Intervention de Jérôme Bignon

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 16 novembre 2016 à 9h05
Loi de finances pour 2017 — Mission « écologie développement et mobilité durables » - crédits « biodiversité et transition énergétique » - examen du rapport pour avis

Photo de Jérôme BignonJérôme Bignon, rapporteur :

C'est déjà la troisième fois que je vous présente, dans le cadre du projet de loi de finances, les crédits de trois programmes de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » : le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité », le programme 159 « Expertise, information géographique et météorologie » et le programme 174 « Énergie, climat et après-mines ».

Ces trois programmes regroupent 1,24 milliard d'euros, soit 12,8% des crédits de l'ensemble de la mission, proportion qui diminue légèrement par rapport à l'exercice précédent.

2016 a été une année marquée par deux temps forts en matière de biodiversité et de climat. Le premier est l'adoption de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages le 8 août 2016, qui a notamment créé l'Agence française pour la biodiversité (AFB), dont nous venons de parler. Le deuxième a été, tout au long de l'année, le processus de ratification de l'accord de Paris. La France l'a ratifié le 15 juin 2016 et l'accord est entré en vigueur le 4 novembre. Qui aurait pu dire, il y a un an, qu'on serait allé aussi vite et aussi loin dans cette démarche fantastique et vitale pour l'avenir de notre planète et de l'humanité ? Nous revenons d'ailleurs de Marrakech où se déroule actuellement la COP 22. Nous en reparlerons lors d'une prochaine réunion de commission.

J'en viens maintenant à l'examen des crédits des trois programmes.

Le programme 113 est marqué cette année, par un événement majeur : la création de l'AFB. L'essentiel des crédits est réservé, à travers trois actions, au financement des actions de gestion et de préservation de la biodiversité, aquatique, marine et terrestre, permettant l'application des directives communautaires sur l'eau et la nature, la mise en oeuvre de la Stratégie nationale pour la biodiversité et des feuilles de route issues des conférences environnementales.

Les crédits de ce programme continuent à progresser de 1,4%, soit 4 millions d'euros supplémentaires par rapport à l'année dernière. Cette augmentation vise notamment à financer diverses mesures sociales au sein des opérateurs du programme.

Je voudrais insister sur trois points en ce qui concerne ce programme.

Le premier, dont je me réjouis, est la hausse de 12% des crédits consacrés aux espaces et aux milieux marins, avec près de 16 millions d'euros dédiés au financement de la mise en oeuvre de la directive cadre stratégie pour le milieu marin, des actions d'aménagement du domaine public maritime naturel et de gestion du trait de côte, des études de connaissance du milieu marin, de lutte contre la pollution marine et de gestion des ressources minérales naturelles.

Le deuxième point concerne les moyens consacrés à la politique de l'eau. Le programme 113 prévoit 13,5 millions d'euros pour financer les actions de police de l'eau, et d'application des directives européennes. En revanche, je regrette fortement que les agences de l'eau soient à nouveau prélevées cette année de 175 millions d'euros sur leur fonds de roulement. Nous avions déjà été nombreux l'année dernière à nous y opposer, mais cette année, cette ponction est d'autant plus injustifiée qu'elle intervient dans un contexte particulier puisque les missions des agences de l'eau ont été étendues à la biodiversité terrestre par la loi que nous avons votée en août.

Les présidents des comités de bassin se sont d'ailleurs opposés au maintien de ce prélèvement lors de la réunion du comité national de l'eau du 4 octobre 2016.

Pour ma part, je suis également favorable à une suppression de ce prélèvement dès cette année, car la situation n'est plus la même qu'en 2015 au moment où cette ponction exceptionnelle, qui pouvait se justifier par une solidarité des opérateurs dans la nécessité de redresser les comptes publics, a été prévue.

Dernier point en ce qui concerne le programme 113, et pas des moindres : la budgétisation de la future Agence française pour la biodiversité. Nous venons d'entendre Christophe Aubel sur ce sujet mais je souhaite vous apporter quelques éléments complémentaires.

Selon les informations qui m'ont été transmises, l'AFB doit bénéficier d'un budget global de 225,5 millions d'euros. Elle devra assurer la continuité des missions des quatre opérateurs fusionnés en son sein et se verra attribuer de nouvelles missions comme par exemple la gestion des trois parcs naturels marins créés en 2015 et 2016. En outre, les parcs nationaux seront rattachés à l'agence.

Géographiquement, elle s'organisera autour de trois pôles à Brest, Montpellier et Vincennes pour les services centraux.

