Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, dans son discours préliminaire au projet de code civil, Portalis donnait des lois la définition suivante : « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ».
Cette définition est à mon sens un très bel idéal législatif, une boussole qui doit nous guider dans la fabrique et dans la finalité de la loi. Cette boussole doit d’autant plus être prise en considération que le sujet est important. C’est le cas de celui qui nous réunit aujourd’hui et que vous avez souhaité étudier sereinement, en prenant le temps nécessaire.
La prescription est, depuis plusieurs siècles, la clef de voûte de notre système judiciaire. Elle n’est d’ailleurs pas seulement un principe ; nous parlons d’elle comme d’une « institution ». Toutefois, nous le savons bien, les règles légales et jurisprudentielles de la prescription sont devenues inadaptées aux attentes de la société et aux besoins des juges en matière de répression des infractions. Leurs incohérences et leur instabilité sont devenues préjudiciables à l’impératif de sécurité juridique.
Il était donc nécessaire de réfléchir à la manière de faire évoluer les règles de la prescription, d’entendre les juges et de considérer les besoins de la société et ce qu’elle est en droit d’attendre en matière de justice.
C’est ce qu’avait fait en son temps l’excellent rapport d’information de Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, intitulé « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent », déposé sur le bureau de votre assemblée le 20 juin 2007.
Prudent et exhaustif, le rapport soulignait l’effet sur les justiciables des règles de prescriptions actuelles, qui peuvent susciter en eux un sentiment d’imprévisibilité et, parfois, d’arbitraire.
Ses conclusions concernant la prescription en matière civile ont été traduites dans la loi du 17 juin 2008.
S’agissant de la matière pénale, vos collègues députés Alain Tourret et Georges Fenech ont poursuivi la réflexion engagée, dans le cadre d’une nouvelle mission d’information parlementaire, laquelle a permis d’élaborer la proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise. L’un est député de la majorité ; l’autre siège dans l’opposition. Ils ont su faire fi de leurs positions politiques, conscients que cette question transcendait les clivages partisans.
Les préconisations en matière pénale n’ont pas toutes été reprises. Néanmoins, dans le principe, tout ce qui était préconisé dans le rapport du Sénat concernant la consécration et la codification de la jurisprudence dans la loi, l’allongement des délais de prescription et la clarification du régime de prescription figure bien dans ce texte.
Saisi par le président de l’Assemblée nationale, le Conseil d’État a intégralement validé cette proposition de loi sur le fond, ce qui souligne sa grande qualité. Il a aussi émis plusieurs suggestions pour l’améliorer.
Ces dernières ont été suivies et, le 2 mars 2016, la commission des lois de l’Assemblée nationale adoptait l’ensemble des amendements déposés par le rapporteur en ce sens.
Le Gouvernement avait également souhaité que la règle de l’imprescriptibilité ne soit pas étendue aux crimes de guerre, mais qu’elle soit réservée aux crimes contre l’humanité. Cela fait d’ailleurs écho à une position exprimée non seulement dans le rapport du Sénat de 2007, mais aussi, plus récemment, par Robert Badinter.
L’imprescriptibilité doit demeurer une règle exceptionnelle.
Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 10 mars dernier. La commission des lois du Sénat a amendé le texte, afin non seulement d’en améliorer la rédaction sur certains points, mais également d’en renforcer la sécurité juridique. C’est le sens de l’introduction d’un délai butoir de prescription, afin que les règles de report du point de départ de la prescription ne conduisent pas à une imprescriptibilité de fait.
Ce texte vous est aujourd'hui soumis, mesdames, messieurs les sénateurs. Le Gouvernement souhaite que votre assemblée vienne renforcer le point d’équilibre trouvé.
Cette proposition de loi constitue en effet une réelle avancée en matière de procédure pénale. Elle inscrit dans la loi les règles dégagées par la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prescription des délits occultes. Cela renforce la sécurité juridique et améliore la lisibilité du droit, sous réserve que le cas des délits dissimulés soit également traité de manière appropriée.
Chacun doit en effet pouvoir connaître plus facilement les règles applicables en consultant la loi, sans être un expert et sans devoir analyser la jurisprudence.
En outre, ce texte tend à rassembler dans un même code des dispositions qui étaient éparpillées, contribuant ainsi à améliorer la lisibilité de la loi.
Enfin, cette proposition de loi a pour objet de clarifier et d’améliorer l’efficacité des règles de prescription s’agissant de la durée, des modalités de calcul des délais, ainsi que des règles de suspension ou d’interruption.
Grâce à ce texte, un grand pas pourrait être franchi pour éclairer notre réflexion commune sur la prescription. Ce sujet avait été abordé à de très nombreuses reprises, au cours de ces dernières années, dans différents travaux législatifs, mais c’est la première fois qu’une vision globale et une cohérence d’ensemble sont apportées.
Il m’appartient donc de vous dire que le Gouvernement est très attaché à ce texte et qu’il le soutient. En 1772, la romancière Marie-Jeanne Riccoboni écrivait qu’« une longue attente est un long supplice ». Mesdames, messieurs les sénateurs, le temps ne doit pas, et ne peut pas, devenir l’ennemi de la justice. Œuvrons donc ensemble pour que cette loi soit un acte de sagesse, de justice et de raison !