Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 3 novembre 2016 à 10h30
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique – orientation et protection des lanceurs d'alerte — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on avait souhaité un véritable outil de lutte non seulement contre la corruption, mais aussi contre la délinquance financière en général à la disposition du parquet financier. On devra se contenter d’une agence chargée de prévenir les atteintes à la probité et accessoirement, sans que l’articulation entre les deux missions soit claire, de les « détecter », agence placée auprès des ministres de la justice et du budget dans le projet du Gouvernement et auprès du seul garde des sceaux dans la version de notre commission des lois.

Mon regret est que la commission n’ait fait que la moitié du chemin en n’allant pas jusqu’à constituer l’Agence en outil d’investigation au service de la justice – vous aurez remarqué, mes chers collègues, que je me démarque complètement du projet –, comme si l’on était corrupteur ou corrompu par ignorance ou inadvertance, comme si la délinquance financière, n’étant pas vraiment de la délinquance, seulement le prix à payer de la liberté d’entreprendre et de la compétitivité, devait faire l’objet d’un traitement particulier. La faiblesse des sanctions encourues pour nombre de délits de cette catégorie, l’existence de procédures de règlement parallèles, la priorité accordée à la négociation sur la répression montrent qu’il s’agit non pas d’une impression, mais d’une réalité.

Ainsi ce texte, alors qu’existe déjà la CRPC, invente-t-il la « convention judiciaire » dite d’« intérêt public » – on se demande d'ailleurs pourquoi –, qui permet à une personne morale d’éviter d’être condamnée pour des délits aussi anodins que la corruption, le trafic d’influence ou les manœuvres destinées à échapper à l’impôt. L’argument selon lequel ces pratiques, qui auraient l’avantage d’être plus expéditives, sont courantes ailleurs serait plus convaincant si l’on avait la certitude que les sanctions soient du niveau de celles qui sont appliquées ailleurs. Les chiffres sont rares, mais, à en juger par le niveau des amendes pour abus de marché, c’est évidemment loin d’être le cas. En France, le montant annuel moyen de ces amendes est, m’a-t-on dit, de l’ordre de 30 000 euros, alors qu’il s’élève à quelque 30 millions de dollars aux États-Unis. Je sais bien que l’euro et le dollar ne se valent pas, mais il y a quand même une petite différence…

C’est à se demander, vu le nombre de condamnations pour corruption, s’il est vraiment urgent de délibérer en la matière : en 2013, 72 personnes ont été sanctionnées pour fait de corruption et deux seulement ont été condamnées à de la prison ferme.

S’agissant, cette fois, de corruption d’agents publics dans les transactions transnationales, sur les 298 personnes physiques ou morales condamnées depuis la convention internationale de 1999, les deux tiers l’ont été dans trois pays – les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie – et deux seulement en France. Il n'y a donc pas de problème…

À la place de la création d’une agence de lutte contre la corruption et les délits financiers en général, on aurait pu donner au parquet financier d’autres moyens que ceux dont il dispose déjà. On devra donc se contenter de déclarations, de procédures et de règlements nouveaux.

À la fin de ce quinquennat, plus aucun responsable un peu visible de ce pays – responsable politique, administratif ou économique – n’échappera à l’obligation de remplir régulièrement une ou plusieurs déclarations de ceci ou de cela, à adresser à telle haute autorité ou à tel service. Tel est, paraît-il, le prix du rétablissement de la confiance de nos concitoyens dans les institutions. Quant à l’efficacité réelle de cette obligation, il subsiste un point d’interrogation…

En outre, comme de coutume, au lieu de ne traiter qu’un sujet jusqu’au bout – ici, la lutte contre la corruption –, ce projet de loi n’en traite qu’un aspect, de manière partielle d'ailleurs, en le mêlant à un chapelet d’autres sujets, évoqués eux aussi de manière elliptique : la protection des « lanceurs d’alerte », les règles de la domanialité, le régime des mutuelles, la protection des consommateurs, l’amélioration de la situation financière des entreprises agricoles, le financement des entreprises, le parcours de croissance, avec cette nouvelle obligation parfaitement révolutionnaire pour les personnes publiques et privées chargées d’une mission de service public de promouvoir « toute forme d’innovation »… Fermez le ban !

Parmi les sujets abordés, celui que soulèvent les articles 21 et 21 bis me paraît d’une telle importance qu’il aurait mérité plus d’attention. Ces articles traitent en effet des pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en cas de crise et organisent la résolution des compagnies d’assurance, notamment d’assurance vie. J’ai, à ce sujet, trois sources d’étonnement.

Premièrement, je m’étonne que le Gouvernement ait autant tardé à s’attaquer à un problème dont on connaît l’importance au moins depuis début 2015, avec les rapports du FMI et de la BRI, la baisse des taux d’intérêt induisant la tentation, pour les assureurs, de se tourner vers des actifs plus risqués et, inversement, pour certains investisseurs, d’aller chercher fortune ailleurs si ces taux se mettaient à remonter.

Deuxièmement, je suis surpris qu’un tel sujet, qui intéresse tant d’épargnants modestes, soit traité au détour d’un texte de loi relatif à la lutte contre la corruption sous une forme qui le rend parfaitement invisible et incompréhensible aux non-initiés.

Troisièmement, je suis stupéfait que, en cas de faillite bancaire, après les déposants – par la loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013 –, ce soit maintenant les épargnants qui soient mis à contribution – pas mal, d'ailleurs ! Manifestement, les banquiers et les assureurs sont là pour encaisser les bénéfices des risques qu’ils prennent pour nous, mais pas pour assumer les pertes…

Afin d’ouvrir la discussion, j’avais déposé un amendement visant à préciser que le plancher de la garantie accordée par le Fonds de garantie des assurés contre la défaillance de sociétés d’assurance de personnes, qui est prévu à l’article L. 423-1 du code des assurances, soit porté à 100 000 euros, ce qui l’alignait sur la garantie accordée actuellement aux dépôts. De cet amendement, on ne parlera pas, parce qu’il a été censuré par la Sublime Porte réglementaire, alors que d’autres amendements, traitant opportunément du même sujet et que je voterai, ne l’ont pas été. Comprenne qui pourra !

Personnellement, je ne comprends pas ce coup d’entonnoir porté à un amendement qui traite véritablement du fond du sujet des articles 21 et 21 bis, puisqu’il s’agit de protéger les assurés modestes contre les aléas de la conjoncture. J’ose espérer que je recevrai quelque explication convaincante sur le traitement qui a été réservé à cet amendement, qui tendait à régler un véritable problème, et que le ministre, comme il a commencé à le faire à l’Assemblée nationale, nous donnera quelques indications sur la politique qu’il entend mener en matière de résolution des compagnies d’assurance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion