La séance, suspendue à vingt et une heures cinq, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission d’information de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur l’orientation scolaire, organisé à la demande de cette même commission. (rapport d’information n° 737, 2015–2016).
Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la commission.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 140 000 jeunes quittent chaque année le système de formation initiale sans qualification suffisante et le nombre de ceux qui sont en dehors de tout dispositif de formation atteint 620 000. Ce terrible constat, dressé en novembre 2014, doit nous interpeller tous. Face à ces générations sacrifiées et à des résultats qui ne cessent de s’aggraver depuis une trentaine d’années, nous ne pouvons pas rester les bras croisés. Il y va de l’avenir de nos jeunes, d’abord, mais aussi de notre pays.
D’aucuns mettent en avant des causes économiques, sociales et culturelles du processus d’orientation, qui conduisent à l’échec scolaire. Soit, mais cela ne résout rien. C’est pourquoi j’ai souhaité que notre commission se penche de manière plus approfondie et plus précise, sans tabou, sur la question de l’orientation scolaire, qui me semble être une préoccupation partagée.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le collège : le collège unique n’est-il pas devenu le collège uniforme, le collège qui, du coup, oriente par l’échec ou par défaut ?
Par ailleurs, des dispositifs existent pour tenter de faire revenir les jeunes dans le système scolaire, à l’instar du droit au retour en formation, mais sont-ils véritablement à la hauteur de l’enjeu ? C’est une vraie question.
Tout le monde n’a pas la chance de choisir son métier, comme en témoigne l’écrivain Jean Teulé : orienté en fin de troisième en mécanique automobile, il a vu son destin basculer grâce à un professeur de dessin, qui lui a donné des cours du soir pour lui permettre d’intégrer une école d’art. Mais pour une belle histoire comme celle-ci, combien d’orientations ratées, de jeunes destinés prématurément et irrémédiablement à un métier qu’ils n’ont pas choisi, à l’acquisition d’une compétence qu’ils ne souhaitent ou ne peuvent pas maîtriser, et d’autres dont on n’a pas su détecter les talents et le potentiel propres pour leur offrir leur parcours de réussite ? Ce constat, hélas, est valable à tous les niveaux de notre système éducatif.
Dans ces conditions, mes chers collègues, les conclusions de la mission d’information sur l’orientation scolaire, dont j’ai souhaité qu’elles soient débattues en séance publique, revêtent une importance particulière. Je remercie le président de la mission d’information d’avoir veillé à la qualité des travaux. Je remercie également M. le rapporteur, qui vous présentera dans quelques instants le fruit de cette réflexion collective sur un enjeu d’importance, un enjeu d’avenir qui, je crois, nous concerne tous. Puisse le travail de la mission d’information inspirer le gouvernement actuel et les gouvernements à venir !
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission d’information sur l’orientation scolaire, que j’ai eu l’honneur de présider et dont Guy-Dominique Kennel a été l’excellent rapporteur, a travaillé dans un climat tout aussi excellent et dans de bonnes conditions pendant plusieurs mois.
Au cours de nombreuses auditions et de plusieurs tables rondes, nous avons rencontré les acteurs du monde de la formation et de l’orientation. Nos déplacements dans l’académie de Strasbourg, chez notre collègue Guy-Dominique Kennel, et dans celle de Clermont-Ferrand, dans mon département, nous ont permis d’entendre les points de vue les plus divers et de nourrir notre réflexion des expériences menées au plan local.
De ces travaux fructueux, je laisse à notre rapporteur le soin de synthétiser les conclusions. Pour ma part, je parlerai plus longuement tout à l’heure, au nom du groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rendre compte d’une année de travail en six minutes n’est pas une tâche aisée, mais je vais m’y efforcer.
Le 29 juin dernier, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, présidée par notre collègue Catherine Morin-Desailly, a autorisé la publication du rapport de la mission d’information sur l’orientation scolaire, dont notre collègue Jacques-Bernard Magner a assuré la présidence et dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur.
Je me réjouis que nous ayons aussi rapidement l’occasion de débattre en séance publique des conclusions de la mission d’information. Il est vrai que la question de l’orientation est cruciale pour l’avenir de nos enfants.
Nous débattrons aussi, la semaine prochaine, de l’entrée en master, qui est l’un des aspects de la vaste question de l’orientation. L’instauration d’une sélection juste à l’université par l’édiction de prérequis avait d’ailleurs été l’une de mes préconisations. J’avais également plaidé en faveur du développement de l’offre de formation continue des universités en direction des hommes et des femmes en activité, pour permettre à ceux-ci de poursuivre leur diplomation après quelques années d’expérience professionnelle. C’est d’ailleurs, madame la ministre, l’une des réponses que l’on peut apporter aux jeunes qui réclament aujourd’hui un droit à la poursuite d’études. Si ce droit existe, il ne peut pas s’agir uniquement d’un droit à la poursuite d’études immédiate, mais bien d’un droit à la poursuite d’études tout au long de la vie.
Ce soir, je souhaite interroger Mme la ministre et débattre avec les quelques courageux collègues présents dans notre hémicycle des autres propositions phares de notre rapport d’information, qui toutes visent à remédier au phénomène d’orientation par l’échec que, malheureusement, nous constatons encore trop souvent.
Le constat n’est pas nouveau, et plusieurs rapports avant le nôtre l’ont déjà mis en lumière. En voici les principaux éléments.
Loin d’être un continuum, l’orientation agit comme un couperet : le sort des élèves se joue en quelques mois, lors de classes « paliers » – troisième, seconde et, dans une certaine mesure, terminale –, sur le fondement principal, voire exclusif, des notes qu’ils ont obtenues.
Dans un système scolaire strictement hiérarchisé où la voie générale – et, en son sein, la filière S – matérialise la réussite scolaire, l’orientation se fait véritablement par l’échec : sont progressivement écartés ceux qui n’ont pas les résultats pour aller en seconde générale et technologique, puis ceux qui ne peuvent pas aller dans la voie générale.
L’élève est encore trop souvent passif dans ce processus et le travail d’orientation d’un élève de troisième demeure ponctuel et sans vraie cohérence d’ensemble ; bien souvent, il se limite à la distribution de la brochure de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, une séquence d’observation en milieu professionnel de cinq jours, un entretien avec le conseiller d’orientation-psychologue, le COP, et un autre avec le professeur principal.
La répartition des élèves entre les différentes formations selon les capacités d’accueil de celles-ci contredit souvent les décisions d’orientation en voie professionnelle, menant ainsi à des orientations subies très préjudiciables aux jeunes concernés.
La répartition des élèves entre les filières dépend aussi, malheureusement, de leur origine sociale, de leur lieu d’habitation et de leur sexe.
Enfin, la complexité du système scolaire, le foisonnement d’une information de qualité variable et l’opacité des procédures d’affectation font de l’orientation un sujet d’anxiété pour de nombreuses familles et pénalisent particulièrement les plus éloignées de la culture scolaire.
Face à ce constat, notre première proposition consiste à faire de l’insertion professionnelle un objectif central du système éducatif, au même titre que les objectifs de qualification académique.
Sur le plan de l’organisation des acteurs de l’orientation, nous proposons de simplifier un paysage complexe, notamment en transférant le réseau Information Jeunesse et les centres d’information et d’orientation, les CIO, aux régions ou, à tout le moins, en regroupant physiquement les différents acteurs de l’orientation sur des sites uniques.
En ce qui concerne les enseignants, qui sont souvent les premiers interlocuteurs des élèves sur les questions d’orientation, nous proposons d’intégrer la formation au conseil en orientation dans leurs formations initiale et continue, de rendre obligatoire un stage en milieu professionnel pour tout enseignant – je dis bien « tout enseignant » – et de mieux valoriser la fonction de professeur principal.
S’agissant des différentes phases du processus d’orientation de l’élève, nous estimons que la mise en œuvre du parcours Avenir nécessite de prévoir un horaire spécifique, qui donne à ce dispositif une réelle effectivité, de repenser les modalités des séquences d’observation en milieu professionnel en classe de troisième et, surtout, d’introduire enfin un stage au lycée où, étrangement, rien n’est prévu, alors que les lycéens ont acquis une plus grande maturité et commencent à construire un projet professionnel.
Nous avons consacré tout un pan de nos travaux à l’enseignement professionnel et à l’apprentissage : il nous a semblé indispensable d’en valoriser les réussites, car il y a souvent un grand décalage entre le discours, qui glorifie l’égale dignité des voies, et la réalité d’un enseignement professionnel qui reste mal considéré. Les préconisations de notre mission d’information dans le domaine de l’enseignement professionnel étant nombreuses, je ne mentionnerai que ma proposition phare : faire du lycée polyvalent la norme et créer au niveau de chaque bassin de formation un réseau de lycées au sein duquel les changements de parcours seront simplifiés et facilités.
L’instauration, dès la classe de sixième, de rendez-vous réguliers entre l’élève, ses parents et l’équipe éducative nous a paru de nature à favoriser une orientation choisie, pensée et acceptée. D’une façon générale, mieux associer les parents d’élèves à l’éducation, à l’orientation et à la découverte des métiers nous semble une évidence.
Je ne reviendrai pas, madame la ministre, sur notre demande d’une transparence accrue des barèmes et des critères des procédures Affelnet et APB. Beaucoup d’encre a déjà coulé à ce sujet, et tout récemment. Mais permettez-moi de m’insurger une nouvelle fois contre la sélection par tirage au sort que nous imposons à nos futurs étudiants qui postulent dans des filières universitaires en tension : c’est une méthode indigne d’une grande méritocratie comme la France !
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre rapport d’information, particulièrement riche, comprend des recommandations – j’insiste sur ce mot – réalistes et de bon sens. Je remercie l’ensemble des membres de la mission d’information pour le très bon climat dans lequel nous avons travaillé et pour la participation de chacun à notre réflexion commune. Je forme le vœu, madame la ministre, que nos préconisations ne restent pas lettre morte et qu’elles contribuent prochainement à l’amélioration de l’avenir de nos enfants.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail particulièrement sérieux et, je crois, sincèrement engagé de Guy-Dominique Kennel ; de toute évidence, notre collègue enrichit un débat qui est, de l’avis général, fondamental.
