le rapport ne comprend pas les informations prévues au présent article, toute personne intéressée peut demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte à la société de communiquer ces informations.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les modalités de présentation des mesures mentionnées aux 3° à 5°. »
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’essentiel de la proposition de loi est contenu dans cet article. Si je comprends et approuve les objectifs des auteurs de ce texte, je m’interroge sur la portée réelle de ces dispositions.
En effet, la vérification de la réalisation de la formalité administrative liée à ce devoir de vigilance dans le rapport et les documents d’information de certaines entreprises est à la portée de notre administration. En revanche, l’effectivité des mesures de vigilance et des contrôles sur les échanges internationaux, qui reposent souvent sur des chaînes d’approvisionnement en cascade, est plus qu’aléatoire, voire impossible à assurer dans de nombreux cas.
Nous ne devons pas adopter des lois uniquement pour nous donner bonne conscience : il faut s’assurer de leur caractère opérationnel sur le terrain. Le dispositif proposé, tant dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale que dans celle du Sénat, a davantage une valeur incitative et pédagogique qu’une dimension opérationnelle.
Sur cette base, il ne me paraît pas utile de surtransposer par anticipation une directive européenne qui aurait pour seul effet concret de créer des contraintes administratives supplémentaires au moment où notre économie est en attente de simplification.
Pour la protection des droits humains, la défense de l’environnement et la lutte contre la corruption, nous devons agir d’abord au niveau des États, sur les législations et les réglementations qu’ils appliquent. C’est là que nous devons accentuer notre pression.
Mais il est vrai que l’on demande souvent davantage d’éthique aux entreprises, qu’elles soient nationales ou internationales, qu’aux États, y compris le nôtre, d’ailleurs. En effet, on pourrait s’interroger sur nos relations et partenariats commerciaux avec des pays qui n’appliquent pas un certain nombre de droits dont nous voulons nous assurer qu’ils sont bien respectés dans les échanges de l’économie privée.
Je citerai le Qatar ou l’Arabie Saoudite, qui ont déjà été mentionnés par l’un de mes collègues. Nous concluons des accords ou des conventions fiscales parmi les plus avantageuses au monde, avec le Qatar et le Koweït par exemple, sans nous poser trop de questions sur l’éthique, notamment en matière de droits de l’homme, de ces pays.
Avant de vouloir donner des leçons à la terre entière, il faut parfois savoir balayer devant sa porte !
L’amendement n° 8, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 225-102-4. - I. - Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance.
« Ce plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires
La parole est à M. Joël Labbé.
Cet amendement vise à rétablir le texte initial de l’article. En effet, le mécanisme de responsabilité est essentiel dans le processus conduisant au respect par l’entreprise de son plan de vigilance. Si le plan ne bénéficiait pas de mécanismes de responsabilité civile, rien ne garantirait sa mise en œuvre effective par l’entreprise.
L’argumentation du rapporteur invoque des risques d’inconstitutionnalité, de responsabilité sans faute et d’extraterritorialité. Si elle peut tout à fait s’entendre, elle néglige néanmoins volontairement de préciser que l’entreprise est seulement responsable du plan de vigilance qu’elle a elle-même défini.
Ces arguments ne tiennent donc pas.
Nous n’allons pas refaire le débat qui a eu lieu en première lecture. La position défendue par M. Labbé est contraire à celle de la commission.
L’avis est donc défavorable.
Je l’ai dit dans la discussion générale, le Gouvernement sera favorable aux amendements qui rétablissent le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Néanmoins, comme je l’ai également indiqué, il faudra apporter un certain nombre de précisions juridiques.
Compte tenu de l’attitude peu coopérative de la majorité sénatoriale quant à la réécriture du texte, il me paraît préférable de rétablir la version de l’Assemblée nationale. Nous continuerons de peaufiner la rédaction lors de la prochaine lecture au Palais-Bourbon.
Monsieur le ministre, je ne peux pas vous laisser dire que nous n’aurions pas été coopératifs, alors que les membres du groupe qui soutient le Gouvernement ont reconnu le contraire.
Nous avions décidé de nous opposer à cette proposition de loi. En deuxième lecture, nous avons cherché le moyen de la rendre viable, car elle ne l’est pas dans sa rédaction actuelle. Le texte est plein de bons sentiments, que nous partageons – nous ne devrions pas avoir à le répéter à longueur de débats –, mais les bons sentiments ne font pas les bonnes lois !
Les membres du groupe socialiste et républicain qui se sont succédé à la tribune ont rappelé que le texte comportait une obligation de moyens et non une obligation de résultat. C’est déjà dire que son ambition est limitée.
Cette ambition limitée, le texte ne permet même pas de la réaliser, pour une raison très simple : l’obligation de moyens est totalement indéfinie, indéterminée ! Voilà typiquement le type de législation pour lequel le Conseil constitutionnel nous dirait : « Mesdames, messieurs les parlementaires, vous venez de voter une loi qui n’épuise pas la compétence du législateur, car le juge ne saura pas comment l’appliquer. »
En effet, le contenu du plan de vigilance, qui serait opposable à des tiers, c’est-à-dire aux fournisseurs dénommés sous-traitants pour les besoins du texte, n’est pas précisé dans la proposition de loi. Comment un juge pourrait-il alors l’appliquer ? Il risque de mettre l’entreprise en situation d’insécurité : soit il aura des exigences élevées, soit il considérera que, en l’absence de précision, la loi permet de faire à peu près n’importe quoi si la lettre du texte est respectée.
La proposition de loi est donc inefficace, tout comme elle est probablement inconstitutionnelle. Elle n’est rien d’autre qu’un discours compassionnel mis en forme législative et sans valeur.
