En tant que responsables politiques, nous avons constamment à faire face à de nombreuses problématiques et difficultés qui empêchent l’ensemble de nos compatriotes de vivre de manière décente et prospère. Notre responsabilité d’élus du peuple est de comprendre et de hiérarchiser les causes des difficultés que nous rencontrons.
Que l’on raisonne en termes d’impact financier ou de lien de cause à effet, l’évitement frauduleux de l’impôt figure en bonne place au sommet de la pyramide de nos problèmes. Imaginer un monde où chacun paierait les impôts et taxes qu’il est censé payer, c’est se lancer dans un exercice de politique fiction très parlant. Éric Bocquet a déjà cité le chiffre : le manque à gagner fiscal pour notre seul pays est évalué à 80 milliards d’euros chaque année. Si cet argent rentrait dans les caisses de l’État, nous pourrions rembourser notre dette, soit un peu plus de 2 100 milliards d’euros, en à peine plus de vingt-cinq ans. Nous pourrions aussi décider de doubler le budget du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Il faut également évoquer tous les bénéfices indirects. En supprimant les circuits permettant de contourner l’impôt, on fait disparaître les relais qui favorisent les trafics en tous genres : armes, stupéfiants, ressources des pays du Sud, corruption… Bref, on peut affirmer sans trop de précaution que l’on vivrait dans un monde plus juste, plus apaisé, plus solidaire !
Dès lors, contrer les pratiques frauduleuses d’évitement de l’impôt constitue une priorité et doit le rester. C’est pourquoi je veux saluer l’initiative du groupe communiste républicain et citoyen qui nous permet de discuter aujourd’hui de ces questions et nous donne l’opportunité de revenir sur ce qui a été fait et sur ce qu’il reste à faire.
Vous avez été nombreux à le dire : pour être efficace, la lutte contre l’évasion fiscale doit trouver une caisse de résonance plus large. Heureusement, ce sujet est réellement en voie de démocratisation. Autrefois, affaire de quelques responsables politiques, experts ou ONG, la question de l’évasion fiscale est désormais clairement identifiée par les opinions publiques. Je partage complètement l’idée qu’il faudrait aller plus loin et que l’ensemble des forces vives, que ce soit les responsables politiques, les citoyens, les médias, les ONG ou les organisations internationales, devraient unir leur forces, s’encourager et même s’astreindre à une plus grande vigilance, pour que nous n’ayons plus à tolérer des comportements inadmissibles.
Le format de la conférence internationale sur le climat pourrait nous donner des idées. Nous avons vu ce que la COP 21 avait apporté à la lutte contre le réchauffement climatique en termes de couverture médiatique et d’appropriation citoyenne des enjeux ou encore de pression politique sur les plus mauvais élèves.
Si des sommes considérables échappent encore à l’administration fiscale aujourd’hui, il faut néanmoins saluer l’engagement des gouvernements successifs depuis 2012. Ceux-ci ont consacré des efforts inédits pour contrecarrer les plans des fraudeurs. Depuis 2012, plus de soixante-dix mesures de lutte contre la fraude fiscale ont été adoptées. La coordination des acteurs, les moyens d’investigation, les obligations de transparence et les sanctions ont été renforcés. En outre, les stratégies de détournement des grands groupes ont été combattues.
Je veux d’ailleurs remercier le Gouvernement d’avoir mis en œuvre une partie des recommandations formulées par les deux récentes commissions d’enquête sénatoriales sur la fraude fiscale, présidées toutes deux par Éric Bocquet. Nous avons saisi toutes les occasions législatives qui nous étaient données d’améliorer les outils existants et d’en créer de nouveaux lorsque c’était nécessaire.
Récemment, le projet de loi Sapin II a renforcé la protection des lanceurs d’alerte. Le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a accru les moyens de TRACFIN, pour traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins. Sur les terrains forts différents de la fraude à l’impôt sur le revenu et de la fraude à l’impôt sur les sociétés, la France a su agir de manière à la fois directe et indirecte, en trouvant les relais internationaux nécessaires pour faire avancer ses idées et défendre ses intérêts.
À l’échelon international, l’échange automatique des données constitue une avancée majeure, qui s’est concrétisée au cours des dernières années.
Sur le plan interne, les performances du Service de traitement des déclarations rectificatives, le STDR, démontrent, année après année, que le Gouvernement, sous l’impulsion de MM. Moscovici et Cazeneuve, puis, maintenant, de MM. Sapin et Eckert, a bien identifié là où l’argent échappait à l’administration et la stratégie à mettre en place pour rapatrier cet argent en France, le tout en comprenant finement, pour l’avoir en partie engendré, le rapport de force international devenu moins favorable aux fraudeurs.
Le STDR a reçu à ce jour 50 000 dossiers et traité 20 000 demandes de régularisation. Pratiquement 30 milliards d’euros ont ainsi été extirpés de l’ombre, auxquels s’ajoutent plus de 6 milliards d’euros en rappels d’impôt et pénalités, ainsi que les revenus induits par l’élargissement de l’assiette fiscale, sur l’impôt sur le revenu et sur l’impôt de solidarité sur la fortune.
Dans le prolongement des travaux de la commission des finances, je suis pour ma part convaincu que le plus grand chantier qui s’ouvre devant nous pour les années à venir concerne, non plus les impôts, mais les taxes et, en premier lieu, la taxe sur la valeur ajoutée.
La TVA, je le rappelle, représente environ la moitié des ressources fiscales de l’État. Le manque à gagner pour l’ensemble des États de l’Union européenne est estimé à 159 milliards d’euros par an, un chiffre de 14 milliards d’euros étant parfois évoqué pour la France.
S’il est nécessaire de prouver à quel point la matière est mouvante, je tiens à signaler que l’idée d’un prélèvement à la source de la TVA dans le e-commerce fait aujourd'hui son chemin, alors même que la proposition qu’un certain nombre d’entre nous avions émise en ce sens, voilà un peu plus d’un an, avait été reçue avec frilosité.
Comme le commissaire européen Pierre Moscovici l’indiquait récemment à la commission des finances, cette idée progresse, et j’y vois le signe que cette bataille se jouera forcément sur le terrain européen : l’Union européenne apparaît bien la mieux placée pour répondre aux défis techniques et politiques que la question pose.
J’y vois également un encouragement à être généreux dans nos efforts, imaginatifs dans nos propositions tant les lignes bougent rapidement, sous l’impulsion des idées découlant des bons diagnostics.
Cela montre enfin que, face à la mutation extrêmement rapide de l’économie et aux stratégies très agressives des grands groupes multinationaux pour diminuer leur facture fiscale, le politique doit être en première ligne, en particulier parce que les obstacles à l’instauration d’une équité fiscale sont de nature politique.
La coordination des initiatives politiques nationales par le biais de l’Union européenne et de l’OCDE – et je veux, ici, saluer le travail réalisé par Pascal Saint-Amans dans ce domaine – demeure une manière d’opérer tout à fait pertinente pour faire progresser nos idées et mettre en cohérence nos intérêts.