De puissants déterminismes et stéréotypes sont à l’œuvre dans l’orientation scolaire. D’ailleurs, celle-ci est souvent trop réduite à une procédure de tri social des élèves via les trois voies de formation du lycée. Monsieur le rapporteur, ce constat a été bien identifié par la mission d’information, et vous l’avez évoqué avec clairvoyance.
Cependant, malgré l’intérêt de certaines d’entre elles, l’essentiel de vos recommandations visent davantage, selon moi, à réguler les flux d’élèves qu’à s’attaquer à l’origine de l’échec : le poids des déterminismes qui placent nombre d’élèves en difficulté, bien souvent dès le primaire.
Depuis 2005, les politiques publiques, telles qu’orientées par la stratégie de Lisbonne, tendent à promouvoir une conception de l’éducation tournée principalement vers un objectif d’employabilité, s’appuyant sur les difficultés objectives de notre système. Ainsi, malgré les précautions oratoires que vous avez prises dans votre exposé, monsieur Kennel, votre rapport d’information fait de l’insertion professionnelle non pas l’un des objectifs du système éducatif, mais un objectif au cœur de ce système ; c’est en tout cas ce que nous ressentons.
De fait, vous proposez des outils destinés surtout à gérer et à calibrer les flux d’élèves, comme une sélection à l’entrée à l’université, selon des prérequis, pour les formations à effectifs limités ; nous en débattrons la semaine prochaine lorsque nous traiterons de la réforme des masters.
Vous avancez aussi l’idée d’une carte des formations plus « réactive » aux besoins locaux et en plus forte adéquation avec les entreprises. Très bien, mais je ne suis pas sûr que ce soit la préoccupation la plus importante à prendre en compte, d’autant que les entreprises sont bien souvent dans l’incapacité d’anticiper leurs besoins à une échéance en rapport avec le temps nécessaire pour former un jeune. Sans compter que, comme l’on sait, un tiers des emplois qui existeront dans dix ans ne sont même pas connus aujourd’hui. (
Certes, l’insertion professionnelle est une question fondamentale posée au système éducatif ; mais ce n’est pas le seul défi que celui-ci doit relever. La complexification des savoirs, du travail et de l’organisation de celui-ci implique une élévation du niveau des connaissances, pour permettre à tous les élèves d’être en mesure de s’adapter. Ne pas le prendre en compte, c’est accepter que certains élèves, les moins en connivence avec l’institution scolaire, demeurent cantonnés à une orientation par l’échec, tandis que d’autres seraient destinés, a priori, à la poursuite d’études : ceux que certains nomment « les plus méritants ». Quid, alors, madame la ministre, du « tous capables » inscrit dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ?
C’est pourquoi mon groupe s’interroge et interroge sur le principe d’un allongement de la scolarité obligatoire à dix-huit ans, …
… avec une orientation plus tardive, afin de penser et d’agir au sein de l’école pour offrir la remédiation nécessaire aux élèves qui en ont le plus besoin.
La mission d’information préconise de confier le pilotage de l’orientation scolaire à la région via la régionalisation des CIO, en contradiction avec la loi du 5 mars 2014, qui a réaffirmé le rôle de l’État en la matière. Que deviendrait, dès lors, le principe fondamental qui sous-tend le service public de l’éducation nationale : une réponse égalitaire dans le droit et l’accès à l’éducation sur tout le territoire ? De fait, on ne peut ignorer le risque d’un creusement des inégalités, alors que les collectivités territoriales voient leurs moyens réduits et que la répartition des richesses sur le territoire n’est – c’est le moins que l’on puisse dire – pas tout à fait égale.
Par ailleurs, le rapport d’information minore, à mon sens, l’importance des processus psychologiques et sociaux dans l’orientation. En effet, l’élaboration d’un projet d’avenir chez un adolescent ne se résume pas à une simple question d’information sur la réalité des métiers et sur les formations offertes. Ce projet doit aussi être en lien étroit avec le développement de la personnalité du jeune et la construction de son identité – je n’ai pas dit un gros mot. S’agissant d’élèves du secondaire, singulièrement de collégiens et de collégiennes, qui commencent leur construction d’adulte et de citoyen, la question devrait être posée davantage en termes de développement individuel, de reconnaissance, d’estimation de soi et d’émancipation.
Parce que cette approche implique que les élèves bénéficient de l’accompagnement d’une pluralité de professionnels, nous refusons la mise en berne du corps actuel des conseillers d’orientation-psychologues ; il faut certes qu’ils travaillent en collaboration avec les enseignants, mais ceux-ci ne sont pas formés pour assurer les missions de ceux-là. Du reste, je m’interroge vraiment sur l’utilité, en tout cas sur l’efficacité, d’un stage obligatoire en entreprise censé permettre aux enseignants de maîtriser les enjeux du monde du travail.
Pour ce qui nous concerne, nous soutenons la démarche engagée au niveau du ministère pour créer un corps unique de psychologues de la maternelle à l’enseignement supérieur. Nous considérons, madame la ministre, qu’elle devra s’accompagner de recrutements, pour que cesse la situation inacceptable de conseillers d’orientation-psychologues responsables de 1 400 à 1 600 élèves sur deux ou trois établissements.
Enfin, la réforme du bac professionnel en trois ans, dont les écueils sont pourtant reconnus, n’est pas réinterrogée dans le rapport d’information, ce qui est dommage. Il est proposé de favoriser la mixité des publics et des parcours : très bien, mais son efficacité sur la réussite des élèves n’est pas questionnée, non plus que ne sont prises en compte les difficultés pédagogiques et organisationnelles qu’elle entraîne.
Au total, monsieur Kennel, même si votre rapport d’information est intéressant, je ne partage pas l’essentiel de ses conclusions. Certaines des propositions qu’il comprend ont déjà été portées sous le précédent quinquennat et, à notre sens, il ne soulève pas suffisamment le problème des moyens, tant humains que financiers.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Maryvonne Blondin et Dominique Gillot ainsi que M. Jacques-Bernard Magner applaudissent également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission d’information du Sénat sur l’orientation scolaire, dont notre collègue Guy-Dominique Kennel est le rapporteur, a publié ses conclusions en juin dernier, au terme d’un travail approfondi.
Je ne voudrais pas être redondante en rappelant les raisons pour lesquelles cette mission d’information a été mise en place. Ces raisons, nous les connaissons : notre système d’orientation aboutit, pour un nombre encore trop élevé d’enfants, à une orientation par l’échec plutôt qu’à une orientation choisie ; de surcroît, l’orientation est difficilement réversible, les filières étant peu perméables, et, loin de permettre le dépassement des inégalités sociales, elle les entretient. Cette situation conduit à des effets pervers très concrets, en particulier l’autocensure des bons et moyens élèves d’origine modeste et l’évitement de la voie professionnelle par les milieux plus favorisés.
Du fait du mode de sélection et d’accès aux différentes filières, les élèves en difficulté sont orientés par défaut vers la filière professionnelle, alors qu’elle ne leur est pas forcément adaptée. Résultat : non seulement ces élèves se trouvent en situation d’échec, mais, de plus, la voie professionnelle subit une relégation dans l’inconscient collectif.
Plutôt que de revenir sur ce triste constat et sur ses implications, je préfère, parce que je refuse la fatalité, évoquer les moyens à notre disposition pour pallier les difficultés. Un grand nombre de ces moyens figurent d’ailleurs dans les recommandations du rapport de la mission d’information. Mais d’autres solutions relèvent aussi et surtout du bon sens et d’une nouvelle organisation, à moyens financiers et humains constants.
Le rapport d’information appelle à une ambition nouvelle pour l’orientation scolaire en insistant sur le secondaire. Pour ma part, j’irai plus loin : la clef de la réussite étant l’anticipation – j’y insiste –, c’est seulement en commençant un travail pédagogique autour de l’orientation en primaire que nous réussirons à changer les mentalités. C’est aussi le moyen de se projeter vers l’avenir dans une logique positive, sans préjugés et en dédramatisant le mot « orientation » qui, aujourd’hui encore, malheureusement, tombe comme un couperet.
Nous devons commencer ce travail dès l’école primaire, non pas pour former des salariés préfabriqués et uniquement destinés à se conformer aux attentes du monde de l’entreprise – ne tombons pas dans la caricature ! –, mais pour former au contraire les citoyens de demain, des citoyens qui ont conscience de leurs compétences, de leurs performances et de l’éventail des possibles qui s’ouvre à eux au travers de leur apprentissage puis tout au long de leur carrière professionnelle.
Pour cela, l’école doit s’ouvrir davantage à son environnement. Elle pourrait par exemple organiser des rencontres au cours desquelles la parole serait donnée non seulement aux parents pour présenter leur métier, mais aussi aux professionnels que les enfants côtoient dans leur quartier au quotidien.
Ces initiatives ne représentent aucun coût supplémentaire. Elles réclament plutôt un effort de coordination, d’organisation et de mobilisation. Elles peuvent et doivent être mises en place tout au long de la scolarité. C’est à ce prix que l’on pourra détruire les préjugés, notamment ceux envers l’enseignement professionnel, et créer de véritables vocations positives en direction des métiers de la filière.
C’est pourquoi la recommandation de faire s’asseoir côte à côte, dans un lycée polyvalent, les élèves de la filière générale et ceux qui sont en apprentissage est une idée concrète et qui va dans le bon sens pour mettre à bas les préjugés. Il faut bien commencer par quelque chose !
Même si j’ai bien conscience qu’elle est importante, la question du transfert des compétences des centres d'information et d'orientation, les CIO, aux régions – à condition que les finances suivent ! – me semble secondaire par rapport à celle de l’anticipation et de la mise en œuvre d’une nouvelle organisation, pour ne pas dire d’un nouveau contenu, de l’orientation de nature pluridisciplinaire.
Je soutiens l’idée selon laquelle il faudrait transformer l’orientation en discipline scolaire et l’intégrer au concept plus large de passeport d’orientation, qui commencerait dès le premier cycle et s’intégrerait ensuite à un passeport formation tout au long de la vie.
(Sourires.) Il n’est évidemment pas possible de lancer des séries télévisées pour chaque filière, mais il revient à l’éducation nationale de créer des clips variés pour les faire connaître.
Nouveaux sourires.
