Intervention de Bernard Cazeneuve

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 juin 2016 à 16h17
Schéma national d'intervention — Audition de M. Bernard Cazeneuve ministre de l'intérieur

Bernard Cazeneuve, ministre :

Monsieur le Premier ministre, je me propose, si vous en êtes d'accord, de commencer par le sujet principal de cette audition puis de répondre à l'ensemble des questions que vous avez soulevées.

Je veux tout d'abord vous remercier de votre invitation, qui me permet de revenir devant votre commission pour présenter les grands axes du Schéma national d'intervention, lequel constitue le coeur de notre nouvelle doctrine de mobilisation des forces spécialisées de la gendarmerie et de la police nationales - GIGN, RAID et BRI - en cas d'attaque terroriste.

Comme chacun le sait, les menaces auxquelles nous devons faire face ne cessent d'évoluer. Jamais la menace terroriste n'a été aussi élevée qu'aujourd'hui : les menaces formulées par Daech dans une vidéo diffusée avant-hier témoignent de la vigilance absolue qui doit être la nôtre. C'est la raison pour laquelle nous avons nous-mêmes le devoir d'adapter sans cesse nos dispositifs de riposte et d'optimiser les moyens et les modalités d'intervention de nos forces.

À tout moment et en tout point du territoire national, en métropole comme outre-mer, nous devons être capables, dès lors qu'une attaque est perpétrée sur notre sol, de réagir avec une efficacité maximale, et ce dans les plus brefs délais.

S'il doit y avoir une attaque terroriste ou une tuerie de masse, l'objectif est de pouvoir projeter les forces spécialisées les mieux à même de neutraliser les individus, déterminés à tuer, dans les meilleurs délais.

En cas de tuerie de masse, c'est en effet durant les premières minutes que les terroristes font le plus grand nombre de victimes. Afin de livrer dans des conditions optimales cette « guerre du temps », j'ai souhaité l'élaboration et la mise en oeuvre d'une nouvelle doctrine d'intervention, reposant sur un nouveau schéma national de mobilisation des forces en cas de tuerie de masse ou de tuerie planifiée.

Notre constat de départ était le suivant : en matière d'antiterrorisme, et notamment sur le plan opérationnel, nous avons - chacun l'a compris - changé d'époque. L'heure est à l'unité, à la mutualisation et à la coopération entre les forces.

Deux types de modes opératoires, qui étaient encore inédits à une période récente, coexistent en effet sur notre sol : d'une part, des assassinats ciblés par arme de poing ou arme blanche, perpétrés par des individus radicalisés qui passent à l'acte de façon isolée - ce fut manifestement le cas, la semaine dernière, à Magnanville - et, d'autre part, des tueries de masse et des attentats multisites commis à l'arme de guerre et au moyen d'explosifs - notamment de ceintures d'explosifs - par des terroristes entraînés, selon des plans minutieusement préparés et mis en oeuvre depuis l'étranger.

Parce que le risque zéro n'existe pas, nous avons donc l'obligation de prévoir en amont les moyens de réagir à une séquence d'attentats de haute intensité. C'est dans cet esprit d'anticipation que nous nous sommes employés à travailler ces derniers mois.

Avant d'entrer dans le détail du Schéma national d'intervention, je veux rappeler que son élaboration s'inscrit de façon cohérente dans le cadre d'un renforcement global de notre dispositif de sécurité. Depuis 2012, le Gouvernement s'est efforcé de consolider successivement les trois piliers sur lesquels repose notre système d'intervention.

Tout d'abord, une riposte de proximité, constituée par les policiers de la sécurité publique et les gendarmes des brigades territoriales, lesquels, par définition, sont les premiers à se rendre immédiatement sur les lieux d'un attentat. Ils forment, par là même, le premier maillon de la chaîne opérationnelle.

C'est la raison pour laquelle, je vous le rappelle, nous avons consenti, depuis 2012, un effort national sans précédent de recrutements dans la police et dans la gendarmerie. D'ici à la fin du quinquennat, 9 000 emplois auront été créés dans les deux forces.

Ensuite, les brigades anti-criminalité, les BAC, des commissariats et les 150 Pelotons de surveillance et d'intervention de gendarmerie, les PSIG, de type « Sabre ». Ces unités d'intervention intermédiaire, qui quadrillent le territoire national, forment un échelon absolument décisif en cas d'attaque.

