Intervention de Anne-Catherine Loisier

Réunion du 13 octobre 2016 à 10h30
Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous réexaminons en deuxième lecture une proposition de loi qui aborde des enjeux sensibles parce qu’elle concerne l’humain, parce qu’elle nous rappelle des drames et parce qu’elle a vocation à faire cesser des pratiques indignes qui ignorent ou bafouent les droits de l’homme et mettent en péril nos écosystèmes. Nous avons le devoir de tout faire pour que l’irréparable ne se reproduise pas.

L’examen de ce texte est attendu par les ONG et par nos concitoyens qui prennent chaque jour davantage conscience des réalités économiques, sociales et environnementales de la mondialisation. Il est également attendu par les consommateurs qui, face à la globalisation des chaînes de production, réalisent qu’ils ont aussi un pouvoir : celui de choisir de porter un tee-shirt qui ne soit pas issu de l’esclavage d’un autre être humain.

En toute responsabilité, le texte proposé par la commission s’inscrit dans la philosophie de la directive européenne d’octobre 2014. Il s’agit de renforcer la contribution des grandes entreprises françaises à l’amélioration des normes sociales et environnementales, au respect des droits de l’homme et à la prévention de la corruption dans le monde, sans pour autant faire porter exclusivement sur les entreprises françaises des contraintes et des sanctions qui, pour être efficaces, doivent s’imposer à l’ensemble des grandes multinationales.

Nous étions en désaccord avec le texte initial qui aurait pénalisé les seules entreprises françaises, fragilisant encore la situation économique et sociale de notre pays. Ce texte aurait certes pu satisfaire notre orgueil national en nous instituant comme les fers de lance de la lutte pour la responsabilité sociale des entreprises, mais il n’aurait en définitive été appliqué qu’aux multinationales françaises et donc n’aurait pas changé la situation dramatique des millions de travailleurs exploités à travers le monde. La France doit avoir une autre ambition !

Nous l’avions souligné en première lecture, faire évoluer les pratiques de manière efficace et sensible sur le terrain passe bien davantage par la mise en œuvre de dispositifs contraignants à l’échelle européenne et internationale que par un durcissement unilatéral de la législation française, déjà parmi les plus exigeantes en la matière.

Aujourd’hui, avec ce texte, vous nous proposez, monsieur le rapporteur, de franchir une étape essentielle : celle qui consiste à transposer la directive européenne du 22 octobre 2014 dont le délai de transposition expire au 6 décembre 2016.

On peut s’interroger, monsieur le ministre : pourquoi votre gouvernement, si favorable à la prise en compte de ce sujet, a-t-il tant tardé à proposer au Parlement la transposition de cette directive ? C’est seulement dans le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté que l’on a vu apparaître un certain nombre de propositions. Un sujet aussi grave n’aurait-il pas mérité autre chose qu’un article isolé dans une loi volumineuse ? C’est fort heureusement ce dont le Sénat a convenu.

L’objectif de cette directive pourrait se résumer de la sorte : permettre la photographie complète des politiques mises en œuvre par les entreprises en matière d’informations non financières, de leurs résultats et de leurs risques.

Le rapport de gestion des entreprises devra donc inclure une « déclaration non financière » présentant des informations liées aux incidences de leurs activités en matière environnementale, sociale, de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption.

Il devra également inclure la description des politiques appliquées par l’entreprise et les procédures de diligence raisonnable qu’elle pense mettre en œuvre, la présentation des résultats, une analyse des risques principaux et des indicateurs de performance de nature non financière.

Bien que votre texte, monsieur le rapporteur, ne prévoie pas de mécanisme de sanction ou de régime juridique de responsabilité, l’article 1er tel qu’il est proposé déploie un mécanisme d’injonction de faire sous astreinte inspiré du droit des sociétés, en cas de manquement aux obligations de publicité.

Ainsi, dans les cas où le rapport serait incomplet, toute personne intéressée pourrait demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte à la société de communiquer ces informations.

À l’heure où l’on observe une mobilisation citoyenne puissante, où la pression des ONG et des médias peut menacer l’image de marque d’une entreprise et entraîner de lourdes répercussions économiques, cette mesure paraît suffisamment dissuasive.

Il convient, enfin, de s’interroger sur le champ d’application de ce dispositif quelque peu transformé par la commission. Sont concernés les sociétés cotées, les établissements de crédit, d’assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles, dès lors qu’ils dépasseraient les seuils de chiffre d’affaires net de 40 millions d’euros, de total de bilan de 20 millions d’euros et compteraient plus de 500 salariés, soit une définition plus large que celle du texte initial, qui plaçait le curseur à 5 000 salariés.

Adopter votre texte, monsieur le rapporteur, c’est enclencher une démarche incitative réaliste reposant sur la transparence. Cette adoption ferait de la France le premier des pays fondateurs de l’Union européenne à transposer la directive du 22 octobre 2014. À ma connaissance, à ce jour, seuls six pays de l’Europe de l’Est l’ont transposée.

Un des arguments récurrents de nos collègues de l’Assemblée nationale consiste à dire que la France doit montrer l’exemple à ses voisins. Eh bien, montrons-le en étant une des premières puissances européennes à transposer la directive ! Encourageons nos voisins européens, pays sièges de grandes multinationales, à s’engager résolument dans la défense des droits de l’homme et du bien commun.

La responsabilité sociale des entreprises repose aujourd’hui sur un fondement : les entreprises ne sont pas que des acteurs économiques ; elles incarnent aussi les valeurs humaines et les principes fondamentaux de nos sociétés. Cela les place face à leurs responsabilités citoyennes.

Cependant, au-delà du principe de moralité, il y a un enjeu commercial dont un certain nombre de multinationales commencent à prendre conscience, car la responsabilité sociale des entreprises peut devenir un atout stratégique, un levier de croissance et de compétitivité. Viser une performance globale, à la fois économique, sociale, sociétale et environnementale, et maîtriser les risques sont autant de choix qui singularisent et peuvent conforter l’entreprise.

La transposition de la directive européenne qui nous est ici proposée répond à cet objectif de performance globale et s’inscrit dans une démarche réaliste et vertueuse.

Il y a quelque chose de réconfortant et d’encourageant à penser que des enjeux humanistes et économiques peuvent parfois converger. Mais nous sommes lucides. Seule une prise de conscience internationale permettra d’apporter de réelles solutions à la situation et au quotidien des travailleurs exploités à travers le monde !

Enclencher une dynamique européenne constitue une première étape essentielle, mais elle n’est en aucun cas suffisante. Elle doit être précisée, ce que nous proposerons au travers d’un certain nombre d’amendements.

En tout état de cause, le groupe UDI-UC votera dans sa majorité l’adoption du texte dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois.

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