M. Philippe Bonnecarrère a été rapporteur de la loi de 2015 relative au statut de l'AFP.
Je souhaiterais aborder le thème de la sécurité des journalistes de FMM car je sais qu'il s'agit d'une de vos préoccupations majeures du fait de la multiplication des zones de conflits et des arrestations de journalistes à travers le monde, telle celle, récente, d'Olivier Bertrand en Turquie. Quelles sont les mesures particulières avez-vous prises pour y faire face ? Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées ?
Sachez que nous vous soutenons car nous comprenons les spécificités propres à un média audiovisuel extérieur. Elles sont inhérentes aux prises de risque, au courage et à la nécessité d'être tout de même sur le terrain afin d'exercer votre mission de service public. Je souhaiterais que vous partagiez cet aspect avec les membres de notre commission.
Je rappelle à M. Duvernois que la concurrence que représente l'information sur le web pour les chaînes « traditionnelles » existait avant Franceinfo. Le web est, en effet, le lieu de toutes les concurrence puisque radio, télévision, presse écrite se retrouvent sur ce marché. C'était le cas de Franceinfo, à l'époque France TV info, qui avait exactement la même offre et était regardée à l'international. FMM se différencie car nous touchons, en outre, plus largement les francophones que les français. Même les Français expatriés ont besoin d'entendre parler du pays où ils habitent et ça ne correspond pas totalement à la ligne éditoriale de Franceinfo. Nos offres sont donc complémentaires pour les Français de l'étranger.
Les francophones ne sont pas plus intéressés par Franceinfo que par France 24 alors que France 24 émet en trois langues étrangères. Du fait de la montée de l'arabe et de l'anglais sur France 24, la langue française ne concerne à peine plus que la moitié des contenus proposés. En conséquence, la moitié de notre trafic se fait en langue étrangère et c'est là notre signature.
France 24 est de surcroît déjà représentée sur la chaîne de Franceinfo. Une version du site va être dévoilée en décembre, elle devrait également permettre une montée en puissance. Ces médias appréhendent l'actualité sous un angle différent. Le caractère autocentré des Français exaspère souvent le reste du monde et France 24 tient à s'en éloigner.
Je reviens sur les problèmes de sécurité rencontrés par nos journalistes et rappelle que nous avons récemment dû en exfiltrer un de Tanzanie alors qu'il était condamné pour terrorisme. Une action similaire a également été nécessaire au Burundi. Le premier journaliste a obtenu le statut de réfugié en France du fait, notamment, des actes de torture dont il avait été victime. Je confirme qu'Ahmed Abba risque la peine de mort alors que son accusation ne s'appuie sur aucun élément tangible. Je comprends que le Cameroun soit déstabilisé par l'opposition qu'il doit mener à Boco Haram. Cette lutte ne doit cependant pas conduire à un amalgame entre journalistes et terrorisme. Les auditions de Ahmed Abba par la justice camerounaise se multiplient et nous nous efforçons d'être à ses côtés à chacune d'entre elles. Nous ne perdons pas l'espoir de le voir libéré avant la fin de l'année.
Enfin, en République Démocratique du Congo (RDC), où il ne nous est plus possible d'émettre depuis une semaine. Une mission s'y rendra à ce titre la semaine prochaine.
Ces difficultés sont paradoxalement inhérentes à notre succès. Si RFI n'avait pas gagné la crédibilité, le statut et le poids qu'elle a actuellement, elle ne serait pas perçue comme une menace par certains, même s'il s'agit d'une contrepartie dont nous nous passerions volontiers.
Je me souviens de votre témoignage de soutien lors de l'assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, dont nous avons récemment commémoré la disparition. On ne se remet jamais de ce type de situation. Personne n'a oublié Jean Hélène. Personne n'a non plus oublié Johanne Sutton dont nous avons également commémoré la semaine dernière les 15 ans de la disparition en Afghanistan. Grand reporter est un métier à risque mais nous savons que ne plus l'exercer revient à laisser leur place au non-droit, aux massacres et aux dictatures. Le silence est complice des pires abominations. Aucun reportage ne vaut une vie et ce principe ne saurait souffrir d'exceptions. Mais le « risque zéro » n'existe pas et nous devons faire l'effort de le minimiser au maximum pour assurer notre mission. Il en va de la démocratie.
Nous avons, pour cela, créé le stage que j'ai évoqué en introduction et qui est également ouvert aux non-journalistes. D'une durée d'une semaine, il traite des divers aspects du métier de journaliste comme son exercice e, zone de guerre ou lors des manifestations dangereuses, mais aussi du numérique, de la psychologie, du secourisme... La liste est longue. Il n'existe pas d'équivalent et c'est la raison pour laquelle des médias comme Europe 1 ou Canal plus y voient des collaborateurs.
J'ai également recruté un jeune colonel en retraite au poste de responsable de la sécurité. Nous avons ainsi pu conceptualiser les procédures et les ventiler en fonction des zones concernées, selon une cartographie des risques unique pour toute la société, et assurer la sécurité des personnels déployés. Il faut aussi lutter contre l'impunité des crimes commis contre des journalistes car, sur 10, 9 restent impunis à l'heure actuelle. L'année 2015 a été celle du triste record du nombre de morts de journalistes. Je tire mon chapeau aux journalistes qui vont sur le terrain. Il ne s'agit pas de baroudeurs ou d'aventuriers, mais bien de professionnels qui ont à coeur de trouver la vérité. Beaucoup d'entre eux sont des femmes.
Nous possédons, dans un autre domaine, un dispositif de lutte contre les cyberattaques puisque nous subissons en moyenne 1 million de tentatives d'intrusion chaque mois. Un plan de sécurité de nos locaux a aussi été mis en oeuvre.
Le projet d'information des migrants est un projet européen. Nous ne pensions pas, à l'origine, rencontrer un tel succès et avons dû aller chercher des partenaires d'autres pays membres pour obtenir la subvention européenne qui nous était nécessaire. C'est pourquoi nous nous sommes tournés vers Deutsche Welle qui est l'un de nos partenaires habituels et que l'Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA) s'est spontanément jointe à nous. Un dossier franco-français, conduit avec l'AFP par exemple, n'aurait eu que peu de chances d'obtenir cette subvention. Je signale, à cette occasion, siéger au conseil d'administration de l'AFP. J'y ai été nommée pour représenter le service public.
Au même titre que Reuters et BBC world, FMM et l'AFP n'ont pas le même rôle et n'ont donc pas vocation à fusionner.