Déployées dans les plus brefs délais, elles jouent un rôle absolument déterminant pour stabiliser les situations de crise les plus délicates, neutraliser les criminels ou les empêcher de fuir en les fixant sur les lieux de l'attentat.

C'est la raison pour laquelle j'ai décidé, dès le mois d'octobre dernier, avant même que les attentats du mois de novembre ne soient perpétrés, d'engager un effort massif -le Plan BAC-PSIG 2016 - afin qu'elles disposent de la formation et des moyens matériels nécessaires pour faire face à de telles situations.

Enfin, le troisième et dernier pilier de notre dispositif est constitué par les trois forces d'intervention spécialisée de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la préfecture de police, le RAID, le GIGN et la BRI, ainsi que par les 19 unités d'intervention déconcentrées, réparties sur l'ensemble du territoire, qui interviennent dans les cas les plus graves.

Depuis 2012, les forces spécialisées ont progressivement adapté leurs doctrines d'emploi, comme leurs schémas tactiques et opérationnels d'intervention, tandis que leurs équipements ont été significativement renforcés et modernisés.

Ainsi, dès juillet 2014, l'effort de coopération et d'intégration des forces a d'ores et déjà conduit les chefs du RAID et du GIGN à définir une doctrine commune organisant la collaboration de ces deux unités en cas de crise grave.

Ce dispositif a été mis en place pour la première fois en janvier 2015, permettant l'engagement simultané du GIGN et du RAID à Dammartin-en-Goële et à la porte de Vincennes.

De même, une collaboration étroite a été engagée entre le RAID et la BRI dans le cadre de la Force d'intervention de la police nationale, la FIPN, que j'ai déclenchée pour la première fois le 9 janvier 2015.

Par ailleurs, nous avons renforcé les capacités de projection rapide des forces d'intervention, dans la mesure où la menace terroriste ne se concentre pas uniquement sur Paris et son agglomération.

Les sept groupes d'intervention de la police nationale situés à Lille, à Strasbourg, à Lyon, à Nice, à Marseille, à Bordeaux et à Rennes ont ainsi été transformés en antennes régionales du RAID, capables d'effectuer les mêmes interventions que l'échelon central.

Face à la même nécessité, le GIGN a mis au point un plan d'assaut immédiat qui repose sur un départ immédiat des premières équipes mobilisées, capables de quitter la base de Satory entre 15 et 30 minutes, 24 heures sur 24 et 365 jours par an.

Par ailleurs, les antennes régionales du GIGN, comme celles du RAID, sont en mesure d'engager, dans de très brefs délais, une colonne d'assaut d'une dizaine de gendarmes, et par là même de traiter toute situation de crise extrêmement grave.

La mise en place du Schéma national d'intervention est venue parachever cet effort d'adaptation et de modernisation.

Après avoir renforcé chaque maillon de la chaîne opérationnelle, l'ultime étape de notre travail de réélaboration doctrinale impliquait en effet d'établir avec précision non seulement le rôle respectif joué par les différents échelons d'intervention, mais aussi les modalités de coopération et le partage des compétences entre les forces.

Après les attentats de novembre, à ma demande, et sur la base d'un mandat commun que j'ai confié au préfet de police et aux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales, l'Unité de coordination des forces d'intervention, 1'UCOFI, a ainsi travaillé à l'élaboration de ce Schéma national d'intervention, dont je veux à présent vous exposer les innovations et les grandes articulations.

Tout d'abord, dans la continuité des décisions prises depuis 2014, nous renforçons encore davantage le maillage des forces d'intervention chargées du haut du spectre afin d'assurer une couverture optimale de l'ensemble du territoire national.

Ainsi, nous créons trois nouvelles unités du RAID à Toulouse, à Montpellier et à Nancy. La BRI de la préfecture de police voit, quant à elle, ses effectifs abondés de manière très significative.

Parallèlement, nous transformons les Pelotons d'intervention interrégionaux de gendarmerie, les PI2G, en « antennes GIGN », dont nous créons trois nouvelles entités à Nantes, à Reims et à Tours, tandis qu'une unité supplémentaire des groupes des pelotons d'intervention - l'équivalent ultra-marin des PI2G - est créée à Mayotte.

