Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 29 janvier 2008 à 22h00
Titre xv de la constitution — Exception d'irrecevabilité

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Le Conseil constitutionnel, par les termes de sa décision du 20 mai 2007, admet la similitude. L'attestent les renvois systématiques à sa décision de 2004 sur le Traité constitutionnel européen, effectués au nom de cette similitude.

Évoquant, sur un site officiel, la question essentielle des transferts de compétences, les membres du Conseil constitutionnel indiquent : « Le traité de Lisbonne ne transfère pas à l'Union, par rapport au Traité constitutionnel européen, d'autres compétences intervenant dans des matières régaliennes nouvelles. Ils ne retirent par ailleurs aucune matière transférée par le TCE. L'amalgame fait en 2004 demeure entièrement valable. Pour autant, il existe des différences de rédaction entre le traité de Lisbonne et le TCE. » Vous voyez comme c'est subtil !

Aussi les juges constitutionnels tentent-ils de se dédouaner en se réfugiant derrière leur décision de 2004.

Pourtant, et c'est un premier motif d'irrecevabilité, nous estimons que le Conseil Constitutionnel, au regard de sa jurisprudence antérieure, aurait dû se déclarer incompétent.

Par une décision du 6 novembre 1962, reprise sur le principe par celle du 23 septembre 1992, le Conseil constitutionnel s'est en effet déclaré incompétent en matière de loi référendaire.

Deux constitutionnalistes commentaient ainsi ces décisions : « Le fait capital est que la haute juridiction a cru pouvoir déduire de l'ensemble des dispositions constitutionnelles qu'elle n'avait reçu mission que d'assurer la régulation de l'expression ? indirecte ? de la souveraineté nationale par les représentants et non de l'expression ? directe ? par les peuples. Selon ses propres termes, le Conseil constitutionnel se refuse à juger les lois qui, ? adoptées par le peuple à la suite d'un référendum, constituent l'expression directe de la souveraineté nationale?. »

Un simple raisonnement a contrario paraît s'imposer. Le Conseil constitutionnel n'aurait pas dû se prononcer sur des dispositions qu'il reconnaît lui-même comme similaires. Il établit systématiquement la référence des nouveaux articles aux anciens articles du TCE, qui ont été repoussés par « l'expression directe de la souveraineté nationale, cette souveraineté populaire qui effraie tant les puissants d'Europe, par référendum. »

Je demande d'ailleurs au président de la commission des lois de s'exprimer avec précision sur ce point. Peut-être consultera-t-il les éminents constitutionnalistes ; je pense à M. Gélard, qui, ici même, en 2005, déclarait : « Il est sans doute dommage qu'à chaque étape de la construction européenne nous n'ayons pas toujours, par le passé, utilisé le référendum. ». Là, ce n'est pas d'un côté à l'autre des Pyrénées, c'est d'une année sur l'autre !

Deuxième motif d'irrecevabilité : nous estimons que le Conseil constitutionnel a omis, comme en 2004, ou même en 1992, un certain nombre d'incompatibilités entre le traité de Lisbonne et la Constitution - je parle évidemment ici de la nôtre, celle de la République française -, incompatibilités que le Gouvernement aurait dû prendre en compte.

J'insiste sur le caractère profondément antidémocratique de la méthode choisie : le Conseil constitutionnel, organe non élu, fixe le cadre - il l'a fait en moins d'une semaine cette fois-ci - de la révision constitutionnelle. Il serait le seul juge, bien sûr, de la compatibilité avec ce que le Conseil constitutionnel lui-même dénomme « l'identité constitutionnelle française ».

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, le Parlement existe ! Le peuple est nié ; faut-il également bâillonner le Parlement ?

Nous estimons qu'un certain nombre d'autres motifs d'inconstitutionnalité existent, et qu'il faudrait en débattre.

L'article 42-2 du traité de Lisbonne est, selon nous, contraire à la Constitution. Cet article subordonne la politique de sécurité et de défense commune à l'OTAN. De fait, l'article 3 de la Constitution de 1958, qui affirme la souveraineté nationale, devrait être modifié en conséquence.

