Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut une certaine dose de courage pour se retrouver à cette heure avancée, plutôt en nombre, pour évoquer ce sujet – je vous remercie donc de votre présence.
Il faut aussi un certain sens de l’humour, monsieur Grosperrin. Ainsi, je préfère prendre avec beaucoup de légèreté vos derniers propos et concentrerai plutôt mon intervention sur cette question de l’orientation, sujet particulièrement important, qui met en jeu rien de moins que l’avenir de nos élèves et, à travers eux, celui de notre pays.
Je voudrais tout d’abord, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs ayant contribué à l’élaboration de ces conclusions, saluer très sincèrement la qualité de votre travail. Je vous en remercie.
Comme tous les orateurs l’ont souligné, la scolarité convoque, pour chaque élève, un horizon qui ne peut jamais être occulté : l’horizon de l’insertion professionnelle et citoyenne. Certes, il n’est pas le seul de la scolarité, mais nous connaissons tous son importance et l’attente qui est celle des familles et des élèves sur cette question.
Bien évidemment, la meilleure garantie d’une insertion professionnelle réussie, c’est effectivement, en amont, une orientation réussie.
Il y a là un enjeu que l’on doit aborder à la fois avec un sentiment de responsabilité – vous l’avez tous fait ici – et avec une grande humilité.
Un sentiment de responsabilité, car l’école et ses professionnels jouent un rôle majeur, dont j’ai pleinement conscience, dans l’orientation des jeunes.
Une grande humilité, car l’école, clairement, ne peut pas tout, toute seule. Elle n’est pas le seul facteur ; la trajectoire de l’élève, nous le savons bien, ne dépend pas uniquement de l’institution scolaire.
C’est d’ailleurs à cette logique que répondent les dispositifs que nous appelons « parcours d’excellence » et que nous développons en cette rentrée scolaire. Ces parcours – je n’en dirai qu’un mot car il n’en a pas été question ce soir – permettent, dans les réseaux d’éducation prioritaire, un accompagnement des élèves, depuis la classe de troisième jusqu’à la classe de terminale, par des tuteurs étudiants ou salariés d’entreprises volontaires. Leur mission consiste à ouvrir les horizons, lutter contre l’autocensure, apprendre aux élèves à mieux s’informer et s’orienter.
La trajectoire de l’élève, je le disais, ne dépend pas que de l’institution scolaire et il est important de mobiliser l’ensemble des acteurs, sans, bien sûr, priver l’école du rôle qui est le sien.
Mon action, en tant que ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, s’appuie d’abord sur une certaine vision de l’orientation.
Il s’agit de respecter un équilibre, décrit dans le premier article du code de l’éducation. Celui-ci rappelle que le droit à l’éducation passe par l’opportunité, pour chaque élève, « de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation […], de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. »
L’orientation est donc, bien entendu, tournée vers l’insertion professionnelle des jeunes, construite pour tous les élèves, et mobilise l’ensemble des équipes pédagogiques.
Une fois ce cadre posé, quelles sont les conséquences ?
Cela implique d’abord que l’orientation ne soit pas, en effet, monsieur Abate, une étape de tri, à la fin de la troisième, entre ceux qui s’orienteront vers des formations en alternance et ceux qui emprunteront la voie de l’enseignement général.
Vous le soulignez aussi dans votre rapport, monsieur Kennel : nous ne devons pas penser l’orientation au regard de nos impératifs d’affectation des élèves dans les différents établissements scolaires en fonction du nombre de places. Je suis mille fois d’accord avec vous sur ce point.
Enfin, il faut sortir de l’opposition quelque peu stérile entre une école qui serait « adéquationniste », c'est-à-dire gouvernée par les seuls besoins du marché du travail, et une école qui transmettrait des savoirs et des connaissances éthérés sans tenir aucun compte de ce marché du travail.
Sans se résumer à la préparation des élèves au monde du travail, l’école doit penser son offre de formation en lien avec les évolutions à long terme de l’univers professionnel.
À cet égard, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’ouvrir à nouveau une parenthèse.
C’est bien parce que j’ai totalement conscience de cet enjeu que j’ai entamé, en collaboration avec les différents présidents de région, la construction de 500 nouvelles formations, qui seront effectives à la rentrée prochaine.
Leur particularité est de concerner des filières professionnelles qui, sur le fondement des travaux de France Stratégie, ont été identifiées comme comprenant des métiers susceptibles de manquer de main-d’œuvre à l’horizon de dix ans. Ce sont aussi bien les filières de l’aéronautique, de la sécurité, des services à la personne ou, bien sûr, du numérique.
En nous appuyant sur les conclusions de l’institution, nous avons donc commencé à définir ces 500 filières de formation, qui mobiliseront, dès la rentrée de 2017, 1 000 enseignants en lycée professionnel.
Donc, oui, l’école doit penser son offre de formation en lien avec les évolutions du monde professionnel. De ce fait, et vous constaterez que nous convergeons très nettement sur la question, l’orientation ne peut être un choix imposé à un carrefour : elle doit être un parcours progressif, pour tous les élèves, indépendamment de leur filière.
Le fait de penser l’orientation comme un parcours représente un véritable changement de paradigme par rapport aux pratiques qui avaient cours, voilà encore peu, au sein de l’éducation nationale.
Cela a une influence sur l’ensemble de la scolarité des élèves. Ainsi, si nous voulons avoir une appréhension cohérente et sur le long terme de l’orientation, alors la scolarité elle-même doit être cohérente.
C’est cette mise en cohérence que nous avons réalisée depuis 2013.
Nous avons tout d’abord refondé le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, en définissant ce que tout élève doit pouvoir maîtriser à la fin de sa scolarité obligatoire.
