J'ai plaisir à m'exprimer sur le Grand Paris, que l'on peut écrire au choix avec ou sans « s ». Je l'écris sans « s ». J'aurais pu commencer mon introduction par l'ouvrage de Jean-François Gravier, Paris et le désert français. Je préfère partir du changement du monde, car cet ouvrage concerne l'économie verticale de l'ancien monde, sans réseau, avec des voies de communication en radiales à partir de Paris. Cette époque est heureusement révolue. Il faut sortir de cette vision qui ne prend pas en compte une certaine saturation de l'économie industrielle, ni les sujets de globalisation et, en cherchant à combler le désert français, ne fait que renforcer Paris. Je vais donc vous parler du Paris des métropolisations.
Métropolisation ne signifie pas agrandissement des conurbations, au contraire. Tout le monde a vocation à devenir métropole, mais pas au sens institutionnel - encore qu'avec notre système français, on pourrait avoir 36 000 métropoles.
Le monde change à une vitesse infinie. Lisez et relisez Michel Serres. Nous avons quitté un monde « A » lors de la première crise pétrolière en 1973, et arriverons à un monde « B » lorsque l'énergie ne sera plus le moteur de l'histoire, mais sera complètement décentralisée, avec les bâtiments à énergie positive, les voitures à énergie solaire, etc. Pendant ce temps-là, nous voyons des choses étonnantes. Les ordinateurs quantiques réalisent une infinité d'opérations à la seconde : pour moi qui ai appris à programmer en basique, c'est compliqué. Je me suis modernisé, j'ai appris ce qu'étaient les exaflops, les pétaflops, et au moment où j'ai compris, c'était déjà dépassé. Aujourd'hui, quand on a mal, on ne prend plus de cachet, on vous change le coeur. On vous promet de vivre au moins en bonne santé jusqu'à cent ans. Nous sommes tous là, mais nous pourrions avoir la même réunion, en étant répartis entre Singapour et la Corrèze. Pour paraphraser Michel Serres, nous sommes entrés dans un monde à la topologie sans mesure, où il nous faut tout réinventer : enseigner, gouverner, produire, consommer et vivre ensemble. On ne vend plus, on plateformise, on ne produit plus, on numérise. En somme, il faut tout changer, et c'est à mon sens le rôle des métropoles.
Dans ce monde où tout a changé, où la révolution technique est si forte qu'elle fait passer aux oubliettes le monde d'hier, il y a trois camps - on l'a vécu lors de la Renaissance comme au dix-neuvième siècle.
Il y a ceux qui pensent que c'était mieux avant, voire auparavant, qui ont peur de l'autre et du lendemain, et restent dans un entre-soi, comme hier ou avant-hier. Cela permet tous les communautarismes. Je vous livre un sentiment personnel : les djihadismes ne sont que l'expression la plus radicale des communautarismes de religion, mais il y a aussi les communautarismes de clubs de foot, de barres d'immeubles, de clients de cinéma, de clubs de boules, etc. Cela débouche sur la barbarie.
En face, il y a les Lumières, et entre les deux, ceux qui pensent qu'ils ne sont pas dans le coup. C'est la deuxième option, qui consiste à subir, et conduit au déclin inéluctable. C'est la victoire de la médiocrité : on ne fait rien, et on attend.
Je défends pour le Grand Paris, ce pari, le camp du volontarisme. Dans ce monde incroyable, il nous appartient, à nous tous car nous ne sommes plus dans une société verticale, de construire ce monde. C'est difficile, et exaltant, et il faut douter. Je crois que Nietzsche disait : « ce n'est pas le doute qui rend fou, c'est la certitude. » La métropolisation de Paris, c'est le choix de dire qu'on peut travailler pour que pour longtemps encore, la France ait l'intelligence et crée l'avenir.
La métropolisation du monde est une chance pour répondre à ce pari. Si nous travaillons ensemble, nous pouvons faire des choses. Que nous appartient-il de faire ? Croire que sur un territoire dense, partagé, intelligent, avec des citoyens éclairés pour la démocratie, on peut créer. Créer une métropole, c'est créer quatre choses : de la richesse, de la connaissance, du lien social, de l'émotion culturelle. C'est ouvert à tout le monde, mais il faut bien avoir ces quatre créations en tête.
Pour que cela fonctionne, il faut affirmer qu'une métropole ne s'oppose pas aux territoires ruraux. D'après les analyses d'Olivier Todd, il n'y a pas d'antinomie entre les territoires métropolitains et les territoires dits résidentiels, que l'on appelle en France les territoires ruraux. Ceux-ci vivront mieux si la France est irriguée de métropoles rayonnantes. L'attractivité d'une métropole ne se mesure pas à sa force d'absorption des territoires autour, mais à sa force de rayonnement. Sinon, elle ne crée pas de lien social et se renferme. Certaines zones rurales ou résidentielles vivent bien de l'agriculture, du tourisme.