Je le dis d'emblée, comme l'année précédente, je ne proposerai pas d'adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Il ne s'agit pas d'ouvrir un débat, qui n'a pas lieu d'être en commission des finances, sur la politique migratoire du Gouvernement, que je désapprouve. Mon désaccord tient plutôt au fait que le Gouvernement ne met pas en place les moyens de sa propre politique ! Comme je l'ai déjà dit plusieurs fois, je ne comprends pas qu'un gouvernement ne traduise pas sa politique dans son budget.
Or, le nombre de demandeurs d'asile s'accroît considérablement - d'environ 50 000 demandeurs par an en 2010, nous sommes passés à 60 000 en 2014 et leur nombre devrait atteindre 100 000 en 2016 -, mais les moyens de leur accueil ne sont pas assurés. Il eût fallu un programme d'urgence, que je réclame depuis plusieurs années, car ces personnes sont, de fait, présentes sur le territoire. Certes, des efforts sont faits, mais ils ne sont pas à la hauteur de la situation. Au final, on ne peut que constater que le fossé s'élargit encore entre les demandes et les capacités.
Les deux programmes de la mission, 303 et 104, affichent des augmentations de crédits importantes, mais la réalité est plus contrastée. Par exemple, les moyens de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui était financé par des taxes affectées, sont rebudgétisés. Ainsi, à périmètre constant, les crédits de la mission ne progressent pas de 30 %, comme affiché, mais de 14,8 %. Cela reste certes un bel effort, mais qui demeure insuffisant.
Il en va de même avec les centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA) : un important programme de construction a bien été lancé depuis 2013, qui devrait aboutir à un total de 40 000 places en 2017, mais il se fait pour partie au détriment des places en hébergement d'urgence. Or, ce système de vases communicants ne peut perdurer alors que le nombre de demandeurs d'asile augmente dans de telles proportions. En outre, étant très loin de disposer du nombre de places d'hébergement nécessaires, l'on est contraint de compenser en puisant dans l'hébergement d'urgence de droit commun, qui relève du programme 177, extérieur à cette mission.
Une politique dite de mise à l'abri a été lancée pour l'évacuation de l'ensemble des campements de France, à Calais et à Paris. Un schéma national de répartition a été adopté ; le raisonnement qui le sous-tend est positif, mais il n'est pas viable.
J'en veux pour preuve la situation de l'Île-de-France. À Stalingrad, le campement, qui a été déjà évacué plusieurs fois cette année, compte aujourd'hui environ 3 000 personnes - qui seront sans doute proches de 4 000 après l'annonce de l'évacuation... On peut donc dire qu'il y aura eu sur place plus de 10 000 personnes en 2016, alors que le nombre de places en CADA est très faible dans la région - et le nombre de places supplémentaires prévues pour l'Île-de-France dans le budget 2017 ne dépasse pas 169 ! Comment prétendre organiser des mises à l'abri à ce compte ? Le Gouvernement envoie les migrants en province, mais on estime qu'une grande partie d'entre eux reviennent très vite en région parisienne. Ils ont en effet noué des liens avec des membres de leur communauté, veulent rester près des organismes qui gèrent leur dossier et des opportunités de travail.
Cela s'apparente à une véritable course poursuite ! On le voit bien, puisque le préfet de région demande à réquisitionner des gymnases ou des bases de loisirs dans telle commune pour quelques mois et le fera dans telle autre pour la période suivante... On comprend que les collectivités soient réticentes... On décale le problème, sans trouver de solution pérenne !
Parallèlement à l'accroissement du nombre de demandeurs d'asile, on observe, comme cela est logique, une forte hausse dans l'attribution du statut de réfugié. Ils devraient être 35 000 en 2016, mais cela laisse entière la question de ceux à qui le statut n'est pas accordé.