Ensuite, dans le cadre du Schéma national, nous avons décidé d'instaurer une procédure d'urgence absolue : en cas d'attentat, il est en effet impératif que les antennes du GIGN et du RAID puissent intervenir dans les meilleurs délais, là où elles sont présentes, sans être entravées par des procédures trop complexes.

Ce principe d'urgence absolue repose sur une idée simple : en cas de crise majeure, il revient aux unités d'intervention spécialisée et aux unités d'intervention intermédiaire qui sont les plus proches du lieu où l'attentat a été commis d'intervenir immédiatement, sans avoir jamais à se préoccuper de la zone de compétence ou du découpage administratif entre police et gendarmerie. De la sorte, nous allons gagner en réactivité et, par là même, en efficacité.

Ainsi, une brigade anti-criminalité de la police nationale, dès lors qu'elle est à proximité du lieu de l'attentat au moment de sa commission, pourra assurer la primo-intervention en zone de compétence de la gendarmerie, tandis qu'une antenne du GIGN pourra intervenir en zone de compétence de la police nationale, dans la mesure où elle est alors immédiatement disponible et la mieux dimensionnée pour neutraliser un commando terroriste.

Néanmoins, cette procédure d'urgence absolue ne remet pas en cause l'organisation territoriale traditionnelle des forces de sécurité intérieure.

Pour dire les choses plus simplement, j'ai défini des zones d'intervention du RAID et du GIGN et j'ai densifié les implantations des antennes du RAID et du GIGN de manière à avoir une couverture totalement optimale du territoire national qui permette à ces antennes d'intervenir, le cas échéant, au plus près du lieu où la tuerie de masse serait commise.

À Paris, la direction des opérations revient au préfet de police. Là aussi, nous avons fait en sorte d'impliquer tous les acteurs de la gestion de crise en simplifiant considérablement les saisines. Sous l'autorité du préfet de police, le RAID et le GIGN pourront ainsi intervenir en appui de la BRI si les circonstances l'exigent. Nous considérons en effet qu'en toute chose le principe d'intérêt général doit primer.

En outre, nous allons élargir la coopération départementale entre la police et la gendarmerie dans les dispositifs de riposte en cas d'attaque terroriste et de tuerie de masse. Elle sera désormais organisée par les directeurs départementaux de la sécurité publique et les commandants de groupement dans le cadre de la coordination opérationnelle renforcée des agglomérations et des territoires, la CORAT.

Nous avons en effet considéré que nous devions aller plus loin, en approfondissant cet effort de collaboration.

Repérer les cibles potentielles et les édifices les plus sensibles, anticiper la primo-intervention 24 heures sur 24, prévoir l'interopérabilité des différentes unités mobilisées, organiser des exercices conjoints entre les forces locales de police et de gendarmerie : ce sont là autant de nécessités qui doivent devenir, dès à présent, pour les effectifs concernés, des habitudes opérationnelles dans l'ensemble des départements, une garantie d'une meilleure efficacité de l'intervention des services.

C'est donc la raison pour laquelle ce Schéma national d'intervention étend cette coordination opérationnelle de l'urgence à l'échelon interdépartemental et entre les différentes zones de défense et de sécurité.

Par ailleurs, il était nécessaire que nous rationalisions notre dispositif de prise de décision et de conduite des opérations.

En cas de crise, il faut éviter à tout prix la multiplication, et par là même la concurrence, des centres de décision. Non seulement cela pourrait nuire à la rapidité de notre réaction commune, mais surtout cela risquerait d'entraîner la dilution de toute décision, aboutissant ainsi à des actions contre-productives, voire dangereuses pour les effectifs mobilisés, ainsi que pour les éventuels otages.

Voilà pourquoi, dans le cadre du Schéma national, une articulation plus cohérente du commandement et de la coordination des opérations d'intervention spécialisée est mise en place.

Un seul et unique chef des forces d'intervention sera désormais à la manoeuvre sur les lieux d'un attentat : le commandant des opérations d'intervention spécialisée.

De même, un seul coordinateur sera nommé en cas d'attaques multiples sur une même zone de compétence : le coordinateur des opérations d'intervention spécialisée.

Nous avons ainsi voulu clarifier l'ensemble du dispositif, le rendre plus fluide et plus réactif, en renforçant le positionnement des chefs d'unités d'intervention spécialisée, ainsi que la cohérence de la tactique opérationnelle qu'ils mettent en oeuvre.

