Intervention de Cyril Pellevat

Réunion du 13 octobre 2016 à 15h00
Usage des drones civils — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat, rapporteur :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils, déposée le 25 mars 2016 par nos excellents collègues Xavier Pintat et Jacques Gautier. Je vous rappelle qu’elle tire les conséquences d’un rapport réalisé par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN, à la demande du Parlement, publié le 20 octobre 2015, sur les risques et menaces liés à l’essor des drones aériens civils en France.

Ce texte avait été examiné en première lecture par le Sénat dans des délais rapides : le 11 mai en commission et le 17 mai en séance publique. Il avait globalement fait l’objet d’un travail de réécriture, dans l’esprit des auteurs et en veillant à entraver le moins possible le développement de cette filière prometteuse.

L’Assemblée nationale a ensuite examiné cette proposition de loi le 20 septembre dernier en commission et le 27 septembre en séance publique. Les députés ont apporté quelques compléments sans remettre en cause la philosophie générale du dispositif.

Nous pouvons de nouveau nous féliciter de la réactivité de notre assemblée, car nous avons examiné ce texte en commission le 5 octobre, soit huit jours après les députés, et nous sommes aujourd’hui réunis pour son examen en séance publique, à peine plus de deux semaines après les députés.

Il s’agit en effet d’un sujet sur lequel nous devons légiférer rapidement. L’engouement de nos concitoyens pour les drones ne tarit pas, comme en témoigne le succès du Paris Drone Festival, qui s’est déroulé le 4 septembre dernier sur les Champs-Élysées. Je me plais à imaginer que cet événement pourra devenir un rendez-vous majeur de la communauté droniste mondiale ; il contribuera au rayonnement de Paris, en tant que capitale du drone, et de la France, un pays qui invente l’avenir.

Toujours est-il que le besoin d’une réglementation et d’une information claires est exprimé par le grand public, qui peine à s’y retrouver dans les textes actuels.

En même temps, la concurrence entre les fabricants ne cesse de s’intensifier. Parrot, notre champion national, a publié, le 23 septembre dernier, un avertissement sur ses revenus 2016. Le marché est en pleine mutation : certains acteurs comme DJI avec le Mavic Pro ou GoPro avec le Karma commencent à s’implanter sur le même segment que Parrot, à savoir les drones de moyenne gamme. Ces industriels ont besoin de connaître rapidement les nouvelles normes qui vont s’imposer, afin d’anticiper d’ores et déjà les évolutions de leurs prochains modèles.

Enfin, la menace sécuritaire ne diminue pas, dans un contexte où le risque terroriste reste malheureusement élevé. La probabilité d’un accident grave croît également à mesure que l’usage des drones civils se répand. Or le moindre incident, outre ses conséquences potentiellement dramatiques, risque de porter un coup d’arrêt au développement de la filière.

Dans ce contexte, je me félicite du fait que nos collègues députés aient conservé les principaux marqueurs de cette proposition de loi sénatoriale, qui repose sur quatre piliers : l’information, la formation, l’enregistrement-immatriculation et le signalement. L’Assemblée nationale a d’ailleurs apporté des précisions utiles, en prenant en compte les contraintes particulières de l’aéromodélisme, une pratique ancienne qui diffère du « dronisme » grand public à plusieurs niveaux, et en prévoyant les mesures transitoires nécessaires pour le parc de drones déjà existant, nos collègues députés étant conscients qu’un retour en usine généralisé serait parfaitement irréalisable.

En commission, j’ai en revanche exprimé deux principales réserves.

Ma première réserve porte sur le niveau arbitrairement retenu pour plafonner à 800 grammes les seuils réglementaires liés au poids des drones. Lors de la première lecture, j’avais délibérément souhaité que ces seuils d’application ne soient pas définis dans la loi, car il s’agit d’une compétence manifestement réglementaire. Pour la rapporteur de l’Assemblée nationale, Marie Le Vern, ce plafonnement permet de pallier d’éventuelles carences du pouvoir réglementaire et contribue à la sécurité juridique. Ce n’est pas faux, mais rien ne garantit qu’il sera conforme à la future réglementation européenne.

Certes, cette réglementation ne devrait probablement pas voir le jour avant 2018. Le Parlement européen examinera en première lecture un projet de règlement vers la fin de l’année. Il sera ensuite complété par des règles de l’Agence européenne de la sécurité aérienne, qui fixeront des seuils en fonction de plusieurs paramètres : poids, altitude, utilisation, vitesse. Si ces règles sont contradictoires avec les nôtres, elles pourraient entraîner un réexamen de notre législation, qu’un renvoi au décret aurait permis d’éviter.