Dans ces conditions, le rapporteur, auquel je rends hommage, a dû faire de grands efforts pour essayer de sauver ce texte en lui permettant de ressembler, grâce à la transposition d’une directive, à une vraie loi, et non à un discours formé d’articles inconsistants.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, il ne vous aura pas échappé que nous n’avons pas déposé d’amendement. Il nous semble inutile d’essayer de modifier ce texte qui, évidemment, ne nous convient pas. Nous espérons que le travail de l’Assemblée nationale permettra de rétablir la version qui était importante pour nous.
La discussion générale était très intéressante. La position défendue par M. Dassault a montré qu’à l’évidence la majorité n’a pas opéré une véritable conversion. Elle a simplement essayé de masquer le caractère complètement archaïque de sa position initiale… Cela relève davantage d’un positionnement politique.
En tout état de cause, nous avons dit ce que nous avions à dire lors de la première lecture. Aujourd’hui, nous avons réaffirmé certains points lors de la discussion générale. Nous voterons malgré tout les amendements de nos collègues, parce qu’ils essaient de changer les choses, mais je dois avouer qu’il serait préférable d’en finir rapidement, car il n’y a pas grand-chose à attendre de notre débat, et de renvoyer le texte à l’Assemblée nationale.
L’amendement n’est pas adopté.
Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer la référence :
L. 225-102-1
par la référence :
L. 225-102-3
et la référence :
L. 225-102-1-1
par la référence :
L. 225-102-4
II. – Alinéas 2 à 12
Remplacer ces alinéas par six alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 225 -102 -4 . I. – Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance.
« Ce plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société et des sociétés qu’elle contrôle au sens du II de l’article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités de leurs sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie. Les mesures du plan visent également à prévenir les comportements de corruption active ou passive au sein de la société et des sociétés qu’elle contrôle.
« Le plan de vigilance est rendu public et inclus dans le rapport mentionné à l’article L. 225-102.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités de présentation et d’application du plan de vigilance, ainsi que les conditions du suivi de sa mise en œuvre effective, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale.
« II – Toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut demander à la juridiction compétente d’enjoindre à la société, le cas échéant sous astreinte, d’établir le plan de vigilance, d’en assurer la communication au public et de rendre compte de sa mise en œuvre conformément au I.
« Le président du tribunal, statuant en référé, peut être saisi aux mêmes fins. »
La parole est à M. Didier Marie.
Cet amendement ne satisfera vraisemblablement pas le président de la commission des lois, puisqu’il vise à rétablir le texte initial et, en particulier, l’obligation faite aux grandes sociétés – je rappelle qu’elles doivent avoir plus de 5 000 salariés en France ou plus de 10 000 salariés si l’on intègre leurs filiales à l’étranger – de prévoir un plan de vigilance, qui constitue en réalité le cœur du dispositif.
Contrairement à ce qui a été dit précédemment, l’article 1er définit le contenu de ce plan : il s’agit des « mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales ». Or nous savons bien ce que sont les droits de l’homme et les libertés fondamentales !
Il doit également contenir des mesures pour prévenir les dommages corporels ou environnementaux graves, les risques sanitaires ou la corruption active ou passive : autant de faits que nous savons aussi déterminer.
Nous souhaitons restaurer toute l’originalité et la force de ce dispositif qui établit une vigilance à trois cent soixante degrés, car la commission des lois n’a pas seulement changé les modalités du dispositif d’origine, elle en a modifié la nature même. C’est la raison pour laquelle nous sommes défavorables au texte de la commission et proposons de revenir au texte initial.
Par ailleurs, l’amendement tend à rétablir le mécanisme d’injonction sous astreinte. Sous couvert de clarification, la commission a restreint substantiellement la portée de ce mécanisme : dans son texte, il s’agit d’une simple injonction de communiquer des informations, alors que, dans la version initiale, il s’agissait d’une véritable injonction de faire, c’est-à-dire de communiquer, mais aussi de mettre en œuvre. C’est donc l’effectivité du dispositif qui est en jeu.
L’amendement n° 12, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« Art. L. 225 -102 -1 -1. – Dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé et qui, à la clôture de deux exercices consécutifs, avec leurs filiales directes et indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger, réalisent…
II. – Alinéa 3
Supprimer les deuxième, troisième et quatrième occurrences du mot :
risques
III. – Alinéa 10, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Les filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent les seuils mentionnés au premier alinéa du présent article ne sont pas tenues de rendre compte des informations prévues au présent article dès lors que ces informations sont publiées de façon consolidée par la société qui les contrôle au sens de l’article L. 233-3.
La parole est à M. le rapporteur.
L’amendement n° 10, présenté par M. Gabouty, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
qui
insérer les mots :
, au vu de leurs états financiers consolidés
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
Cet amendement de précision vise à introduire la notion d’états financiers consolidés, qui existe déjà ailleurs dans le texte. Pour la définition du périmètre financier des entreprises, le terme « consolidé » ne figurait pas.
La consolidation peut être obligatoire : si le chiffre d’affaires est de 40 millions d’euros, les entreprises y sont tenues. En revanche, ce n’est pas le cas si le chiffre d’affaires est de 20 millions d’euros.
Cette notion d’états financiers consolidés est préférable à celle de chiffre d’affaires net, dont je ne connais pas la signification. Mon amendement suivant est un amendement de repli, qui prévoit une autre formulation.
Cette précision rédactionnelle ne change pas le sens du texte.
L’amendement n° 11 rectifié, présenté par M. Gabouty, est ainsi libellé :
Alinéa 2
I. – Supprimer les mots :
total de
II. – Après le mot :
bilan
insérer le mot :
consolidé
III. – Supprimer le mot :
net
IV. – Après le mot :
affaire
insérer le mot :
consolidé
Cet amendement a été précédemment défendu.
L’amendement n° 7, présenté par MM. Collin et Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le mot :
affaire
par le mot :
affaires
La parole est à M. Yvon Collin.
Il s’agit d’un amendement rédactionnel. L’article 1er, qui est le cœur de la proposition de loi, suscite un véritable débat sur le fond, et c’est bien compréhensible.
