Je vous ai présenté la semaine dernière les grands équilibres budgétaires. Venons-en à la première partie du texte, qui comprenait initialement 29 articles. L'Assemblée nationale en a introduit 23 supplémentaires, ce qui fait 52 articles à examiner.
Le Gouvernement a fait le choix de modifier très profondément l'équilibre en recettes et en dépenses pour 2017, en renonçant aux baisses d'impôts promises pour relâcher l'effort sur la dépense publique. Résultat, le volet « recettes » du projet de loi de finances ne comporte pour 2017 - au-delà, on le verra, des miracles pourraient avoir lieu ! - aucune disposition fiscale d'importance.
En particulier, le Gouvernement a annulé les 5 milliards d'euros de baisses d'impôts prévues pour les entreprises. Il a renoncé aux engagements pris dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité. Seule subsiste, à l'article 6, la création d'une nouvelle tranche de bénéfices, jusqu'à 75 000 euros, imposée au taux réduit de 28 % pour les PME. Cette mesure se traduit en 2017 par une moindre recette limitée à 330 millions d'euros. Le même article promet, en revanche, une belle trajectoire pour l'avenir : en effet, cette baisse de l'impôt sur les sociétés ne se limite pas à 2017 ! À compter de 2020, l'ensemble des entreprises bénéficierait d'un taux de droit commun à 28 %, pour un coût de 7 milliards d'euros.
La seule mesure fiscale un tant soit peu significative pour 2017 figure à l'article 2 : il s'agit d'une réduction proportionnelle de l'impôt sur le revenu, en faveur de 7 millions de foyers fiscaux, pour un coût de 1 milliard d'euros, soit un gain moyen de 154 euros par foyer fiscal. Cette disposition est ciblée sur les ménages qui, dans leur grande majorité, ont déjà bénéficié des allègements des deux dernières années. Ce geste n'est pas anodin à l'approche des prochaines échéances électorales. Il a été défini en fonction des faibles marges disponibles en recettes, cependant son coût n'est pas négligeable.
Cette nouvelle réduction fiscale vient encore compliquer l'impôt et brouiller la lisibilité du barème. L'empilement des dispositifs - décote simple, décote conjugale, réduction d'impôt proportionnelle - montre que le Gouvernement tente d'annuler les effets de la politique fiscale menée au début du quinquennat. À l'évidence, il n'y a pas eu de stratégie cohérente de réforme. À l'invitation de Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, j'ai participé à de grandes réunions à Matignon, au cours desquelles on nous assurait que des groupes de travail seraient constitués, pour la fiscalité des entreprises et pour celle des ménages. On nous expliquait que l'ensemble du système fiscal serait remis à plat, que rien n'était interdit. Tout cela a fait pschitt ! Pas de réformes d'envergure de l'imposition des ménages, seulement un matraquage, que le Gouvernement tente in extremis d'annuler par des décotes.
En définitive, seuls 43,8 % des foyers fiscaux acquittent l'impôt sur le revenu en 2016, contre 50 % en 2012. L'impôt se concentre sur un nombre toujours plus réduit de contribuables.
Pour les entreprises, l'exercice budgétaire 2017 se traduira par des avances d'impôts à l'État. Ces petites mesures sont autant de tours de passe-passe, qu'il s'agisse, à l'article 7, de l'acompte d'impôt sur les sociétés ou, à l'article 8, de l'acompte de majoration de taxe sur les surfaces commerciales, la Tascom. Les députés ont amplifié ce mouvement en élargissant l'acompte à la part de Tascom perçue par les collectivités territoriales. Ainsi les entreprises devront-elles verser par anticipation 940 millions d'euros dont elles ne sont redevables qu'au 1er janvier de l'année suivante ! Il s'agit d'une mesure de trésorerie totalement artificielle, portant, pour ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, sur un bénéfice qui n'est pas encore réalisé.
À l'instar de l'article 9, créant un nouvel acompte de prélèvement forfaitaire sur les revenus mobiliers, pour 380 millions d'euros, ces deux articles ne sont pas acceptables : il s'agit bien de prélèvements supplémentaires dont le seul objet est de gonfler artificiellement les recettes en 2017 pour afficher un meilleur résultat budgétaire ; on ne retrouvera pas ces ressources en 2018.