Rares sont les jeunes collégiens qui ont une vocation suffisamment ancrée pour s’orienter par choix dans une filière professionnelle. Cela a sans doute un peu changé, me direz-vous, pour les métiers de la restauration depuis que des émissions télévisées sont consacrées aux meilleurs chefs et aux pâtissiers. §
Redevenons sérieux : demander aux élèves de s’orienter dès le collège est prématuré, sauf pour ceux qui ont une véritable vocation, ce qui est rare. Je dirai par facilité que je suis contre une orientation précoce et en faveur d’une entrée précoce de l’orientation dès l’école primaire. Si nous faisions ces choix dès maintenant, je suis certaine que nous aurions gagné une bataille, à moyens constants, dans la guerre contre les inégalités et surtout contre les préjugés qui existent à propos de certaines filières professionnelles.
Les recommandations visant à mieux associer les écoles supérieures du professorat et de l'éducation, les ESPE, au monde de l’entreprise me semblent importantes pour accompagner cette mutation et accroître la connaissance mutuelle entre enseignants et entreprises.
Cette mixité doit encore être valorisée. Je crois notamment à l’efficacité des actions concrètes, comme les ateliers de découverte des métiers dans les établissements scolaires, en relation avec les familles, les communes et le tissu économique local, comme je l’évoquais il y a quelques instants.
En conclusion, les membres du groupe du RDSE et moi-même nous sentons très concernés par ces questions et veillerons à ce que les recommandations présentées dans ce rapport ne restent pas lettre morte.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme la présidente de la commission de la culture et M. Claude Kern applaudissent également.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’orientation constitue un paradoxe.
Elle est en effet au centre du cursus des élèves. Les parents l’abordent avec gravité, voire angoisse. Le Parlement et le ministère en connaissent l’importance. Les constats partagés à son sujet, comme ses effets en matière de tri social, sont inacceptables aux yeux de tous.
Et pourtant, les enseignants ne sont pas formés à l’orientation des élèves. Les emplois du temps ne lui consacrent pas de plage horaire spécifique. Il n’existe enfin aucun mécanisme suffisamment puissant pour empêcher que les stages et les découvertes ne reproduisent le tri social.
Les atouts dont disposent les initiés sont évidents, tandis que le poids des notes – je parle bien des notes et non de l’évaluation – ne diminue pas.
Il est urgent d’interroger le rôle des algorithmes pour mieux les reprendre en main, car la technique informatique, avec ses apparences trompeuses de neutralité, peut entraîner la mise en œuvre du contraire de ce que nous appelons de nos vœux. Une procédure d’affectation comme Affelnet, qui était censée empêcher toute opacité et tout arbitraire, a représenté pour beaucoup d’élèves la forme numérique du labyrinthe, dans lequel la pondération des critères a constitué un piège méconnu.
Monsieur le rapporteur, vous préconisez la prise en compte d’autres critères que les seuls résultats académiques, comme la motivation, les aptitudes ou les compétences. Sachez que la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République va dans ce sens et que le Conseil supérieur des programmes en a fait l’esprit du socle commun de connaissances et de compétences.
Hélas, l’évaluation ne lui a pas été confiée et, dans l’attente du livret scolaire unique, ce sont les logiciels que l’on a achetés comme « Pronote » que les parents reçoivent ! Les algorithmes utilisés livrent la seule chose qu’ils n’aient jamais su faire : quantifier, visualiser et classer, aboutissant ainsi à l’opposé de ce que devrait être un résultat nuancé et de ce qui résulterait de l’utilisation de critères élargis.
Un simple exemple : alors que le socle commun de connaissances et de compétences dans son volet « coopération et réalisation de projets » préconise que l’élève sache « que la classe, l’école, l’établissement sont des lieux de collaboration, d’entraide et de mutualisation des savoirs », le logiciel Pronote a inventé l’item « savoir que l’école est un lieu des savoirs » – c’est zéro ou moins.
Sourires.
Cette situation présente plusieurs dangers : tout d’abord, des effets en amont sur la pédagogie et donc sur l’orientation, car la forme des résultats façonne ce sur quoi on met l’accent ; ensuite, la perte de sens du socle ; enfin, un éventuel futur mésusage pour l’orientation. Rêvons comme Orwell : si l’on connectait Pronote et Affelnet, on n’aurait plus qu’à appuyer sur un bouton pour une orientation automatique !
Mme la ministre et Mme Françoise Laborde sourient.
Chaque piste figurant dans ce rapport que je salue a des résonances sur l’ensemble du système.
Prenons la mixité des publics apprentis et scolaires. C’est une piste empreinte de bon sens et que je soutiens. Mais que deviendra cette piste face à une forêt de conservatismes et d’objections plus ou moins justifiées ?
Consultés dans le cadre de l’élaboration des programmes, les acteurs dits « autorisés » nous ont surpris en raison de leurs réticences à faire entrer le travail manuel, la réalisation d’objets, la prise en compte du talent et de l’habilité dans les cycles, comme si ces compétences ne relevaient que de l’employabilité ou n’étaient judicieuses que pour certaines sections. Nous sommes loin de la prise en compte des « intelligences multiples » décrites par Howard Gardner.
Le plus gros handicap de l’orientation est lié au poids des non-dits : l’utilisation des terminales scientifiques comme sas du cursus idéal, même si l’on vise les professions de la magistrature ou des archives, contribue paradoxalement à tarir le vivier des vrais mathématiciens en les tenant à distance. Malheur à celui ou celle qui ne dispose que de la virtuosité des équations et de la géométrie, sans avoir pour lui les codes et l’aisance des classes privilégiées dans son bagage culturel !
Une autre de vos propositions existe déjà dans certains pays : l’année de césure après le bac, le temps de réfléchir et d’aller voir ailleurs. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’était rendue à Umeå au nord de la Suède en 2013 pour découvrir tous les acquis de l’année de césure post-bac de la bouche des jeunes étudiants. C’est donc possible !
Encore faudrait-il veiller à cultiver chaque élève autrement que par l’exacerbation de la compétition, depuis les classements scolaires jusqu’aux jeux télévisés, et en venir enfin à la coopération. En effet, dans cette période de tension sur le marché de l’emploi, « se caser » relève de l’injonction sociale. De plus, les filières sélectives qui repèrent les élèves en avance pour entretenir leur excellence ne contribuent pas à produire de l’intelligence collective.
La formation tout au long de la vie et le droit de revenir dans un cycle après une période sans scolarité ne sont pas encore effectifs. Exercer une profession non choisie, « décrocher », chacun a le droit d’avoir plusieurs chances.
Pour avoir installé un « lycée de toutes les chances » à Roubaix dans les années 1990, afin de prendre à bras-le-corps les problèmes du décrochage et de la déscolarisation, de l’exclusion et de l’anomie, des inégalités et de la stigmatisation, je mesure combien le fait de ne pas se résoudre à l’orientation punitive est un défi collectif. Il a fallu rénover les méthodes et les outils pédagogiques en appliquant le principe du « cousu main » et prendre en compte une conception plus globale de la dimension éducative. Il a également été nécessaire d’élaborer un travail commun entre les différents acteurs au sein d’un établissement et entre les établissements. Il a enfin été indispensable de développer l’interaction entre les lycées et leur environnement, c’est-à-dire les familles, la cité et le monde professionnel.
C’est uniquement dans ces conditions que l’orientation ne se fait pas par défaut. Toutefois, cela exige des temps de dialogue, de vrais temps identifiables dans les emplois du temps, un dialogue avec les parents, un autre dialogue avec des professionnels, et même une attention spécifique aux nominations qui favoriseraient une telle qualité !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde et M. Claude Kern applaudissent également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission et chère Catherine, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui invités à débattre de l’avenir professionnel de nos enfants et plus précisément de leur orientation scolaire. L’enjeu est de taille !
L’excellent rapport de notre collègue Guy-Dominique Kennel apporte un éclairage nouveau sur le sujet.
La France est le cinquième pays le plus riche du monde mais connaît un échec scolaire massif, puisque près de 20 % des jeunes sortent chaque année du système éducatif sans qualification. Chaque année, on comptabilise donc 140 000 jeunes « décrocheurs ». En parallèle, les métiers évoluent. Nous sommes donc face un vrai défi : insérer des jeunes dans une société en pleine mutation.
Or nous connaissons tous des exemples concrets d’orientations ratées. C’est le cas des huit jeunes issus du Bois de Bléville, au Havre, quartier politique de la ville, que j’ai rencontrés dernièrement et qui ont tous décroché en raison de leur orientation contre leur souhait en comptabilité. Ces nombreuses situations justifient notre débat de ce soir et impliquent une vraie réflexion sur la réforme de l’orientation des jeunes.
Toutefois, on ne peut pas aborder la question de l’orientation scolaire sans appréhender celle de l’insertion professionnelle des jeunes.
Ainsi, il apparaît essentiel de renforcer les liens entre les acteurs du monde éducatif et ceux de l’emploi. En effet, l’école doit préparer l’insertion professionnelle des jeunes. Le décloisonnement entre corps professoral, milieu entrepreneurial et acteurs de l’emploi est une urgente nécessité. De manière assez évidente, il est fondamental de permettre à chaque jeune de découvrir le monde de l’entreprise et les métiers, pour qu’il puisse choisir la voie qui lui correspond. En effet, de trop nombreux jeunes sont orientés par défaut dans des filières non choisies, ce qui entraîne inévitablement leur décrochage.
L’orientation doit être positive et être élaborée avec le jeune et sa famille. Ainsi, au cours de sa scolarité, un véritable parcours d’orientation doit être proposé à chaque jeune. Il doit lui permettre d’identifier ses appétences et ses capacités, lui faire découvrir les métiers, l’accompagner dans ses choix de formation et l’éclairer sur les embûches du parcours choisi. Cette opportunité doit être offerte à tous les élèves, quel que soit leur environnement social. Le parcours de l’élève se déclinerait en tests de compétences, bilans d’orientation, stages de découverte en entreprise et rencontres avec les professionnels. L’entreprise crée l’emploi et l’école forme le salarié de demain.
Les formations proposées aux jeunes doivent en outre être en adéquation avec les besoins prévisionnels des territoires économiques. Par exemple, l'Union des industries et des métiers de la métallurgie, l'UIMM, a développé en Seine-Maritime des centres de formation qui préparent aux métiers dont ont besoin les entreprises du secteur. Les jeunes orientés en apprentissage vers le pôle de formation de l’industrie acquièrent un savoir-faire d’excellence et développent les compétences nécessaires pour leur future embauche. Dernièrement, l'UIMM est allée plus loin encore en créant une seconde dite « structurante ». Celle-ci accueille des jeunes « décrocheurs » pour leur redonner les bases scolaires nécessaires, les compétences professionnelles qui leur seront utiles et surtout la confiance en eux, indispensable à leur réussite.