Toutefois, pour reprendre la formule de Victor Hugo, la forme, c’est le fond qui remonte à la surface. Cet amendement vise à corriger un point de détail qui a échappé à la sagacité de mes collègues. En effet, en français, le mot affaire soit se mettre au pluriel dans l’expression « chiffre d’affaires ». Je ne doute pas que cet amendement recevra un avis favorable de la commission !
L'amendement n° 13, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 10
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article s’applique également aux établissements de crédit, aux entreprises d’assurance et de réassurance, aux institutions de prévoyance et à leurs unions et aux mutuelles et à leurs unions mentionnés aux 1° à 4° du III de l’article L. 820-1 lorsqu’ils dépassent, à la clôture de deux exercices consécutifs, les seuils prévus au premier alinéa du présent article.
La parole est à M. le rapporteur.
Cet amendement vise à compléter le périmètre des « entités d’intérêt public » soumises à l’obligation de publier des informations sur les principaux risques sociaux et environnementaux.
Puisque l’amendement n° 2 rectifié est contraire à la position de la commission, celle-ci a émis un avis défavorable, les mêmes causes engendrant les mêmes effets.
Pour ce qui concerne les amendements n° 10 et 11 rectifié de M. Gabouty, qui sont liés – le premier vise à insérer la mention de la notion de comptes consolidés dans la vérification des sociétés concernées par l’obligation de vigilance et le second à préciser cette notion –, je ferai une réponse commune. Cette mention ne me paraît pas utile pour cerner le périmètre des sociétés cotées concernées par l’obligation de vigilance, puisque le texte, conformément à la directive européenne 2014/95/UE du 22 octobre 2014, fixe déjà des seuils précis incluant des filiales directes et indirectes françaises et étrangères.
De plus, la notion juridique de comptes consolidés englobe, outre la société mère, d’autres sociétés que les seules filiales – je vous renvoie notamment à l’article L. 233-16 du code de commerce. Cette précision serait donc en réalité une source de confusion sur le périmètre des sociétés soumises à cette nouvelle obligation.
Enfin, l’amendement n° 12, que je viens de défendre, contribue déjà à clarifier un dispositif dont je reconnais qu’il n’est pas aisément lisible…
C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer ces deux amendements, monsieur Gabouty.
En ce qui concerne l’amendement n° 7 de M. Collin, j’émets un avis évidemment très favorable, car il vise à corriger une faute d’orthographe qui s’est glissée dans le texte de la commission. La division des lois l’aurait directement corrigée, mais, puisqu’il s’agit du seul amendement du groupe du RDSE…
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Faut-il d’ailleurs en déduire que mes collègues du groupe du RDSE soutiennent le texte de la commission ?
Sourires.
M. Michel Sapin, ministre. Comme le dit très bien M. le rapporteur, les mêmes causes ont les mêmes effets, et cela se vérifie dans l’autre sens.
Sourires.
Chacun sa logique…
Le Gouvernement est donc favorable à l’amendement n° 2, qui tend à rétablir le texte initial, et défavorable à l’ensemble des amendements qui visent à améliorer le texte de la commission.
Cela étant, je peux évidemment avoir une indulgence particulière pour la correction orthographique de M. Collin ; je suis donc favorable à cet amendement, …
… même si je suis défavorable aux mots ainsi corrigés.
Enfin, je suis également défavorable à l’amendement n° 13.
Estonie, Lituanie, Slovaquie, Portugal, Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie, Grèce : cette liste est celle des pays dont les parlements ont lancé, en mai dernier, une initiative demandant à la Commission européenne de légiférer sur un devoir de vigilance des entreprises européennes. Leur objectif est de prévenir et de réparer les dommages graves aux droits humains et sociaux et à l’environnement causés par les activités directes ou indirectes des entreprises.
Depuis l’effondrement du Rana Plaza, nombreuses sont les voix qui demandent que l’éthique prenne le dessus par rapport à l’économie ; la recherche effrénée de la rentabilité a trouvé ses limites.
Dans cette optique, le dispositif adopté en commission, du fait de sa souplesse et de son absence de caractère contraignant, fait perdre tout sens au texte initial.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la responsabilité sociale et environnementale des entreprises résulte d’une démarche née au sein des grandes entreprises elles-mêmes. Les premières firmes concernées au début des années 1990 étaient Levi’s, Nike, Reebok.
Je vous rappelle également le scandale qui a touché Nestlé à la suite de la révélation de la présence d’enfants dans ses plantations de cacao en Côte d’Ivoire. Cette société a dû organiser une campagne de communication affirmant que le recours à l’utilisation du travail des enfants dans sa chaîne d’approvisionnement du cacao allait à l’encontre de l’ensemble de ses valeurs.
Pour une grande entreprise, l’enjeu de la RSE est donc tout d’abord la compétitivité. Je vous renvoie d’ailleurs à l’étude du Conseil d’État de 2013, qui en fait le constat : « Il serait cependant réducteur de ne voir dans la RSE qu’un mécanisme défensif de réaction à des scandales. Ces démarches sont également sous-tendues par l’idée qu’une entreprise respectueuse des droits fondamentaux des travailleurs et de l’environnement aura une performance économique plus durable. Elles sont porteuses d’avancées. »
C’est l’économie qui doit être au service de l’humain et non l’inverse. Je voterai évidemment pour l’amendement de mon collègue Didier Marie.
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement est adopté.
En conséquence, l’amendement n° 10 n’a plus d’objet.
Monsieur Gabouty, l’amendement n° 11 rectifié est-il maintenu ?
Non, monsieur le président, je le retire.
En termes comptables, je le répète, je ne sais pas ce qu’est un chiffre d’affaires « net » mais, dans ce contexte, cela n’a pas grande importance.
L’amendement est adopté.
L’amendement est adopté.
