Intervention de Vincent Capo-Canellas

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 2 novembre 2016 à 9h35
Loi de finances pour 2017 — Mission « écologie développement et mobilité durables » budget annexe « contrôle et exploitation aériens » et article 64 comptes d'affectation spéciale « aides à l'acquisition de véhicules propres » « services nationaux de transport conventionnés de voyageurs » et « transition énergétique » - examen des rapports spéciaux

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas, rapporteur spécial :

Je vais vous présenter le programme 159 « Expertise, information géographique et météorologie » ainsi que le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ». Le programme 159 regroupe à compter du présent projet de loi de finances les subventions pour charges de service public du Cérema, de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et de Météo-France. Je ne reviendrai pas sur les crédits du Cérema, dont Jean-François Husson a fait une analyse que je partage.

Concernant l'IGN, sa subvention pour charges de service public, qui assure 57 % de ses ressources, diminuera de 1 % en 2017 à 94,2 millions d'euros. Parallèlement, son plafond d'emploi diminuera de 33 équivalents temps plein travaillés (ETPT), mais sa masse salariale augmentera en raison de l'augmentation du point d'indice et des mesures individuelles.

En 2017, l'IGN restera dans une situation financière délicate, comme en témoigne le recul de son chiffre d'affaires. Mais il a un savoir-faire reconnu et a su fidéliser des clients majeurs. Le management est parfaitement conscient des enjeux et me paraît crédible pour réussir le nouveau contrat d'objectifs et de performance. Il parvient pour le moment à s'adapter à la contrainte budgétaire. L'IGN est un établissement public qui doit se réinventer à l'heure du numérique pour proposer de nouveaux services attractifs aux entreprises, à des tarifs compétitifs.

Concernant Météo-France, que je suis depuis quelques années en tant que rapporteur spécial de l'ancien programme 170 « Météorologie », la subvention pour charges de service public portée par le programme 159 connaîtra, pour la cinquième année de suite, une diminution en 2017 à 195,2 millions d'euros. Sachant que l'an dernier cette subvention a fait l'objet d'une sévère réduction de 8 millions d'euros en gestion, force est de constater que l'établissement est soumis à un régime sévère.

Alors que l'opérateur avait subi la suppression de 85 ETPT en 2015, puis de 78 ETPT en 2016, les dirigeants de Météo-France ont obtenu de leur tutelle que cette baisse soit limitée à 60 ETPT en 2017. Mais ils prévoient que les baisses d'ETPT se poursuivront à un rythme accru à l'avenir.

Dans un secteur concurrentiel, Météo France joue sur deux facteurs : la puissance des calculateurs et le savoir-faire des hommes. Cet équilibre est difficile à maintenir.

Si les suppressions de postes obéissent à une véritable logique - tirer parti des multiples applications du numérique dans le domaine de la météorologie et de la réorganisation du réseau territorial de Météo-France qui s'achèvera à la fin de l'année 2016 - il convient toutefois de rester très vigilant pour ne pas affaiblir un opérateur qui joue un rôle essentiel pour la sécurité des personnes et des biens face à la multiplication des évènements climatiques extrêmes.

Le niveau des investissements de Météo-France, enjeu décisif pour l'avenir, devrait s'élever à 25 millions d'euros en 2017. L'activité de prévision devient en effet de plus en plus intensive en capital et repose sur des technologies de calcul de plus en plus puissantes. Météo France doit obtenir l'inscription du nouveau calculateur dans le PIA. C'est un constat fort et paradoxal : Météo France doit s'en remettre au PIA pour financer ses investissements !

Autre enjeu de poids, la capacité de Météo-France à lutter contre l'érosion de ses recettes commerciales sera renforcée, tant auprès du grand public que des professionnels, puisque 40 % des entreprises seraient « météo-sensibles », que ce soit dans l'agriculture, le BTP, l'énergie, les transports ou bien encore le sport. Pour Météo France le risque est de se retrouver « hors marché » face à des compétiteurs qui utilisent ses données à moindre coût.

Le nouveau contrat d'objectifs et de performance de Météo-France, dont la négociation est en train de s'achever avec sa tutelle devra, selon moi, mettre l'accent sur ces deux points. Il serait utile, comme pour l'IGN, que la commission des finances en soit saisie avant sa conclusion.