Pour assurer ses missions, l'AFB bénéficiera de deux types de ressources :

- une subvention pour charges de service public versée par l'État à hauteur de 34,5 millions d'euros, qui sera inscrite au programme 113 : ce montant résulte, pour 2017, du transfert des subventions pour charges de service public des quatre opérateurs fusionnés ;

- une contribution des agences de l'eau qui comprend, d'une part, une contribution plafonnée à 150 millions d'euros par an (l'ancienne contribution à l'Onema), d'autre part, un prélèvement annuel sur le produit de la redevance pollutions diffuses perçu par les agences de l'eau, plafonné à 41 millions d'euros et destiné au plan Ecophyto 2018.

Enfin, le plafond d'emplois de l'agence devrait être de 1 227 équivalents temps plein (ETP) en 2017, dont 45 créations de postes, qui seront destinées aux parcs marins récemment créés, comme par exemple le parc marin d'Arcachon, qui ne dispose pour l'instant d'aucun ETP.

J'en viens maintenant aux crédits du programme 159 « Expertise, information géographique et météorologie ». Alors que l'année dernière, le programme ne comportait que la subvention pour charges de service public versée à l'IGN, son périmètre s'étend aux subventions de deux nouveaux opérateurs cette année, le Centre d'études et d'expertise pour les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) et Météo-France, qui figurait auparavant dans le programme 170 désormais supprimé.

Ces trois opérateurs, rattachés au programme 159 et placés sous la tutelle de la Direction de la recherche et de l'innovation, ont en commun d'intervenir sur des politiques transversales au service de la transition écologique, en s'appuyant fortement sur l'expertise scientifique et technique et avec une forte dimension territoriale.

Si on compare les crédits alloués à ces trois actions aux crédits alloués aux mêmes postes dans la maquette de l'année dernière, on constate que les crédits du programme baissent légèrement cette année.

J'ai souhaité me pencher un peu plus en détails sur le CEREMA, non seulement parce qu'il devient le poste le plus important du programme, avec 213,19 millions d'euros de subvention, mais aussi parce que je ne connaissais pas bien cet établissement, de même peut-être qu'un certain nombre d'entre vous.

Le CEREMA est un établissement public administratif jeune d'à peine trois années puisqu'il est né le 1er janvier 2014. La loi le définit comme centre de ressources et d'expertises scientifiques et techniques interdisciplinaires apportant son concours à l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation des politiques publiques en matière d'aménagement, d'égalité des territoires et de développement durable.

Pourtant, nous faisons régulièrement le constat d'une vraie inquiétude des territoires, notamment les plus ruraux, face à l'expertise et à l'ingénierie. Et le CEREMA pourrait justement leur apporter une réponse, ce qu'il semble faire aujourd'hui mais de manière encore trop ponctuelle.

Le CEREMA est né de la fusion de onze services de l'État : les huit centres d'études techniques de l'équipement (CETE), le Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (Certu), le Centre d'études techniques maritimes et fluviales (Cetmef) et le Service d'études sur les transports, les routes et leurs aménagements (Sétra).

Il est placé sous la double tutelle du ministère en charge du développement durable et des transports et du ministère en charge de l'urbanisme. Sa gouvernance est partagée entre l'État et les collectivités territoriales, au sein d'un conseil d'administration et d'un conseil stratégique.

Le premier projet stratégique de l'établissement, adopté lors du conseil d'administration du 29 avril 2015, a défini neuf champs d'action : l'aménagement et l'égalité des territoires, les villes et stratégies urbaines, la transition énergétique et le changement climatique, la gestion des ressources naturelles, la prévention des risques, la réduction des nuisances, la mobilité, la gestion et la conception des infrastructures et l'habitat et le logement.

Le directeur général, Bernard Larrouturou, m'a indiqué que malgré l'ampleur de ce champ d'intervention et pour éviter le risque de dispersion inhérent à ses missions, deux priorités étaient aujourd'hui sanctuarisées : l'égalité des territoires et la transition énergétique.

Le principal donneur d'ordres de l'établissement est l'État, puisque 90% de ses recettes proviennent de la subvention de l'État, mais le CEREMA travaille également avec les collectivités territoriales, via des appels d'offre mais aussi aujourd'hui par le biais de nouveaux outils juridiques comme les partenariats public-public.

J'ai développé quelques exemples d'actions du CEREMA dans mon rapport écrit. Je trouve qu'ils sont parlants. Je vous en citerai quelques-uns. La DREAL de Lorraine, maître d'ouvrage du projet d'autoroute A31 bis a ainsi sollicité le CEREMA afin de réaliser les études préparatoires au débat public sur ce projet. Le ministère de l'environnement a demandé au CEREMA, dans le cadre de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, d'élaborer le premier indicateur national de l'érosion côtière. Autre exemple, la Direction départementale des territoires de la Mayenne a confié au CEREMA le soin de réaliser une étude sur l'opportunité de développer l'urbanisation autour des axes de TER en milieu rural.