L’orientation professionnelle se fait donc en contact direct avec le monde du travail. Elle satisfait un besoin local de main-d’œuvre et offre des opportunités de réussite pour les jeunes. Malheureusement, faute d’orientation positive, trop de jeunes restent actuellement au bord du chemin de l’insertion professionnelle, nous obligeant à déployer des moyens considérables pour leur remobilisation vers l’emploi, comme la garantie jeunes aujourd’hui pilotée par les missions locales. Ces situations d’extrême fragilité pourraient être limitées si les relations entre les établissements scolaires et les missions locales étaient plus étroites, ce qui permettrait d’élaborer les projets professionnels des « pré-décrocheurs ». La prévention du « décrochage » doit prendre le dessus sur des actions plus curatives.
Enfin, la politique en matière de formation et d’orientation doit être déclinée à l’échelle des régions, lesquelles doivent pouvoir coordonner leurs plans de formation avec les perspectives locales en matière d’emploi. Elles doivent également développer une vision stratégique pour renforcer l’attractivité et la vitalité de leurs territoires et adapter constamment l’offre de formation aux évolutions des métiers. C’est en créant des mécanismes d’orientation et de formation fondés sur la souplesse, la connaissance réciproque et l’adaptation aux besoins que nous pourrons relever les défis de l’orientation positive, l’orientation réussie !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission de la culture ainsi que Mmes Françoise Gatel et Françoise Férat applaudissent également.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme Colette Mélot et M. Gérard Bailly applaudissent également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est sans surprise que je tiens moi aussi à féliciter notre rapporteur, Guy-Dominique Kennel, et le président, Jacques-Bernard Magner, pour la qualité des travaux conduits au sein de la mission d’information à laquelle j’ai pu participer. Je tiens également à remercier la présidente de la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly, de nous avoir permis d’entreprendre cette démarche.
Notre assemblée a toujours fait de la réussite de nos enfants une ambition prioritaire et je mesure l’apport des travaux de cette mission dans la réflexion globale sur notre système scolaire et sur l’orientation. Nous comptons donc sur vous, madame la ministre, pour examiner ces propositions avec attention.
En effet, il y a urgence ! Outre l’indignité du rang occupé par la France dans le classement PISA, l’idée même que notre système entretient et crée des « décrocheurs » est insupportable. Notre incapacité à assurer une insertion suffisante des diplômés des formations professionnelles est incompréhensible. Enfin, l’échec massif à l’université pour les bacheliers généraux et encore plus pour les bacheliers techniques puis professionnels est tout simplement révoltant !
Notre système crée des inégalités. Comment l’entendre et, surtout, comment améliorer des dispositifs d’orientation qui prennent malheureusement une part active dans cet état des lieux ?
C’est tout le sens des travaux menés par la mission d’information dont nous examinons les conclusions ce soir. Les douze recommandations formulées visent à « insuffler une nouvelle ambition à l’orientation scolaire, celle d’une orientation réussie pour tous les élèves ».
Sans revenir sur chacune des recommandations que je partage pleinement et que je soutiens avec force, je tiens à évoquer plus particulièrement le rapport de notre système éducatif à l’enseignement professionnel et à l’apprentissage.
Soyons clairs, madame la ministre, les filières technologiques et professionnelles font l’objet d’une dévalorisation – pour ne pas dire d’un dédain – généralisée. Si les discours politiques ont quelque peu évolué, les pratiques les contredisent largement.
Pourtant, la réalité, c’est que l’apprentissage est la voie de la réussite ! Il faut en finir avec cette vision archaïque et dépassée de la professionnalisation, systématiquement dénigrée. Ces filières ne sont en aucune façon des « voies de garage » qui seraient réservées aux cancres. Cependant, cette représentation véhiculée par notre société, qui est à l’origine de la désaffection à l’égard des activités manuelles, a gangrené le système lui-même.
Aujourd’hui, l’orientation toujours plus tardive des élèves les maintient dans la voie générale et implique une spécialisation elle-même plus tardive au détriment de l’élève et de l’entreprise. Une véritable absurdité !
En tant que frontalier, je connais bien le système de formation professionnelle de nos voisins allemands. Outre-Rhin, la formation professionnelle initiale est principalement organisée sous la forme d’un apprentissage appelé « système dual », puisqu’elle se déroule sur deux lieux de formation : l’entreprise et l’école professionnelle. Dans ce système qui a fait ses preuves en termes de qualification et d’insertion des jeunes, le contenu de la formation relève des Länder et des partenaires économiques et sociaux.
Par ailleurs, pour avoir moi-même exercé une activité en parallèle dans un lycée technique et en entreprise, je sais que les acteurs économiques désirent prendre une vraie place dans les dispositifs d’orientation et de développement des formations professionnelles. Nombreux sont les chefs d’entreprise dont la maison mère est allemande qui m’interpellent sur le sujet et qui me rappellent tout le bien qu’ils pensent de nos formations techniques antérieures à la dernière réforme du lycée.
Ces mêmes chefs d’entreprise sont aussi de plus en plus nombreux à adhérer aux démarches en faveur de la mobilité des jeunes en formation professionnalisante. Outre les mobilités locale et régionale, la mobilité internationale dans le cadre d’un apprentissage est une formidable expérience pour le jeune et pour l’entreprise.
À ce titre, je tiens à saluer l’initiative du député européen Jean Arthuis en faveur d’un « Erasmus des apprentis ». Grâce à sa mobilisation auprès de la Commission européenne et au sein du Parlement européen, 145 apprentis européens dont 75 Français préparent en ce moment leur départ à l’étranger pour une année, alors qu’ils ne pouvaient jusqu’à présent prétendre qu’à de courts séjours. Or les statistiques démontrent que ce type d’expérience représente un atout majeur sur le marché de l’emploi.
Madame la ministre, pourquoi vouloir éloigner nos élèves du monde de l’entreprise ? Qu’attendez-vous pour ouvrir davantage notre école à l’entreprise ?
Il est urgent de faire bouger les lignes sur le sujet. Nous devons créer des pôles d’excellence qui regrouperaient des filières entières dans des lycées technologiques ou professionnels jusqu’au brevet de technicien supérieur, voire jusqu’au niveau bac+3. Ayons de l’ambition pour nos enfants ! Créons de vrais lycées des métiers !
À la suite des travaux conduits dans le cadre de la mission pendant plus d’un an, nous proposons les fondements d’une politique d’orientation ambitieuse pour nos élèves.
Donner au système éducatif des objectifs en termes d’insertion professionnelle, valoriser les réussites de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage, généraliser la spécialisation dans la voie professionnelle, développer la mixité des parcours et des publics, développer les parcours montants, les stages passerelles pour faciliter les transitions entre filières, associer pleinement les parents d’élèves à l’éducation, à l’orientation et à la découverte des métiers, renforcer la présence des représentants du monde professionnel dans la gouvernance des lycées, sont autant de propositions fortes de notre mission d’information. Elles permettraient, j’en suis convaincu, d’apporter des réponses efficaces aux difficultés liées à l’orientation des élèves, à leur réussite scolaire et à l’accès à l’emploi.
Je souhaiterais répondre aux propos de M. Abate. Des expériences prouvent que le stage en entreprise est très enrichissant pour les enseignants. Toutefois, et sans entrer dans le détail, il existe également une autre solution, comme l’échange permettant aux uns de vivre pendant une journée le métier de l’autre. Ce type d’initiative permet aux enseignants d’être immergés dans l’industrie et à l’entrepreneur de découvrir également le métier de l’enseignant.
(Sourires.) et que nous puissions partager demain à la fois une ambition pour nos enfants et les solutions pour y parvenir.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission applaudit également.
Vous l’avez remarqué, je n’ai pas totalement utilisé le temps de parole qui m’était imparti, tellement le rapport de la mission d’information est excellent. Je souhaite, madame la ministre, que ce rapport devienne votre livre de chevet §
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si le Sénat a décidé, au printemps 2015, de constituer une mission d’information sur l’orientation scolaire au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, c’est parce que chacun d’entre nous est attaché à la réussite de tous les élèves au sein de notre système scolaire.
Dresser l’inventaire des dispositifs d’orientation dans la formation initiale, en mesurer l’efficacité au regard des objectifs qui lui sont assignés, notamment en fonction du rapport entre réussites et échecs, formuler des propositions d’amélioration, tel était l’objet de cette mission d’information, dont le champ d’étude était essentiellement centré sur l’orientation dans l’enseignement secondaire en vue de l’enseignement supérieur.
L’orientation est un sujet d’intérêt qui concerne, à des degrés divers, les parents d’élèves, les personnels enseignants, les responsables publics et les divers acteurs de terrain, les chercheurs des instituts et laboratoires de recherche spécialisés et, surtout, les collégiens, les lycéens et les étudiants.
En effet, l’orientation scolaire et professionnelle est l’un des piliers de toute politique éducative. Chaque élève y est confronté au moins une fois durant sa scolarité. Les choix qu’il fait sont déterminants pour lui, et tout gouvernement soucieux de l’avenir de sa jeunesse se doit d’être informé de l’efficacité de sa politique dans ce domaine.
Dans la période que nous traversons, le chômage des jeunes reste malheureusement encore trop important. Cependant, on sait aussi qu’il touche dans une proportion plus élevée les jeunes sortis du système scolaire sans qualification. Aussi, réduire le nombre de ceux qui arrêtent leurs études sans qualification ni diplôme est un impératif. Les jeunes doivent être diplômés au bon niveau et dans des secteurs susceptibles de leur offrir des débouchés. Il s’agit d’une exigence pour la Nation et pour son école !
Une orientation réussie doit permettre à chacun d’exploiter tout son potentiel et de s’insérer professionnellement. L’idéal serait que chaque élève ait le sentiment qu’il a lui-même choisi son orientation, et non qu’elle lui a été imposée car, le plus souvent, une orientation subie provoque un profond sentiment de frustration et d’injustice.