On peut toutefois déplorer cette formule des contrats d'objectifs et de performance qui ne donne aucune information sur les moyens financiers des établissements, qu'ils ont besoin de visibilité sur cinq ans pour atteindre les objectifs qui leur sont fixés.

J'en viens à présent au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », dit « Bacea », qui retrace les activités de production de biens et de prestation de services de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), soit l'ensemble des missions de l'État dans le domaine de l'aviation civile (circulation aérienne, sécurité et sûreté du transport aérien, régulation économique et sociale du secteur, développement durable).

Comme pour tous les budgets annexes, le Bacea est présenté à l'équilibre ; ses dépenses sont financées principalement par les recettes tirées de l'activité des services et, le cas échéant, par le recours à l'emprunt. Le Bacea est donc financièrement autonome et ne perçoit aucune subvention du budget général.

Hors emprunt, les recettes du budget annexe devraient s'élever en 2017 à un peu plus de 2 milliards d'euros.

Il s'agit pour l'essentiel de redevances telles que les redevances de navigation aérienne et les redevances de surveillance et de certification, acquittées par les acteurs du transport aérien en rémunération des services rendus par la DGAC.

En outre, le budget annexe perçoit la taxe de l'aviation civile (TAC), due par les entreprises de transport aérien public en fonction du nombre de passagers et du fret embarqués en France, pour un montant de 410,4 millions d'euros en 2017.

Autrement dit, le budget annexe est exclusivement financé par le secteur du transport aérien. Dès lors, l'évolution du trafic et la bonne santé des compagnies françaises ont une influence décisive sur son équilibre financier.

Si le trafic aérien touchant la France a connu une forte croissance de 45 % entre 2003 et 2015, celle-ci a peu profité aux transporteurs français qui ont perdu d'importantes parts de marché tout au long de cette période en raison de la concurrence des compagnies à bas coût et des compagnies du Golfe persique. La part du pavillon français est ainsi passée de 54,3 % en 2003 à 43,1 % en 2015.

Face à ces acteurs très agressifs d'un point de vue commercial, les compagnies françaises, en particulier Air France, souffrent d'un grave déficit de compétitivité, en raison d'une structure de coûts très défavorable.

Nous avons eu récemment, autour du rapport que la Cour des comptes nous a remis, un long échange en commission. Je déplore la lenteur du Gouvernement à se saisir de ce sujet malgré les alertes de l'Assemblée nationale avec le rapport de Bruno Le Roux et le travail du Sénat qui a saisi la Cour. Les signaux d'alarme de l'Assemblée nationale et du Sénat sont malheureusement étayés par les chiffres du trafic 2016 fortement, qui sont fortement affectés par les attentats. Le contexte terroriste s'ajoute à la compétitivité dégradée du pavillon français.

Certes, Air France est parvenue à réduire progressivement ses pertes d'exploitation et à réaliser un résultat positif en 2015, grâce aux efforts de productivité réalisés dans le cadre du plan « Transform 2015 » et à la baisse du prix du pétrole.

Mais ses coûts unitaires restent supérieurs, selon les activités, de 15 % à 30 % à ceux des compagnies équivalentes telles que British Airways ou Lufthansa.

Afin d'y remédier, le nouveau plan « Trust together », annoncé aujourd'hui-même par la direction d'Air France-KLM, devra impérativement prévoir de nouvelles mesures fortes destinées à renforcer la compétitivité de l'entreprise phare du pavillon français.

Je considère que les pouvoirs publics français doivent impérativement accompagner le redressement de nos compagnies en allégeant, dans la mesure du possible, le poids des taxes et redevances qui pèsent sur elles. Il a déjà en partie allégé la taxe sur les passagers en correspondance. Le Gouvernement et les syndicats d'Air France doivent néanmoins arrêter de jouer au chat et à la souris pour savoir qui fera le premier pas.

L'an passé, à l'initiative du Sénat, la quotité de taxe de l'aviation civile qui revenait encore au budget général de l'État (soit 6,63 %) a été affectée au Bacea, ce qui représente une enveloppe de 26 millions d'euros supplémentaires.

Cette mesure, à l'adoption de laquelle j'avais contribué, avait un objectif très clair : augmenter les recettes du Bacea via la taxe de l'aviation civile en échange d'une baisse à due concurrence des redevances de navigation aérienne. Le Gouvernement a multiplié les initiatives contradictoires, de sorte qu'un certain désarroi et une absence de cap sur le sujet ont fini par prévaloir.

