Intervention de Joël Guerriau

Réunion du 19 octobre 2016 à 14h00
Opérations extérieures de la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau :

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, avant toute chose, je souhaite adresser un message de sympathie à nos soldats, à leurs familles et à l’ensemble du monde combattant qui porte nos couleurs à travers le monde pour assurer la sécurité et la préservation de nos valeurs, de nos intérêts et de notre territoire. C’est au nom de ces femmes et de ces hommes qui font chaque jour le choix du service de notre défense nationale que le Parlement se doit d’exercer sa pleine compétence en matière de contrôle et d’analyse de nos opérations extérieures.

Le volume de ces opérations méritait bien un débat solennel dans le cadre prévu par notre Constitution.

Le rapport préparé par notre commission illustre bien à quel point la notion d’OPEX est évolutive. La Constitution évoque tantôt la guerre, tantôt les interventions à l’extérieur. Les Livres blancs précédents évoquent des périmètres différents. La notion même d’OPEX n’est pas nécessairement la même selon les pays. Dès lors, sans détermination précise de leur nature, il est particulièrement complexe de saisir les OPEX par le droit.

Les dispositions de l’article 35 de la Constitution obligent le Gouvernement à informer le Parlement du déclenchement d’une OPEX et à lui soumettre l’autorisation de la prolonger si elle excède quatre mois. Généralement, le débat sur la prorogation n’a pas vraiment lieu. Les circonstances tragiques justifiant que la France projette ses forces sur des théâtres aussi complexes que l’Irak, la Syrie, le Mali ou le Gabon, plus récemment, éteignent bien souvent la contradiction et donnent finalement pleine compétence au seul Président de la République pour décider d’une telle intervention. C’est assez rare au sein des démocraties occidentales pour être relevé. Le Président américain a besoin du Congrès ; le Premier ministre britannique doit se soumettre à la Chambre des communes.

Dans un monde qui ne déclare plus la guerre, la question de la compétence du Parlement est ici posée. Bien que la révision de 2008 ait permis un progrès, le régime actuel n’est pas pleinement satisfaisant. Dans ces conditions, un rendez-vous annuel, tel que celui-ci, différent du débat budgétaire, serait le bienvenu.

Au-delà de cette pure question de procédure, le débat de ce jour est l’occasion de dresser un bilan de plusieurs années d’opérations extérieures.

Globalement, les objectifs assignés à nos OPEX ont toujours été atteints, quel qu’en soit le prix, notamment humain. Ce sacrifice permanent justifie que les différents exécutifs qui se sont succédé aient toujours eu la volonté de se placer dans le cadre de la plus stricte légalité internationale. Aucune OPEX ne s’est déroulée sans l’appui préalable d’une résolution du Conseil de sécurité ou sans que la France ait été sollicitée par une autorité politique légitime sur place.

La France a fait clairement le choix de mettre son outil de défense à disposition de la résolution de la plupart des plus importants points de conflit à travers le monde. Assurer ponctuellement la défense de pays aux moyens limités – je pense en particulier à notre présence en Mauritanie, au Mali, au Niger, au Tchad et au Burkina Faso –, c’est certes tenir notre rang dans la communauté internationale, mais c’est aussi autant de dépenses évitées à nos alliés étrangers que l’on peut espérer voir consacrées à leur propre développement économique.

Pour autant, ces succès ne doivent pas obvier à notre lucidité.

En 2013, lorsque la ligne rouge de l’utilisation des armes chimiques en Syrie a été franchie, la France n’a pas hésité à manifester sa volonté d’intervenir. Aujourd’hui, quel niveau d’influence avons-nous sur les opérations militaires conduites par la coalition ?

Au-delà du bilan politique, d’importantes questions se posent sur le plan matériel, financier et capacitaire.

Le chef d’état-major de l’armée de l’air, le général André Lanata, a déclaré, lors de son audition par notre commission, que nous avions vingt avions de chasse engagés sur plusieurs théâtres d’opérations extérieures.

Les Rafale opèrent depuis cet été dans le cadre de l’opération Chammal au Levant et les Mirage 2000 participent à l’opération Barkhane dans la bande sahélo-saharienne. Depuis le 28 août dernier, douze avions Rafale sont engagés au Levant. Ils avaient auparavant mené 879 missions, soit 3 683 heures de vol au-dessus de la bande sahélo-saharienne.