La stratégie affichée du CEREMA, qui en est encore à sa phase de construction, est de s'orienter de plus en plus vers les collectivités. Et je crois que nous devrions, en tant que représentants des collectivités territoriales, encourager cette tendance, surtout vers nos territoires ruraux, ce qui implique de donner à l'établissement les moyens de son ambition.

Or, les moyens ne sont pas là et l'établissement paraît véritablement menacé. Il semble qu'il soit déjà né avec deux difficultés patrimoniales majeures : des équipements scientifiques et techniques parfois obsolètes car cela faisait déjà plusieurs années que les services fusionnés sous-investissaient ; et la question de l'immobilier puisque si l'État est resté propriétaire, tous les coûts des bâtiments sont à la charge de l'établissement.

Le scénario envisagé par l'établissement, qui est de passer de 3 100 personnels à 2 600 en 2020, semble possible pour sauver l'établissement mais à condition, d'une part, de freiner le rythme de baisse des effectifs - une diminution de 125 ETP est prévue pour cette année - d'autre part, de freiner la diminution de la subvention pour charges de service public en parallèle (car aujourd'hui elle diminue plus vite que la masse salariale, avec une baisse d'environ 4,5 millions d'euros cette année) et, enfin, d'augmenter les ressources propres. Il y a un vrai enjeu pour le CEREMA de contribuer à une meilleure organisation territoriale, en lien avec les grandes communautés de communes et les communautés d'agglomération.

J'en viens au dernier programme de mon rapport, le programme 174 « Énergie, climat et après-mines », dont les crédits doivent servir de support à la mise en oeuvre de la politique énergétique et à la lutte contre le changement climatique.

Aucun changement de périmètre par rapport à l'année dernière sur ce programme, dont l'essentiel des crédits sert toujours à financer et verser les prestations des retraités ou retraités anticipés des mines fermées et de certaines mines et ardoisières en activité, ainsi que les retraites de certains retraités des industries électriques et gazières. Le budget de l'après-mines s'élève pour 2017 à 424,3 millions d'euros.

Le montant total des crédits du programme 174 s'élève lui à 456,5 millions d'euros, en baisse de 10% principalement du fait de la diminution du nombre d'ayants droit de l'après-mines.

Le programme 174 ne comprend en réalité qu'une petite partie des crédits destinés à la transition énergétique, qui sont éparpillés au sein de ce programme, du programme 345 relatif au « Service public de l'énergie » mais aussi du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique ».

Dans le programme 174 à proprement parler, les 27,5 millions d'euros consacrés à la lutte contre la pollution de l'air et le changement climatique paraissent cette année encore insuffisants. En particulier, les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA) rencontrent des difficultés financières importantes comme l'a montré le récent rapport sénatorial de la commission d'enquête sur la pollution de l'air.

Le Fonds de financement de la transition énergétique, doté de 250 millions d'euros en 2015, n'est pas abondé par des crédits supplémentaires cette année et son exécution demeure opaque.

Des signaux contradictoires sont envoyés lorsque, d'un côté, l'Assemblée nationale adopte un article prévoyant une convergence en 5 ans de la fiscalité du diesel et de celle de l'essence pour les véhicules d'entreprise et que, de l'autre, le Gouvernement abandonne la fixation d'un prix plancher pour le carbone, pourtant annoncée de manière solennelle par le Président de la République.

Enfin, je m'inquiète de la stagnation des moyens alloués au Fonds chaleur, mis en place après le Grenelle de l'environnement afin de soutenir la production de chaleur à partir de sources renouvelables. J'avais déjà évoqué devant vous il y a deux ans l'utilité et l'efficacité de ce fonds, tant du point de vue de l'important « effet levier » de ses investissements que du point de vue du développement de la filière économique forestière. Mais ses crédits n'ont cessé de diminuer. Alors que la Ministre avait annoncé en 2014 un doublement de ce fonds, qui devait être porté à 420 millions d'euros en 2017, les crédits prévus pour l'année prochaine s'élèvent à 221 millions d'euros, soit près de la moitié.

Mes chers collègues, voici pourquoi, je vous proposerai de donner un avis défavorable à l'adoption de ces crédits. J'ai eu l'occasion de le dire, tout comme notre collègue Louis Nègre en tant que rapporteur de la loi de transition énergétique : nous sommes aujourd'hui confrontés aux facettes différentes d'une même « crise » commune - les menaces pesant sur la biodiversité et sur nos ressources naturelles, le réchauffement climatique, le spectre d'une « sixième extinction » - qui imposent une profonde mutation des politiques publiques, et donc des moyens ambitieux pour y parvenir. Ces moyens sont porteurs d'innovations et d'emplois partout où ils sont mobilisés. Nous venons de le voir au Maroc avec le formidable essor des énergies nouvelles et notamment des énergies solaires avec les promesses d'emplois qu'il porte. Notre pays devrait être davantage au rendez-vous, notamment avec des crédits et pas seulement avec des déclarations.

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