Intervention de François Grosdidier

Réunion du 3 novembre 2016 à 10h30
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique – orientation et protection des lanceurs d'alerte — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de François GrosdidierFrançois Grosdidier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nouvelle lecture qui nous réunit aujourd'hui traduit la divergence majeure entre, d’une part, le Sénat et, d’autre part, le Gouvernement et l’Assemblée nationale, sur le respect du principe de séparation des pouvoirs.

Cette nouvelle lecture est donc fondamentale. J’espère qu’elle sera utile et que les députés comprendront la nécessité de ne pas sacrifier les principes fondamentaux à l’air du temps.

À cet égard, je voudrais, avant toute chose, remercier nos trois rapporteurs. Je salue le travail méticuleux qu’ils ont mené pour trouver, avec leurs homologues de l’Assemblée nationale, les moyens d’élaborer un texte juridiquement stable, économiquement acceptable, humainement honorable, dans une volonté partagée de moderniser la vie économique et de lutter contre la corruption.

L’Assemblée nationale a une propension naturelle à charger la barque dès qu’elle le peut, alors que les textes sont déjà protéiformes. Mais, comme l’a fait remarquer François Pillet, certaines dispositions ont été adoptées de manière cavalière. D’après la jurisprudence du Conseil constitutionnel, elles méritent d’être supprimées et ne manqueront pas, si les députés persistaient, d’être signalées dans le recours que nous formerons.

Avec un peu plus d’optimisme, je voudrais évoquer les points d’accord existant entre l’Assemblée nationale et le Sénat – il y en a !

Comme l’a rappelé Daniel Gremillet, les dispositions relatives aux relations contractuelles au sein du monde agricole ont fait l’objet d’un réel consensus entre les deux assemblées. Nous pouvons nous en réjouir, compte tenu de la situation économique du milieu agricole.

« L’agriculture est le parent pauvre de ce texte ! », regrettait fort justement, en première lecture, Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Ainsi, je tiens à le répéter à cette tribune, les dispositions touchant à l’agriculture ont été tirées, pour l’essentiel, de propositions et de discussions de la majorité sénatoriale. Je pense à la formation des prix qui s’appuierait sur des indicateurs de coût de production et de prix du marché. Je pense au renforcement de la contractualisation, avec des organisations de producteurs qui pourraient en être partie prenante et disposer d’un rôle accru dans les discussions avec les partenaires. Je pense encore à la création d’une conférence qui réunirait l’ensemble des acteurs de la filière, c’est-à-dire les producteurs, les transformateurs et les distributeurs.

En matière de droit bancaire et financier, Albéric de Montgolfier nous le rappelait, de nombreuses dispositions ont fait l’objet d’un accord avant même la réunion de la commission mixte paritaire. Nous ne pouvons que nous en satisfaire, car ces dispositions balayent un spectre large, allant du droit des consommateurs, avec la durée de validité des chèques maintenue à un an et l’obligation d’information des entreprises d’assurance à l’égard des titulaires de contrats de retraite supplémentaire lorsque ceux-ci ont atteint l’âge limite de départ à la retraite, jusqu’au droit des collectivités territoriales, avec l’ouverture aux conseils régionaux de l’accès au fichier bancaire des entreprises, en passant par l’interdiction de la publicité pour les prestataires proposant illégalement des instruments financiers hautement spéculatifs et risqués ou encore par l’intégration d’une clause de révision des prix des marchés publics de fourniture de denrées alimentaires.

Cette ultime lecture illustre bien l’intérêt du bicamérisme. Le Sénat poursuit le travail de construction partagée de la loi, avec un regard toujours indépendant de la pression médiatique. C’est bien dans cet état d’esprit libre que nos rapporteurs ont apporté leur expertise pour faire évoluer le texte et proposer des modifications substantielles aux points de divergence profonde.

Un élément récurrent dans nos discussions parlementaires tient à la tentation de tout gouvernement d’utiliser la voie de l’ordonnance pour légiférer, demandant au Parlement de l’y habiliter. L’ordonnance peut-être un outil juridique constitutionnel pertinent pour réformer efficacement notre pays, mais son utilisation abusive, surtout en fin de mandature, n’est pas un gage de bonne administration. Notre groupe ne peut souscrire à ce procédé. Je crois même qu’il s’agit d’un manque d’honnêteté à l’égard de la représentation nationale, qui manque trop souvent d’information pour donner un blanc-seing – c’est le cas en l’espèce.

