Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours malaisé d’analyser froidement les initiatives qui ont l’apparence de la supériorité morale. Nous savons tous combien les meilleures volontés peuvent tourner au cauchemar, particulièrement lorsqu’elles interviennent dans un domaine saturé par l’émotion.
Cette proposition de loi nous fait courir le même risque : d’apparence inoffensive, elle soulève de nombreuses objections juridiques et révèle un état d’esprit que nous ne pouvons cautionner.
D’apparence inoffensive, disais-je, elle a même à première vue l’aspect d’un texte salutaire. Il y aura évidemment consensus dans cet hémicycle pour nous accorder sur le principe de la responsabilité sociale des entreprises, la RSE. Qui d’entre nous n’a pas été choqué par l’affaire de l’Erika ou par la tragédie du Rana Plaza ? Mais cette proposition de loi engage bien davantage qu’un examen rapide ne pourrait le laisser penser.
Je ne m’étendrai pas sur le contenu juridique du texte, analysé par le rapporteur au cours des différentes lectures, mais soulignerai sa rédaction vague, qui ouvre des brèches considérables dans la stabilité juridique dont ont besoin les entreprises, placées dans un climat particulièrement concurrentiel. Il sera très difficile pour les entreprises de prouver qu’elles respectent la loi ; quant aux obligations créées, elles auront un coût très important, voire seront impossibles à appliquer à toute la chaîne de sous-traitants et de fournisseurs.
Par ailleurs, le champ potentiel de ce texte est considérable. Le cabinet ATEXO, que la délégation aux entreprises a chargé d’une étude sur la portée économique de la proposition de loi, a estimé qu’elle concernerait entre 146 et 243 entreprises, auxquelles il faudrait ajouter leurs filiales directes ou indirectes. Le chiffre de 243 entreprises peut paraître faible, mais il représente en réalité plus de 4 millions de salariés, plus de 33 % de la valeur ajoutée produite en France et plus de 50 % du chiffre d’affaires à l’export. En bref, la proposition de loi aurait potentiellement un impact sur de très larges pans de l’économie française.
En tout état de cause, est-il raisonnable d’avoir une attitude unilatérale et franco-française en ce domaine ? Dans un monde de compétition internationale, l’échelle pertinente sur le sujet est-elle la France ? Certainement pas ! Une responsabilité sociale qui dépasse les frontières nationales doit s’accompagner logiquement d’une démarche juridique qui dépasse ces mêmes frontières. L’aire naturelle de cette démarche est l’Union européenne. C’est pourquoi je souscris totalement à la position du rapporteur de la commission des lois, qui propose de procéder à la transposition en droit national de la directive du 22 octobre 2014, que le Gouvernement n’a jusque-là pas cru bon d’opérer.
J’ajoute que les entreprises françaises sont très engagées dans une démarche volontaire et efficace en matière de RSE. La France est même leader, 47 % de ses entreprises ayant un système de management de la RSE considéré comme très performant, alors qu’elles sont seulement 40 % dans l’OCDE.
Enfin, je regrette l’état d’esprit de ce texte, qui considère l’entreprise davantage comme une source de dommages que comme créatrice de richesses et qui soupçonne plutôt que de faire confiance. La confiance, pourtant, le Président de la République lui-même l’appelait de ses vœux il y a un peu plus d’un an lorsqu’il disait aux entrepreneurs, lors de sa visite au salon Planète PME : « Vous êtes des chefs d’entreprise donc vous prenez des risques. Vous prenez des risques pour vous-mêmes, parfois pour votre famille. Vous prenez des risques aussi pour que notre pays soit plus fort, qu’il crée plus d’emplois, qu’il ait plus de richesse et qu’elle soit distribuée. C’est la raison pour laquelle nous devons avoir, avec des chefs d’entreprise, avec ceux qui créent, une relation de confiance. »
Or la confiance se construit sur des actes, et non pas seulement sur des paroles. C’est pourquoi je reste hostile à la proposition de loi initiale et voterai donc le texte de la commission des lois.