Le risque de partition existe évidemment, mais, s'il se produit, on peut plutôt craindre d'assister à un phénomène de fission politique. Le sud, avant même la présence britannique, était partagé en vingt-cinq sultanats... Le danger est d'avoir un territoire incontrôlé, avec tous les trafics possibles.
Certains prétendent que l'un des desseins de l'Arabie saoudite est d'obtenir un accès direct sur l'océan indien, sans passer par le détroit d'Ormuz, contrôlé par les Iraniens...Tout cela reste à confirmer.
Quant au pétrole, il y a beaucoup de contrebandes. Certains événements sont surprenants : de source militaire, un tanker est parti de Djeddah il y a quelques semaines pour livrer Mukalla...En tout cas, les chefs militaires et politiques se muent sans problème en businessmen. C'est notamment le cas de l'un des fils du président Hadi...De même, le général islamiste Ali Mohsen vient d'être récemment nommé adjoint au Chef suprême des armées, poussé par l'Arabie saoudite, ce qui agace beaucoup les Émirats à cause de son appartenance islamiste ; ce général est également un homme d'affaires très entreprenant, basé à Djeddah...
La situation, au-delà des problèmes humanitaires qu'elle induit, au-delà des risques d'instabilité et de terrorisme, a également généré une « économie de guerre » qui profite à certains hommes politiques, militaires, chefs de groupe terroriste. C'est en cela qu'il sera compliqué de ramener tous les acteurs à la raison. Dans les tribus, les jeunes de quinze ans ont plus intérêt à faire partie d'un groupe de terroristes ou de trafiquants d'armes plutôt que travailler, compte tenu de la situation de précarité économique et d'instabilité politique.
Quant à la région dite « neutre », les chefs militaires officiels n'ont pas pris position. Par ailleurs, il n'existe pas d'activités marquées des groupes terroristes, mais Oman se méfie beaucoup et a resserré les passages à sa frontière pour améliorer le niveau de contrôle. Il existe effectivement un risque de déstabilisation de l'autre côté de celle-ci. Oman veille à tout cela et joue un rôle intéressant. Comme vous l'avez noté, Oman ne fait pas partie de la coalition et essaye de servir d'intermédiaire, en accueillant beaucoup de rencontres diplomatiques et politiques. Je m'y suis rendu moi-même à plusieurs reprises, mais Oman est pour le moment considéré par Riyad comme « l'antichambre de Téhéran », donc quelque peu « démonétisé » pour éventuellement accueillir un prochain cycle de pourparlers, alors qu'on a souvent pensé que ce sultanat pourrait jouer ce rôle. Il n'est pas possible que ce soit l'Éthiopie pour d'autres raisons. La République de Djibouti, quant à elle, a un problème de sécurité et de logistique. La Suisse reste donc, pour le moment, le lieu privilégié des pourparlers.
La France se prépare-t-elle ? La meilleure façon de le faire, c'est d'être conscient de ce qui se passe et de s'y intéresser. Le problème du Yémen vient de ce qu'il s'agit d'un conflit sans image en Europe, à l'exception peut-être de l'Angleterre, où la BBC a réalisé plusieurs reportages. Certaines polémiques ont eu lieu, en effet, à propos des ventes d'armes britanniques, sans compter que Britanniques et Américains sont, à Riyad, dans la « war room », contrairement à nous, qui nous contentons de donner des images. Les Britanniques ont vu leurs ventes d'armes rebondir spectaculairement ces derniers mois, ce qui pose évidemment la question de l'embargo ou de savoir ce que l'on peut décider pour mettre un terme à cette guerre.
De toute façon, le Yémen était déjà un pays où le nombre d'armes était trois fois supérieur au nombre d'habitants. On parle de 70 à 90 millions d'armes. On y trouve de tout dans ce domaine. Récemment, le président Saleh a affirmé qu'il existait suffisamment d'armes pour tenir onze ans ! Ces armes arrivent notamment par l'Arabie saoudite, mais sont parfois cédées ou vendues et se retrouvent dans des mains ennemies. On est en effet dans un système tribal, où la loyauté peut se diriger parfois vers le plus offrant...