Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable m’a chargé de dresser un bilan de l’application de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, la LEMA, qui fête ses dix ans.
Vous êtes nombreux à vous souvenir du vote de cette grande réforme, qui a restructuré l’organisation de la politique de l’eau en France. Il s’agit aujourd’hui de confronter au temps de la loi celui du réel. En tant que législateur, il est de notre devoir d’évaluer les normes que nous avons votées et de présenter des recommandations adaptées.
Vous connaissez mon attachement à la simplification des normes, et l’inflation normative est un sujet d’actualité, qui nécessite une vigilance sans cesse renouvelée, non seulement sur les lois que nous votons, mais aussi sur les réglementations déjà en vigueur. C’est pourquoi j’ai inscrit ce bilan de la loi sur l’eau dans le droit fil des travaux que je mène au sein de la délégation aux collectivités territoriales sur la simplification des normes.
Lors de la présentation du rapport en commission, plusieurs collègues, notamment Annick Billon et Évelyne Didier, que je salue, ont émis le souhait de pouvoir prolonger le débat en séance publique. Je remercie donc le président Hervé Maurey, ainsi qu’Henri Tandonnet et Jean-Jacques Lozach, auteurs du rapport intitulé Eau : urgence déclarée, d’avoir demandé l’inscription d’un tel débat à l’ordre du jour du Sénat.
C’est pour moi un signal fort et symbolique, puisque ces deux rapports se complètent et apportent deux éclairages essentiels, d’une part, sur les difficultés de la gestion de notre ressource en eau aujourd’hui, d’autre part, sur la nécessité de préparer l’avenir.
Au moment de son adoption, la loi de 2006 visait deux objectifs principaux : premièrement, moderniser le dispositif juridique de la gestion de l’eau qui reposait sur les lois de 1964 et de 1992 ; deuxièmement, atteindre les objectifs fixés par la directive-cadre européenne sur l’eau du 23 octobre 2000, notamment l’obligation de résultat pour parvenir à un bon état écologique des eaux en 2015.
La LEMA comprend 102 articles, dont les plus importants, vous vous en souvenez, tendent à reconnaître un droit à l’eau pour tous, à réformer le régime d’autorisation des installations ayant une incidence sur l’eau, ou encore à modifier le régime dit « du débit affecté ». Je ne vous citerai pas tous ces articles, mais, lors des débats en séance publique de 2006, nous avions souligné l’importance de ce texte pour les élus et les collectivités territoriales, dont les responsabilités sont lourdes en matière d’eau potable et d’assainissement.
Cette importance est toujours d’actualité. En effet, comme en 2006, j’ai pu me rendre compte, au fil des soixante auditions que j’ai menées et de mes déplacements, à quel point l’eau constitue une ressource unique, au centre de nombreuses activités humaines sur nos territoires.
L’enjeu réside donc dans les potentiels conflits d’usages entre ces différentes activités. Quelle hiérarchie faut-il donner à ces usages ? Quelle articulation faut-il trouver sur le terrain ?
Dans ce contexte, dix ans après le vote de la loi, le bilan de son application est mitigé. J’ai perçu, au fur et à mesure de mes travaux, un double sentiment chez ceux qui ont eu à appliquer le texte que nous avons voté.
D’un côté, un attachement aux grands principes et à l’équilibre de ce dernier. Il est vrai que la loi de 2006 a permis d’améliorer la qualité de l’eau et les pratiques qui s’y rattachent. Ces améliorations sont aussi le fruit des efforts considérables des industriels, des agriculteurs et des élus.
Mais d’un autre côté, les mêmes regrettent une mise en œuvre trop complexe : pour beaucoup, la loi n’a pas suffisamment anticipé les réalités du terrain et a apporté des contraintes supplémentaires.
Un grand nombre de mesures sont, aujourd’hui, soit mal appliquées, soit mal mises en œuvre, en vertu d’une interprétation parfois trop idéologique.
J’ai également pu constater de vraies différences selon les territoires, ce qui montre la grande latitude donnée à l’interprétation de la loi par les services qui prennent les décisions locales. C’est notamment flagrant en ce qui concerne l’application du principe de continuité écologique. Cet exemple illustre parfaitement, selon moi, le manque de pragmatisme et de discernement qui peut transformer un principe voté par le législateur en une situation parfois aberrante sur le terrain.
Ainsi, l’effacement des seuils est la solution appliquée quasi systématiquement pour mettre en œuvre ce principe, alors même qu’elle n’est pas forcément la plus adaptée. Les études sur lesquelles s’appuient les services pour prendre ces décisions sont souvent contestables et les philosophies varient d’un département à l’autre. Or l’effacement des seuils met les propriétaires de moulin dans des situations souvent intenables ; ils sont parfois amenés à devoir financer des passes à poissons, dont le coût peut atteindre 300 000 euros…