Intervention de André Lardeux

Réunion du 29 janvier 2008 à 22h00
Titre xv de la constitution — Suite de la discussion et adoption conforme d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de André LardeuxAndré Lardeux :

On nous dit que la référence à l'OTAN disparaît, mais, dans la mesure où l'on renvoie au traité de Maastricht, la disposition est plus que jamais valable : ce n'est qu'un tour de passe-passe de plus.

Le système de décision est encore plus indépendant, avec une quantité considérable de transferts de souveraineté, avec une présidence stable de l'Union pendant deux ans et demi, voire cinq ans. Le comble serait que celle-ci soit attribuée à un représentant du pays le moins européen.

Les décisions seront désormais très majoritairement prises à la majorité qualifiée. Quelques pays, cependant, réussissent à s'exonérer de ces contraintes pour certaines dispositions, mais pas le nôtre.

La trouvaille la plus remarquable est celle qui développe les clauses dites « passerelles », lesquelles court-circuitent le pouvoir constituant des États. On en ajoute une grande quantité. Ainsi, il n'y aura à l'avenir même plus besoin de traité pour passer de l'unanimité à la majorité qualifiée. Par conséquent, les peuples n'y verront plus rien du tout : passez muscade !

La clause passerelle de flexibilité sur le contenu des compétences permettra absolument tout et constitue quasiment un coup de force.

La charte des droits fondamentaux annexée, dont certains pays se sont aussi exonérés - mais pas la France ! - est plus vaste que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle sera juridiquement contraignante et permettra éventuellement de nous imposer ce que nous ne voulons pas.

Notre déclaration des droits, nos lois de bioéthique, notre code de la famille seront remis en cause. Nous pourrons gagner du temps puisqu'il sera inutile que nous en débattions dans cet hémicycle.

Nous pouvons craindre que certaines dispositions ne soient utilisées contre les États pour arriver à un fédéralisme des régions d'Europe. Ainsi l'Europe sera-t-elle transformée en une « poussière d'entités », ce qui est à la fois porteur de très gros risques et tout à fait contraire à nos traditions républicaines.

Nous aurions également aimé trouver dans le texte une définition de l'Europe que l'on veut nous imposer : la liste des membres, qui figurait dans le traité de Nice, a, bien sûr, disparu.

C'est l'un des drames de l'Europe, souligné ainsi par l'historien Elie Barnavi : « Et l'un des drames de l'Europe est précisément qu'elle ne sait pas se donner des frontières physiques, car elle est incapable de se donner des frontières mentales. Elle ne sait pas définir un eux et un nous. Cette frontière entre eux et nous n'est pas forcément hostile, ni imperméable, (...) mais pour être amicale et poreuse, il faut d'abord qu'elle existe. »

L'exemple le plus emblématique est la question de la Turquie. Lors de la dernière campagne électorale, on nous avait laissé entendre que la France s'opposerait à l'extension de la négociation. On attend toujours, puisque, pour l'instant, chaque étape franchie par la Commission a été avalisée.

L'entrée de la Turquie serait secondaire si l'Europe n'était destinée qu'à être un vaste marché selon le souhait des utilitaristes et mercantilistes Anglo-Saxons. Mais si elle doit être une entité politique supranationale, cela mérite débat et non pas le silence qui nous est imposé. D'autant que beaucoup de pays, notamment à l'Est, sont favorables à cette entrée, dans la mesure où, à leurs yeux, elle permettrait bien sûr, en toute logique, une extension à des pays comme l'Ukraine, la Biélorussie et quelques autres, lesquels ont certes de nombreux titres à faire valoir.

Pour l'instant, l'obligation du référendum pour une éventuelle adhésion est maintenue dans notre Constitution - je sais que c'est très provisoire ! -, ce qui souligne le paradoxe suivant : pour instituer l'Europe, il n'y a pas besoin de référendum, mais, pour y entrer, il en faut un. Cela permet de penser que, si l'on n'a pas osé le faire, cela viendra très certainement lors des prochaines révisions.

Vous l'avez compris, si je suis pour l'Europe, c'est non pas pour un système fédéral supranational, mais pour une Europe confédération, association d'États-nations.

Les Français sont majoritairement pour l'Europe, mais ils veulent une Europe réelle, où ils demeurent maîtres de leur destin, et non une Europe abstraite, dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.

Or le traité dont on nous demande d'autoriser la ratification n'est pas un traité ordinaire, comme ceux d'Amsterdam ou de Nice. Il représente un saut qualitatif, puisque l'Union est dotée de l'essentiel des attributions ordinairement dévolues aux États, dans le cadre d'un système de plus en plus opaque duquel il est, en pratique, impossible de se retirer.

Sans doute un État souverain peut-il utiliser sa souveraineté pour l'aliéner irréversiblement, ce qui masque cette pratique de la formalité d'incessantes révisions constitutionnelles : face à cela, nous tombons dans le syndrome de Stockholm, où la victime d'un enlèvement trouve son ravisseur de plus en plus sympathique, au point d'épouser sa cause.

Dans l'indifférence générale, mais voulue, on met en place une nouvelle légitimité, « a-nationale », indépendante du pouvoir souverain de la nation, ce qui signe l'acte de décès de notre souveraineté puisque la Constitution française ne sera plus qu'une variable d'ajustement et un règlement de procédure.

C'est amplement suffisant pour que je vote contre la révision constitutionnelle qui nous est présentée et contre la ratification du traité que l'on nous proposera la semaine prochaine.

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