Intervention de Cyril Pellevat

Réunion du 27 octobre 2016 à 15h00
Conférence internationale sur l'évasion fiscale — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain et citoyen

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, Éric Bocquet propose que nous nous interrogions sur l’opportunité de l’organisation d’une conférence internationale sur l’évasion fiscale.

Comme l’ont rappelé les révélations relatives aux Panama papers, l’évasion fiscale est un phénomène global qui contribue à l’appauvrissement des nations. Par définition, un tel phénomène reste toutefois difficile à évaluer. Le rapport d’Éric Bocquet, rendu au mois de juillet 2012, chiffrait le coût minimum de l’évasion fiscale entre 30 milliards d'euros et 36 milliards d’euros pour l’État français. En réalité, cette perte pourrait atteindre 50 milliards d’euros par an. Ce phénomène courant de la vie économique et financière contemporaine a des effets financiers, mais aussi économiques et politiques, délétères.

Dans ces conditions, est-il opportun d’organiser une conférence internationale relative à la lutte contre ce fléau ? Une telle idée suppose que cette problématique ne soit pas d’ores et déjà une véritable préoccupation des décideurs européens et internationaux. Or cette hypothèse ne résiste pas à l’examen des faits.

En effet, que ce soit par le G20 ou par l’Union européenne, des initiatives fortes ont été prises pour assurer une plus grande transparence fiscale et contribuer notamment à l’identification et à la lutte contre les paradis fiscaux.

Au cours du G20 de Londres en 2009, les responsables politiques des principales puissances économiques mondiales avaient déjà qualifié la lutte contre l’évasion fiscale de « priorité absolue ». C’est sur ce fondement et dans le cadre d’une étroite collaboration avec l’OCDE que de nombreux progrès ont dès lors été accomplis.

L’accord multilatéral du 29 octobre 2014, qui prévoit l’échange automatique d’informations à l’échelon mondial, constitue à ce titre une avancée historique. Il se caractérise notamment par le partage de renseignements à la demande des administrations, lorsque celles-ci ont de bonnes raisons de penser qu’une information bancaire dans un autre pays leur serait utile. Il favorise aussi l’échange automatique de renseignements, obligeant chaque pays à demander à ses institutions financières de collecter chaque année des informations sur les comptes détenus via des trusts ou des sociétés par des non-résidents.

À la suite de cette avancée, l’OCDE a lancé le programme BEPS, pour Base Erosion and Profit Shifting, qui cherche à s’attaquer à l’érosion des bases d’imposition et au transfert des bénéfices, conséquences des stratégies fiscales de certaines entreprises. En effet, ces stratégies sont de nature à créer une disjonction importante entre le lieu de création de la plus-value et celui de son imposition.

Pour répondre à ce phénomène et mettre fin à ce que les Anglo-saxons appellent le treaty shopping, c’est-à-dire l’utilisation des failles que laissent subsister les conventions fiscales, le projet BEPS facilite la coopération entre les pays. En effet, on observe parfois que les taux d’imposition sur les bénéfices de certaines entreprises n’ont aucun lien apparent avec leur activité réelle.

Le BEPS préconise encore un reporting pays par pays, obligeant les entreprises concernées à fournir un certain nombre d’informations financières aux administrations fiscales, telles que la localisation de leur chiffre d’affaires ou de leurs actifs.

Pour que le BEPS soit efficace, il ne faut pas que ces données soient publiées. C'est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains s’est opposé aux amendements, qui ont été introduits au cours de la discussion sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit Sapin II, et qui prônaient la publication de ces informations extrêmement sensibles.

Nous sommes en effet attachés à la protection du patrimoine informationnel de nos entreprises. C’est un élément essentiel de leur compétitivité sur les marchés mondiaux.

Comme le rappelait M. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, lors de son intervention devant la commission des finances du Sénat au mois de mars dernier, le projet BEPS est défendu par des pays représentant 90 % de l’économie mondiale, soit l’ensemble des pays de l’OCDE et les huit pays du G20 qui ne sont pas membres de cette organisation.

