Intervention de Martin Kobler

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 31 mai 2016 à 14h35
Audition de M. Martin Kobler chef de la mission d'appui des nations unies en libye manul

Martin Kobler, chef de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye (Manul) :

Je suis très honoré d'être parmi vous afin de contribuer à mettre la Libye en haut de l'agenda. J'ai de bonnes et de mauvaises nouvelles. Mon prédécesseur a négocié pendant plus d'un an l'accord de Skhirat ; il a toujours essayé d'obtenir l'assentiment du parlement de Tobrouk, sans succès. Celui-ci a rejeté la légitimité de l'accord. Lors de mon arrivée, l'an dernier, à la tête de la Manul, je me suis demandé s'il fallait conclure l'accord, même sans ce consentement. Après avoir consulté la communauté internationale, j'ai décidé de promouvoir sa signature afin de créer des faits. Après la tenue d'une conférence à Rome avec 31 ministres des affaires étrangères, les participants au dialogue politique libyen ont signé l'accord à Skhirat le 17 décembre. Nous essayons maintenant de le mettre en oeuvre. Les progrès sont très lents mais réels.

Il existe désormais en Libye trois gouvernements : le Conseil Présidentiel, composé de neuf hommes -malheureusement pas de femmes- qui siège encore à la base navale de Tripoli et qui est à la tête d'un gouvernement qui n'a pas encore obtenu la confiance de la Chambre des Représentants (cette dernière n'a toujours pas été en mesure d'organiser ce vote) ; la Chambre des Représentants à Tobrouk qui était l'autorité reconnue par la communauté internationale jusqu'à l'arrivée du Conseil Présidentiel à Tripoli ; et enfin le Conseil d'État, en fait le gouvernement basé à Tripoli transformé en conseil consultatif.

C'est une chose d'en parler lors de conférences à l'étranger, une autre de le mettre en oeuvre. Nous travaillons en particulier avec les Libyens. L'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est la mise en place du gouvernement issu de l'accord national. Celui-ci s'est installé à Tripoli, la capitale où se trouvent le siège de la banque centrale et celui de l'administration.

Le 30 mars, le conseil présidentiel a commis l'acte héroïque et historique de prendre le bateau de Sfax en Tunisie pour entrer à Tripoli, sans violence. Malheureusement, le vote des ministres proposés au parlement n'a jamais eu lieu en raison de blocage d'une minorité de parlementaires. Une minorité violente a empêché la réunion du parlement en fermant la porte, coupant l'électricité. Les tentatives d'obtenir un vote ont échoué en février et en avril, alors que le quorum était pourtant atteint. Il n'y pas eu de nouvelle tentative.

Que faire lorsqu'un gouvernement existe en théorie, mais qu'il n'a pas la légitimité du parlement ? Il en est ainsi du conseil présidentiel. Je les encourage à se rendre dans les ministères pour travailler avec les fonctionnaires. Or la Libye est un pays qui n'a jamais réellement eu d'institutions fortes. M. Kadhafi a géré la Libye avec l'argent du pétrole ou la répression, mais il a également tenu le pays en neutralisant les institutions. Il faut les revigorer.

Il faut maintenant construire une armée sans pouvoir s'appuyer sur un précédent, sans expérience. C'est un défi inédit. Même le combat contre le colonialisme était tribal. Durant ses quarante-deux ans de pouvoir, M. Kadhafi n'a pas construit d'institutions étatiques fortes. Il n'y avait pas non plus d'armée. On me dit même que l'artillerie était à l'Ouest du pays, et les munitions à l'Est. La Libye étant un non-État, le processus stratégique est très lent. Je suis moi-même impatient. En Irak, où j'ai travaillé, on peut s'appuyer sur cinq mille ans d'histoire militaire. En Libye, sur zéro. Les membres du conseil de sécurité, et moi-même, voulons des progrès rapides, mais nous faisons face à une première fois dans beaucoup de domaines.

Pour les Français, c'est l''expansion du terrorisme qui est le problème principal. Deux factions la combattent à l'est et à l'ouest : l'armée du général Haftar et les milices de Misrata.

Le général Haftar veut combattre Daesh de l'est, et les milices de Misrata veulent le combattre de l'ouest. Le danger est celui d'un choc entre les deux forces, au détriment des populations Libyennes.

Il faut construire rapidement une armée libyenne unie. Sans succès dans la construction et la formation de cette armée, des confrontations militaires éclateront entre les forces de l'ouest et celles du Général Haftar. Il faut l'éviter et soutenir la création de centres d'opérations conjointes. Les forces de Misrata ont recensé des douzaines de morts dans leurs rangs la semaine dernière et affirment avoir tué 200 combattants de Daesh dans l'ouest du pays. Nous devons appuyer le conseil présidentiel afin de mette en place un commandement central contre Daesh.

Jusqu'à présent, le président Al-Sarraj a une légitimité internationale. Il est reconnu et soutenu par la France et les autres membres du conseil de sécurité de l'ONU, par l'Union africaine, par la Ligue arabe et par l'Union européenne, qui ont le même langage sur la feuille de route et soutiennent l'accord politique libyen et le conseil présidentiel. Ils disent que les ministres doivent commencer à travailler en attendant l'endossement officiel du parlement. Mais la légitimité internationale n'est pas suffisante. La survie d'Al-Sarraj est conditionnée à une légitimité nationale qu'il n'a pas encore. Il est perçu comme le président de l'ouest sous la tutelle des frères musulmans et des milices de Misrata qui le protègent. L'accord de Skhirat prône de réduire l'influence des milices et de les intégrer dans une armée conjointe.

A l'Est, certains acteurs voient en Tripoli un groupe d'extrémistes religieux avec lesquels ils refusent de coopérer. À l'inverse, les forces de Misrata et les mouvements religieux sont très opposés au général Haftar, qui constitue pour eux une ligne rouge. Comment réconcilier les deux parties ? Le général Haftar doit avoir un rôle dans la future structure.

Si le progrès politique se fait à la vitesse de l'escargot, les événements militaires sont bien plus rapides. Les militaires agissent.

Le Niger et le Tchad sont horrifiés de l'expansion de Daesh au sud alors qu'ils doivent déjà affronter Boko Haram. Il en est de même pour la Tunisie. La solution militaire pour l'arrêter doit être mise en oeuvre par les Libyens eux-mêmes et non les étrangers. La participation des pays limitrophes est cependant cruciale.

La situation humanitaire est également un problème. La moitié des hôpitaux sont inaccessibles. Beaucoup d'enfants de Benghazi ont perdu leur année scolaire à cause des combats. L'ONU a réussi une campagne de vaccination mais ce n'est pas suffisant. On a un problème de liquidités. Les Libyens ne peuvent pas acheter de nourriture pour le ramadan. Le gouvernement a commencé à prendre en charge les problèmes économiques. Le contrôle de la banque centrale, qui était crucial, a été pris.

Il faut construire une armée composée d'unités sous le commandement suprême du conseil présidentiel, lequel demandera au conseil de sécurité de l'ONU des exemptions à l'embargo. C'est, pour le général Haftar et les autres, une grande incitation à accepter de participer à cette structure conjointe.

Les progrès politiques sont très lents mais ils existent. La situation s'est améliorée depuis novembre 2015. Le conseil présidentiel est à Tripoli. L'idée selon laquelle le gouvernement ne travaille pas est fausse. Celui-ci est comme une ambulance sans plaque d'immatriculation. Malgré ce problème, personne ne dit qu'il faut empêcher l'ambulance d'aller à l'hôpital. Ce n'est pas légal mais totalement légitime. Nous vivons dans le monde réel.

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