Comme vous le savez, les forces d'intervention ont développé des compétences hautement spécialisées dans des domaines précis, leur permettant d'intervenir dans toutes les situations de crise possibles. Le partage et la mutualisation de ces capacités et de ces compétences rares sont indispensables afin d'optimiser une réponse globale et commune.

Ainsi, quand l'opération exige qu'une capacité particulière soit mise en oeuvre, chaque unité d'intervention disposera d'un renfort adapté, apporté par une ou plusieurs autres forces mobilisées.

Dans le cadre du Schéma national, nous recensons l'ensemble des savoir-faire et des moyens propres à chaque unité d'intervention spécialisée. Des évaluations auront lieu régulièrement pour s'assurer en permanence de la détention effective de ces compétences critiques par chaque unité afin de garantir, à tout moment, une capacité de riposte et d'intervention maximale.

Le Schéma national définit et encadre avec précision la mise en oeuvre de la procédure dite du « concours capacitaire » qui doit pouvoir être proposée et appliquée immédiatement, sans le moindre blocage d'aucune sorte, selon deux modalités possibles : par modularité, avec la mise à disposition d'une capacité spécifique d'une unité au profit d'une autre ; ou bien par complémentarité, avec le renforcement d'une unité par une autre selon le principe « force menante, force concourante ».

Des officiers de liaison seront échangés, comme ce fut le cas en janvier 2015, entre les forces d'intervention pour garantir une réactivité maximale dans l'engagement d'une unité au profit d'une autre. Ces officiers joueront un rôle absolument central.

Enfin, nous renforçons le positionnement de l'Unité de coordination des forces d'intervention, l'UCOFI, laquelle intervient sous les instructions conjointes des directeurs généraux.

Elle sera désormais l'instance centrale de la mise en oeuvre du Schéma national d'intervention. Sa mission consiste à faciliter la coordination opérationnelle des unités d'intervention spécialisée grâce à la mise en place de procédures destinées à fluidifier la prise de décision commune.

En lien avec les unités nationales et les directions d'emploi, elle organisera régulièrement des exercices conjoints interforces et sera chargée de l'inspection des capacités propres à chaque unité, de manière à organiser la montée en puissance globale et continue de notre système de riposte et d'intervention.

Je l'ai dit, ce Schéma national vient achever le travail d'élaboration d'une nouvelle stratégie d'intervention, mieux adaptée aux temps nouveaux dans lesquels nous devons entrer forts de nouvelles méthodes de travail.

Jamais la menace terroriste n'a été aussi élevée qu'aujourd'hui. Mais, dans le même temps, jamais la réponse de l'État n'a été aussi forte. Sans jamais ignorer que le risque zéro n'existe pas, nous disposons désormais d'une doctrine d'intervention commune à l'ensemble des forces reposant sur un véritable continuum global de mobilisation et de gestion de crise, depuis l'échelon de proximité jusqu'aux forces spécialisées.

Par ailleurs, nous avons, depuis janvier 2015, mis en place le contrat de protection prévu par le Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale qui se traduit concrètement par le déploiement de l'opération Sentinelle.

Depuis mon audition par la commission de la défense et des forces armées de l'Assemblée nationale, le 23 mars dernier, plusieurs évolutions ont eu lieu.

Tout d'abord, dans le cadre du contrat opérationnel de protection pour l'Euro 2016, les armées ont engagé un effectif de 10 000 militaires, soit 3 000 militaires de plus par rapport au dispositif antérieur. Des capacités rares ont également été déployées, notamment des équipes cynophiles et des dispositifs anti drones.

Par ailleurs, nous avons renforcé la coordination entre les forces armées et les forces de sécurité intérieure.

Enfin, nous sommes en train de mettre en place une cellule de coordination intérieur-défense, la C2ID, au sein du Service du haut fonctionnaire de défense du ministère de l'intérieur.

Une fois opérationnelle, cette cellule sera chargée d'assurer quatre missions : faire un point de situation régulier du déploiement des armées sur le territoire national ; anticiper les évolutions du dispositif ; assurer la fluidité des échanges entre les deux ministères ; assurer le suivi des décisions prises lors des réunions bilatérales entre les cabinets des deux ministères.

Voilà, monsieur le président, ce que je voulais porter à la connaissance de votre commission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion