Intervention de Bernard Cazeneuve

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 juin 2016 à 16h17
Schéma national d'intervention — Audition de M. Bernard Cazeneuve ministre de l'intérieur

Bernard Cazeneuve, ministre :

La position qui a été celle de ce gouvernement depuis le début du mouvement social autour de la loi Travail a été dictée par des principes éminemment républicains d'application en toutes circonstances du droit, malgré des débats et des pressions. Le droit de manifestation est un droit reconnu par les plus hautes normes juridiques de notre pays et il ne peut y être porté atteinte que lorsque les conditions du maintien de l'ordre ne sont pas réunies et qu'il peut y avoir des troubles graves à l'ordre public.

Ce sont ces principes de droit simples qui ont inspiré l'action du Gouvernement et qui ont inspiré également le juge administratif au cours des dernières décennies, lorsqu'il a eu à connaître d'interdictions de manifestations.

J'avais moi-même pris des interdictions de manifestations au mois de juillet 2014 lorsque, à l'occasion de manifestations autour de la situation en Israël et en Palestine, on avait assisté à des débordements de nature antisémite. Des recours avaient été formés devant le juge administratif, qui avait donné raison à l'État parce que le droit avait été rigoureusement respecté.

Bien entendu, pour atteindre cet objectif sans que soit remise en cause la sécurité des personnes et des biens, nous avons mobilisé beaucoup de forces de l'ordre pour beaucoup de manifestations. Depuis le début des revendications sur la loi Travail, on a dénombré près de 2 500 manifestations en France et près d'une vingtaine de journées d'action à Paris.

Nous nous sommes trouvés, au cours des derniers jours, des dernières semaines dans une situation différente.

D'une part, les violences ont atteint un paroxysme à l'occasion notamment de la manifestation de la semaine dernière, où vingt-huit policiers ont été blessés, où des services publics ont été attaqués, le tout avec un niveau de violence inédit. Je pense à ce slogan repris par certains manifestants « un flic égale une balle ». Voilà qui dépasse le concevable, surtout au lendemain de la tragédie qu'ont connue les policiers.

D'autre part, nous avons l'Euro 2016, qui mobilise puissamment les forces de l'ordre, posant un problème de disponibilité de ces forces quand les appels à manifester sont constants.

Enfin, le niveau de menace terroriste est rehaussé, après Orlando, après Magnanville, et les vidéos diffusés par Daech au cours des soixante-douze dernières heures, qui témoignent de la détermination de ces terroristes de continuer à frapper. Je rappellerai également les perquisitions intervenues à Bruxelles.

Telle a donc été la démarche du Gouvernement : respect du droit de manifester - je vous ai donné le nombre de manifestations - et appel à la responsabilité, dans le contexte que je viens de décrire.

Nous avons pensé que, dans ce contexte-là, il fallait rendre compatible le droit de manifester avec les contraintes qui pesaient sur les forces. Car nos forces ont aussi besoin de se reposer.

J'ai proposé un rassemblement sur une place qui permettait de contrôler les entrées et les sorties, de faciliter la dispersion, d'éviter les déambulations dans des quartiers où il y a des commerces, des banques et des équipements publics. Il s'agissait d'éviter le retour des casseurs. Cette proposition a fait l'objet de discussions, mais elle a été refusée.

J'avais même proposé que l'on renonce à la manifestation de demain pour permettre aux forces de l'ordre de se reposer et que l'on travaille à l'organisation d'une manifestation sécurisée la semaine prochaine.

À partir du moment où l'on avait refusé la solution proposée, en tant que ministre de l'intérieur, j'ai pris mes responsabilités et, faute de pouvoir trouver un accord, interdit la manifestation. Quand l'interdiction est tombée, les responsables des organisations syndicales ont souhaité me revoir. Le Président de la République et le Premier ministre m'ont demandé de les recevoir.