En outre, l'Assemblée nationale a introduit deux articles qui ne vont pas non plus dans le bon sens pour nos entreprises et pour notre compétitivité. L'article 4 bis remet en cause de manière particulièrement inopportune le régime fiscal et social des actions gratuites, qui résultait de la loi dite Macron, sans qu'aucun bilan n'ait encore été dressé. Ce régime aurait pu être utile, par exemple, aux start up. Il n'a même pas pu être mis en oeuvre ! Le Conseil constitutionnel se prononcera sur la constitutionnalité de cette disposition, partiellement rétroactive.
Ensuite, l'article 11 bis élargit aux opérations intrajournalières l'assiette de la taxe sur les transactions financières (TTF), tout en augmentant son taux de 0,2 % à 0,3 %, au moment où la place de Paris cherche pourtant à attirer les investisseurs, après le vote du Brexit. Nous organisons de belles réunions pour déclarer que la place de Paris est meilleure que celle de Francfort et nous instaurons, seuls, une telle taxation : c'est un signal contradictoire et malvenu ! Nous ne pouvons donc pas accepter ces deux articles.
La disposition dite anti-abus qui figure à l'article 4 fait manifestement suite à un article paru dans Le Canard enchaîné le 8 juin dernier. Le palmipède a en effet publié une liste de contribuables bénéficiant du plafonnement au titre de l'ISF. Mais, compte tenu de leur formulation floue, ces dispositions sont particulièrement fragiles : sur ce point, je suis prêt à prendre tous les paris.
Enfin, par cohérence avec l'analyse que j'ai développée sur la réforme du prélèvement à la source, j'estime que l'article 5, qui en tire les conséquences sur le régime fiscal applicable aux indemnités des élus locaux, devrait être supprimé. Charles Guené est déjà intervenu sur ce sujet.
Je n'évoquerai pas longuement les articles de nature technique ou dont l'enjeu budgétaire ou fiscal est très limité. Tous sont issus d'amendements de l'Assemblée nationale. Ils ne posent pas de difficulté. Il s'agit de l'article 2 bis, relatif à l'exonération d'impôt sur le revenu pour les bénéfices tirés des loyers versés aux sociétés civiles immobilières d'accession progressive à la propriété ; de l'article 2 ter, relatif à l'exonération d'impôt sur le revenu pour les médaillés olympiques de Rio - la mesure d'étalement que nous avons votée l'an passé à l'initiative de Didier Guillaume paraissait plus pertinente ; de l'article 4 quater, portant correction d'une erreur matérielle ; des articles 7 ter et 7 quater, relatifs aux aménagements du régime des micro-bénéfices agricoles ou micro BA ; de l'article 7 octies, ayant pour objet la valorisation au coût de revient des dons en nature aux associations ; de l'article 12 ter, assurant l'extension de la TVA à 5,5 % autour des quartiers prioritaires de la politique de la ville ; et des articles 18 bis et 18 ter, rédactionnels.
Sans poser de difficulté particulière, certains articles auraient pu être améliorés dans leur rédaction. Je songe à l'article 3, relatif à la solidarité à l'égard des ayants droit des victimes d'acte de terrorisme ; à l'article 3 bis, relatif à l'exonération d'impôt sur le revenu pour les primes versées dans le cadre de l'opération Sentinelle ; à l'article 7 quinquies, qui concerne les exonérations d'impôt sur les sociétés d'HLM au titre des contrats d'économie d'énergie ; à l'article 7 sexies, qui apporte une clarification bienvenue mais incomplète au sujet des entreprises en difficulté ; et à l'article 12 bis, relatif à la TVA à 5,5 % pour les résidences hôtelières à vocation sociale.
