Nous sommes des parlementaires mus par l’intérêt général, et non les porte-parole de tel candidat ou de tel think tank ou officine prônant une autre politique. Notre seule préoccupation est d’analyser les faits, le contenu du texte, vos actes et vos intentions. Il n’est pas interdit d’avoir un regard critique, le cas échéant. Si le Gouvernement nous entend, nous pourrons peut-être contribuer à améliorer ce texte par nos amendements. Tel est notre rôle ! Nous nous en tiendrons aux faits, aux actes, aux chiffres.
Nous reconnaissons tout à fait les efforts que le Gouvernement a réalisés pour réduire les déficits, d’autant plus que, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, madame la ministre, nous vous avons souvent poussée à aller plus loin dans les économies. Et vous l’avez fait ! Vous avez aussi su jouer des recettes, mais nous en reparlerons…
Pour autant, nous vous demandons de continuer dans cette voie, car qu’en est-il réellement de la situation de la sécurité sociale aujourd’hui ?
Nous constatons tout d’abord qu’elle n’est pas à l’équilibre, sauf à passer sous silence le déficit du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, qui s’établit encore en 2017, comme en 2016, à quelque 3, 8 milliards d’euros. Madame la ministre, le FSV faisant bien partie de la sécurité sociale, comme le montrent d’ailleurs parfaitement les tableaux d’équilibre, le déficit global est bien de 4, 1 milliards d’euros.
La commission des affaires sociales ne conteste absolument pas le redressement des comptes sociaux. Au vu de l’effort consenti en prélèvements obligatoires, leur dégradation serait même plutôt regrettable. Néanmoins, nous ne pensons pas que ce processus soit parvenu à son terme.
Certes, l’assurance maladie redresse ses comptes, mais aussi elle transfère, devant la difficulté à maîtriser les dépenses, une partie de ses charges et de son déficit sur les autres branches. L’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, n’est tenu qu’à ce prix.
Malgré la hausse des cotisations et les fruits de la réforme de 2010, les régimes de retraite restent fragiles, et leur consolidation effective dépend plus d’hypothèses macroéconomiques favorables que d’équilibres économiques et démographiques de long terme.
Notre pays reste par ailleurs confronté à la question de l’efficacité de la dépense de sécurité sociale et de son adaptation aux besoins. C’est particulièrement vrai pour l’assurance maladie, qui présente encore, pour 2017, un déficit tendanciel de 8, 3 milliards d’euros, en dépit des réformes structurelles censées avoir été mises en œuvre – je ne doute pas d’ailleurs qu’elles l’aient été.
Ce solde ne traduit pas seulement le choc de dépenses de la convention médicale et de la hausse du point d’indice. Il traduit aussi le besoin de mesures correctives. Or celles qui ont été annoncées relèvent pour partie d’un effet d’optique, avec un impact sur l’ONDAM, mais pas sur l’assurance maladie – c’est le cas des cotisations des professionnels de santé, pour 270 millions d’euros.
D’autres mesures ont un impact sur l’ONDAM, mais elles constituent un transfert de charges, comme la mobilisation des réserves de la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, à hauteur de 230 millions d’euros, ou la ponction sur les fonds hospitaliers. D’autres, enfin, ne relèvent que d’un simple changement comptable, comme les remises pharmaceutiques, pour 250 millions d’euros.
Au bilan, les recettes nouvelles contribuent au moins autant au redressement annoncé du solde de l’assurance maladie, qu’il s’agisse de la fiscalité du tabac, du gain net de la branche dans les mesures de compensation des exonérations, du transfert en provenance du FSV, ou encore de l’augmentation des cotisations, certes gagée sur celles de la branche AT-MP.
Pour nombre de nos concitoyens, l’assurance maladie est synonyme de sécurité sociale. Est-ce pour cette raison, madame la ministre, qu’il fallait absolument afficher une amélioration du solde de cette branche ?
La commission des affaires sociales s’est opposée au transfert des réserves du FSV : ce fonds est perdant dans les compensations interbranches et se trouve de surcroît privé d’une partie de ses recettes, alors qu’il concentre le déficit le plus important. Autrement dit, cette opération ne fait que déplacer le déficit d’une branche à l’autre au bénéfice de l’assurance maladie, sans effet sur le solde global. Je me devais d’en faire démonstration.
C’est pourquoi la commission des affaires sociales a rejeté les différents tableaux d’équilibre, qui reflètent tous une même priorité : afficher un redressement de l’assurance maladie qui n’est malheureusement pas encore au rendez-vous.
Malgré une tendance à l’amélioration, que nous ne contestons pas, force est de reconnaître que les déficits persistent, et nous avons des raisons de penser qu’ils persisteront à l’avenir, si des réformes de fond ne sont pas mises en œuvre. Madame la ministre, vous avez amorcé certaines de ces réformes, et nous vous avons d’ailleurs soutenue pour les voter ; en revanche, d’autres sont inabouties ou, il faut le dire, inexistantes, malgré un consensus sur leur nécessité. À cet égard, nous vous proposerons, via un amendement, de mettre en chantier une réforme que nous réclamons depuis plus de deux ans : la réforme de l’évaluation du médicament.
