Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà soixante ans qu'en France, avec détermination et constance, l'intérêt national épouse l'ambition européenne ; soixante ans que la passion française trouve dans l'aventure européenne son horizon, son aboutissement, l'élargissement de ses perspectives aux dimensions plus vastes de notre continent ; soixante ans que le rêve européen reçoit de l'initiative française ses élans et ses caps.
Soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe est plus qu'une ambition, plus qu'une aventure, plus qu'un rêve : elle est cette réalisation commune à laquelle vingt-sept pays libres se sont joints pour s'accorder mutuellement les garanties de la paix et partager les réussites de l'intégration économique et monétaire.
Gouvernements de gauche ou de droite, de l'Ouest ou de l'Est, tous ont bâti notre maison commune, qui est sans équivalent au monde. L'entreprise européenne est inédite, radicalement nouvelle. Nulle part ailleurs un tel défi n'a été lancé : unir un continent ravagé par des siècles de guerres et d'hostilité ; créer un ensemble continental cohérent, quand les anciens empires européens avaient laissé le souvenir de tant de luttes ; construire les moyens d'agir collectivement, tout en préservant les spécificités nationales, si chèrement acquises.
La construction européenne est en train de réussir ce pari que beaucoup jugeaient insensé. L'Union européenne a beaucoup de compétences, beaucoup de pouvoirs, mais sa force ne vient ni de la contrainte armée ni de la domination d'une coalition d'États sur les autres.
Sa force, c'est la libre volonté d'union qui joint ses États membres. Les élargissements successifs en sont la preuve éclatante.
Sa force, c'est son mode de décision démocratique, que ce soit au Conseil ou au Parlement européen, et ce caractère démocratique est notablement renforcé par le traité de Lisbonne.
Sa force, c'est la synthèse entre les institutions démocratiques de l'Union et l'identité préservée des États membres, synthèse que le traité de Lisbonne réaffirme clairement.
La seule vraie force de contrainte qui régisse l'Union, c'est le respect du droit, pierre angulaire de la construction européenne. Le règne du droit démocratiquement élaboré a remplacé en Europe celui de la violence comme moyen de contrainte ultime. C'est un progrès fondamental, qui fait de l'Europe une vraie terre de civilisation, ainsi qu'un exemple pour d'autres régions du monde.
C'est afin de saluer le rôle du droit européen que j'ai profité de ma rencontre avec Jean-Claude Juncker, vendredi dernier, à Luxembourg, pour accomplir la première visite d'un Premier ministre français auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.
Constatons-le une fois de plus, avec une reconnaissance particulière pour ceux dont le courage a précédé et préparé nos efforts : devant cet exceptionnel objet de fierté qu'est l'Europe, les hésitations, les lenteurs, les réticences ont toujours cédé le pas. Ils doivent continuer de le faire aujourd'hui.
Faut-il le rappeler, j'ai été moi-même opposé au traité de Maastricht, un texte imparfait, dans lequel les avancées économiques de la construction ne recevaient pas, selon moi, une contrepartie politique suffisante. Je n'ai pas été le seul à redouter l'avènement d'une Europe boiteuse, incapable de gouverner comme il l'aurait fallu l'intégration économique poussée qu'elle se promettait d'atteindre.
J'ai constaté depuis lors, comme beaucoup d'autres, que mes craintes n'étaient pas infondées. Aujourd'hui, le traité de Lisbonne leur répond et les apaise. À l'heure où l'accueil des anciens pays de l'Est exige une adaptation de nos procédures, il clarifie le fonctionnement politique de l'Europe et il en renforce opportunément les structures.
Encore cette satisfaction institutionnelle n'est-elle pas la seule raison de mon intervention : d'autres motifs relèvent de mon sentiment intime, et je sais qu'ils parlent aux Français.
Dans le projet européen converge, mesdames, messieurs les sénateurs, l'essentiel de nos héritages culturels et humains. L'expérience démocratique, universitaire, scientifique et industrielle : autant de domaines dans lesquels l'histoire a donné à nos pays le privilège d'une fertilité séculaire !
Nous sommes - vous, moi, Français, Européens - les détenteurs d'un grand patrimoine intellectuel, artistique, philosophique et institutionnel commun. De Londres à Athènes, de Madrid à Varsovie, nous sommes les héritiers de cet espace à la fois charnel et imaginaire où nos manières de vivre et de penser s'enracinent.
Je vous livre cette conviction personnelle, telle qu'elle m'a toujours guidé : plus le XXIe siècle se révèlera secoué de tensions nouvelles, travaillé par le déplacement des lignes de partage, tiraillé de conflits, plus grande nous apparaîtra la valeur de l'espace d'équilibre européen !
Au service de cet idéal de progrès et de rayonnement, le Président de la République a réclamé la constitution d'un groupe de réflexion, capable de projeter sur l'avenir les traits de notre projet européen. Le Conseil européen de décembre 2007 a décidé la création du groupe « Horizon 2020-2030 », présidé par Felipe Gonzales.
Ce groupe veut poser sans détour les questions que l'Europe adresse à notre génération, et dont la réflexion institutionnelle ne doit pas faire oublier la primauté. Quel modèle de société voulons-nous pour l'Union ? Quelle identité ? Quelles frontières ? Quelle civilisation désirons-nous construire ensemble ? Mesdames, messieurs les sénateurs, ces grandes interrogations coïncident avec l'étape institutionnelle que nous devons franchir aujourd'hui.
Avec le traité de Lisbonne, la France reprend la main en Europe, et c'est l'Europe elle-même qui se trouve relancée. Il y a quelques mois seulement, sous le coup de notre hésitation, l'Europe marquait un temps d'arrêt. Le double « non » français et néerlandais l'entravait. L'inquiétude et le doute tournaient tous les regards vers nous. Pourquoi ? Parce que nous les éprouvions nous-mêmes.
Nicolas Sarkozy a pesé de toute sa volonté pour que soit dépassée cette querelle franco-française qui s'est révélée sans issue. Il a compris que les partisans du « non » et ceux du « oui », s'ils ne s'accordaient pas sur une même idée de l'Europe, partageaient le même désir de la voir avancer. Il s'est alors efforcé de transcender les clivages qui, en divisant la France, immobilisaient l'Europe.
Il s'est engagé, pendant la campagne présidentielle, à ce qu'aboutissent, rapidement, nos points de consensus. Sa promesse était réaliste, transparente. Elle a été invariable : négocier un nouveau traité, plus simple, qui concrétise les avancées institutionnelles urgentes, tout en prenant acte des craintes exprimées par le « non » majoritaire ; une fois ce traité négocié, le faire valider le plus rapidement possible par le Parlement.
Tout au long de sa campagne, Nicolas Sarkozy a énoncé à haute voix sa stratégie pour l'Europe. Personne - je dis bien « personne » ! - ne peut lui reprocher d'être resté fidèle à ce qu'il avait dit, fidèle à ce qu'il a fait.