Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat touche à sa fin, mais il me semble que nous partageons tous ici une même conviction : il n’est pas de justice, pas d’égalité, pas de souveraineté, sans une juste participation de chacun à l’impôt.
L’évasion fiscale est un phénomène par essence international : elle repose sur l’existence de comptes offshore et sur des montages hybrides ; elle joue sur les différences de législation entre les États, sur le secret bancaire des uns et la complaisance des autres. Il est donc évident qu’il ne saurait y avoir de réponse efficace au seul échelon national, voire européen.
La bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui la prise de conscience est très large. Nous avons, au cours des dernières années, adopté de nombreuses mesures législatives, dont l’efficacité est déjà visible. De fait toutefois, c’est bien à l’échelle internationale que se joue maintenant l’essentiel.
C’est au sommet du G20 de Londres, en 2009, en pleine crise financière, que la politique des « listes noires » de paradis fiscaux a été lancée. Si les premières listes se sont rapidement vidées, le principe lui-même a prouvé son efficacité : en France, la liste des États et territoires non coopératifs permet l’application de mesures fiscales très sévères et, à l’échelle de l’Union européenne, la publication d’une première liste noire est imminente.
À cet égard, rappelons-nous que la commission des finances du Sénat a pleinement joué son rôle lorsque la convention fiscale proposée pour Panama a été rejetée par le Sénat. Adoptée par la suite à l’Assemblée nationale, cette convention est devenue effective et l’affaire nous a permis de nous rendre compte de l’importance des moyens de pression dont nous disposions.
Le sommet du G20 de Saint-Pétersbourg, en 2013, a marqué le lancement du passage à l’échange automatique d’informations fiscales dans le sillage de la loi FATCA, adoptée par les États-Unis, qui deviendra le standard mondial à partir de 2017 ou 2018, selon les pays. Les listes des pays qui entreront dans le dispositif seront assurément édifiantes. C’est aussi lors de ce sommet que l’OCDE s’est vue confier la tâche d’élaborer un plan de lutte contre l’érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices, le fameux projet BEPS.
De fait, l’OCDE a dernièrement acquis un rôle de tout premier plan dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Le G20 prend les décisions, l’OCDE en est la cheville ouvrière – je veux d’ailleurs saluer, à l’instar de certains des orateurs précédents, le travail et le professionnalisme de Pascal Saint-Amans, mais aussi le soutien permanent que lui apporte Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE.
L’Union européenne prend le relais. Elle s’attache actuellement à mettre en œuvre le projet BEPS au travers d’une série de directives. De là proviennent les mesures anti-abus contre les dispositifs hybrides, la définition de l’établissement stable ou encore le reporting pays par pays qui nous a tant occupés ces derniers temps.
De fait, l’OCDE est devenue une sorte de « conférence internationale » permanente en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Il faut le souligner, tous les pays sont invités à participer aux travaux de l’OCDE sur le sujet, bien au-delà des 35 pays membres, et les pays en développement, premières victimes de l’évasion fiscale, sont très actifs dans ce cadre.
D’ailleurs, l’OCDE a quelque peu éclipsé la visibilité de l’ONU en tant que forum de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Un signe qui ne trompe pas : alors qu’il existe un modèle de convention fiscale élaboré par l’ONU, c’est bien celui de l’OCDE qui sert de référence mondiale.
Au titre des instances internationales, on pourrait encore citer le Groupe d’action financière, le GAFI, instance dédiée à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, qui a bien compris les liens pouvant exister avec la grande fraude fiscale. C’est par exemple du GAFI que proviennent les règles en matière d’identification des « bénéficiaires effectifs » des trusts.
Dans ce concert des nations qui se constitue, le rôle des parlements nationaux est essentiel. La fraude et l’évasion fiscales sont des remises en cause du consentement à l’impôt. Elles fragilisent le pacte social et portent en germe tant de conséquences destructrices que les élus du peuple ne peuvent être tenus à l’écart ou se désintéresser de ces questions.
La pression démocratique est un moyen de faire avancer le combat et de le relayer dans les opinions.
Permettez-moi de dire, à cette tribune, que nous devrions veiller à ne pas faire sauter le « verrou de Bercy » avant que le parquet national financier ne dispose d’un dispositif plus opérationnel. Cela ne semble pas être le cas. Mme Houlette elle-même nous disait combien elle aurait du mal à suivre aussi rapidement.
L’OCDE a compris le rôle des parlements nationaux et veille à ne pas être qu’un cénacle de hauts fonctionnaires et d’ambassadeurs : elle a mis en place un réseau parlementaire actif où j’ai eu le plaisir de m’exprimer à plusieurs reprises, en ma qualité de présidente de la commission des finances du Sénat.
L’Union interparlementaire, où je siège régulièrement, est interpellée pour prendre le relais, faire comprendre aux autres parlements du monde que cela relève de leur responsabilité et qu’ils doivent eux aussi l’assumer.
Au sein de l’Europe, la conférence dite de l’article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, le TSCG, conçue comme l’instrument de contrôle démocratique de la mise en œuvre des règles de gouvernance budgétaire et financière en Europe, s’est aussi saisie du sujet.
À Bratislava, voilà dix jours, où je me suis rendue en compagnie du rapporteur général, de Michel Bouvard et de François Marc, les parlementaires représentant les vingt-cinq pays présents ont débattu de la « liste noire » de l’Union européenne et de sa complémentarité avec celle des États membres, ainsi que nous l’avait d’ailleurs indiqué Pierre Moscovici lors de son audition par la commission, voilà quelques semaines.
Je suis convaincue que ces discussions à l’échelon international, entre États et entre parlementaires, sont d’une grande utilité. Ce ne sont pas de vaines paroles : lorsqu’une idée est promue dans de telles instances, il devient plus difficile pour les États de résister au changement.
Le secret bancaire en Suisse ou au Luxembourg serait-il tombé si le G20 et l’OCDE n’avaient pas agi de concert ? En sens inverse, les États ont la possibilité d’aller y défendre « leurs » idées, de faire avancer leurs propositions. Par exemple, le nouveau modèle de convention fiscale de l’OCDE contient des « clauses anti-abus » très ambitieuses, qui sont directement inspirées de la pratique française. Nous y prêtons une grande attention lorsque nous les examinons en commission des finances.
Peut-être un jour aurons-nous une « COP » en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. C’est un défi pour l’humanité au même titre que la préservation de notre planète.
Je remercie Éric Bocquet et le groupe CRC d’avoir demandé l’organisation de ce débat, qui nous permet de faire le point sur les leviers d’action et les stratégies à mettre en œuvre pour faire progresser la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.