L'article 106 du traité, qui soumet les services publics aux règles de concurrence, est, de fait, en contradiction avec le Préambule de la Constitution de 1946, qui, dans son alinéa 9, évoque les monopoles de fait de certains services publics.

Et, en cette période où la restauration d'un contrôle politique sur la finance apparaît si nécessaire, que dire de l'article 282, qui consacre l'indépendance de la Banque centrale européenne ? Il est, lui aussi, en contradiction flagrante avec le principe de souveraineté nationale en la matière.

Je rappelle que ce principe englobe la souveraineté populaire : l'article 3 de la Constitution la place bien au même rang que celle de la nation.

L'article 48 du traité, qui concerne les clauses dites « passerelles » permettant aux autorités européennes, sans consultation des parlements nationaux, de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée dans certains domaines, exige une adaptation plus explicite de notre Constitution.

Enfin, et ce débat n'est pas le moindre, la référence aux fondements religieux de l'Europe dans les premières lignes du traité mériterait un débat précis sur la compatibilité entre une telle référence, lourde de conséquences, et le caractère laïque de notre République.

Il n'y a pas de mots anodins dans un tel texte. La référence, si manifeste, au religieux pourra d'ailleurs engendrer un important contentieux sur ce thème devant la Cour de justice européenne, dont les jugements auront autorité sur les droits nationaux.

À la lecture de cette énumération, qui pourrait être complétée, vient forcément à l'esprit une question : la construction européenne dans le cadre de ce « traité constitutionnel bis » qui cache son nom respecte-t-elle la « forme républicaine du Gouvernement » ? C'est là un troisième motif d'irrecevabilité. Le cinquième alinéa de l'article 89 de la Constitution dispose en effet expressément qu'une révision ne peut comprendre des dispositions qui portent atteinte à ce principe fondateur ; c'est le Conseil constitutionnel qui, dans le cadre des décisions relatives au traité de Maastricht, a fixé ces limites.

Or, monsieur le secrétaire d'État, alors que la politique économique et monétaire est décidée ailleurs par des oligarques qui n'obéissent qu'au seul dogme du marché, alors que des transferts massifs de souveraineté sont engagés sur le plan de la justice et de la sécurité, ou encore du fait de la mise sous tutelle progressive de l'OTAN, alors que le pouvoir de faire la loi européenne, qui s'impose à la loi nationale, est en réalité entre les mains d'une Commission sans légitimité démocratique, la « forme républicaine du Gouvernement » est-elle préservée ? Mes chers collègues, il est temps de se poser cette question essentielle pour l'avenir de notre peuple, mais aussi des peuples européens dans leur ensemble.

Nous savons bien qu'un certain modèle démocratique est en crise, sous la pression d'une mondialisation financière en pleine expansion anarchique. Les derniers soubresauts boursiers doivent servir d'avertissement. Le peuple doit s'exprimer et ses représentants doivent l'aider à le faire, et non pas l'en empêcher.

J'estime donc, avec de nombreux parlementaires, que cette révision constitutionnelle n'a pas lieu d'être : le peuple a le droit de changer d'avis, mais il n'appartient pas au Parlement de changer l'avis du peuple.

Enfin, dernier motif d'irrecevabilité, la souveraineté populaire qu'établit, je le rappelle, l'article 3 de la Constitution est bafouée par le passage en force de dispositions internationales déjà repoussées par référendum.

Comme le rappelait M. Vidalies, député socialiste qui s'est prononcé pour un nouveau référendum, ni l'article 11 ni l'article 89 de la Constitution ne prévoient de disposition concernant l'échec d'un référendum proposé par l'exécutif. Pourquoi ? Parce que l'évidence s'impose : la voix du peuple doit être respectée sans ambiguïté aucune !

D'ailleurs, en 1946 et en 1969, s'agissant des deux référendums à l'occasion desquels le peuple a été consulté sur des projets de textes, qu'il a refusés - ces référendums n'étaient donc pas des plébiscites -, les résultats ont été suivis d'effets puisque les gouvernements en cause en ont tiré immédiatement les conséquences.

Ce serait donc la première fois de notre histoire qu'il ne serait pas tenu compte de la réponse du peuple exprimée lors d'un référendum. En quelque sorte, la droite aime les plébiscites, elles détestent les référendums...

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