Intervention de Jacques Bigot

Réunion du 13 octobre 2016 à 15h00
Réforme de la prescription en matière pénale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jacques BigotJacques Bigot :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi nous permet, d’abord, de resituer le rôle du droit pénal à la place qu’il doit avoir : son rôle premier est non pas de protéger et d’indemniser les victimes, mais de sanctionner des comportements que la société ne tolère pas. Il est de défendre l’intérêt général, de défendre l’ordre public. À travers le droit pénal, c’est la société qui sanctionne un comportement, lequel fait, certes, une victime, mais qui est d’abord inacceptable pour nos règles sociales.

C’est ainsi que dans beaucoup de domaines, hors du champ des grands principes qui régissent le crime, nous sanctionnons, notamment au titre de délits, des comportements économiques qui, jadis, ne faisaient pas l’objet de sanctions pénales. Dans le droit du travail, nous sanctionnons des comportements qui ne faisaient pas l’objet de sanctions pénales. En matière de conduite routière, nous sanctionnons des comportements routiers qui ne faisaient pas forcément l’objet de sanctions pénales.

Ne l’oublions pas, le droit pénal est là pour protéger la société, parce que celle-ci considère qu’une sanction est justifiée. Et en droit pénal, la prescription exprime le sentiment de la société qui considère qu’il arrive un moment où la sanction de faits trop anciens n’a plus d’intérêt. D’ailleurs, on le voit, plus on s’éloigne des moments où l’infraction, le crime, le délit ou la contravention ont été commis, moins la sanction est lourde parce qu’elle est aussi prononcée au regard de l’évolution de la personnalité de l’intéressé.

La prescription pénale, elle est faite, d’abord, dans le cadre du droit pénal et dans l’intérêt de la société. Elle est faite, ensuite, au regard des capacités dont la justice dispose pour se prononcer. Et il est évident que plus les faits sont éloignés dans le temps, moins – sauf si les preuves ont été conservées – l’on peut apporter la preuve de la commission des faits. Telle est la raison pour laquelle il est aujourd'hui évident qu’il fallait nécessairement revoir nos prescriptions de l’action publique au regard même de la mission du droit pénal.

Monsieur le garde des sceaux, certains collègues ont objecté que tout le monde aurait préféré un véritable ensemble de règles nouvelles du code pénal et du code de procédure pénale. Cependant, il s’agit d’un travail tellement important que, du coup, on n’avance jamais.

Je vais vous livrer le fond de ma pensée. Il existe un rapport daté de juin 2007, rédigé au nom du Sénat, toutes tendances confondues. Ce document exprime tout à fait clairement la nécessité de réviser la prescription pénale. Et il existe un rapport d’information, rédigé par deux collègues parlementaires de sensibilités différentes qui vont dans le même sens. Eh bien, ce que je pense, c’est qu’il faut donner une suite à ces rapports pour qu’il y ait quelque efficacité ! C’est ce qui a été fait à l’Assemblée nationale, et c’est ce qu’il nous revient de faire.

Cette efficacité supposait aussi – et je salue le travail de notre rapporteur – que nous ayons du temps. C'est pourquoi notre groupe a, lui aussi, voté la motion de renvoi en commission. Le rapporteur l’a dit, ce délai a fait évoluer sa propre conception et a permis d’éclairer davantage l’ensemble de la commission des lois.

Cette réforme est maintenant nécessaire. En effet, la société est confrontée au fait que nombre de délits et, surtout, de crimes sont révélés extrêmement tard et qu’il n’est donc pas acceptable qu’on ne les poursuive plus. La victime – j’y reviendrai à propos de la question des violences sexuelles – ne peut jamais accepter qu’on lui dise : aujourd’hui, l’acte dont tu as été victime est prescrit. C’est inadmissible pour la victime, mais c’est acceptable pour la société. En revanche, dans les autres pays européens, pour les crimes, les délais de prescription sont de quinze ou vingt ans. Dès lors, aux yeux de la société, nous devons nous adapter à l’aune des réalités européennes.

En outre, nous bénéficions aujourd’hui de moyens nouveaux pour poursuivre des individus. Par conséquent, la découverte du coupable peut intervenir plus tôt. Prenons le cas du vol, qui, si notre proposition de loi est définitivement adoptée, sera prescrit après six ans au lieu de trois. Aujourd’hui, dans le cas d’un vol de voiture ou du cambriolage d’une maison, on relève systématiquement les empreintes. Évidemment, cela ne permet pas de trouver le coupable dans la minute qui suit ; mais quand, quelques années plus tard, on arrête quelqu’un et qu’on confronte ses empreintes, on peut faire la liste de l’ensemble des infractions qu’il a commis. Cela permet de clarifier réellement sa responsabilité, mais aussi de donner satisfaction aux victimes : le coupable aura un jour été arrêté. Dès lors, nous devons accepter que les moyens nouveaux permettent des poursuites sur une période plus longue.

Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale nous est apparu globalement équilibré, à quelques exceptions près, que notre commission des lois, grâce, notamment, à votre travail, monsieur le rapporteur, a permis de corriger dans un contexte plus satisfaisant. Nous pouvons d’ailleurs caresser l’espoir qu’un vote majoritaire dans cet hémicycle permettra, si l’Assemblée nationale accepte les modifications intelligentes qui ont été apportées par notre commission des lois, que nous arrivions très rapidement à un vote conforme qui devrait à mon sens, monsieur le garde des sceaux, satisfaire la justice, malgré les observations que d’aucuns ont pu nous faire.

Les modifications apportées par la commission des lois sont utiles aussi sur le sujet de l’imprescriptibilité des peines. Le vrai sujet – un orateur l’a rappelé avant moi – est plutôt la mise en œuvre de l’exécution des peines. Il ne sera pourtant traité, monsieur le garde des sceaux, que lorsque la justice aura les moyens de procéder à une exécution rapide des peines. Il ne faut pas laisser des exécutions de peine courir faute de moyens pour les mettre en œuvre.

Une autre modification importante a été apportée par notre commission sur le sujet des actes interruptifs. Selon moi, à l’évidence, considérer la plainte de la victime comme un acte interruptif, même si en apparence c’est faire plaisir aux victimes, constitue un leurre du point de vue de la technique de la procédure pénale. La plainte avec constitution de partie civile est plus forte que la simple déclaration faite dans un commissariat de police ou la lettre envoyée au procureur de la République, puisqu’elle oblige la saisine du juge d’instruction. Il faut sur ce point être tout à fait sérieux.

Un autre point est important en matière de prescription : le point de départ de celle-ci. À cet égard, la proposition de loi concrétise dans la loi ce que la jurisprudence essaye de construire depuis des années : il s’agit de pouvoir rendre non prescrites un certain nombre d’infractions qui l’étaient. Cela s’est fait, jusqu’à présent, par un jeu subtil d’évolution de la jurisprudence fondée sur la reconnaissance d’actes interruptifs. Néanmoins, cela donnait lieu à une forme d’instabilité et d’incertitude, ce qui justifie la clarification générale apportée par ce texte.

En revanche, monsieur le rapporteur, vous avez bien fait de nous proposer de revenir à un principe essentiel pour notre société, en affirmant que l’imprescriptibilité ne peut s’appliquer qu’à ce que le monde a découvert au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à savoir les crimes contre l’humanité. Ces crimes, qui étaient auparavant prescrits, ont fort heureusement été déclarés imprescriptibles en 1945, d’ailleurs de manière rétroactive, parce que c’étaient les agissements les plus graves que l’humanité puisse rencontrer. Des crimes de guerre pourront être considérés comme des crimes contre l’humanité – ils l’ont d’ailleurs déjà été – ; ceux-là seront imprescriptibles. Pour les autres crimes de guerre, maintenons un délai de prescription de trente ans au lendemain d’une guerre, délai déjà extrêmement important.

Voilà pourquoi j’estime que la modification apportée par la commission sur ce point est parfaitement acceptable. J’espère donc qu’elle sera reprise par nos collègues de l’Assemblée nationale.

S’agissant de la prescription des violences sexuelles sur mineurs, comme je le disais, la victime ne peut jamais se satisfaire de la prescription. Certains d’entre nous vont jusqu’à demander, pour certains de ces crimes, l’imprescriptibilité. Néanmoins, il est clair que, comme l’a exprimé Robert Badinter, il n’y a que les crimes contre l’humanité qui puissent souffrir cette exception.

La demande qui est faite est néanmoins à double détente. Il s’agit, d’une part, d’assurer la protection de la victime, qui ne réalise et ne dénonce la gravité de faits dont elle a été victime dans son enfance que bien plus tard. Cela s’explique parfois, sans doute, parce qu’elle n’a pas osé en parler plus tôt. Certains estiment aussi que ce retard peut découler de ce qu’on appelle l’amnésie traumatique, phénomène qui reste encore à éprouver médicalement.

Par ailleurs, les spécialistes considèrent que le pervers qui a commis des actes à l’égard d’enfants mineurs poursuivra son action tant qu’il n’est pas arrêté ; il reproduit souvent fort longtemps ses agissements. La presse parle beaucoup, à notre époque, de ces situations où l’on découvre que tel enseignant, tel éducateur, tel homme d’église en contact avec des enfants, a eu des comportements que l’on ne découvre que bien après les faits. Dans de telles situations, des victimes se manifestent, parfois, après l’expiration du délai de prescription.

Ce qui est important, ce n’est pas de pouvoir poursuivre tel ou tel individu trente, quarante, ou je ne sais combien d’années plus tard ; c’est de pouvoir le poursuivre le plus tôt possible ! De ce point de vue, l’essentiel est de créer les conditions qui vont amener ces victimes et leur entourage à donner des informations, à oser s’exprimer.

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