Ajoutons à cela que dans le cadre du plan de relocalisation de l'Union européenne, la France n'a accueilli que 2 000 personnes environ, quand 31 000 étaient prévus... qui peuvent à tout moment s'ajouter aux arrivées, pour peu que l'Union européenne, ou l'Allemagne, nous rappelle à nos engagements. Or, nous savons qu'en 2017, on peut s'attendre à l'arrivée de 100 000 à 110 000 demandeurs d'asile, indépendamment des relocalisés.
Au total, je ne conteste pas les efforts qui ont été fournis, mais les moyens ne suivent pas. L'augmentation des crédits reste insuffisante au regard des besoins. Pour la seule région Île-de-France, on consomme 80 millions d'euros du programme 177, qui devraient normalement aller à l'hébergement d'urgence de droit commun.
Le Gouvernement a fait un effort en confiant la gestion de l'allocation pour les demandeurs d'asile (ADA), auparavant gérée par Pôle emploi, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Les dépenses au titre de l'ADA, en 2016, avoisineront 315 millions d'euros. Pour 2017, le budget prévoit 100 millions d'euros de moins, alors que le versement de l'allocation dure au moins le temps d'examen du dossier et que rien ne laisse penser que le nombre de demandeurs baissera... Ce ne sont pas 220 millions d'euros, ni même 315 millions d'euros qu'il aurait fallu prévoir, mais 380 millions d'euros ! Bref, l'insincérité de ce budget est manifeste, et je la dénonce tous les ans. Sans compter que certains crédits sont systématiquement gelés en cours d'année, ce qui est absurde, car les gens sont bel et bien présents sur le territoire.
On pourrait imaginer une diminution des crédits de l'ADA si les procédures étaient raccourcies. Des efforts sont faits : en 2017, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) comptera ainsi 140 équivalents temps plein supplémentaires. La formation de ces agents dure toutefois six mois, et le nombre de demandeurs augmente incomparablement plus vite. En sorte qu'en 2015, le délai moyen d'examen des dossiers était de 215 jours, loin de l'objectif de 90 jours... Le stock de dossiers en instance au 1er juillet 2016 est supérieur à celui constaté en 2015.
Le système du schéma national procède d'un bon principe, mais il ne fonctionne pas. Parce qu'on ne crée pas suffisamment de places en CADA, on siphonne, en recourant à l'hébergement d'urgence de droit commun, les crédits du programme 177.
Quant aux crédits de la lutte contre l'immigration irrégulière, ils ne croissent qu'en apparence, car cette hausse est liée à une enveloppe dédiée à la situation de Calais. Les reconduites à la frontière, ainsi que le Gouvernement le reconnaît lui-même, ont été moins nombreuses en 2015, parce que les forces de police sont massivement mobilisées sur les plans Vigipirate et Sentinelle : elles n'étaient que de 19 000 en 2015, contre 27 000 en 2013.
S'agissant du programme 104 qui, dédié à l'intégration, me tient particulièrement à coeur, les crédits destinés à la formation linguistique et les crédits de l'OFII augmentent faiblement. Le budget total de l'Office atteint 181 millions d'euros, c'est-à-dire moins que ce qui devrait être consommé en 2016, alors que l'on ne cesse de lui demander d'en faire plus. On ne peut simultanément demander à l'OFII d'aider davantage de personnes à s'intégrer et diminuer ses moyens ! L'intégration des migrants demande un personnel dévoué et une vraie vision de la politique migratoire. C'est le cas au ministère de l'intérieur, à l'Ofpra et à l'OFII, mais tous sont soumis à ces contraintes budgétaires. Les créations de postes sont très insuffisantes, de même que celles de places en CADA ou d'hébergement d'urgence. La situation, surtout en Île-de-France, ne peut pas continuer ainsi.
Il y a deux ans, j'avais préconisé d'adopter ces crédits ; l'an dernier, de les rejeter. Je ne peux cette année proposer d'adopter un budget à ce point insincère : prévoir des crédits inférieurs à ce qui a été consommé l'an dernier alors que l'on sait que les besoins vont croissant, ce n'est pas conforme à la politique affichée, et ce n'est pas raisonnable.