Intervention de Michel Sapin

Réunion du 3 novembre 2016 à 10h30
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique – orientation et protection des lanceurs d'alerte — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Michel Sapin, ministre :

Je veux vous remercier de l’attention que vous portez à ce projet de loi et du soin avec lequel vous expliquez vos positions et les critiques que peuvent vous inspirer certains de ses articles. Je ne crois pas forcer le trait en disant que, au fond, chaque orateur qui s’est exprimé a trouvé au moins un élément positif dans le texte. Ce n’est pas le cas de tous les projets de loi ! Je voudrais en remercier chacun, même si c’est parfois pour demander au Gouvernement d’aller plus loin dans tel ou tel domaine que certains ont pu louer le texte… Vous n’en disconviendrez pas, madame Assassi, même si je suis sensible à l’ambition de vos convictions dont témoignent vos propos.

Il me semble que nous permettons, ensemble, une avancée assez considérable.

À la suite de plusieurs d’entre vous, je veux insister sur le fait que ce texte résulte d’une coconstruction législative, si vous me permettez l’utilisation de ce terme. Si, par définition, tout projet gouvernemental est une coconstruction, puisque les sénateurs comme les députés peuvent exercer leur droit d’amendement, ce texte l’est tout particulièrement. Pour l’illustrer, je voudrais évoquer deux points, que certains d’entre vous ont soulignés.

Ainsi, c’est au Parlement qu’a été introduit le statut de lanceur d'alerte, sur lequel je reviendrai plus en détail ultérieurement. Je le dis à Mme Blandin, qui a parfois pu montrer du doigt le Gouvernement : c’est sur initiative parlementaire qu’a été mené ce travail. Le statut global des lanceurs d'alerte a en effet été introduit à l’Assemblée nationale, où les débats ont été particulièrement consensuels et ont réuni aussi bien les députés de votre sensibilité politique, madame la sénatrice, que ceux de la mienne.

Il en va de même de la convention judiciaire d’intérêt public, la CJIP, parfois appelée « transaction pénale », qui a elle aussi été introduite par les députés et qui a été confirmée au Sénat. Certains sénateurs, dont vous, monsieur le rapporteur, ont souhaité améliorer certains aspects de cette convention.

Ces deux points, qui ont pu faire l’objet de critiques, par exemple de la part de M. Collombat, résultent donc d’un travail parlementaire dans la construction du projet de loi.

Pour ma part, je suis très heureux qu’un texte de cette nature, qui défend des valeurs, une éthique que nous pouvons tous partager, ait été le support de telles initiatives parlementaires. Je pense que ce qui caractérise les grandes lois républicaines, c’est précisément de n’être pas imposées d’en haut, mais d’être le fruit du débat démocratique et du débat parlementaire. C’est le cas de ce texte. Je tiens à en remercier chacun, quelles que soient par ailleurs les appréciations qui ont pu être portées sur telle ou telle disposition. Nous reviendrons bien sûr, dans le débat, sur les différents sujets qui ont été abordés par les uns et les autres.

Je veux revenir sur deux points qui ont fait l’objet de critiques particulières.

Sur la convention judiciaire d’intérêt public, certains, dont M. Collombat, ont parlé d’une américanisation de la procédure judiciaire. Pardon de le dire ainsi, mais je trouve cette vision vraiment trop simpliste. Il est tout de même permis d’innover ! Il me semble même qu’il y a parfois un devoir d’innovation, de construction de quelque chose de nouveau.

Oui, il s’agit d’une nouvelle procédure, qui n’existait pas antérieurement ! Aujourd'hui, la corruption d’agents, à l’étranger, peut donner lieu à une incrimination, mais pas à une condamnation. Ce qui manque, ce n’est pas la volonté des juges, c’est leur capacité à lutter, au moyen d’un outil adapté, contre ce type de délits, qui sont particulièrement difficiles à poursuivre et pour lesquels il est très difficile d’apporter les éléments de preuve nécessaires à une condamnation en bonne et due forme suivant la procédure normale. C’est donc une volonté d’efficacité qui a été à l’origine de cette proposition. Je veux le saluer. Ce n’est pas le décalque, la copie d’une procédure qui existerait ailleurs.

Je veux le répéter, deux considérations, qui correspondent aux grands principes de fonctionnement de nos institutions judiciaires, qui sont des caractéristiques typiquement françaises, ont été introduites dans ce dispositif.

Premièrement, un juge du siège devra donner son accord à cette convention. Cela ne se fera pas dans un coin entre un procureur et une entreprise ou son avocat : un juge du siège indépendant devra intervenir.

Deuxièmement, la procédure sera publique. Tout le monde pourra connaître la nature et la gravité des faits reprochés et les propositions du procureur ou, d'ailleurs, du juge d’instruction, qui aura également la capacité d’utiliser cette procédure et dont l’indépendance, comme chacun le sait, est particulièrement garantie.

Il ne s’agit donc pas d’introduire une procédure venue d'ailleurs ; il s’agit de mettre en place une procédure efficace, dotée de toutes les garanties dont notre droit français entoure les procédures judiciaires.

Sur la question des lanceurs d'alerte et de leur statut, il me semble, madame Blandin, que vos propos ont peut-être dépassé votre pensée. Vous avez parlé de « démolition » de l’ensemble du système de protection de l’alerte en matière de santé et d’environnement, mais vous savez bien qu’il ne s’agit pas de cela ! Il s'agit d’insérer la protection des lanceurs d'alerte dans ces domaines dans le cadre du statut général des lanceurs d'alerte. Il s’agit non pas de l’amoindrir, mais de faire en sorte que tous les lanceurs d'alerte puissent bénéficier des mêmes mécanismes de protection, notamment – vous avez fortement insisté sur ce point, qui est très important – pour ce qui concerne ce qu’on appelle « la voie d’accès », la manière dont un lanceur d'alerte doit se comporter pour faire connaître les faits qu’il considère comme anormaux, illégaux ou contraires à l’intérêt général. Je rappelle, à ce sujet, qu’il existe une voie interne et une procédure extérieure.

Je sais que, en votre qualité de présidente de cette instance, vous êtes particulièrement attentive aux pouvoirs de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement. Comme vous le savez, cette commission, dont les compétences sont tout à fait considérables, restera en place. Vous aurez à jouer un rôle extrêmement utile en tant que présidente et animatrice de cette instance dans la bonne mise en œuvre des dispositions législatives dont nous débattons aujourd’hui.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux du travail que nous avons accompli, y compris au Sénat, en tenant compte de nos différences et de nos désaccords. Je forme des vœux pour que ce projet de loi demeure longtemps un élément de référence non seulement du travail parlementaire, mais aussi de l’efficacité républicaine.

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