De leur côté, les Mirage 2000 ont quitté l’opération Chammal sur un bilan impressionnant : durant vingt et un mois, ils ont décollé tous les jours et toutes les nuits pour mener des frappes aériennes – 829 frappes ont été réalisées sur Daech au-dessus de l’Irak et de la Syrie, pour 1 415 objectifs détruits.

Si, aujourd’hui, les membres de Daech limitent leurs déplacements, se terrent dans des tunnels, c’est grâce à l’arme aérienne. Cela ne suffira pas à mettre à terre une idéologie barbare, mais contribue nécessairement à l’affaiblir.

Deux Mirage 2000-D et deux Mirage 2000-C sont désormais stationnés sur la base aérienne de Niamey. Les moyens matériels et humains de la France sur cette base sont considérables : avions de chasse, avions de transport, avions de ravitaillement en vol, drones…

Le bilan de l’activité aérienne est éloquent. L’engagement de l’armée de l’air peut être salué, mais ne se fait-il pas à flux tendu ? En effet, le contrat opérationnel fixé par le Livre blanc prévoit une capacité de douze avions. Or, comme je l’évoquais à l’instant, nous en mobilisons vingt en permanence.

Pour autant, nous le savons, si notre pays conserve une tradition militaire riche et une compétence reconnue en matière de défense, nos moyens ne sont pas nécessairement à la mesure des risques qui nous entourent. Nous savons dans quel état de tension financière se trouve notre défense.

À cet égard, je souhaite saluer l’importante correction apportée en 2015 à la trajectoire de la loi de programmation militaire, sur l’initiative du ministre Jean-Yves Le Drian. Je salue également l’effort important réalisé pour mettre fin à la décrue des effectifs sans rien enlever au besoin de renouvellement et d’amélioration de notre matériel et de nos capacités industrielles tactiques.

Nos moyens sont limités et les besoins ne cessent de croître, y compris au plan intérieur. Je pense à l’opération Sentinelle et aux conséquences à venir du développement des OPINT comme nouveau cadre de déploiement de nos forces. Et pourtant, même ici, la question des OPEX n’est pas loin. Le sens de nos interventions en Syrie et en Irak est de détruire les fondements du terrorisme. Or le procureur de Paris considère que les victoires sur Daech augmentent le risque d’attentats.

Messieurs les secrétaires d’État, devons-nous craindre le retour sur notre sol de Français endoctrinés et formés militairement en Syrie ? La défense est un continuum que la frontière n’arrête plus désormais.

Dès lors, la question des financements innovants et de leur contrôle se pose, notamment dans un cadre multilatéral et européen. En effet, une fois le Brexit achevé, la France demeurera l’unique puissance militaire au sein de l’Union européenne. C’est sur notre pays que portera prioritairement le poids des responsabilités stratégiques de l’Union européenne. Pour autant, la contribution de nos partenaires européens et de l’Union à nos efforts se limite bien souvent à la mise à disposition de moyens logistiques symboliques.

Aussi, dans l’attente d’une hypothétique défense européenne, demandons une juste reconnaissance de notre rôle de pivot dans la défense de l’Europe. Cette reconnaissance pourrait prendre la forme d’une participation au financement des OPEX d’intérêt fédéral ou d’une déduction annuelle de notre contribution au budget de l’Union européenne – je rappelle que la France est, avec l’Italie, le seul pays à ne bénéficier d’aucun rabais européen d’aucune sorte. Cela faciliterait l’atteinte de l’objectif OTAN de 2 % du PIB dédié à la défense et donnerait du contenu à la tenue d’un débat annuel, conformément à l’article 4 de la dernière loi de programmation militaire.

À travers notre discussion, nous observons le cheminement d’un important questionnement sur le droit interne et européen de la guerre. Les membres du groupe UDI-UC ne peuvent que souhaiter voir ce débat aboutir à un meilleur contrôle parlementaire et, par conséquent, à un encadrement constitutionnel en phase avec la réalité contemporaine des crises internationales.

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