Vous le savez, des réformes d’envergure ont été engagées ces cinq dernières années en faveur de l’école. Je pense à la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République ou au recrutement et à la formation de personnels enseignants. Même si de grandes améliorations ont déjà été observées, il faudra cependant plusieurs années avant que ces réformes portent réellement leurs fruits.
Les constats déjà formulés en 2008 par le Haut Conseil de l’éducation dans son rapport sur l’orientation scolaire sont encore d’actualité.
Je les rappelle ici : l’orientation au collège et au lycée dépend étroitement du niveau initial des élèves à l’école primaire ; l’orientation consiste à trier les élèves en fonction de leurs seuls résultats scolaires dans les savoirs abstraits ; on ne cherche pas à détecter chez les élèves en difficulté leurs aptitudes à réussir dans d’autres apprentissages, en particulier dans ceux qui sont propres à la voie professionnelle et à ses spécialités, des apprentissages qui partent du concret et privilégient une approche plus expérimentale ; la décision d’orientation s’appuie sur des notes et des moyennes de notes, méthode dont les insuffisances ont été démontrées depuis longtemps ; l’origine sociale et les diplômes des parents sont des facteurs déterminants ; dans un système très hiérarchisé, l’orientation est trop souvent le produit d’exclusions successives ; enfin, une mauvaise orientation est difficile à rattraper.
Il convient de remarquer que l’informatisation de l’affectation des jeunes pèse beaucoup sur le système d’orientation scolaire. Cette informatisation était certes nécessaire, puisqu’elle permet de réduire les inégalités de traitement et d’attribuer une place à chaque élève. Cependant, elle ne peut pas corriger la rigidité de l’offre et encore moins éviter un engouement pour telle ou telle spécialité. En définitive, cette procédure informatique revient à gérer le mieux possible une situation au cadre extrêmement contraint : c’est tout de même un progrès !
Je me dois de préciser que toute orientation dans une voie ou une autre engage fortement l’élève et qu’il n’est pas facile de se réorienter. En effet, les parcours qui le permettent ne sont ni assez développés ni adaptés. Sur ce point, il paraît opportun de redéfinir les moments de la scolarité au cours desquels il faut proposer des dispositifs de réorientation ou des classes passerelles, et d’encourager toutes les expérimentations relatives aux changements de cursus, comme les réorientations effectuées après quelques semaines de classe seulement, sur le fondement d’un bilan de rentrée, avant que le premier trimestre soit trop engagé et quand le nombre de places vacantes est stabilisé.
Nous devons également veiller à ce que l’orientation scolaire ne soit pas chargée de tous les maux quand un élève est en situation d’échec scolaire, car un défaut d’orientation est loin d’être la seule cause de l’échec scolaire.
Par ailleurs, il est souvent reproché au système de l’orientation scolaire et à la hiérarchie des filières qu’elle perpétue de rester éloignées des réalités de la vie professionnelle et des besoins économiques de la Nation. On reproche également à l’offre de formation professionnelle de s’adapter difficilement aux nécessités économiques. Et c’est là la plus grande difficulté à surmonter : trouver la meilleure adéquation possible entre les formations proposées et les besoins du marché, d’autant qu’un certain nombre d’années sont nécessaires pour qu’une formation professionnelle arrive à son terme.
En fait, il est regrettable que ce soit bien souvent l’offre de formation qui régisse les politiques d’orientation dans les académies.
Le fait que chaque élève obtienne une place à la rentrée scolaire, quels qu’aient été ses vœux, et que chaque professeur soit devant une classe, est a priori satisfaisant pour l’administration de l’éducation nationale. Cependant, le nombre des places disponibles par filière constitue une contrainte qui pèse sur l’orientation des élèves. Cela entraîne une certaine rigidité qui conduit à des orientations que l’on pourrait qualifier de « forcées » et qui aboutissent malheureusement à trop d’abandons en cours de scolarité.
Il faut également tenir compte des inégalités engendrées par les disparités territoriales puisque, selon la région où il habite, un élève n’aura pas les mêmes opportunités d’orientation et de formation.
En conséquence, l’orientation scolaire a trop tendance à fonctionner en circuit fermé.
L’orientation des élèves et leur niveau de qualification final sont trop conditionnés par la structure de l’offre éducative, et, alors même que l’offre de formation est abondante, le choix pour chaque élève reste limité.
À cet instant du débat, il me semble important d’évoquer la proposition de loi, déposée par notre collègue Jean-Léonce Dupont, portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat, très en rapport avec l’orientation des étudiants.
À l’occasion de l’examen en commission de cette proposition de loi, les sénateurs du groupe socialiste et républicain, par la voix de Dominique Gillot, ont présenté un amendement tendant à instaurer un droit à la poursuite d’études.
Il s’agirait là non pas d’un droit inconditionnel ou d’un droit offert à des étudiants qui atteindraient le master en six ou huit ans et revendiqueraient ensuite le droit à la poursuite de leurs études, mais d’un droit garantissant à la fois l’excellence des parcours, utiles au développement économique de notre pays, l’épanouissement des compétences de nos meilleurs étudiants et un accompagnement de tous ceux qui seraient insuffisamment informés sur les divers masters auxquels leurs aptitudes conduisent.
Certaines inquiétudes ont été exprimées, notamment au sujet des difficultés rencontrées par certains territoires, de l’accord obligatoire entre le recteur et le chef d’établissement ou des conditions de mobilité des étudiants. Sur ces différents points, le Gouvernement apportera des réponses, à la suite d’une concertation de très grande qualité sur le sujet, ayant abouti à un accord unanime de l’ensemble des partenaires.
Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Jacques-Bernard Magner. Il fallait prendre une initiative pour sortir des difficultés, achever la réforme licence-master-doctorat de 2002
M. Jacques Grosperrin s’exclame.
Nous souhaitons adopter ce texte pour garantir un meilleur accompagnement de tous les étudiants et assurer la réussite de chacun, conformément aux principes édictés dans la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
L’accompagnement à l’insertion professionnelle était un des engagements contenus dans cette loi. Dans ce domaine, nous allons franchir une nouvelle étape, qui permettra d’assurer cette finalité dans la transparence.
M. Jean-Léonce Dupont a proposé l’évaluation du dispositif par un organisme indépendant, ce qui est de nature à rassurer tout le monde et permettra d’apporter des correctifs le moment venu.
On évoque une notion de « sélection ». Ce qui est ajouté, c’est l’accompagnement des étudiants titulaires de licence dans un deuxième cycle qui corresponde à leurs aptitudes et à leur projet professionnel. La capacité d’accueil est fixée par les chefs d’établissement, en vertu de l’autonomie des universités, et validée par le recteur, chancelier des universités, garant du dialogue avec l’État et, donc, du respect du droit à la poursuite des études.
Ainsi, pourra être réparée l’injustice créée par la sélection clandestine pratiquée entre les deux premiers et les deux derniers semestres du master. Nous allons supprimer cette barrière et intégrer un dialogue d’orientation et de recrutement dès l’entrée en master.
Comme l’a montré M. Jean-Léonce Dupont, nous ne rencontrons pas de véritable problème en termes de places ; il existe juste des filières et des établissements en tension.
Madame la ministre, mes chers collègues, je conclurai sur les travaux de la mission d’information sur l’orientation scolaire.
Au terme de leurs travaux, les membres de cette mission d’information ont souhaité présenter douze recommandations principales pour insuffler une nouvelle ambition à l’orientation scolaire, celle d’une orientation réussie pour tous les élèves.
Je ne vous rappelle pas ces recommandations, que M. le rapporteur a présentées voilà quelques instants. Mais tout comme lui, j’exprime le souhait, très vif, au regard de la qualité et du sérieux de nos travaux, mais aussi de l’esprit constructif dans lequel ceux-ci ont été menés, de voir le meilleur accueil réservé à ces propositions, qui ne resteront pas de vains mots.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Françoise Laborde et Françoise Férat ainsi que M. Claude Kern applaudissent également.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, le rapport sur l’orientation scolaire présenté par notre cher collègue Guy-Dominique Kennel porte sur un sujet important s’il en est : l’orientation scolaire.
La France, pourtant dotée d’un système scolaire exemplaire, peine aujourd’hui à s’enorgueillir des résultats de ses enfants. Le classement PISA pointe en effet régulièrement les insuffisances de notre école. L’idée se répand dès lors, insidieusement, que notre système est décadent, que nos enfants n’apprennent plus rien dans nos établissements scolaires.
Une telle affirmation, fréquente dans l’opinion publique, doit être combattue avec la dernière des déterminations, pour l’injure qu’elle fait aux enseignants et personnels du système éducatif français. La situation est en fait contrastée et complexe.
Il demeure toutefois que les mauvais résultats ne peuvent être passés sous silence – étant précisé que l’actuel gouvernement ne peut être tenu responsable de tout et que le précédent porte également une part de responsabilité : la France se classe au vingt-cinquième rang en mathématiques, au vingt et unième rang en lecture et au vingt-sixième rang en sciences.
Quels sont les remèdes ? La création de quelques écoles expérimentales, plus d’expérimentation dans les écoles, le refus de l’uniformisation par l’égalitarisme sont peut-être des pistes à envisager. Mais il faut probablement, aussi, en passer par une redéfinition des missions de l’école, par un recentrage autour de quelques axes forts.
À cet égard, la multiplicité des missions, telle qu’elles ont été posées par le ministre Vincent Peillon, s’inscrit dans l’exact contresens historique qui caractérise, malheureusement, et sur de nombreux sujets, l’action de l’actuel gouvernement.
Recentrer l’école de la République sur ses missions essentielles de transmission du savoir et d’accompagnement des élèves est donc une première piste.
Au titre des missions essentielles que doit assumer l’école figure notamment, en plus de la transmission des connaissances, l’insertion professionnelle et, plus largement, sociale. L’école doit permettre à chacun, non pas seulement de trouver sa place dans la société, mais, mieux encore, de la construire.
Voilà l’ambition fièrement portée par l’école des « hussards noirs de la République », chers à Jules Ferry : l’école doit être un ascenseur social !
Or, comme chacun le sait, cet ascenseur est aujourd’hui en panne en France. L’école ne permet plus aux enfants de s’élever au-dessus de la condition de leurs parents. Elle renforce – c’est un comble – les inégalités sociales !
C’est dire l’enjeu qui s’attache à une meilleure politique d’orientation scolaire. C’est dire combien le rapport que nous a présenté Guy-Dominique Kennel doit susciter l’intérêt.
