Consultés dans le cadre de l’élaboration des programmes, les acteurs dits « autorisés » nous ont surpris en raison de leurs réticences à faire entrer le travail manuel, la réalisation d’objets, la prise en compte du talent et de l’habilité dans les cycles, comme si ces compétences ne relevaient que de l’employabilité ou n’étaient judicieuses que pour certaines sections. Nous sommes loin de la prise en compte des « intelligences multiples » décrites par Howard Gardner.
Le plus gros handicap de l’orientation est lié au poids des non-dits : l’utilisation des terminales scientifiques comme sas du cursus idéal, même si l’on vise les professions de la magistrature ou des archives, contribue paradoxalement à tarir le vivier des vrais mathématiciens en les tenant à distance. Malheur à celui ou celle qui ne dispose que de la virtuosité des équations et de la géométrie, sans avoir pour lui les codes et l’aisance des classes privilégiées dans son bagage culturel !
Une autre de vos propositions existe déjà dans certains pays : l’année de césure après le bac, le temps de réfléchir et d’aller voir ailleurs. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’était rendue à Umeå au nord de la Suède en 2013 pour découvrir tous les acquis de l’année de césure post-bac de la bouche des jeunes étudiants. C’est donc possible !
Encore faudrait-il veiller à cultiver chaque élève autrement que par l’exacerbation de la compétition, depuis les classements scolaires jusqu’aux jeux télévisés, et en venir enfin à la coopération. En effet, dans cette période de tension sur le marché de l’emploi, « se caser » relève de l’injonction sociale. De plus, les filières sélectives qui repèrent les élèves en avance pour entretenir leur excellence ne contribuent pas à produire de l’intelligence collective.
La formation tout au long de la vie et le droit de revenir dans un cycle après une période sans scolarité ne sont pas encore effectifs. Exercer une profession non choisie, « décrocher », chacun a le droit d’avoir plusieurs chances.
Pour avoir installé un « lycée de toutes les chances » à Roubaix dans les années 1990, afin de prendre à bras-le-corps les problèmes du décrochage et de la déscolarisation, de l’exclusion et de l’anomie, des inégalités et de la stigmatisation, je mesure combien le fait de ne pas se résoudre à l’orientation punitive est un défi collectif. Il a fallu rénover les méthodes et les outils pédagogiques en appliquant le principe du « cousu main » et prendre en compte une conception plus globale de la dimension éducative. Il a également été nécessaire d’élaborer un travail commun entre les différents acteurs au sein d’un établissement et entre les établissements. Il a enfin été indispensable de développer l’interaction entre les lycées et leur environnement, c’est-à-dire les familles, la cité et le monde professionnel.
C’est uniquement dans ces conditions que l’orientation ne se fait pas par défaut. Toutefois, cela exige des temps de dialogue, de vrais temps identifiables dans les emplois du temps, un dialogue avec les parents, un autre dialogue avec des professionnels, et même une attention spécifique aux nominations qui favoriseraient une telle qualité !