La première des nécessités pour l’assurance maladie est d’assurer la sincérité de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM. Or la Cour des comptes a insisté à plusieurs reprises sur le fait que les méthodes de construction de cet objectif sont imparfaites, si bien qu’il ne permet pas un pilotage des dépenses à l’équilibre. D’ailleurs, si l’on rétablit les modes de calcul précédents, c’est à 2, 5 % que s’élève l’augmentation de l’objectif de dépenses pour 2017. Nous sommes bien loin du chiffre de 1, 75 %, présenté, je le rappelle, dans la programmation pluriannuelle.
Malgré cette augmentation particulièrement importante, l’ONDAM recouvre encore moins que les années précédentes les dépenses d’assurance maladie. Ainsi, madame la ministre, le fonds de financement de l’innovation pharmaceutique, dont vous avez parlé tout à l’heure, consiste essentiellement à faire sortir de l’ONDAM le financement des médicaments, à hauteur de 876 millions d’euros, dont 220 millions pour 2017. Nous ne pouvons y souscrire et nous y reviendrons durant les débats.
Par ailleurs, le Gouvernement se trouve contraint de minorer les dépenses et fait pour cela appel à des ressources ponctuelles, quitte à remettre en cause la cohérence des politiques suivies. Ainsi, vous avez à plusieurs reprises insisté sur la nécessité d’un pacte de confiance avec l’hôpital – nous sommes d’accord –, et vous avez annoncé des revalorisations salariales pour certaines catégories de personnel, ainsi qu’un renforcement de l’attractivité des carrières.
Or, dans le même temps, vous prélevez quelque 300 millions d’euros sur le fonds qui doit permettre de financer les formations, donc les évolutions de carrière du personnel ! Nous proposerons un amendement à ce sujet.
Enfin, vous intervenez dans les négociations conventionnelles en cours avec certaines professions de santé. Pourtant, en vertu de la loi de modernisation de notre système de santé, que nous avons votée, le Gouvernement fixe les axes des négociations conventionnelles, mais il ne saurait peser sur les négociations en cours pour faire prévaloir la position d’une des parties.
Si l’on veut que le cadre conventionnel devienne celui d’une responsabilité partagée de la dépense sociale, comme nous l’avons maintes et maintes fois souligné en commission, il faut que les règles soient consensuelles et connues avant la négociation. La commission des affaires sociales a donc déposé des amendements de suppression de ces articles.
Comme chaque année, le PLFSS comporte aussi des dispositions techniques qui n’appellent pas de commentaires de la commission des affaires sociales. Nous avons également fait le choix de soutenir les mesures de santé publique que vous nous proposez, le plus souvent sous la forme d’expérimentations. L’important est que celles-ci soient évaluées et qu’elles permettent une meilleure prise en charge de nos concitoyens.
Il faut en outre entendre les inquiétudes légitimes qui s’expriment sur les déserts médicaux. La nouvelle convention médicale comporte des mesures en ce sens, et plusieurs dispositions du PLFSS s’y rapportent. Nous discuterons de propositions, issues de plusieurs groupes, qui veulent aller plus loin. Je suis pour ma part convaincu qu’il faut trouver des solutions durables et concertées. Une évaluation de tous les dispositifs aujourd’hui mis en place dans les départements, avec plus ou moins de bonheur, serait la bienvenue.
Madame la ministre, il reste des réformes à faire. Le solde de l’assurance maladie en témoigne, s’il en était besoin.
En témoigne également le débat nourri qui s’est instauré à l’Assemblée nationale sur l’une des mesures du projet de loi, à savoir l’article 10, qui tend à une meilleure effectivité des prélèvements sur les revenus tirés des plateformes collaboratives. Il ne fait pas de doute que ces prélèvements sont dus, comme sur tous les revenus, quels qu’ils soient. Pour autant, appliquer ces prélèvements à des personnes qui, jusqu’à présent, pour des raisons techniques, avaient pu s’y soustraire semble insupportable pour certains de nos collègues siégeant sur différentes travées, alors même qu’ils sont bien inférieurs à ceux subis par l’emploi salarié. Nous aurons bien évidemment à en débattre.
Madame la ministre, notre sécurité sociale, parce qu’elle est coûteuse, complexe, et parfois inéquitable, n’est aujourd’hui pas toujours acceptée et soutenue par nos concitoyens, qui, pour certains, cherchent à s’en échapper. Pour qu’elle reste un patrimoine commun, l’expression d’une solidarité, qui ne se dément pas depuis des décennies et qui fait partie intégrante de notre identité, notre protection sociale doit évoluer.
Elle doit évoluer pour faire face à de nouveaux défis, comme l’innovation en matière de traitements ou de médicaments ; elle doit évoluer vers plus d’équité, notamment en ce qui concerne les retraites, pour une meilleure acceptation des prélèvements et des règles. Elle doit enfin se moderniser, tout simplement, pour préserver l’esprit de solidarité, qui est constitutif de notre identité républicaine et de notre modèle social. Madame la ministre, soyez assurée que nous partageons tous ici cette exigence.