Ainsi, l’honnêteté politique oblige nos rapporteurs à proposer au Sénat de refuser certaines habilitations, comme celle qui permettrait au Gouvernement de réformer par ordonnance l’ensemble du code de la mutualité ou celle qui transcrirait directement dans le texte l’actualisation du droit des sociétés.

Si elles ne sont pas cavalières, certaines dispositions ne pouvaient recueillir notre approbation. Je ne reviendrai pas sur le fond de l’ensemble d’entre elles, puisque nos rapporteurs l’ont fait avant moi, mais je pense au périmètre réduit à l’arrondissement pour l’interdiction de vente au déballage, alors que nous souhaitons l’étendre aux arrondissements limitrophes, pour éviter les phénomènes de contournement, ou encore au nouveau délai dérogatoire en matière de délais de paiement pour un secteur d’activité où une telle réforme ne réglera pas les difficultés de trésorerie rencontrées par certaines entreprises.

Pour terminer, je veux rappeler les principes auxquels nous sommes attachés et en faveur desquels nous avons ardemment souhaité marquer notre différence.

Premièrement, ainsi que je l’évoquais en introduction, la séparation des pouvoirs dans nos institutions impose une autonomie des assemblées parlementaires dans la définition des règles applicables dans leur enceinte, y compris s’agissant du régime juridique des relations avec les représentants d’intérêts.

Deuxièmement, je veux insister sur le caractère de défenseurs de l’intérêt public des associations d’élus, malgré leur statut de droit privé. L’AMF, l’ADF, l’ARF ne sont pas des lobbys, monsieur le ministre ! Les élus portent non leurs intérêts personnels, mais ceux de leurs collectivités, qui sont des personnes publiques. L’intérêt public territorial est d’abord un intérêt public, qui participe à l’intérêt général. Il faut de la défiance populiste ou de l’arrogance technocratique, voire les deux, pour le contester aux représentants démocratiquement élus de nos collectivités territoriales. Malgré leur statut, les associations d’élus n’ont pas à être enregistrées comme représentants d’intérêts du fait même de leur objet, ou alors il faudra que nous transformions l’AMF en syndicat intercommunal des 36 000 communes de France… Pourquoi pas ?

Troisièmement, la question du cadre des directives européennes, si formelle qu’elle puisse paraître, est un enjeu économique en soi. C’est pourquoi nous soutenons la proposition de la commission des finances pour que le reporting pays par pays soit aligné sur la directive européenne, ni plus ni moins.

Quatrièmement, le droit des sociétés a été largement balayé de ce texte, qui a pourtant vocation, comme l’indique son nom, à moderniser les entreprises. Nos travaux sur la simplification du droit des sociétés sont attendus par les sociétés de tous types. C’est donc très opportunément que nous réintroduisons dans ce texte les termes d’une proposition de loi transpartisane, déjà adoptée par le Sénat.

Cinquièmement, pour ce qui concerne le logement social, il nous a paru nécessaire de redonner plus de souplesse et de rapidité dans la réalisation des logements locatifs aidés par l’État, en redonnant aux bailleurs sociaux la possibilité de recourir aux marchés publics de conception-réalisation, lesquels permettent aux bailleurs comme à l’État de gagner du temps et de l’argent.

Sixièmement, enfin, le droit de suite des artisans, forces vives de nos territoires, pourra être exercé dans les entreprises jusqu’à cinquante salariés et le maintien au répertoire des métiers devra résulter d’une démarche volontaire.

En conclusion, mes chers collègues, je tiens à dire qu’il s’agit d’un texte protéiforme au titre racoleur, fruit d’une méthode d’élaboration de la loi quelque peu cavalière, dont certaines mesures bafouent même les principes fondamentaux de notre République. Heureusement que nos rapporteurs et les commissions concernées ont su le transformer en un texte économiquement pertinent et juridiquement convenable !

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