L’amendement n° 4, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le juge peut prononcer une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d’euros. Cette amende n’est pas une charge déductible du résultat fiscal. »
La parole est à M. Didier Marie.
Le présent amendement vise également à rétablir le texte initial pour offrir au juge la possibilité d’infliger une amende civile à une société négligente qui aurait omis d’établir son plan de vigilance. Le montant de cette amende civile ne pourrait être supérieur à 10 millions d’euros. En pratique, le juge vérifiera si l’entreprise a bien établi son plan, si elle en a assuré la communication et si elle a rendu compte de sa mise en œuvre.
La commission des lois a supprimé l’amende civile en invoquant notamment son caractère disproportionné. Rappelons toutefois que cela concerne des entreprises qui emploient au moins 5 000 salariés, directement ou par l’intermédiaire de filiales directes ou indirectes, donc de très grands groupes dont la pérennité ne devrait pas être remise en cause par une amende de cette nature si, par malheur, ils devaient en être frappés. Par ailleurs, le texte fixe certes un plafond, mais il appartiendra au juge de fixer le montant de chaque amende, qui a une fonction de prévention des infractions au regard des objectifs d’intérêt général du texte.
Autre argument invoqué par la commission à l’appui de la suppression de l’amende civile : le mécanisme de l’injonction suffirait. Néanmoins, je le disais précédemment, ce mécanisme a été restreint et sa portée amoindrie. En outre, notre objectif consiste à créer un dispositif complet instaurant des obligations claires et intelligibles pour les entreprises avec, parallèlement, un dispositif de sanctions qui, pour être efficace, doit être gradué. Cette amende ne doit donc pas être opposée au mécanisme d’injonction ; au contraire, les deux sanctions forment un tout pouvant être mis en œuvre par le juge.
Les craintes exprimées par la commission des lois nous paraissent donc infondées, d’autant qu’il sera toujours possible, M. le ministre l’indiquait, de préciser dans la suite de la discussion, notamment à l’Assemblée nationale, les modalités de mise en œuvre de cette amende.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de rétablir le texte dans sa version initiale.
Outre qu’elle va à l’encontre la position de la commission, cette amende civile posera – le Gouvernement ne pourra pas prétendre le contraire – des problèmes constitutionnels.
L’avis de la commission sur cet amendement est évidemment défavorable.
Je m’en tiendrai là, mais je précise que c’est votre conception même du dispositif qui est viciée. En effet, comment peut-on faire de la prévention avec des amendes ? Il s’agit de deux conceptions qui s’opposent, au-delà même de ce que les uns et les autres peuvent penser.
Ce sont deux conceptions différentes ! Vous avez la vôtre, j’ai la mienne, et je ne les discute pas sur le fond.
Ce n’est pas ce que j’appelle faire de la prévention, dans ce cas ! On peut créer des sanctions, mais il ne faut pas dire, comme je l’entends partout depuis ce matin, que l’on fait de la prévention. Dites que vous faites un texte coercitif !
La vigilance ne relève pas de la sanction. Soyez coercitifs, mais ne déguisez pas vos propositions en plan de vigilance.
N’appelez pas cela la « responsabilité » sociale et environnementale ; ayez le courage de votre opinion et allez au bout de la démarche. Faites un plan de sanctions des entreprises, un plan coercitif, mais n’invoquez pas une vertu qui n’en est pas une.
Je ne vais pas relancer le débat, mais il est vrai qu’il vaut mieux éviter de caricaturer les positions des uns et des autres sur ce sujet.
En ce qui concerne cet amendement, j’émets, respectant la logique que j’ai invoquée précédemment, un avis favorable, puisqu’il s’agit de rétablir le texte initial. Néanmoins, je ne le dissimule pas, il y a effectivement un problème de constitutionnalité lié à la proportionnalité de la peine. Il faudra donc que l’Assemblée nationale adopte un certain nombre de modifications qui n’amoindriront pas le texte, mais qui lui conféreront toutes les garanties juridiques et constitutionnelles nécessaires.
Je ne veux pas allonger excessivement le débat mais, le rapporteur donnant un peu dans la caricature, on ne peut laisser passer les propos qu’il a tenus.
Ce dispositif est bien une mesure de prévention. Vous l’avez souligné vous-même en commission, près de 80 % des entreprises du CAC 40 se sont déjà engagées dans des mesures proches de celles que nous souhaitons instaurer pour l’ensemble des entreprises. Pour celles qui ont déjà adopté une démarche de RSE, il n’y aura aucune difficulté à aller un peu plus loin et à mettre en œuvre le plan que nous souhaitons.
Il reste néanmoins 20 % des entreprises qui n’ont rien fait. Nous supposons que, une fois ce texte adopté, et il le sera, bon nombre d’entre elles franchiront le pas. Il en demeurera toujours, vraisemblablement, quelques-unes qui, pour des raisons diverses, notamment la volonté de privilégier la rentabilité par rapport à l’humanité, essaieront d’y échapper. Certes, elles pourront peut-être édicter un plan et communiquer à son sujet, mais elles ne le mettront pas en œuvre. La sanction est donc là pour ces sociétés.
Les entreprises, dans leur grande majorité, sont responsables, mais certaines ne le sont pas, l’actualité le démontre malheureusement chaque jour. C’est contre cela, contre cette forme d’esclavage moderne, que nous nous battons.
L’amendement n’est pas adopté.
L’article 1 er est adopté.
(Supprimé)
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après l’article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 225 -102 -5 . – Le non-respect des obligations définies à l’article L. 225-102-4 du présent code engage la responsabilité de son auteur dans les conditions fixées aux articles 1382 et 1383 du code civil.
« L’action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne mentionnée au II de l’article L. 225-102-4 du présent code.
« Outre la réparation du préjudice causé, le juge peut prononcer une amende civile définie au III du même article L. 225-102-4. Cette amende n’est pas une charge déductible du résultat fiscal.
« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.
« La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte. »
La parole est à M. Didier Marie.
Le présent amendement vise à rétablir l’article 2 de la proposition de loi dans sa rédaction initiale. Pour justifier la suppression de cet article, la commission des lois a considéré que sa portée juridique posait problème.
De quoi s’agit-il ? L’article 2 du texte introduit un régime de responsabilité civile fondé sur les anciens articles 1382 et 1383 du code civil, désormais numérotés 1240 et 1241. En pratique, il reviendrait au juge d’établir l’existence d’une faute, consistant dans le défaut d’établissement d’un plan de vigilance, dans l’absence de publication ou dans la mise en œuvre imparfaite de ce plan. Il devrait aussi établir l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité.
En conséquence, il n’y a pas lieu de penser que les entreprises concernées par cette obligation seraient exposées à un risque important de contentieux. Il reviendrait en effet aux sociétés, pour satisfaire à leur obligation, d’édicter un plan contenant des mesures raisonnables et de le mettre effectivement en œuvre.
Pour en revenir à la critique du rapporteur, l’article ainsi rédigé ne contredit pas le juge constitutionnel, lequel a posé une double condition : que chaque personne consente à ce qu’une organisation représentative introduise une action pour son compte et qu’elle conserve la liberté de conduire la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action.
Ainsi, ces doutes nous paraissant excessifs, nous demandons le rétablissement de cet article 2.
L’amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après l’article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 225 -102 -5. – Le non-respect des obligations définies à l’article L. 225-102-4 du présent code engage la responsabilité de son auteur dans les conditions fixées aux articles 1240 et 1241 du code civil.
« L’action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne mentionnée au II de l’article L. 225-102-4 du présent code.
« Outre la réparation du préjudice causé, le juge peut prononcer une amende civile définie au III du même article L. 225-102-4. Cette amende n’est pas une charge déductible du résultat fiscal.
« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.
« La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte. »
La parole est à M. Joël Labbé.
Ces amendements sont quasi identiques et tendent à rétablir le texte de l’article 2 issu de l’Assemblée nationale portant sur le régime de responsabilité. Faisons court…
Je le serai aussi peu que vous, donc ce sera difficile de ne pas l’être…
Cette disposition revêt une portée juridique particulièrement incertaine : selon les personnes que j’ai entendues en audition lors de la première lecture, soit il s’agit d’un simple rappel du droit commun de la responsabilité, auquel cas cette disposition est inutile, soit il s’agit de la création implicite d’un nouveau régime de responsabilité pour faute d’autrui – par exemple, la responsabilité de la société mère pour la faute d’un sous-traitant étranger ayant causé un dommage – destiné à trouver un moyen d’indemnisation, et, dans ce cas se pose un problème constitutionnel au regard du principe de responsabilité.
Le débat ne porte donc pas du tout sur l’obligation de moyens ou de résultat, comme le prétend l’objet de l’amendement.
La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas fait la distinction entre un sous-traitant et une filiale ; c’est tout de même un sacré problème !
Vous nous donnez une leçon de droit en vous appuyant sur l’exemple d’un sous-traitant, mais un sous-traitant n’est pas une filiale. Une filiale est une entreprise dont un groupe détient la majorité du capital. Or, justement, quand des problèmes émergent, ils impliquent souvent des filiales.
Toutes les argumentations que vous avez exposées présentent un véritable problème. Premièrement, vous dites que la compétitivité ne peut se fonder sur l’éthique ; or les entreprises françaises du CAC 40 ont, dans leur majorité, décidé de favoriser leur compétitivité grâce à l’éthique.
Deuxièmement, vous demandez pourquoi la France devrait s’inscrire dans un tel projet alors que les autres pays européens ne le font pas. Eh bien, allons-y et essayons d’entraîner l’ensemble des pays européens ; faisons en sorte que la productivité et la compétitivité soient favorisées par l’éthique.
Je vous signale que des centaines, voire des milliers d’enfants sont victimes de cette situation. On observe de par le monde des comportements inacceptables et, pour notre pays, qui est le pays des droits de l’homme, c’est épouvantable. Il semble donc évident qu’il faut responsabiliser les sociétés mères par rapport à leurs filiales et nous devrions tous nous retrouver sur un tel sujet.
Sachez enfin que nous sommes observés sur de tels sujets et que se cacher derrière le droit comme vous l’avez fait, avec une mauvaise interprétation, me paraît peu élégant.
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement n’est pas adopté.
L’article L. 225-102-1-1 du code de commerce est applicable dans les îles Wallis et Futuna.
L’amendement n° 6, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.
L’amende civile encourue en application des mêmes articles est prononcée en monnaie locale, compte tenu de la contre-valeur dans cette monnaie de l’euro.
La parole est à M. Didier Marie.
L’amendement n’est pas adopté.
L’article 3 est adopté.
L’article L. 225-102-1-1 du code de commerce, tel qu’il résulte de l’article 1er de la présente loi, est applicable à compter du rapport mentionné à l’article L. 225-102 portant sur le premier exercice ouvert après la publication de la présente loi.
L’amendement n° 1, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Didier Marie.
Il s’agit, là encore, d’un amendement de coordination avec le rétablissement du texte de l’Assemblée nationale.
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement n° 14, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après la référence :
L. 225-102
insérer les mots :
du même code
La parole est à M. le rapporteur.
L’amendement est adopté.
L’article 4 est adopté.
Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est très important, car il témoigne d’une volonté, celle de faire en sorte que les sociétés mères exercent toute leur responsabilité à l’égard de l’action de leurs filiales dans le monde tel qu’il est, c’est-à-dire dans un monde marqué par l’exploitation. Mon collègue Martial Bourquin évoquait les enfants ; par ailleurs, on connaît et on garde en mémoire les accidents qui ont eu lieu, en particulier au Bangladesh.