On peut s’interroger sur le choix de certaines filières, de certains bacs technologiques pour certains enfants, qui peuvent ensuite intégrer des écoles d’ingénieurs, parce que, justement, ils connaissent ces parcours.
Parmi les solutions présentées dans le rapport, il me semble nécessaire d’insister sur le lien puissant qui doit unir la professionnalisation des études et le renforcement de l’orientation. Aider l’élève à identifier les voies dans lesquelles il dispose des aptitudes pour réussir, l’accompagner dans le renforcement de ses potentiels, choisir les bonnes options et filières pour lui permettre, à sa sortie du système éducatif, de s’insérer parfaitement dans le métier qu’il a choisi et pour lequel il s’est préparé : voilà ce que l’école doit permettre !
Mais l’école ne peut pas tout. Il faut absolument impliquer les parents, construire un contrat entre la famille, l’école et l’État.
Je m’interroge également sur la suppression du redoublement en fin de troisième, celui-ci étant mis en œuvre en fonction de l’avis des parents, ainsi que sur l’école obligatoire jusqu’à 18 ans car, on le sait, lorsqu’il n’y a pas d’appétence scolaire, il ne sert à rien d’obliger l’élève à continuer d’aller à l’école. Dans de tels cas, un cursus de professionnalisation est peut-être préférable.
La tâche est toutefois immense et suppose des enseignants formés pour l’assumer. Le rapport de notre collègue préconise donc de renforcer la formation de ces derniers et de faire en sorte qu’au cours de leur cursus, ils puissent découvrir l’entreprise pour resserrer le lien entre école et entreprise. Il est également préconisé de renforcer le lien entre le lycée et l’enseignement supérieur.
Toutes ces idées me semblent excellentes.
Des interrogations demeurent néanmoins sur la procédure d’affectation Affelnet. L’affectation des élèves en collège et en lycée ne permet pas d’envisager la mixité sociale dès lors qu’elle passe par un algorithme. Un ordinateur ne comprend qu’une chose : les notes ; il n’accorde aucune place à l’évaluation, qui peut pourtant être une source d’orientation.
Les enseignants vivent une situation difficile. Je ne reviendrai pas sur les exactions commises au cours des derniers jours, mais, au-delà de cette situation tragique, que nous espérons ne pas entendre qualifiée par M. le ministre de l’intérieur d’œuvre de « sauvageons » ou de « galopins », il faut admettre que les conditions d’exercice professionnel sont devenues, dans de très nombreux endroits, quasi invivables. Ce n’est pas un hasard si la profession d’enseignant suscite aujourd’hui des vocations en nombre plus mesuré qu’il ne serait souhaitable.
J’ai écouté votre intervention de ce matin, madame la ministre. Il faut condamner ceux qui ont commis ces actes, avez-vous dit. J’aurais aimé entendre autre chose de la part d’un ministre de la République, ministre de tutelle. Vous auriez pu employer la même formule qu’Émile Zola et son « J’accuse… ! », et dire clairement : « Je condamne ces actes ». C’est ce que les enseignants attendaient.
Dans ce contexte, pourront-ils réellement assumer de nouvelles missions ? C’est une question qu’il faut se poser.
Le rapport envisage, enfin, la situation de l’enseignement supérieur.
Les questions qui y sont abordées me semblent refléter une réalité terrible. La massification de l’enseignement supérieur a conduit à un doublement des effectifs étudiants depuis les années quatre-vingt. Les moyens n’ont pas suivi – hélas, trois fois hélas !
La loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, l’excellente réforme LRU, portée par Valérie Pécresse, avait fait un premier pas pour redonner aux universités l’autonomie dont elles ont besoin. Il faudra aller plus loin, c’est l’évidence, et permettre aux établissements de développer une véritable politique d’attractivité des meilleurs bacheliers, de recrutement des meilleurs professeurs, de recherche de sources de financement qui ne peuvent plus être uniquement celles de l’État.
L’université française du XXIe siècle sera autonome ou ne sera pas !
Il faut donc oser remettre sur la table la question de la sélection à l’entrée de l’université. Ce ne doit pas être un gros mot, madame la ministre.
C’est pourquoi je félicite mon collègue Guy-Dominique Kennel de proposer, pour les filières en tension que sont le droit, la médecine, la psychologie ou encore les cursus dédiés aux sciences et techniques des activités physiques et sportives, les STAPS, de remplacer le système actuel de tirage au sort absurde, injuste et illégal par un ensemble de règles fondées sur les prérequis.
C’est l’unique voie pour permettre la meilleure orientation et accroître les chances d’une meilleure insertion professionnelle.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut une certaine dose de courage pour se retrouver à cette heure avancée, plutôt en nombre, pour évoquer ce sujet – je vous remercie donc de votre présence.
Il faut aussi un certain sens de l’humour, monsieur Grosperrin. Ainsi, je préfère prendre avec beaucoup de légèreté vos derniers propos et concentrerai plutôt mon intervention sur cette question de l’orientation, sujet particulièrement important, qui met en jeu rien de moins que l’avenir de nos élèves et, à travers eux, celui de notre pays.
Je voudrais tout d’abord, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs ayant contribué à l’élaboration de ces conclusions, saluer très sincèrement la qualité de votre travail. Je vous en remercie.
Comme tous les orateurs l’ont souligné, la scolarité convoque, pour chaque élève, un horizon qui ne peut jamais être occulté : l’horizon de l’insertion professionnelle et citoyenne. Certes, il n’est pas le seul de la scolarité, mais nous connaissons tous son importance et l’attente qui est celle des familles et des élèves sur cette question.
Bien évidemment, la meilleure garantie d’une insertion professionnelle réussie, c’est effectivement, en amont, une orientation réussie.
Il y a là un enjeu que l’on doit aborder à la fois avec un sentiment de responsabilité – vous l’avez tous fait ici – et avec une grande humilité.
Un sentiment de responsabilité, car l’école et ses professionnels jouent un rôle majeur, dont j’ai pleinement conscience, dans l’orientation des jeunes.
Une grande humilité, car l’école, clairement, ne peut pas tout, toute seule. Elle n’est pas le seul facteur ; la trajectoire de l’élève, nous le savons bien, ne dépend pas uniquement de l’institution scolaire.
C’est d’ailleurs à cette logique que répondent les dispositifs que nous appelons « parcours d’excellence » et que nous développons en cette rentrée scolaire. Ces parcours – je n’en dirai qu’un mot car il n’en a pas été question ce soir – permettent, dans les réseaux d’éducation prioritaire, un accompagnement des élèves, depuis la classe de troisième jusqu’à la classe de terminale, par des tuteurs étudiants ou salariés d’entreprises volontaires. Leur mission consiste à ouvrir les horizons, lutter contre l’autocensure, apprendre aux élèves à mieux s’informer et s’orienter.
La trajectoire de l’élève, je le disais, ne dépend pas que de l’institution scolaire et il est important de mobiliser l’ensemble des acteurs, sans, bien sûr, priver l’école du rôle qui est le sien.
Mon action, en tant que ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, s’appuie d’abord sur une certaine vision de l’orientation.
Il s’agit de respecter un équilibre, décrit dans le premier article du code de l’éducation. Celui-ci rappelle que le droit à l’éducation passe par l’opportunité, pour chaque élève, « de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation […], de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. »
L’orientation est donc, bien entendu, tournée vers l’insertion professionnelle des jeunes, construite pour tous les élèves, et mobilise l’ensemble des équipes pédagogiques.
Une fois ce cadre posé, quelles sont les conséquences ?
Cela implique d’abord que l’orientation ne soit pas, en effet, monsieur Abate, une étape de tri, à la fin de la troisième, entre ceux qui s’orienteront vers des formations en alternance et ceux qui emprunteront la voie de l’enseignement général.
Vous le soulignez aussi dans votre rapport, monsieur Kennel : nous ne devons pas penser l’orientation au regard de nos impératifs d’affectation des élèves dans les différents établissements scolaires en fonction du nombre de places. Je suis mille fois d’accord avec vous sur ce point.
Enfin, il faut sortir de l’opposition quelque peu stérile entre une école qui serait « adéquationniste », c'est-à-dire gouvernée par les seuls besoins du marché du travail, et une école qui transmettrait des savoirs et des connaissances éthérés sans tenir aucun compte de ce marché du travail.
Sans se résumer à la préparation des élèves au monde du travail, l’école doit penser son offre de formation en lien avec les évolutions à long terme de l’univers professionnel.
À cet égard, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’ouvrir à nouveau une parenthèse.
C’est bien parce que j’ai totalement conscience de cet enjeu que j’ai entamé, en collaboration avec les différents présidents de région, la construction de 500 nouvelles formations, qui seront effectives à la rentrée prochaine.
Leur particularité est de concerner des filières professionnelles qui, sur le fondement des travaux de France Stratégie, ont été identifiées comme comprenant des métiers susceptibles de manquer de main-d’œuvre à l’horizon de dix ans. Ce sont aussi bien les filières de l’aéronautique, de la sécurité, des services à la personne ou, bien sûr, du numérique.
En nous appuyant sur les conclusions de l’institution, nous avons donc commencé à définir ces 500 filières de formation, qui mobiliseront, dès la rentrée de 2017, 1 000 enseignants en lycée professionnel.
Donc, oui, l’école doit penser son offre de formation en lien avec les évolutions du monde professionnel. De ce fait, et vous constaterez que nous convergeons très nettement sur la question, l’orientation ne peut être un choix imposé à un carrefour : elle doit être un parcours progressif, pour tous les élèves, indépendamment de leur filière.
Le fait de penser l’orientation comme un parcours représente un véritable changement de paradigme par rapport aux pratiques qui avaient cours, voilà encore peu, au sein de l’éducation nationale.
Cela a une influence sur l’ensemble de la scolarité des élèves. Ainsi, si nous voulons avoir une appréhension cohérente et sur le long terme de l’orientation, alors la scolarité elle-même doit être cohérente.
C’est cette mise en cohérence que nous avons réalisée depuis 2013.
Nous avons tout d’abord refondé le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, en définissant ce que tout élève doit pouvoir maîtriser à la fin de sa scolarité obligatoire.
