Intervention de Jean-Marc Ayrault

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 2 mars 2016 à 17h30
Situation internationale — Audition de M. Jean-Marc Ayrault ministre des affaires étrangères et du développement international

Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement durable :

Je m'inscris dans la continuité de mon prédécesseur Laurent Fabius, dont je salue l'action. Notre politique étrangère a traditionnellement vocation à rassembler les forces politiques au-delà des différences de sensibilité, car tous nous sommes soucieux de l'influence et du rôle de la France dans le monde. Il est important que le ministre des affaires étrangères soit entendu par les commissions parlementaires autant que celles-ci le souhaitent et c'est dans cet esprit que je me présente devant vous.

Le ministère dont je prends la tête a élargi son champ de compétences ; je compte en exercer la plénitude des missions, y compris dans la dimension économique, le commerce extérieur et ce que l'on appelle la diplomatie d'influence. J'ai ainsi réuni hier l'ensemble des partenaires du tourisme pour répondre aux défis qui touchent le secteur, durement affecté par les attentats.

Bien entendu, il y a les priorités immédiates, notamment la gestion des crises, à commencer par celles qui touchent la Syrie ou la Libye. Demain, je présiderai une réunion en « format Normandie » sur l'Ukraine, après un voyage à Kiev avec mon homologue allemand Frank-Walter Steinmeier. Vendredi - le lendemain du sommet franco-britannique - je retrouverai Philipp Hammond et Frank-Walter Steinmeier pour une réunion sur le dossier syrien, en format E3, à laquelle j'ai également convié Federica Mogherini.

L'Europe fait aussi partie des priorités. Nous sommes entrés dans une zone d'incertitude accentuée par la crise des réfugiés. Il y a de quoi être inquiet tant la situation est grave. Le Président de la République rencontre la Chancelière Merkel vendredi matin pour préparer le Conseil européen du 7 mars. Si l'Europe n'aborde pas la question de façon solidaire et responsable, nous serons en grand danger. Certaines initiatives, comme celle de l'Autriche, en vue de fermer la route des Balkans, peuvent aboutir à une véritable remise en cause de Schengen, alors que la solution à cette crise ne peut être qu'européenne. Certains prétendent, comme l'a fait un député hier, que Schengen est déjà mort ; une telle issue mettrait le projet européen en péril, il faut en être conscient.

Les sommets de la dernière chance se succèdent. Mais, il faut être conscient que nombre de décisions ont déjà été prises sur la question des réfugiés : le renforcement de la surveillance des frontières extérieures, les hot spots, un programme de relocalisation des demandeurs d'asile. La situation devient dramatique en Grèce, alors que l'ARYM a fermé sa frontière : nous ne pouvons abandonner notre partenaire grec. Les hot spots se mettent en place, la France y contribue en dépêchant des moyens et en contribuant ainsi à mieux contrôler la frontière extérieure : autant de mesures concrètes. Sur la relocalisation, la France doit aussi prendre sa part. Nous avons prévu d'accueillir 30 000 réfugiés sur un total de 160 000, et notre engagement sera tenu. J'ai pu constater que les moyens d'accueil, de logement, existent : c'est donc un problème de mise en oeuvre et nous avons la volonté de respecter nos engagements. Certains préfèrent laisser l'Allemagne se débrouiller seule en première ligne. Ce n'est pas le cas de la France, qui prendra sincèrement sa part. C'est aussi son intérêt sauf à prendre le risque que la situation se dégrade très vite. A cet égard, le conseil européen du 7 mars sera important, notamment pour notre partenaire allemand qui fait face à des difficultés majeures et est confronté, dans son opinion publique, qui reste majoritairement favorable à l'accueil, à la montée du nationalisme et du populisme.

S'agissant du Royaume-Uni, certains ont vu dans la récente réunion de Bruxelles une rupture historique. Nous n'avons pourtant fait que compiler les statuts particuliers dont le Royaume-Uni dispose déjà au sein de l'Union européenne. Il ne fait pas partie de l'euro, ni de Schengen, et bénéficie d'un protocole sur la justice et les affaires intérieures (JAI). Aucun droit de veto ne lui a été accordé sur un éventuel surcroît d'intégration au sein de la zone euro, pas plus qu'un quelconque avantage particulier à la City. Seul un compromis a été trouvé sur la possibilité de suspendre les seules prestations sociales liées à l'emploi, mais dûment encadrée.