Nous avons également révisé les programmes scolaires, pour les neuf années de scolarité obligatoire, en liaison avec le socle repensé – si l’on veut atteindre les objectifs, encore faut-il disposer de programmes cohérents avec ces objectifs !
À ce titre, je vous rappelle qu’avant que nous ne réalisions ce travail, qui n’était en rien mince – tout le monde l’aura constaté –, nous disposions, depuis la loi Fillon sur le socle commun de connaissances et de compétences, de programmes scolaires n’ayant rien à voir avec le socle adopté par les parlementaires.
C’est donc – pardonnez-moi d’entrer à ce point dans les sujets techniques – un travail considérable qui a été réalisé, depuis 2013, pour donner une cohérence à la scolarité, lui assurer une certaine progressivité et faire en sorte que les élèves, concrètement, acquièrent bien les connaissances dont ils auront besoin, y compris pour s’insérer dans le monde professionnel.
Enfin, il ne vous aura pas échappé – le sujet n’a pas été évoqué en soi – qu’une réforme du collège est entrée en vigueur à l’occasion de cette rentrée scolaire.
Cette réforme du collège comprend un lien évident avec l’insertion professionnelle.
Les compétences nouvelles acquises, au travers, notamment, du travail en interdisciplinarité, de l’accent mis sur la collaboration dans le cadre de projets créatifs ou autres, d’une plus grande place accordée à l’oral, de l’apprentissage plus précoce des langues vivantes, offriront aux élèves autant de plus-values qui leur serviront dans le monde professionnel.
La réforme du brevet, qui, elle aussi, entre en vigueur cette année, leur en offrira d’autres.
Ainsi, l’examen prévoit désormais une épreuve orale. Nous savons très bien, en effet, qu’à l’heure actuelle on vous jugera non pas sur la beauté de votre curriculum vitae ou de votre lettre de motivation, mais bien sur votre entretien d’embauche.
Donc, nous avons déjà remis de la cohérence dans la scolarité, et c’est une première réponse à ce besoin d’un parcours menant vers l’insertion professionnelle.
À cela, s’ajoute la construction de l’orientation.
Jusqu’à présent, les élèves – pour résumer – devaient attendre la classe de troisième, donc la fin du collège, pour acquérir leur première expérience professionnelle. Ils le faisaient à travers un stage, et quel stage ! Tous ne parvenaient pas à trouver un lieu d’accueil avec la même facilité et, là encore, il y avait, selon les cas, le stage choisi et le stage subi, voire pas de stage.
Qu’avons-nous changé depuis notre arrivée aux responsabilités ? Quel dispositif avons-nous mis en place, qu’il faut sans doute encore améliorer ? Le parcours Avenir !
Ce parcours, qui commence désormais non pas en troisième, mais en sixième, consiste à offrir régulièrement aux collégiens, pendant toute leur scolarité, des expériences du monde professionnel sous formes très diverses : visites d’entreprise, réception d’entrepreneurs et de chefs d’entreprise dans la classe, création de mini-entreprises permettant d’expérimenter le développement de projet ou la réalisation d’études de marché, etc. Ce type d’activités, grâce au parcours Avenir, fera partie du quotidien des élèves, et ce dès la classe de sixième.
Dans votre rapport, vous estimez qu’il faut prévoir un horaire dédié à l’orientation. Notre préférence va pourtant clairement à ce parcours Avenir, parce qu’il est conçu comme une ouverture culturelle, en articulation avec des contenus disciplinaires. Par exemple, on peut recevoir un chercheur à l’occasion d’un cours de sciences pour qu’il explique à quoi ressemble le monde de la recherche quand on aime les sciences et que l’on veut atteindre l’excellence ; ou bien, pendant le cours d’anglais, on peut faire une expérience de pratique de la langue anglaise en lien avec le monde professionnel.
Nous défendons ainsi l’idée que l’insertion professionnelle vienne « mailler » l’ensemble des enseignements disciplinaires et enrichir les représentations des métiers et des formations pour tous les élèves.
Dans ce parcours Avenir, les conseillers d’orientation-psychologues, que vous avez évoqués, jouent aussi un rôle important. Il faut, à ce sujet, cesser d’opposer le conseiller d’orientation tourné vers l’insertion professionnelle des jeunes et le conseiller d’orientation-psychologue. En effet, il existe bien une psychologie de l’orientation, qui consiste à aider le jeune à faire le lien entre ce qu’il est et ce qu’il veut devenir dans le monde tel qu’il est. Cette dimension doit être reconnue et la création d’un corps unique de psychologues de l’éducation nationale – PsyEN–, de la maternelle au lycée, va clairement dans ce sens ; je vous confirme qu’elle entrera en vigueur cette année. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, participeront à cette nouvelle formation, afin que ces personnels intègrent pleinement les équipes éducatives.
Vous le voyez, avec le parcours Avenir et la réforme de l’ensemble de la scolarité obligatoire, nous aurons en réalité inscrit l’orientation dans un processus progressif, cohérent, continu, qui ne se résume plus à un choix réalisé lors de la troisième, ou à une découverte trop sommaire du monde professionnel.
Notre action en faveur d’une orientation progressive et choisie se déploie aussi par des mesures concrètes concernant certains moments charnières que vous avez relevés dans votre rapport : le passage de la troisième à la seconde, ou celui du lycée à l’enseignement supérieur.
Parlons du premier de ces passages. Chaque orateur s’est exprimé sur l’orientation subie, qui est insupportable et explique bien des décrochages. Je ne m’attarderai pas sur ce sujet : nous avons tous rencontré des jeunes qui nous ont expliqué leur frustration, dix ans après, d’avoir dû arrêter leurs études parce qu’ils avaient été mal orientés…