Intervention de André Gattolin

Réunion du 27 octobre 2016 à 15h00
Conférence internationale sur l'évasion fiscale — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain et citoyen

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

L’évasion fiscale est à l’évidence l’une des principales causes d’instabilité dans le monde.

Bien que le volume d’une activité clandestine soit, par définition, difficile à évaluer, on estime généralement que son coût annuel avoisine 100 milliards d’euros pour la France et 1 000 milliards d’euros pour l’Union européenne.

Non seulement l’évasion fiscale tend à accroître les inégalités, en soustrayant de la péréquation collective une part considérable de la richesse, mais elle fragilise aussi les fondements mêmes de la démocratie, en dépossédant les décideurs politiques d’une bonne part de leur marge d’action.

La prise de conscience de ce fléau est relativement récente.

À titre de comparaison, alors que la première conférence climatique mondiale eut lieu dès 1979, sous l’égide du programme des Nations unies pour l’environnement, il faudra attendre 1996 pour que le G7 aborde la question des pratiques fiscales dommageables, 1998 pour que l’OCDE pose une définition du paradis fiscal et l’an 2000, seulement, pour qu’elle en dresse une première liste.

Si le problème est désormais largement reconnu, y remédier relève d’un combat difficile, qui bouscule des intérêts par construction puissants. La mondialisation, qui a été voulue libérale, a permis la libre circulation des capitaux sans prendre la peine de l’inscrire dans un cadre de régulation économique et politique. Aussi, à défaut d’outils de gouvernance permettant de piloter l’intérêt collectif, les États se livrent à une concurrence fiscale dans le but de récupérer au moins une partie de cette richesse qui leur échappe indûment, entretenant ainsi un cercle vicieux.

Mettre sur pied une conférence internationale dédiée à la lutte contre l’évasion fiscale, sur le modèle des conférences des parties – les COP – climatiques, permettrait de poser les premiers jalons d’une régulation internationale.

Pour dépasser le seul cadre de l’OCDE et inscrire un tel dispositif dans celui de l’Organisation des Nations unies, il faudrait sans doute créer un nouveau programme des Nations unies, à l’instar de ce qui a été élaboré pour le développement ou l’environnement.

Ces procédures, il faut bien le dire, sont lourdes. Rappelons qu’entre l’adoption de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, au sommet de Rio en 1992, qui a instauré le principe d’une COP, et l’adoption du récent accord de Paris, il s’est écoulé pas moins de vingt-trois ans !

Cela étant, il n’est jamais trop tard.

Une telle initiative, y compris par le seul processus de sa mise en œuvre, pourrait bien sûr contribuer à intensifier la lutte contre l’évasion fiscale et à donner du souffle aux espaces de dialogue déjà existants que sont l’OCDE et l’Union européenne.

Il faudrait simplement éviter le piège qui pourrait consister, pour certains États, à en tirer un prétexte à l’immobilisme, dans l’attente d’un hypothétique consensus.

En effet, les réticences politiques sont encore fortes, et pas seulement dans d’obscurs territoires en marge du concert des nations.

Au cœur de l’Union européenne, l’Irlande, qu’Éric Bocquet évoquait tout à l’heure, mène actuellement une grande campagne publicitaire sur les réseaux sociaux – notamment un réseau social très connu que je désignerai par l’acronyme FB : F comme « fraude » et B comme « book » !–, vantant auprès du monde des affaires, à travers un site intitulé « www.taxinireland.com », ses régimes d’imposition supposés quasi nuls.

Quand j’ai reçu ce message, j’ai tout d’abord cru à un canular. Or quelques recherches suffisent pour tomber sur des sites tout à fait officiels, renvoyant directement aux différentes ambassades européennes d’Irlande pour obtenir des renseignements. Il s’agit là d’une véritable provocation, à quelques semaines de l’affaire Apple, dans laquelle ce pays vient de faire appel de son obligation de recouvrer l’impôt sur les sociétés.

Le projet de la Commission européenne relatif à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, dit ACCIS, que Pierre Moscovici tente actuellement de relancer, avait été une première fois bloqué au Conseil, en 2011, par l’Irlande toujours, mais aussi par le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas. Aujourd’hui, les États semblent plus réticents encore que les entreprises à cette harmonisation : c’est un comble !

Le rapport de force alimenté par divers scandales a néanmoins donné quelques résultats au cours des dernières années : la Suisse remise globalement son secret bancaire, le Luxembourg recule sur les rescrits fiscaux, l’Irlande est mise en demeure de récupérer ses libéralités.

S’il nous faut rester intransigeants à l’égard de ces pratiques de corsaires, nous devons aussi entendre la crainte, légitime, des États, qui redoutent sans cela de perdre leur rang économique dans la compétition internationale.

Ce pourrait, précisément, être aussi le rôle de cette conférence que de tenter de tracer un chemin vers moins de concurrence et davantage de coopération entre les États. Ce n’est qu’au prix de la solidarité économique que nous pourrons endiguer l’agressivité fiscale, grevant les économies nationales jusqu’au sein même de l’Union européenne.

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