Au-delà de ces considérations juridiques, les débats à l’Assemblée nationale ont montré toute la difficulté de retenir un niveau arbitraire sans réel fondement scientifique. De fait, la rapporteur Marie Le Vern présente ce plafonnement comme celui qui permet de cibler a minima les 10 % d’appareils les plus dangereux : d’après elle, un plafonnement à 1 kilogramme ne permettrait de cibler que 6 % des appareils, et priverait la loi de toute portée utile. Elle suggère également que ce plafonnement correspond à une rupture de gamme, et donc de prix, entre les drones très grand public et les autres. Je n’approuve pas ce raisonnement, dans la mesure où le Parrot Disco – 750 grammes pour un prix de 1 299 euros – est sensiblement au même prix que le DJI Phantom 4 – 1 380 grammes pour 1 399 euros –, par exemple.

Surtout, bien que j’aie à cœur de soutenir l’industrie française, en particulier lorsqu’elle est en pointe dans des secteurs innovants, je m’inquiète du fait que ce plafonnement arbitraire à 800 grammes puisse être trop facilement qualifié de protectionniste.

En effet, les modèles phares de Parrot, notre champion national, sont systématiquement en dessous du seuil : le quadricoptère Bebop 2 pèse 500 grammes et la nouvelle aile Disco, 750 grammes. A contrario, les produits grand public du chinois DJI sont systématiquement au-dessus : le Phantom 3 pèse 1 280 grammes et le Phantom 4 pèse 1 380 grammes. Certes, DJI vient de sortir un nouveau modèle Mavic qui pèse 743 grammes, mais il n’est pas certain que cela suffise à convaincre de la neutralité du choix de 800 grammes.

Enfin, un plafonnement uniforme à 800 grammes laisse entendre que le seuil réglementaire pourrait être le même pour les différentes obligations d’enregistrement – article 1er –, de formation – article 2 – et de signalement-limitation de capacités – article 4. Cela est contraire à l’esprit initial de la proposition de loi, qui vise à mettre en place une série d’obligations croissantes en fonction de la dangerosité potentielle du drone utilisé, en général corrélée à son poids. Il ne serait pas aberrant que l’obligation d’enregistrement s’impose à tous les drones capables de voler en extérieur, soit au-dessus de 250 grammes, et que le signalement électronique ne concerne que les plus lourds, au-dessus de 800 grammes par exemple. Est-ce bien ce que vous envisagez dans les décrets d’application, monsieur le secrétaire d’État ?

Ma seconde réserve porte sur l’utilité réelle du dispositif de signalement sonore en cas de perte de contrôle, qui risque au contraire d’accroître les risques par d’éventuels déclenchements intempestifs susceptibles de perturber le télépilote. Comment distinguer une perte de contrôle d’une figure de voltige par exemple ?

De plus, les drones réellement silencieux sont rares, on entend en général le bourdonnement des rotors ou le sifflement du déplacement dans l’air, ce qui, dans les faits, suffit généralement à attirer l’attention des personnes à proximité. Surtout, il faudrait prévoir un type de système sonore qui serait encore capable de fonctionner si tous les systèmes électriques sont en panne sur le drone en train de tomber.

Néanmoins, il apparaît que sa mise en œuvre ne constitue pas une contrainte insurmontable pour les industriels du secteur, d’autant plus qu’il n’y aura pas d’obligation rétroactive d’équipement pour les drones déjà enregistrés au 1er juillet 2018.

Au final, ma conviction, à laquelle adhère la commission tout entière, est que l’intérêt d’une entrée en vigueur rapide du texte l’emporte sur ces quelques réserves et justifie des concessions.

Nous sommes au terme d’une année d’échanges depuis la publication du rapport du SGDSN, et je considère désormais que cette proposition de loi est suffisamment aboutie pour être adoptée sans délai supplémentaire. §Le marché du drone civil connaît une expansion fulgurante et chaque mois écoulé rend sa régulation d’autant plus difficile que nécessaire. Le législateur se doit d’être réactif : il est à l’honneur du Sénat d’être en mesure de proposer, d’examiner et de faire aboutir, en un temps record et sans procédure accélérée, un texte sur un domaine innovant, dans lequel la France excelle.

Par conséquent, nous avons estimé que cette proposition de loi apporte une réponse attendue aux préoccupations exprimées par l’ensemble des acteurs, qu’il s’agisse des fabricants, des utilisateurs, des tiers, ou de l’administration. Elle prévoit une réglementation équilibrée, permettant de conjuguer les exigences de sécurité et l’essor du marché.

Pour cette raison, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable est, à l’unanimité, favorable à son adoption conforme par le Sénat, en dépit des quelques réserves soulevées. Il ne reste qu’à espérer que notre travail puisse désormais inspirer les réflexions en cours au niveau européen.

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