Je les ai donc reçus et renouvelé ma proposition d'une manifestation sécurisée, beaucoup moins consommatrice de forces de l'ordre et se déroulant sur un parcours plus court, d'un kilomètre, de Bastille à Bastille, sur des axes sans commerces et plus faciles à sécuriser.

Cette proposition a été acceptée et, par conséquent, j'ai bien entendu autorisé la manifestation.

Il y a donc eu des positionnements affirmés de la part des organisations syndicales et du Gouvernement, positionnements affirmés qui ont conduit à des oppositions, puis à une demande d'ultime rencontre.

Quand chacun affirme ses positions avec fermeté et que, à la fin, il y a une possibilité qui correspond à nos préoccupations, on prend ses responsabilités.

Bien entendu, je dois à la vérité de dire qu'il y a toujours un risque dans ces manifestations. D'où la mobilisation exceptionnelle de la Préfecture de police pour que tout se passe bien.

Je tiens à dire aussi devant votre commission avec la plus grande solennité que l'on ne peut laisser à penser que les instructions ne sont pas données par moi pour interpeller les casseurs : toutes les instructions données par moi sont écrites - je les ai communiquées au président de la commission des lois de votre assemblée, Philippe Bas -, et font l'objet d'ordres d'opération donnés par les préfets aux forces de sécurité, en conformité avec mes orientations.

Deux types d'acteurs politiques alimentent cette rumeur qui ne correspond pas à la réalité. Il y a ceux qui participent à des manifestations où des casseurs interviennent et qui expliquent qu'on laisse faire pour discréditer le mouvement social. Si c'était le cas, nous n'aurions pas procédé à l'interpellation de 2 000 casseurs, les policiers prenant tous les risques pour ce faire. Certains ont été hospitalisés pour des blessures graves ; je me suis rendu à leur chevet.

Mais il y a les autres acteurs, ceux qui ont intérêt à laisser penser que le Gouvernement serait laxiste ; je leur réponds la même chose.

Nous recevons d'ailleurs la critique inverse, certains se plaignant de ce que le Gouvernement serait trop dur, trouvant une certaine consubstantialité entre la violence et la police.

J'ai pour ma part une boussole : ce sont les principes de droit, les instructions claires données au préfet comme aux forces de l'ordre, dans un contexte où la violence prend dans la société occidentale des proportions jamais égalées.

On assassine un parlementaire en Grande-Bretagne. On tue avec une violence inouïe sur la base de sentiments homophobes aux États-Unis - que l'homophobie préside à l'attentat terroriste, c'est quand même monstrueux ! Des policiers sont attaqués chez eux, et je vous invite à aller sur Twitter constater la somme des messages qui s'échangent et le ton utilisé par ces messages.

Quant à moi, je serai, au-delà de toute considération partisane, constamment un farouche républicain qui cherchera par tous les moyens à éviter que la violence ne se diffuse et qui donnera des instructions claires pour cela.

Je rappelle d'ailleurs à tous les contempteurs de la police que, lorsque la police commet une faute - cela peut arriver, et ces comportements individuels n'ont pas vocation à porter atteinte à la réputation de la police dans son ensemble - c'est moi-même qui saisis l'Inspection générale de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, et des suites sont données.

J'aimerais donc que, quand on constate des violences dans les manifestations, plutôt que d'incriminer la police, on commence par les condamner et qu'on remercie les forces de l'ordre pour le travail qu'elles font.

Ce sont des principes républicains simples, mais c'est très difficile dans le contexte qui est le nôtre, d'arriver à faire triompher les principes de responsabilité. Cela exige du temps, parfois des négociations compliquées, ce à quoi nous avons dû faire face au cours des dernières semaines, et nous l'avons fait avec le Premier ministre et le Président de la République ensemble.

La décision d'interdire la manifestation, c'est moi qui l'ai prise, en responsabilité, et les discussions qui ont suivi, je les ai conduites parce que ces problèmes d'ordre public relèvent de la compétence du ministre de l'intérieur.

Si demain il y a des problèmes durant la manifestation, c'est bien entendu moi qui les assumerai.

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