D'autres articles additionnels introduits par les députés devraient, à mon sens, être supprimés. Certains créent des dépenses fiscales parfois difficiles à contrôler, comme l'article 11 ter, exonérant de taxe intérieure de consommation le biogaz mélangé au gaz naturel ; d'autres paraissent prématurés, comme l'article 11 quater, élargissant le tarif réduit de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité aux autobus hybrides. Certains ont un impact trop faible, comme l'article 7 bis relatif au suramortissement des véhicules de 3,5 tonnes et plus. Je n'approuve pas non plus ceux qui consistent à augmenter des « petites taxes », comme l'article 18 quater, qui concerne la taxe affectée à l'Institut des corps gras.
Enfin, pourquoi modifier sensiblement des dépenses fiscales qui sont censées prendre fin au 31 décembre 2017 et qui feront alors l'objet d'une réévaluation ? Il en est ainsi de l'article 4 ter, relatif aux sociétés pour le financement du cinéma et de l'audiovisuel (SOFICA), et de l'article 7 septies, garantissant un taux réduit d'impôt sur les sociétés pour les cessions de locaux à usage industriel transformés en habitation. Il faudrait, à tout le moins, que nous disposions d'un bilan de ces niches fiscales !
En revanche, deux mesures concernant la fiscalité énergétique et environnementale ne soulèvent pas de difficulté majeure : l'article 12 quater relatif à la TVA sur les véhicules à essence, et l'article 23, sur le barème du bonus-malus automobile. Je vous rappelle que notre collègue Jean-François Husson avait proposé ce rapprochement, en cinq ans, de la fiscalité du diesel et de l'essence, lors du dernier collectif budgétaire.
Les besoins de financement croissants en matière de transports se traduisent, à l'article 11, par une majoration de TICPE au profit du Syndicat des transports d'Île-de-France (Stif) ; à l'article 21, par le relèvement du plafond de recettes du CAS « Radars » ; et à l'article 24, par un aménagement des ressources du CAS « Services nationaux de transport de voyageurs ». Les rapporteurs spéciaux ont déjà abordé ces questions.
Au-delà de l'aménagement du régime des SOFICA, qui me semble prématuré, ce projet de loi de finances proroge, par l'article 7 nonies, le crédit d'impôt « cinéma international ». Par ailleurs, si l'Assemblée nationale a rejeté la hausse de la contribution à l'audiovisuel public de 1 euro en plus de l'inflation, elle a, en compensation, augmenté le montant de la taxe sur les opérateurs de communication électronique (TOCE), qui est affectée à France Télévisions. Or la Cour des comptes vient encore de nous le confirmer : les économies au sein du groupe sont plus que souhaitables, elles sont un préalable indispensable.
Au surplus, les prorogations de crédits d'impôt se font la plupart du temps sans évaluation, comme pour le crédit d'impôt pour la transition énergétique, le CITE, figurant à l'article 10. L'Assemblée nationale a autorisé la prorogation d'un dispositif qui coûte 1,6 milliard d'euros tout en demandant un rapport d'évaluation. Il en est de même en matière de logement : ceux qui ont pris part à l'intéressant groupe de travail consacré à ce sujet le savent, il est très difficile d'évaluer la part de l'effet d'aubaine et celle de l'incitation véritable.
En outre, en supprimant le cumul du CITE avec l'éco-PTZ sans conditions de ressources, on crée une situation difficile pour les contribuables qui ont pu croire aux annonces du Gouvernement en mars dernier. Dans le rapport qu'elle nous a remis récemment, la Cour des comptes a rappelé toutes les limites de ces dépenses fiscales en faveur du développement durable. Ce sujet exige un travail de fond de notre part.
L'article 12 procède au gel de la dégressivité des abattements de zones franches d'activité, les ZFA, en 2017, sans engager de réflexion sur l'efficacité de ce mécanisme. A contrario, le Gouvernement propose, à l'article 13, de supprimer quelques petites niches fiscales mais il vise parmi celles-ci le suramortissement des logiciels, ou encore de la suppression de l'exonération de la plus-value sur la vente d'un premier logement hors résidence principale, en cas de réinvestissement dans l'achat d'une résidence principale. Aujourd'hui, la plus-value est exonérée en cas de première cession, et lorsque le vendeur n'est pas propriétaire de sa résidence principale.