Vous avez adopté en première lecture, monsieur Frassa, une méthode consistant à supprimer les articles un par un : à la fin du débat, il n’y avait donc plus de texte. Vous avez adopté cette fois-ci une méthode un peu plus subtile : vous édulcorez tellement le texte que, à la fin, il n’en reste plus rien non plus. Néanmoins, la méthode a changé et je vous en donne acte.
Quel est le fond de l’affaire ? Le Parlement et le Gouvernement français peuvent-ils prendre des dispositions qui montrent le chemin, non seulement pour nous, mais encore pour d’autres ? MM. Marie et Durain l’ont rappelé, le même débat a lieu ailleurs. Des initiatives sont d’ailleurs prises en ce sens tant dans d’autres pays qu’à l’échelon européen. Il nous appartient donc d’aller dans le même sens.
Certains, comme M. Dassault, nous disent que l’adoption de telles dispositions entraînera la ruine des entreprises françaises, qui subiront des contraintes que d’autres n’auront pas. Pardon de me répéter, puisque j'y ai déjà fait référence en commission : Victor Schœlcher siégeait dans cet hémicycle, au deuxième rang derrière vous, monsieur le ministre. Je ne sais si, au XIXe siècle, on lui a dit que l’abolition de l’esclavage dans notre seul pays entraînerait un préjudice considérable pour l’industrie française, car les autres pays continueraient de recourir à l’esclavage, mais il a tenu bon et la France, la République française, a souvent tenu bon !
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut sans doute apporter des précisions juridiques au texte et cela sera fait, M. le ministre l’a dit, mais, sur le fond, c’est bien ceci qui est en cause : montrer le chemin pour garantir le respect des droits des êtres humains.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Joël Labbé et Yvon Collin applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je trouve que cette argumentation fondée sur la culpabilisation a quelque chose d’assez déloyal.
Je souhaite pour ma part revenir au fond du texte. On peut regretter que les informations demandées sur les mesures de sauvegarde, qu’il s’agisse du texte sénatorial ou de celui de l’Assemblée nationale, se limitent aux seules sociétés mères cotées en bourse et ne s’appliquent pas à toutes les entreprises d’une certaine taille, notamment aux entreprises à capitaux publics. Il me semblerait en effet plus logique de viser toutes les entreprises et non une seule catégorie d’entre elles en raison de leur capital et de leur actionnariat.
Pour aborder positivement ce texte, plutôt que de faire de grandes déclarations et de nous donner bonne conscience avec des mesures qui, de toute façon, n’auront pas d’effectivité lorsqu’elles feront l’objet d’un contrôle – il s’agit donc surtout de se faire plaisir –, proposons quelque chose. Je suggère donc que, bien que cela relève du domaine réglementaire, on intègre ce rapport de sauvegarde et de prévention des risques parmi les critères pris en compte dans l’appréciation de la valeur technique d’une entreprise dans le cadre de l’attribution d’un marché public. Cela aurait un impact réel, concret. C’est peut-être plus modeste, moins ambitieux, mais cela correspondra à une réalité de fonctionnement.
Par ailleurs, en ce qui concerne la directive européenne et la démarche du Sénat, ne faites pas de procès d’intention à la majorité sénatoriale, dont je fais bien entendu partie. Je pense que nous avons le même objectif, la même volonté ; simplement, vous cherchez une formule idéale quand nous visons plus modestement, pour notre part, des mesures plus concrètes et applicables dans la réalité.
Le groupe UDI-UC votera le texte de la commission.
Au terme de ce débat, je veux saluer les personnes avec lesquelles j’ai travaillé, en particulier les syndicalistes travaillant à l’échelon international qui ont rencontré des syndicalistes et des salariés d’entreprises comme celles qu’abritait le Rana Plaza. Ils nous ont fait part de l’action importante que ces syndicats mènent pour qu’évoluent, dans leur propre pays, les droits des salariés et les droits humains en général. Je place beaucoup d’espoir dans la relation qu’entretiennent les syndicats de nos pays avec ceux de ces pays-là.
Je veux également souligner l’action des ONG qui sont à l’initiative, me semble-t-il, de ce texte, comme le collectif Éthique sur l’étiquette, que j’ai rencontré.
Les consommateurs et les associations de consommateurs – je pense en particulier à l’Association pour l’information et la défense des consommateurs salariés, INDECOSA-CGT –, avec lesquels j’ai travaillé, sont parfaitement conscients des enjeux. Or les choses bougeront aussi grâce à la prise de conscience de la société civile.
Je ne crois pas, mon cher collègue, qu’il s’agisse de se donner « bonne conscience » ni de « se faire plaisir ». Présenter les choses ainsi relève, là encore, de la caricature et fait fi des convictions des uns et des autres. Vous avez des convictions, nous en avons d’autres et nous essayons tous de les défendre au mieux.
Que le débat fasse apparaître la vérité de chacun ! C’est la raison pour laquelle j’ai trouvé de débat très intéressant, en particulier l’intervention de M. Dassault. Grâce à lui, les choses étaient claires !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est, pour le groupe écologiste, un texte clef et un marqueur qui fait avancer les choses, même si c’est d’un petit cliquet. Ce n’est qu’un plan de vigilance, certes, mais il s’agit d’un marqueur majeur.
M. Sueur évoquait les temps de l’esclavage, mais, si l’on y regarde bien, n’est-ce pas une forme d’esclavage des temps modernes que de demander à des gens, y compris des enfants, à l’autre bout du monde, de travailler pour trois fois rien dans des conditions parfois abominables ? Tout cela pour assurer le confort de ceux qui, dans les sociétés occidentales, en ont encore les moyens ! Le fonctionnement du monde et le grand marché mondial doivent être remis en question.
J’entends, par ailleurs, parler de bonne conscience ; c’est blessant pour ceux qui se battent contre ce système !
