Intervention de Alain Anziani

Réunion du 3 novembre 2016 à 10h30
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique – orientation et protection des lanceurs d'alerte — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux commencer par saluer la qualité du travail parlementaire. Le texte avait initialement 57 articles ; il en comporte aujourd’hui une centaine de plus, mais, c’est cela qui est intéressant, un tiers des 156 articles du projet de loi ont déjà fait l’objet d’un accord entre les deux assemblées. Si nous avons pu progresser, nous le devons notamment – je le dis avec plaisir – au travail de François Pillet, notre rapporteur, et à nos rapporteurs en général, qui ont permis de rapprocher les versions des deux assemblées. Il faut souligner cette convergence en dépit de l’échec de la commission mixte paritaire.

Quand nous avions examiné ce texte en première lecture, il provoquait des inquiétudes sur ces travées – plutôt sur certaines que sur d’autres, d’ailleurs –, à propos notamment du droit d’alerte ou de l’Agence de prévention de la corruption. Maintenant que le travail parlementaire a été conduit, j’ai plutôt le sentiment que chacun reconnaît que nous avions besoin d’un nouvel outil de lutte contre la corruption, en particulier dans sa dimension internationale. Cela manquait à notre pays ; c’était même un paradoxe par rapport à d’autres démocraties. Grâce à ce texte, nous l’obtenons, cela constitue un apport considérable.

Il reste des points en discussion ; vous les avez listés, monsieur le ministre, et mon collègue Richard Yung en fera état pour ce qui concerne la dimension financière et économique. Je veux pour ma part me concentrer sur trois d’entre eux : l’Agence de prévention de la corruption, la définition des lanceurs d’alerte et le répertoire des représentants d’intérêts.

Nous sommes en désaccord sur l’Agence de prévention de la corruption, monsieur le rapporteur. Doit-elle ou non disposer d’un pouvoir de sanction ? Vous l’avez longuement expliqué – votre point de vue est d’ailleurs tout à fait honorable –, vous pensez que toute sanction doit émaner d’un juge, de l’autorité judiciaire. Nous ne sommes pas d’accord avec ce point de vue et nous ne sommes pas les seuls.

À l’Assemblée nationale, le groupe Les Républicains a soutenu l’idée selon laquelle cette agence, pour être efficace, doit pouvoir infliger des sanctions au travers d’une commission des sanctions. En effet, cette autorité administrative ne doit pas être privée de ses bras, de ses forces. Elle n’interviendra d’ailleurs en matière de sanction que dans certains cas : lorsqu’une entreprise de plus de 500 salariés ayant un chiffre d’affaires de plus 100 millions d’euros – un champ finalement assez restreint – ne respectera pas le code de bonne conduite ni ses obligations en matière de prévention de la corruption.

La commission des sanctions aura trois pouvoirs. Premièrement, elle pourra donner une injonction à l’entreprise : « Vous devez vous mettre en conformité avec le code de bonne conduite ! » Cela est-il choquant ? Je ne le crois pas. Deuxièmement, elle pourra infliger une sanction pécuniaire si l’entreprise persiste ; cela est-il de nature à nous étonner ? Je ne le pense pas davantage. Troisièmement, elle pourra rendre la sanction publique par voie d’affichage ou par d’autres moyens d’information. C’est certes beaucoup, mais ce n’est que cela.

Cette sanction ne représente donc pas, contrairement à ce que vous craignez, un empiétement sur le pouvoir judiciaire. Elle est d’ailleurs courante dans notre droit. À plusieurs reprises, et depuis longtemps, le Conseil constitutionnel – je pense à une décision du 28 juillet 1989 – et la Cour européenne des droits de l’homme, notamment le 21 février 1984, ont validé le principe de la sanction administrative. Le droit est ainsi bien défini. Oui, une autorité administrative peut infliger une sanction administrative, dès lors que celle-ci ne se traduit pas par une privation de liberté et qu’elle donne lieu à une procédure contradictoire !

Ainsi, bien intégrée dans notre droit, cette sanction administrative est devenue un instrument fréquent utilisé par la Commission des opérations de bourse, le Conseil des marchés financiers, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la commission de contrôle des assurances, le conseil des assurances, et on y a recours, bien entendu, en matière de circulation routière avec le retrait de points, qui est une procédure fréquente – c’est même l’une des principales sanctions en matière de police de la route.

À chaque fois que nous examinerons un texte relatif à ces multiples institutions qui utilisent la sanction administrative, allons-nous proposer de supprimer cette faculté d’infliger des sanctions administratives ? Irons-nous au bout de la logique selon laquelle il y a un empiétement sur l’autorité judiciaire ? La réponse est évidemment non, pour une raison simple : nous avons parfois besoin d’une réaction rapide – la sanction administrative est plus rapide que la sanction judiciaire – et exécutoire.

Le deuxième point que je veux aborder porte sur les lanceurs d’alerte. L’ambition du texte consiste à définir enfin un statut général du lanceur d’alerte, comme nous a invités à le faire le Conseil d’État dans son rapport du 25 août dernier.

En première lecture, le Sénat avait préféré une définition plus restreinte du lanceur d’alerte que celle retenue par l’Assemblée nationale. Le rapporteur nous propose aujourd’hui de nous rapprocher sensiblement du texte des députés. Nous y sommes favorables puisque nous avions souhaité inclure dans le texte le droit d’alerte en cas de violation grave et manifeste d’un engagement international ou en cas de préjudice grave pour l’intérêt général. Cela est donc positif. En outre, une telle définition permettra d’éviter la condamnation d’un Antoine Deltour – une sorte d’obsession pour nous –, qui n’est déjà pas possible en France aujourd’hui, mais qui le sera encore moins demain puisqu’il faut respecter les engagements internationaux.

Il reste un point de divergence sur la définition des lanceurs d’alerte. Le texte de l’Assemblée nationale vise non seulement l’alerte relative à un préjudice grave pour l’intérêt général, mais aussi à une menace pesant sur celui-ci. La commission a souhaité supprimer cette notion de menace pour l’intérêt général, ce qui n’est pas une bonne chose. La menace précède le préjudice et la possibilité d’alerter sur une menace peut permettre d’empêcher la réalisation du préjudice. Il nous semble donc utile de conserver cette notion dans le texte.

Dernier point : le répertoire des représentants d’intérêts. Le Sénat a été fidèle à sa mission consistant à demeurer soucieux de la constitutionnalité des dispositions qu’il adopte. La CMP a échoué sur ce point, mais à l’issue d’une véritable discussion. Depuis lors, il y a eu des rapprochements entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous souhaitons, pour notre part, que la Constitution soit scrupuleusement respectée, et le Sénat y a bien travaillé.

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