En fait, nous n'avons fait qu'acter une réalité : celle de l'existence d'une Europe différenciée qui nous permet d'envisager, avec ceux qui le veulent, de redonner une dynamique au projet européen, autour de l'Europe de la croissance et de l'emploi, de l'Europe de l'énergie ou du numérique, d'une Europe plus proche de ses citoyens. Mais tout cela ne sera possible que si nous traitons l'urgence, à commencer par la question des réfugiés.

En Syrie, outre la priorité à la lutte contre Daech, nous souhaitons une sortie politique du conflit, la seule voie militaire n'offrant pas d'issue à une guerre qui risque d'embraser la région. La France travaille à cette perspective, en liaison avec ses plus proches partenaires. C'est l'objet de la réunion que j'accueillerai, le 4 mars à Paris, avec nos partenaires du E3, en appui aux contacts du Président de la République, en liaison avec la chancelière et le Premier ministre britannique, avec Barack Obama et Vladimir Poutine.

Aujourd'hui, la priorité est de vérifier l'effectivité du cessez-le-feu, qui n'est pas encore totalement une réalité malgré des avancées, et dont sont naturellement exclus Daech et Jabhat al-Nosra. L'imbrication sur le terrain entre Al Nosra et les groupes de l'opposition modérée sert de prétexte aux Russes et au régime pour poursuivre leurs bombardements.

À Genève, j'ai rencontré Staffan de Mistura, l'envoyé spécial de l'ONU, pour demander une réunion rapide de la task force du groupe international de soutien chargée de vérifier le cessez-le-feu. Les convois humanitaires arrivent difficilement à destination, comme me l'a indiqué le secrétaire général adjoint de l'ONU aux affaires humanitaires, Stephen O'Brien, que j'ai rencontré ce matin, en dépit de certains progrès. Le président du CICR m'a confié que certaines villes rappelaient Dresde en 1945 ou Grozny au début des années 2000. Sans aller jusqu'à l'optimisme dont font parfois preuve les Américains, il faut être déterminé et continuer à soutenir l'opposition modérée. Sans un véritable cessez-le-feu, les conditions ne seront en effet pas réunies pour permettre à celle-ci de participer à la négociation politique voulue par Staffan de Mistura. Je m'entretiendrai demain avec Sergueï Lavrov, en marge de la réunion en format Normandie, de l'Ukraine, mais aussi de la Syrie.

Certains doutent qu'une négociation soit possible, mais souvenons-nous des doutes qui existaient sur la possibilité de parvenir à un accord sur le nucléaire iranien. Nous sommes entrés dans une logique de discussion et de négociation, première étape vers une solution politique. Au-delà de la Syrie, toute la région est concernée. La crise des réfugiés déstabilise le Liban, la Jordanie et la Turquie ; mais un pays comme le Liban a également d'autres problèmes, comme la fragilité chronique de son système politique.

L'engagement américain évolue, pas seulement à cause de la campagne électorale, mais parce que le président Obama a décidé d'un recentrage vers l'Asie ; la situation au Moyen-Orient a un impact indirect sur les États-Unis, mais direct sur l'Europe. En tant que membre permanent du CSNU, au même titre que le Royaume-Uni, nous avons par conséquent un rôle important à jouer.

Autre priorité, celle de progresser vers une approche européenne, en matière de politique étrangère et de défense. Je suis particulièrement attentif à la construction d'une relation de confiance et franche avec notre partenaire allemand. Dans la perspective de la réunion en format Normandie à Paris, je me suis, par exemple, rendu avec mon homologue allemand à Kiev, où notre convergence de vues a été un réel atout. Après les attentats du 13 novembre, la solidarité a été mondiale, mais la première à se manifester a été la chancelière Merkel. Conformément à l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne, répondant à notre appel, le Bundestag a décidé d'engager davantage ses forces militaires : c'est une décision politique courageuse dont la portée reste sous-estimée, face à la réticence d'une partie de l'opinion publique et de la classe politique.

La situation libyenne est difficile et dangereuse : c'est un chaos politique où Daech progresse. L'objectif de l'ONU est la constitution d'un gouvernement d'unité nationale investi par le Parlement et installé à Tripoli, dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Des frappes aériennes ou une intervention militaire sont hors de question. À la conférence de sécurité de Munich, le 13 février, j'ai rencontré le futur Premier ministre, Fayez el-Sarraj, et l'envoyé spécial de l'ONU, Martin Kobler, pour leur apporter notre soutien. Avec nos partenaires, nous avons aussi exprimé notre détermination à peser sur les forces libyennes qui empêchent le processus politique, notamment le président du Parlement, Aguila Saleh.

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