Outre les syndicats, qu’Évelyne Didier vient d’évoquer, le Sénat a entendu des associations et des ONG membres d’un même forum, à savoir le collectif, que j'ai déjà cité, Éthique sur l’étiquette, mais aussi Amnesty International, les Amis de la terre, CCFD-Terre solidaire et Sherpa. Or les membres de la société civile organisée, qui représentent l’opinion politique française de manière grandissante, sont convaincus que l’on ne peut continuer ainsi.
Il est important de donner à notre population des signes sur le virage à prendre. Avec cette proposition de loi, nous sommes en plein dans le sujet de la COP 21 ! Que le texte soit sur la table aurait peut-être mérité que nous nous abstenions, mais il a tellement été vidé de sa substance que nous allons voter contre, non sans désespoir.
M. Jean Desessard applaudit.
Tout d'abord, je veux réitérer mes remerciements au Gouvernement, qui a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour d’une semaine qui lui était réservée. Sans cette initiative, le texte n’aurait pu être examiné aujourd'hui et, surtout, il aurait risqué de ne pas aboutir avant la fin de la législature.
Monsieur le ministre, comme je l’ai déjà indiqué dans la discussion générale, nous attendons que son examen par le Parlement se poursuive, de telle sorte que le décret puisse paraître avant cette échéance.
Au-delà du débat juridique, qui est bien évidemment tout à fait normal, la présente proposition de loi peut donner lieu à des points de vue différents. Nos discussions ont permis une clarification politique, ainsi que ma collègue Évelyne Didier vient de le souligner.
À cet égard, je remercie très sincèrement M. Dassault de s’être exprimé : son intervention nous a permis de connaître le fond de la pensée des sénatrices et sénateurs qui soutiennent la position du rapporteur, loin des circonvolutions dont use celui-ci. En réalité, il s'agit tout simplement de refuser de mettre en place un devoir de vigilance, en considérant que la compétitivité prime l’éthique !
Pour ce qui nous concerne, nous pensons l’exact inverse.
Nous considérons que compétitivité et éthique sont compatibles. Mieux, nous estimons que l’éthique permet un différentiel positif de compétitivité pour nos entreprises, car les consommateurs d’aujourd'hui attendent et demandent de la transparence.
Ils attendent et demandent que les produits qu’ils achètent soient fabriqués dans des conditions dignes, respectant les droits humains et l’environnement. Aucun de nos concitoyens n’accepterait aujourd'hui d’acheter un tee-shirt taché de sang ou un smartphone fabriqué avec des composants issus de ce qu’une ONG appelle « les minerais de sang » !
Enfin, accepter et mettre en œuvre un devoir de vigilance, c’est aussi refuser la pression à la baisse qui est exercée sur nos standards nationaux en matière de protection sociale et de droits humains. En effet, si les grandes entreprises européennes, notamment françaises, sont autorisées à perpétuer leurs pratiques malheureuses dans un certain nombre de pays, il serait logique que ces pays nous demandent un abaissement des standards de production qui sont les nôtres, dans un souci de compétitivité.
Certes, le rapport entre compétitivité et éthique est complexe, mais nous considérons que l’éthique doit être prise en compte.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je soutiens totalement le texte, tel qu’il nous a été présenté par notre rapporteur, M. Frassa.
Je veux apporter un témoignage. J’étais chargé du commerce extérieur de la France lors de la mise en place de l’Organisation mondiale du commerce. Alors que nous défendions des clauses à la fois sociales et environnementales, nous avons soulevé l’hostilité déterminée de toute une série de pays, qui avaient accédé à l’industrie tardivement.
Les représentants de ces pays nous tenaient un discours parfaitement cohérent : « Si les pays occidentaux, qui disposent d’à peu près tous les avantages – la technologie, les outils de production, la propriété industrielle, la détention des centres de recherche… –, nous imposent des clauses environnementales ou sociales que nous sommes incapables de respecter aujourd'hui, nous, pays moins favorisés, ne vendrons plus aucun de leurs produits ».
Et ils nous rappelaient, à juste raison, que certaines étapes, au démarrage, nécessitent un certain nombre de sacrifices. Chers collègues, vous avez évoqué le combat pour l’abolition de l’esclavage de Victor Schœlcher, mais je rappelle que, à la même époque, Villermé publiait son rapport sur les conditions de travail, notamment celles des enfants, qui prévalaient dans la France industrielle du XIXe siècle.
M. Jean-Pierre Sueur acquiesce.
Faut-il se résigner ? Je ne le pense pas. Faut-il légiférer ? Je suis convaincu qu’il s’agit là de bonne conscience, monsieur Labbé. Le véritable atout, le véritable partenaire de l’évolution sociale, c’est le consommateur.
Or nous constatons aujourd'hui que les consommateurs recherchent, pour une fraction importante d’entre eux, des produits équitables, à l’instar des produits labellisés dans le domaine de l’environnement – la forêt, par exemple. Par ailleurs, toute une série de nouveaux pays industriels sont en train d’épouser la cause des clauses sociales, naturellement par respect pour leur population, mais aussi, de manière certainement bien plus déterminante, pour retrouver le soutien des consommateurs riches des pays occidentaux, États-Unis ou États européens.
J’ajoute que nous avons la responsabilité de l’industrie française. À ce titre, nous avons des salariés à faire vivre. Puisque nous sommes amenés à vendre un certain nombre de produits dans des pays avec lesquels nous sommes en compétition, nous sommes bien obligés de bénéficier de ces contreparties !
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, je trouve quelque peu dommage que nous sombrions aujourd'hui dans une espèce de jeu politique
M. Martial Bourquin proteste.
Ce que je retiens aujourd'hui, c’est que le Sénat affirme une volonté forte, celle de transposer la directive européenne relative au devoir de vigilance aux entreprises.
Ce premier pas est essentiel, et nous devrions tous nous réjouir de l’avoir franchi !