Nous avons également révisé les programmes scolaires, pour les neuf années de scolarité obligatoire, en liaison avec le socle repensé – si l’on veut atteindre les objectifs, encore faut-il disposer de programmes cohérents avec ces objectifs !
À ce titre, je vous rappelle qu’avant que nous ne réalisions ce travail, qui n’était en rien mince – tout le monde l’aura constaté –, nous disposions, depuis la loi Fillon sur le socle commun de connaissances et de compétences, de programmes scolaires n’ayant rien à voir avec le socle adopté par les parlementaires.
C’est donc – pardonnez-moi d’entrer à ce point dans les sujets techniques – un travail considérable qui a été réalisé, depuis 2013, pour donner une cohérence à la scolarité, lui assurer une certaine progressivité et faire en sorte que les élèves, concrètement, acquièrent bien les connaissances dont ils auront besoin, y compris pour s’insérer dans le monde professionnel.
Enfin, il ne vous aura pas échappé – le sujet n’a pas été évoqué en soi – qu’une réforme du collège est entrée en vigueur à l’occasion de cette rentrée scolaire.
Cette réforme du collège comprend un lien évident avec l’insertion professionnelle.
Les compétences nouvelles acquises, au travers, notamment, du travail en interdisciplinarité, de l’accent mis sur la collaboration dans le cadre de projets créatifs ou autres, d’une plus grande place accordée à l’oral, de l’apprentissage plus précoce des langues vivantes, offriront aux élèves autant de plus-values qui leur serviront dans le monde professionnel.
La réforme du brevet, qui, elle aussi, entre en vigueur cette année, leur en offrira d’autres.
Ainsi, l’examen prévoit désormais une épreuve orale. Nous savons très bien, en effet, qu’à l’heure actuelle on vous jugera non pas sur la beauté de votre curriculum vitae ou de votre lettre de motivation, mais bien sur votre entretien d’embauche.
Donc, nous avons déjà remis de la cohérence dans la scolarité, et c’est une première réponse à ce besoin d’un parcours menant vers l’insertion professionnelle.
À cela, s’ajoute la construction de l’orientation.
Jusqu’à présent, les élèves – pour résumer – devaient attendre la classe de troisième, donc la fin du collège, pour acquérir leur première expérience professionnelle. Ils le faisaient à travers un stage, et quel stage ! Tous ne parvenaient pas à trouver un lieu d’accueil avec la même facilité et, là encore, il y avait, selon les cas, le stage choisi et le stage subi, voire pas de stage.
Qu’avons-nous changé depuis notre arrivée aux responsabilités ? Quel dispositif avons-nous mis en place, qu’il faut sans doute encore améliorer ? Le parcours Avenir !
Ce parcours, qui commence désormais non pas en troisième, mais en sixième, consiste à offrir régulièrement aux collégiens, pendant toute leur scolarité, des expériences du monde professionnel sous formes très diverses : visites d’entreprise, réception d’entrepreneurs et de chefs d’entreprise dans la classe, création de mini-entreprises permettant d’expérimenter le développement de projet ou la réalisation d’études de marché, etc. Ce type d’activités, grâce au parcours Avenir, fera partie du quotidien des élèves, et ce dès la classe de sixième.
Dans votre rapport, vous estimez qu’il faut prévoir un horaire dédié à l’orientation. Notre préférence va pourtant clairement à ce parcours Avenir, parce qu’il est conçu comme une ouverture culturelle, en articulation avec des contenus disciplinaires. Par exemple, on peut recevoir un chercheur à l’occasion d’un cours de sciences pour qu’il explique à quoi ressemble le monde de la recherche quand on aime les sciences et que l’on veut atteindre l’excellence ; ou bien, pendant le cours d’anglais, on peut faire une expérience de pratique de la langue anglaise en lien avec le monde professionnel.
Nous défendons ainsi l’idée que l’insertion professionnelle vienne « mailler » l’ensemble des enseignements disciplinaires et enrichir les représentations des métiers et des formations pour tous les élèves.
Dans ce parcours Avenir, les conseillers d’orientation-psychologues, que vous avez évoqués, jouent aussi un rôle important. Il faut, à ce sujet, cesser d’opposer le conseiller d’orientation tourné vers l’insertion professionnelle des jeunes et le conseiller d’orientation-psychologue. En effet, il existe bien une psychologie de l’orientation, qui consiste à aider le jeune à faire le lien entre ce qu’il est et ce qu’il veut devenir dans le monde tel qu’il est. Cette dimension doit être reconnue et la création d’un corps unique de psychologues de l’éducation nationale – PsyEN–, de la maternelle au lycée, va clairement dans ce sens ; je vous confirme qu’elle entrera en vigueur cette année. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, participeront à cette nouvelle formation, afin que ces personnels intègrent pleinement les équipes éducatives.
Vous le voyez, avec le parcours Avenir et la réforme de l’ensemble de la scolarité obligatoire, nous aurons en réalité inscrit l’orientation dans un processus progressif, cohérent, continu, qui ne se résume plus à un choix réalisé lors de la troisième, ou à une découverte trop sommaire du monde professionnel.
Notre action en faveur d’une orientation progressive et choisie se déploie aussi par des mesures concrètes concernant certains moments charnières que vous avez relevés dans votre rapport : le passage de la troisième à la seconde, ou celui du lycée à l’enseignement supérieur.
Parlons du premier de ces passages. Chaque orateur s’est exprimé sur l’orientation subie, qui est insupportable et explique bien des décrochages. Je ne m’attarderai pas sur ce sujet : nous avons tous rencontré des jeunes qui nous ont expliqué leur frustration, dix ans après, d’avoir dû arrêter leurs études parce qu’ils avaient été mal orientés…
… et n’avaient pas trouvé de passerelles à leur disposition.
On remarque malgré tout que ces jeunes sont souvent passés par l’enseignement professionnel.
Disons donc les choses clairement : trop souvent, l’enseignement professionnel est considéré, y compris par ceux qui orientent, comme une voie de relégation de jeunes qui rencontrent des difficultés scolaires. Ce n’est pas normal, ce n’est pas pour cela que l’enseignement professionnel a été conçu il y a trente ans, ce n’est pas comme cela que nous le voyons et que nous voulons le valoriser !
Pour remédier à cette situation, qui peut encore exister, parce que les représentations culturelles ont la vie dure, nous avons, à l’occasion de cette rentrée scolaire, pris une décision importante qui est passée inaperçue des médias, comme c’est souvent le cas des décisions qui comptent véritablement. Je vais donc prendre le temps de vous l’exposer.
Pour la première fois, les élèves de seconde professionnelle, qu’ils aient choisi cette orientation ou qu’ils y aient été incités à la choisir, ont la possibilité de changer d’orientation jusqu’aux vacances de la Toussaint. S’ils considèrent, après quelques jours ou quelques semaines, que cet environnement n’est pas fait pour eux et ne leur convient pas, ils peuvent demander à changer d’orientation, soit pour rejoindre une autre filière de l’enseignement professionnel, soit pour aller dans l’enseignement général ou technologique.
Mme Vivette Lopez s’exclame.
C’est une véritable nouveauté qui se concrétise, puisque vous vous êtes intéressés au sujet, par l’ouverture d’un « troisième tour » sur l’application Affelnet aux vacances de la Toussaint. Ce changement d’orientation s’effectue bien évidemment en concertation avec l’équipe pédagogique. Il s’agit d’une innovation très importante, car elle devrait permettre d’éviter que ces élèves n’aient le sentiment d’avoir subi leur orientation.
L’autre moment charnière est le passage de l’enseignement scolaire à l’enseignement supérieur. Parler d’orientation à ce moment conduit trop souvent à parler beaucoup de la plateforme d’admission post-bac, ou APB, même si, je le répète, APB n’est pas et ne doit pas être un outil d’orientation. Il s’agit d’un outil dédié à l’expression des vœux, qui est la dernière étape de l’orientation.
L’orientation, le projet d’entrée dans l’enseignement supérieur doit se construire bien en amont, et non pas au moment où le lycéen saisit ses vœux, au deuxième ou au troisième trimestre de l’année de terminale.
Il doit être élaboré, d’une part, grâce à la découverte des métiers et à l’élaboration de son projet professionnel par l’élève et, d’autre part, avec la découverte de l’offre de l’enseignement supérieur. Concrètement, c’est désormais dès la classe de première que le conseil en orientation doit trouver sa place, comme nous le faisons de plus en plus.
Bien sûr, APB est un outil souvent perçu comme complexe, …
… beaucoup plus par les parents, d’ailleurs, que par les jeunes eux-mêmes, qui se déclarent très satisfaits lorsqu’ils sont interrogés.
Il est donc nécessaire que l’apprentissage de la maîtrise de cet outil soit également anticipé et son fonctionnement bien présenté au sein du lycée. Ce dernier point vaut autant pour les élèves, dès la classe de première, que pour les équipes pédagogiques, afin que les enseignants puissent aider leurs élèves au quotidien.
Pendant l’année scolaire 2015–2016, à ma demande, une expérimentation portant sur l’accompagnement rapproché des lycéens a été menée dans cinq académies. Les équipes pédagogiques des lycées devaient se concentrer sur les lycéens repérés comme ayant formulé des choix d’orientation problématiques par rapport à leur profil ou à leurs chances de réussite dans la filière visée. Ces jeunes ont bénéficié d’un accompagnement beaucoup plus personnalisé : ils ont pu notamment être reçus par les enseignants pour pallier leur connaissance défaillante des réalités des filières du supérieur.
Cette expérimentation a donné des résultats assez extraordinaires, c’est pourquoi nous la généralisons cette année. C’est l’occasion pour moi de préciser – je suis sans doute un peu brouillonne, mais tous les sujets se tiennent – que nous sommes tous contre le tirage au sort dans l’enseignement supérieur, c’est une évidence, car cette pratique nous heurte tous.
Entre la rentrée universitaire de l’an dernier et celle de cette année, nous avons réussi à réduire de 60 % le nombre de filières qui recourent au tirage au sort. Nous l’avons fait notamment grâce à l’information en amont dispensée auprès des élèves de terminale, avant la saisie de leurs vœux dans APB, sur leurs chances de succès, les capacités d’insertion professionnelle offertes par les filières, etc. Il faudra poursuivre dans cette voie.