Une telle convergence sur un projet aussi ambitieux, qui vise à créer un cadre universel propice au développement d’une transparence fiscale globale, témoigne du dynamisme dont fait preuve la communauté internationale sur un sujet aussi crucial.

Nous saluons ces progrès et continuons à défendre une démarche allant dans le sens d’une pleine réciprocité dans l’application de normes parfois très contraignantes pour les entreprises.

Le dernier G20 de Hangzhou n’a d’ailleurs pas manqué de saluer les avancées récentes dans ce domaine. Les membres du G20 ont demandé à l’OCDE de leur fournir d’ici au mois de juin 2017 une liste noire des pays non coopératifs en matière de lutte contre l’évasion fiscale.

Les institutions européennes ne sont pas en reste sur le sujet. La récente amende record infligée par la Commission européenne à la société Apple en raison de ses deux rescrits fiscaux, ou tax rulings, avec le fisc irlandais, en fournit une remarquable illustration.

Dans ce contexte, la Commission européenne a présenté avant-hier son quatrième paquet sur la lutte contre l’évasion fiscale, qui inclut notamment le projet déjà ancien d’assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, l’ACCIS. Il vise dans un premier temps à harmoniser les règles de calcul du résultat imposable des sociétés au sein de l’Union européenne à travers l’adoption d’une base fiscale commune, qui devrait être effective au 1er janvier 2019. Il a pour objectif, dans un second temps, d’harmoniser les mécanismes de consolidation des profits et des pertes au sein d’une entreprise au 1er janvier 2020.

Aujourd’hui, il existe autant de régimes fiscaux que d’États, ce qui crée des disparités poussant certaines multinationales à privilégier le mieux offrant. C’est pourquoi ce projet cherche à créer une base fiscale européenne commune et à mieux encadrer le jeu à somme nulle auquel peut conduire une concurrence fiscale mal régulée, tout en donnant une meilleure visibilité fiscale aux entreprises exerçant leur activité sur le marché unique.

Ces propositions de la Commission européenne vont être transmises au Parlement européen pour consultation et au Conseil européen pour adoption.

Ce bref rappel des avancées que nous avons pu observer à l’échelon international et européen ne signifie pas que le combat contre l’évasion fiscale est gagné. Les mesures du BEPS et du paquet européen doivent encore être appliquées de manière globale.

Ce rappel nous offre cependant un éclairage salutaire sur la question qui nous réunit aujourd’hui. Éric Bocquet appelle à la convocation d’une conférence internationale sur cette question. Or force est de constater que ses vœux ont déjà été exaucés en grande partie : des plateformes internationales de discussion existent déjà et fonctionnent relativement bien.

Le groupe Les Républicains n’est donc pas spécialement favorable à l’organisation d’une telle conférence, qui risque d’apparaître superfétatoire au regard de la pratique internationale.

Si débat il doit y avoir, il doit plutôt porter sur les modalités de mise en œuvre des accords internationaux et le suivi de ces derniers. Cela peut alors nous conduire à discuter de la prise en compte des lanceurs d’alerte dans le cadre de la lutte contre les montages financiers illégaux. Si l’encadrement et la protection de ces personnes ne doivent pas aboutir à la reconnaissance d’un droit à la délation, on voit combien le scandale « LuxLeaks », révélé justement par un lanceur d’alerte, n’est pas étranger au retour de l’ACCIS au rang des priorités de la Commission européenne et à la possibilité d’un consensus européen sur cette question, pourtant loin de faire l’unanimité.

Mes chers collègues, la convocation d’une énième conférence internationale aux contours assez flous ne nous semble donc pas nécessaire. L’enjeu actuel réside plutôt dans l’action et la réalisation concrète du cadre ambitieux que la communauté internationale est en mesure de négocier. C’est de cette manière que nous parviendrons à mettre un terme aux pratiques illégales qui dévoient l’économie mondiale !

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