Monsieur le président, je veux réagir à l’intervention de Gérard Longuet.
À vous entendre, cher collègue, on ne saurait faire autrement que de sacrifier des générations pour que les pays moins développés que le nôtre puissent l’être un peu plus demain, et ce sera alors seulement que l’on pourra évoquer la question sociale.
Les conséquences de ces propos sont dramatiques. Il s'agit tout de même d’enfants qui vivent dans des conditions absolument pitoyables ! Dois-je rappeler que la France est le pays des droits de l’homme ?
Par parenthèse, sur un plan strictement politique, je suis surpris de la différence d’appréciation entre députés et sénateurs de droite. Il faudra que l’on nous en explique les raisons !
Tout à l'heure a été évoquée la mémoire de Victor Schœlcher, l’un des plus éminents sénateurs qui aient siégé sur les travées où nous siégeons aujourd'hui. Voilà quelques générations, ce sont les mêmes arguments qui étaient échangés sur le problème de l’esclavage : le débat était strictement identique !
Pour ce qui me concerne, je suis fier de siéger sur les mêmes travées que Victor Schœlcher et Victor Hugo. Ce dernier disait : « L’homme est fait non pas pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes ».
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.
Ayons le courage d’ouvrir nos ailes pour les enfants, pas pour les enfants de demain ou d’après-demain, mais pour ceux d’aujourd'hui ! Tel est le sens de cette proposition de loi, que soutient le Gouvernement.
Applaudissements sur les mêmes travées.
Notre collègue Gérard Longuet évoquait les rapports d’État à État, mais il s’agit bien aujourd'hui d’aborder la responsabilité des sociétés mères et de leurs filiales ! Ce n’est pas du tout le même sujet. Il s’agit de faire en sorte qu’une entreprise dont une filiale impose des conditions de travail mettant en cause les droits humains puisse voir sa responsabilité engagée.
Au demeurant, pourquoi ces entreprises recourent-elles au moins-disant social et à des conditions de travail effroyables ? Parce que, souvent, elles ne veulent pas investir en France. Il est parfois bien plus simple de recourir à des ateliers, où peuvent survenir des accidents épouvantables, comme on l’a vu, que de robotiser et de moderniser sur notre sol. Souvent, l’attitude des filiales qui ne respectent pas les droits humains doit être mise en relation avec des délocalisations et un certain sous-investissement.
Franchement, opposer l’éthique et la productivité me paraît une erreur fondamentale. Aujourd'hui, on voit de grandes entreprises – j’en connais – décider de réinvestir et de moderniser en France, parce qu’elles se rendent compte des limites des pratiques que nous dénonçons.
Pour terminer, je veux dire que nos positions ne relèvent pas d’un jeu politicien. Ce qui s’est passé au Rana Plaza est épouvantable. Il faut savoir que de telles catastrophes se produisent encore aujourd'hui dans plusieurs pays du monde ! Vouloir intervenir pour changer cette situation et chercher à responsabiliser les sociétés mères, c’est simplement défendre les droits de l’homme à travers le monde.
Nous sommes particulièrement fiers d’avoir cherché à rétablir cette proposition de loi dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, je veux profiter de cette prise de parole pour m’exprimer avec sincérité.
D’après les propos que nous avons entendus, non seulement ceux d’entre nous qui sont hostiles à la proposition de loi que l’Assemblée nationale nous a transmise seraient insensibles aux tragédies survenues voilà quelques années et malheureusement susceptibles de se reproduire, mais en outre ils sont renvoyés à ceux qui, au XIXe siècle, luttaient contre l’abolition de l’esclavage. En somme, nous serions implicitement complices tant de la misère du monde que de l’esclavagisme d’autrefois !
Je considère que ce procédé de débat politique est inacceptable, car nous sommes tous également sensibles aux problèmes que soulève cette proposition de loi.
Notre différence, c’est que nous considérons, à juste titre, me semble-t-il, que cette proposition de loi est un coup d’épée dans l’eau.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Pis, elle induit en erreur nos concitoyens sur l’efficacité de l’action publique : chers collègues de l’opposition sénatoriale, ce n’est pas parce que vous aurez inscrit dans la loi l’obligation de mettre en place un plan de vigilance dans l’entreprise, sans que vous vous soyez à aucun moment interrogés sur la substance de ce plan, qui n’est pas définie dans ce texte – cela semble vous indifférer –, que vous aurez eu la moindre action utile pour réduire les risques de l’activité économique internationale !
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
Chers collègues, ce n’est pas parce que ce moyen est jugé inefficace par la commission des lois et par la majorité sénatoriale que nous préconisons de ne rien faire !
Nous constatons que le texte dont nous sommes saisis, qui a été proposé par le président du groupe socialiste, écologiste et républicain de l’Assemblée nationale, est inopérant et, de surcroît, inconstitutionnel. Ce ne sont pas des arguties juridiques ! Le droit, l’État de droit, la Constitution et le Conseil constitutionnel sont des réalités, dont il faut tenir compte.
D’ailleurs, des représentants de votre famille politique ont eu l’occasion de le rappeler dans d’autres circonstances.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous sommes ici pour légiférer, pas pour mettre en forme de loi un discours politique sans aucune incidence sur la réalité.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.
Il est vraiment temps de conclure, monsieur le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, je n’ai pas abusé de la parole dans ce débat ! Puisque vous me le demandez, je me rassois, mais je ne manquerai pas de vous redemander la parole en tant que président de la commission. Vous serez alors obligé de me l’accorder !
Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président de la commission, je suis dans l’obligation de faire respecter le règlement, dont vous avez soutenu la mise en place, du reste.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, en me donnant la parole, vous venez de confirmer que le président de la commission a toujours droit à la parole quand il la sollicite !
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président de la commission, ne créons pas de problème. Ne permettons pas que de mauvaises interprétations du règlement se fassent jour.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
La proposition de loi est adoptée.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.