Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 29 janvier 2008 à 22h00
Titre xv de la constitution — Exception d'irrecevabilité

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si le peuple ne convient pas, peut-être faut-il le changer...

Le 29 mai 2005, le peuple français a refusé la ratification du Traité constitutionnel européen par 54, 67 % des suffrages exprimés. Ce vote n'était pas un vote de circonstance. Il résultait d'un vaste débat national, sans doute sans précédent, sur l'Europe, sa construction, sa politique.

Le peuple a dit non à cette Europe fondée sur la seule loi du marché et au fonctionnement démocratique déficient.

Contrariant par là le vote des parlementaires qui l'avaient approuvé à 93 %, le peuple a tenu bon ; il a réfuté non seulement un projet, mais aussi et surtout, une réalité vécue, celle de l'Europe de la flexibilité et du dumping social, de la détérioration des services publics, de la libre circulation des capitaux et des emplois, mais non des hommes.

Le peuple a constaté que, depuis le traité de Maastricht, la construction européenne creusait le déficit démocratique et sacralisait le marché financier au détriment de toute politique de croissance au service de l'emploi.

Les votes successifs des Français, le 29 mai 2005, puis des Néerlandais, ont rendu caduc le Traité constitutionnel, mais ils n'ont pas été suivis de la réorientation exigée et nécessaire.

Les dirigeants européens ont mis à profit ces deux années pour tenter de faire oublier leur échec et cherché le moyen de passer outre le choix d'une partie des peuples de l'Europe.

Candidat, M. Sarkozy s'est présenté comme le héraut d'un nouveau départ pour l'Europe, tirant les leçons des référendums français et néerlandais et du mécontentement croissant de l'ensemble des peuples européens qui, d'ailleurs, exigent un référendum sur le traité de Lisbonne : 76 % des personnes en Allemagne, 75 % au Royaume-Uni, 72 % en Italie, 65 % en Espagne et 71 % en France.

Nicolas Sarkozy, lors de son principal discours de candidat sur l'Europe à Strasbourg le 21 février 2007, annonçait déjà ce tour de passe-passe. Comme il a été beaucoup cité pour justifier l'absence de référendum, je tiens à rappeler ses termes exacts :

« Je veux que l'Europe redevienne un projet. Je veux remettre la volonté politique au coeur de l'Europe. Je veux que l'on refasse l'Europe des politiques communes plutôt qu'une Europe sans politique.

« Les Français ont dit non à la Constitution européenne parce qu'ils avaient le sentiment que l'Europe ne les protégeait plus et qu'elle faisait d'eux, non des acteurs, mais des victimes de la mondialisation.

« La conséquence de ce qui s'est passé, c'est qu'avant de refonder politiquement l'Europe nous devons la refonder économiquement et socialement. Dans la situation actuelle, l'ambition de tous les Européens devrait être de redéfinir les principes et les règles de l'Union économique et monétaire, en les inscrivant dans cette dimension humaniste et sociale qui fait aujourd'hui tant défaut à l'Europe. La priorité doit désormais être donnée à la croissance et à l'emploi. »

Après une longue diatribe contre l'actuelle Europe, le futur Président de la République concluait : « Je proposerai à nos partenaires de nous mettre d'accord sur un traité simplifié qui reprendra les dispositions du projet de Traité constitutionnel nécessaires pour que l'Europe puisse se remettre en marche, qui n'aient pas suscité de désaccord majeur durant la campagne référendaire. Ce traité simplifié de nature institutionnelle sera soumis par ratification au Parlement. »

Voilà ce dont vous vous prévalez pour refuser le référendum ! Cette citation était nécessaire pour rétablir l'exactitude des propos du candidat Sarkozy.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à une véritable manipulation, très dangereuse pour la démocratie : le traité de Lisbonne est identique, dans son contenu, au Traité constitutionnel rejeté en 2005.

Sa présentation est, certes, différente : il s'agit de modifications des traités antérieurs et non plus d'un texte homogène. Cependant, comme le Traité constitutionnel, il aborde l'ensemble de la politique européenne, et pas seulement les questions institutionnelles. Toute la politique économique et sociale, la politique de défense, la politique étrangère et la politique de sécurité sont concernées.

M. Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, reconnaît cette similitude dans son rapport du 8 novembre 2007 : « Le Traité de Lisbonne reprend en règle générale le contenu du Traité constitutionnel, même si c'est dans une forme complètement différente. » La lecture de votre rapport, monsieur Haenel, est édifiante tant l'énumération des différences entre les deux traités est succincte !

Permettez-moi encore une citation : « L'institution d'une dernière trouvaille consiste à vouloir conserver une partie des innovations du Traité constitutionnel et à les camoufler en les faisant éclater en plusieurs textes. Les dispositions les plus innovantes feraient l'objet de simples amendements aux traités de Maastricht et de Nice. Les améliorations techniques seraient regroupées dans un traité devenu incolore ou inodore. »

C'est un spécialiste, M. Valéry Giscard d'Estaing, vous l'avez reconnu, qui, dès le 14 juin 2007, pressentait ainsi l'opération à venir. Plus récemment, il se bornait à constater que 98 % de son « bébé», « sa » Constitution, étaient repris par le traité de Lisbonne.

Exemple emblématique : la référence à l'article 3 du Traité constitutionnel à la libre concurrence non faussée aurait disparu à la demande de M. Sarkozy quand il était encore candidat. Or il n'en est rien, nous l'avons vérifié, puisque, à l'article 4, c'est « l'économie de marché où la concurrence est libre » qui surgit. Le protocole n° 6 rappelle que le marché intérieur comprend « un système garantissant que la concurrence est non faussée ».

Tous les observateurs non tenus par un engagement ministériel ou électif à l'égard de M. Sarkozy reconnaissent cette réalité.

D'ailleurs, on dit aux Espagnols, qui, à l'époque, ont voté oui - mais sans guère de débats - lors du référendum sur le Traité constitutionnel, que ce n'est pas la peine qu'ils se prononcent à nouveau par référendum, car le traité est le même. Vérité d'un côté des Pyrénées, erreur au-delà...

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