Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 13 octobre 2016 à 15h00
Réforme de la prescription en matière pénale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, lorsque nous avions été saisis de cette proposition de loi en juin dernier, nous étions assez largement convenus que les conditions de travail de notre Haute Assemblée n’étaient pas à la hauteur du sujet abordé.

Le renvoi en commission était alors la seule solution raisonnable et il a permis à chacun de bénéficier de plus de temps pour approfondir un sujet important.

En effet, cette réforme de la prescription pénale est fondamentale pour notre système judiciaire. Modifier les conditions de la prescription pénale, c’est toucher, oserai-je dire, au cœur même de notre système de justice.

Toutefois, je relève qu’une interrogation a été soulevée en commission par plusieurs collègues, qui se sont demandé si cette réforme était indispensable et urgente.

Dans la situation actuelle de notre pays, et surtout dans la situation de notre système judiciaire, n’y a-t-il pas plus urgent que de réformer les règles de prescription ?

Notre rapporteur nous l’a confirmé en commission, cette réforme aura naturellement un impact financier non négligeable. À l’heure où l’administration pénitentiaire ne dispose même plus des moyens suffisants pour assurer l’escorte des détenus jusqu’au tribunal – ce qui conduit parfois à remettre dans la nature des délinquants –, faut-il consacrer plus de moyens aux conséquences d’un allongement des délais de prescription ? On peut évidemment se poser la question aujourd’hui.

Et l’on pourrait multiplier les exemples de défis qui sont face à nous en matière judiciaire, défis que M. le garde des sceaux connaît bien. Je n’en citerai qu’un autre : l’exécution des peines. Avec cette problématique, c’est la crédibilité et la confiance dans l’autorité judiciaire qui sont en jeu.

Vous l’aurez compris, le groupe centriste pense que nous aurions pu nous intéresser prioritairement à d’autres chantiers qu’à celui de la prescription. Toutefois, cela ne signifie nullement que le sujet que nous abordons aujourd’hui soit mineur, bien au contraire.

Dans cet univers où tout s’accélère, dans cet univers où internet pose la question de la suspension du droit à l’oubli, l’extension des délais de prescription pose une question fondamentale. Le droit à l’oubli est, indéniablement, un outil qui concourt à la pacification de notre société. Il est parmi les fondements mêmes de ce qui rend notre vivre ensemble possible.

À l’heure où notre société n’en finit plus de perdre ses repères, affaiblir cette notion essentielle qu’est le droit à l’oubli, c’est prendre le risque de déstabiliser encore notre société. J’en ai la conviction, ne pas chercher systématiquement à réveiller ce que le temps a apaisé est tout à fait sain. Cela me paraît même indispensable.

Est souvent présenté comme un argument d’autorité le fait que le progrès des techniques d’investigation doit ouvrir la voie à une extension de la prescription. Cela est discutable techniquement et moralement. Techniquement, parce que les progrès que j’évoque permettent aussi de découvrir plus immédiatement d’éventuelles preuves. Moralement, parce que cela n’est pas une raison suffisante pour remettre en cause le fait que les crimes doivent un jour être prescrits.

Et cela vaut même pour les plus graves d’entre eux. Telles sont les raisons pour lesquelles nous soutenons la suppression des dispositions qui prévoyaient l’imprescriptibilité de l’action publique pour les crimes de guerre connexes à un crime contre l’humanité. En effet, ces dispositions risqueraient de banaliser le crime de génocide et les crimes contre l’humanité en rompant le caractère absolument exceptionnel de l’imprescriptibilité.

Outre cette modification très symbolique, notre commission a amélioré le texte de la proposition de loi sur d’autres points.

Le texte de l’Assemblée nationale prévoyait d’intégrer les plaintes simples parmi les actes interruptifs de la prescription, contrairement aux solutions retenues jusqu’à présent par la jurisprudence.

Cette modification du code de procédure pénale nous apparaissait tout à fait contestable. Elle aurait ouvert la voie à des manœuvres abusives. C’est donc à juste titre que notre commission a supprimé cette possibilité. Comme le rappelle notre collègue François-Noël Buffet dans son rapport, « un simple courrier d’un plaignant ne saurait produire les mêmes effets juridiques qu’une plainte avec constitution de partie civile ».

La présente proposition de loi contient également des modifications concernant les infractions dites « astucieuses ». Reprenant les solutions jurisprudentielles dégagées de longue date par la Cour de cassation, elle prévoit que « le délai de prescription de l’infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l’infraction est apparue ». Cette modification permettra de mettre fin à l’insécurité juridique née des débats doctrinaux sur cette question.

Enfin et surtout, ce texte prévoit le doublement des délais de droit commun de prescription de l’action publique en matière criminelle et délictuelle afin d’améliorer la répression des infractions. Si ce doublement permettra d’accorder plus de temps aux victimes pour porter plainte, le risque sera de leur donner de faux espoirs. Si les progrès réalisés dans le recueil, l’exploitation et la conservation des preuves scientifiques peuvent justifier un allongement des délais de prescription, le dépérissement des preuves, notamment l’affaiblissement, avec le temps, des témoignages, reste cependant une réalité.

Après l’excellent travail réalisé par notre collègue François-Noël Buffet, le texte qui nous est aujourd’hui soumis nous apparaît donc équilibré. Il ne faut d’ailleurs pas sous-estimer l’importance du temps de réflexion supplémentaire dégagé, grâce au renvoi en commission, dans cet équilibre final.

Sous réserve que cette réforme n’occulte pas les défis très importants qui restent à régler pour moderniser la justice, le groupe UDI-UC soutiendra ce texte.

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