Or, le présent projet de loi de finances prévoit que les 26 millions d'euros en jeu seront affectés au désendettement du budget annexe, mesure de saine gestion mais qui n'aura aucun effet sur la compétitivité des compagnies. C'est une victoire de Bercy sur le secrétariat d'État au transport.

D'autres hypothèses, plus conformes à la volonté du législateur, sont possibles, notamment la diminution de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne (RSTCA) à Roissy-Charles-de-Gaulle et à Orly. Cette mesure permettrait de baisser la tarification pour les aéroports parisiens de près de 20 % et, dans le même temps, de maintenir le tarif actuel pour les autres aéroports. Le bénéfice annuel pour les compagnies aériennes françaises serait de 14 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable dans le contexte actuel.

Contrairement aux années précédentes, et en raison de l'attentisme du Gouvernement, je souhaiterais que la commission propose au Sénat de ne pas adopter les crédits du budget annexe.

J'en reviens à la présentation du Bacea stricto sensu.

Les dépenses relatives à la masse salariale augmenteront de 3,7 % en 2017, soit une hausse très significative de 32,2 millions d'euros, principalement en raison de mesures catégorielles prévues dans le cadre du nouveau protocole social 2016-2019, qui, pour mémoire, a été négocié au printemps dernier dans un climat social pour le moins délicat. Toujours dans le cadre de ce protocole très favorable, le schéma d'emploi 2017 ne prévoit aucune suppression de poste.

Pour l'année 2017, la DGAC devra consentir une légère réduction de 1 % de son effort d'investissement, puisque celui-ci passera à 250 millions d'euros. En dépit de ce recul, la hausse très forte des investissements consentis ces dernières années devrait permettre à la DGAC de combler son retard et d'assurer le respect des engagements européens de la France dans le cadre du volet technologique du Ciel unique européen. Rappelons cependant que la Cour des comptes fustigeait encore dans son dernier rapport le retard pris par la France dans ce projet.

C'est d'autant plus regrettable que nous n'assurons plus le niveau de recherche suffisant pour figurer parmi les nations les plus innovantes en matière de développement aéronautique. Les deux derniers programmes d'investissements d'avenir (PIA) ont servi à financer la recherche aéronautique tout en préservant le budget de la DGAC. Dans la mesure où le troisième programme d'investissements d'avenir n'aborde pas du tout cette problématique, on peut craindre une absence de crédit substantiel pour financer la recherche aéronautique dans les années à venir, ce qui nous fait courir un risque de déclassement.

Alors que la dette du Bacea avait continuellement augmenté entre 2007 et 2014, l'assainissement financier en cours permettra, pour la troisième année consécutive, de réduire le niveau d'endettement du Bacea. Après avoir été diminué de 107 millions d'euros en 2016, celui-ci connaîtra une nouvelle baisse de 114,5 millions d'euros en 2017 pour s'établir à 993,7 millions d'euros à la fin de l'année. Le Bacea aura ainsi réduit l'encours de sa dette de près de 18,8 % en trois ans.

Je souhaiterais terminer mon intervention par deux points d'alerte, qui concernent la compétitivité d'Aéroports de Paris (ADP) et le CDG Express.

Sur la compétitivité d'ADP, je veux simplement indiquer que les baisses des redevances à Schipol se traduisent par une forte augmentation du trafic. Ce point mérite réflexion et analyse. Les dirigeants d'ADP l'ont compris.

Sur le CDG Express, l'absence de financement clair à ce stade me laisse perplexe. Mais il en est de même du passage au standard 3 des appareils de détection d'explosifs des bagages de soute, problème que j'ai évoqué dans mon récent rapport d'information sur la sûreté du transport aérien.

En conclusion, je souhaite que la commission propose au Sénat de ne pas adopter les crédits du budget annexe. Je rejoins également Jean-François Husson et Marie-Hélène Des Esgaulx sur la non-adoption des crédits de la mission « Écologie ». Mais plus encore je suis cohérent avec les conclusions de la Cour qui estime que l'Etat n'a pas de stratégie dans le secteur aérien.

De même, je vous propose, par cohérence, de ne pas adopter l'article 64 rattaché qui prévoit une revalorisation de l'allocation temporaire complémentaire versée les deux premières années aux ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne radiés des cadres pour tenir compte de l'allongement progressif de deux années, de 57 ans à 59 ans, de l'âge limite de leur départ à la retraite.

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