En même temps, nous agissons aussi pour favoriser un parcours cohérent entre le lycée et l’enseignement supérieur. Je reprendrai l’exemple des bacheliers professionnels, parce qu’ils constituent un sujet à part entière, dans la mesure où personne ne peut se satisfaire que leur taux de réussite en licence soit seulement de 3 %, même si l’on ne peut que se réjouir de leur aspiration à poursuivre des études supérieures. Ici encore, agir pour l’orientation, c’est tenir compte de la singularité des voies et des filières.
Les lycéens professionnels sont les seuls bacheliers à être formés en alternance. Il est donc logique qu’ils puissent aussi poursuivre leurs études supérieures en alternance, puisque cette modalité constitue leur plus-value, qu’ils y sont habitués et qu’elle leur convient. Autrement dit, il est très important que les bacheliers professionnels trouvent des places en BTS, puisque c’est dans cette filière que leur taux de réussite est le plus élevé, de huit à dix fois supérieur à celui qui est observé en première année de licence.
Nous avons donc décidé, premièrement, d’instaurer des quotas de places réservées aux bacheliers professionnels en BTS et, deuxièmement, de créer 10 000 places nouvelles en BTS sur les cinq ans qui viennent, à raison de 2 000 places par an à partir de 2017. Ainsi, les bacheliers professionnels pourront poursuivre leurs études de manière cohérente et y connaître eux aussi le succès.
Nous agissons donc, vous le voyez, sur l’orientation scolaire en recourant à des leviers qui lui sont spécifiques, mais nous agissons aussi à une échelle plus large, en impliquant l’ensemble des acteurs jouant un rôle dans l’orientation.
Concernant les acteurs institutionnels, vous évoquez dans votre rapport un objectif de clarification et de rationalisation de leur organisation. L’idée est très juste et nous avons commencé à l’appliquer.
Aujourd’hui, l’État définit et met en œuvre au niveau national la politique d’information et d’orientation des jeunes dans les établissements scolaires et d’enseignement supérieur. Les centres d’information et d’orientation, les CIO, l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, et les services communs universitaires d’information et d’orientation, les SCUIO, viennent appuyer l’État dans la mise en œuvre de cette politique.
De son côté, la région organise le service public régional de l’orientation tout au long de la vie, le SPRO, et coordonne sur son territoire les actions des autres organismes qui y concourent en direction des publics jeunes et adultes.
Vouloir ouvrir à nouveau, comme vous le suggérez, le débat sur le transfert des CIO aux régions me paraît contre-productif. Nous sortons à peine d’une période difficile : les départements se sont désengagés des CIO et l’État a fait ce qu’il a pu pour remédier à cette situation. On entretiendrait ainsi des inquiétudes qui ont pu légitimement s’exprimer et qui se sont apaisées maintenant. Il me semble donc préférable d’en rester à la situation actuelle. Les conseillers d’orientation-psychologues sont et restent des personnels de l’État comme la loi du 5 mars 2014 le réaffirme. Par ailleurs, cette situation est d’ailleurs favorable à l’élaboration de partenariats et complémentarités entre l’État et les collectivités.
Cela étant dit, je suis d’accord avec l’idée que le SPRO, tel qu’il a été construit par la loi, n’est pas pris en main de la même façon par toutes les régions. Beaucoup de travail reste à faire sur ce sujet.
Nous associons aussi davantage les parents, autres acteurs importants, au processus d’orientation, et nous le faisons avec plus de transparence. Votre rapport le précise à juste titre, la confusion entre le processus d’orientation et l’affectation est fréquente chez les parents. C’est pourquoi il est très important d’expliquer ces procédures d’orientation et d’affectation aux familles et de les accompagner dans la formulation des vœux de leurs enfants. C’est un enjeu dont nous nous sommes emparés.
À ce sujet, je comprends la demande de transparence des procédures d’affectation qui s’incarnent dans des outils APB et Affelnet : comme vous le savez, nous avons publié l’algorithme qui, dans APB, propose des affectations au recteur lorsque le nombre de candidats dépasse la capacité d’une filière non sélective. Concernant Affelnet, dans le cadre du nouveau système d’évaluation des acquis des élèves à l’école et au collège, sachez que nous travaillons à un cadrage national qui harmonise les pratiques et les critères entre les académies, ce qui permettra de répondre à un certain nombre d’interrogations légitimes.
Enfin, je veux souligner que le principe de coéducation parents-enseignants, qui était au cœur de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, nous a conduits à mener une expérimentation consistant à donner à la famille le dernier mot sur le choix de la voie d’orientation de son enfant. À ce jour, 445 établissements répartis dans 20 académies sont impliqués dans l’expérimentation de ce choix ouvert aux familles, qui sont de plus en plus nombreuses à souhaiter pouvoir y accéder.
Les premières observations des résultats de cette expérimentation ont montré que l’orientation était davantage préparée, que l’association de la famille contribuait à nourrir un dialogue centré sur le projet de l’élève et que les choix d’orientation des élèves étaient pris en compte bien avant la fin de la troisième. Nous incitons donc d’autres établissements et d’autres académies à mettre en œuvre cette méthode.
Enfin, je veux parler d’un autre partenaire essentiel pour la réussite de l’orientation, à savoir le monde professionnel. Vous me donnez l’occasion ce soir, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous dire à quel point je suis attachée aux relations entre l’école et les entreprises.
Peut-être l’ignorez-vous, j’ai créé des pôles de stage dans chaque bassin d’emploi. Ils visent précisément à répondre aux difficultés rencontrées par les jeunes qui n’arrivent pas à trouver de stage, lorsqu’ils sont en troisième ou en lycée professionnel. Dans chaque bassin d’emploi, nous avons donc créé une structure, appelée « pôle de stage » – il en existe aujourd’hui 330 –, qui a vocation à trouver un stage pour chaque jeune dont la recherche est restée infructueuse. Pour y parvenir, chaque pôle recourt à un réseau d’entreprises de son bassin d’emploi avec lesquelles il a l’habitude de travailler et de communiquer.
Autre exemple – cela devrait vous plaire –, j’ai décidé d’inscrire un stage obligatoire en entreprise dans la formation statutaire des chefs d’établissement.
Enfin, nous avons aussi généralisé l’accès au stage en entreprise pour tous les professionnels de l’éducation nationale, ce qui demande un important travail de mobilisation de nos partenaires.
Dernière idée qu’il faut avoir à l’esprit lorsque l’on envisage le lien entre l’école et l’entreprise, de plus en plus de candidats aux concours de l’enseignement effectuent une reconversion professionnelle. Ainsi, pour de plus en plus de nouveaux enseignants, la réussite au concours ne prélude pas à leur première expérience professionnelle, parce qu’ils ont déjà une vie active derrière eux.
J’insiste sur ce phénomène assez nouveau qui est évidemment lié au retour de la formation initiale et à la création des ESPE. Bien entendu, lorsque la formation initiale a été supprimée, rares étaient ceux qui acceptaient d’affronter une classe sans formation préalable, comme des frites jetées dans l’huile bouillante.
Maintenant que cette formation a été rétablie, les candidats sont de plus en plus nombreux et le fait qu’ils aient déjà une expérience professionnelle contribue à améliorer les relations entre le monde de l’entreprise et le monde éducatif.
Après vous avoir dit tout le bien que je pense du resserrement des relations entre l’école et l’entreprise, j’ajoute qu’il faut que la sensibilisation soit mutuelle. Les entreprises ont aussi un rôle social à jouer et, si elles souhaitent que les élèves les connaissent mieux, elles doivent aussi accepter de se mobiliser pour les accueillir en stage, en troisième ou au lycée professionnel, ou encore en contrat d’apprentissage.
Sur un sujet aussi important, il y aurait encore, vous vous en doutez, bien des choses à dire. J’aborderai cependant deux points avant de conclure.
Tout d’abord, je suis très heureuse de vous avoir tous entendus évoquer la réforme du master qui me tient tant à cœur. Certains d’entre vous se sont légèrement moqués de moi en scandant les mots « accord historique », mais il s’agit bien d’un accord historique, monsieur Grosperrin !
Quatorze ans, même ! Je sais que vous allez en discuter dans une semaine, je ne m’attarderai donc pas plus longtemps. Quoi qu’il en soit, il serait formidable que ce texte soit adopté, car il organise de façon beaucoup plus claire et sécurisante pour chaque acteur les études dans l’enseignement supérieur.
Certes, l’étudiant n’aura pas l’assurance d’être toujours accepté dans le master de son choix, mais quand il aura été admis en M1, il pourra continuer en M2, ce qui, de manière incompréhensible, n’était pas garanti jusqu’à présent. Cette clarification, le droit à la poursuite des études que vous avez évoqué à juste titre, représente une solution équilibrée et je vous remercie donc par avance de voter ce texte.
Ensuite, je souhaite aborder un sujet qui me chiffonne : les chiffres du décrochage. Ce phénomène est évoqué comme une fatalité depuis si longtemps que l’on finit par négliger les bonnes nouvelles, et je vous invite à les marteler autour de vous.
Le chiffre des jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans qualification est passé de 140 000 à 110 000 – encore s’agit-il des chiffres de novembre 2015, j’en annoncerai de nouveaux le mois prochain.
Ces chiffres concernent le flux. Quant au stock, c’est-à-dire le nombre de jeunes de moins de vingt-cinq ans sortis du système scolaire sans aucune solution, il est passé de 620 000 – chiffre cité précédemment – à 492 000. Ce résultat n’est pas encore idéal, mais il est source d’espoir.
Sourires.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je suis très heureuse, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, qu’un travail aussi considérable ait pu être mené dans votre Haute Assemblée. En effet, comme je l’ai dit dans mon propos introductif, la question de l’orientation et de l’insertion professionnelle des jeunes ne relève pas uniquement de la responsabilité de l’école, elle relève de toute la société et c’est bien le message que vous avez fait passer ce soir.
Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde et M. Claude Kern applaudissent également.
Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la mission d’information de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur l’orientation scolaire.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 19 octobre 2016 :
À quatorze heures : débat sur les conclusions de la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France.
À seize heures quinze : déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur les opérations extérieures de la France, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
À dix-huit heures trente : débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016.
Le soir : débat sur les conclusions du rapport d’information Eau : urgence déclarée et sur les conclusions du rapport d’information sur le bilan de l’application de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (nos 616 et 807, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée le mercredi 19 octobre 2016, à zéro heure dix.