Intervention de Christian Eckert

Réunion du 16 novembre 2016 à 21h00
Financement de la sécurité sociale pour 2017 — Article 16

Christian Eckert, secrétaire d'État :

Pardonnez-moi, je travaille depuis trois ans sur ce dossier, et j’habite à côté de la frontière luxembourgeoise : je crois connaître le sujet.

Nos analyses nous conduisent à affirmer que les augmentations de prix, qui ont été plus importantes en France que dans les autres pays d’Europe continentale, ont conduit à une baisse spectaculaire de la consommation, de 20 % à 30 % au minimum – nous vous donnerons les chiffres précis –, au cours des quinze dernières années, dans le circuit légal. Une baisse aussi importante des ventes, fût-ce dans le circuit légal, ne peut être compensée totalement par les importations illégales ou les trafics en tous genres. J’assume ce que je dis, et je sais la valeur des propos tenus par un membre du Gouvernement devant une assemblée parlementaire. Nous pourrons reprendre ce débat avec des chiffres plus précis, si vous le souhaitez.

Par ailleurs, la lutte contre les importations illégales a été considérablement renforcée par plusieurs dispositifs. Le Sénat a accepté la proposition du Gouvernement d’interdire les achats sur internet. Jusqu’alors, en effet, seules les ventes sur internet étaient interdites, disposition difficile à appliquer, les ventes étant réalisées par des sites basés à l’étranger. Nos cyberservices de douanes se livrent désormais à de faux achats en ligne pour repérer les circuits de vente sur internet. Cela produit déjà des effets.

Nous avons également renforcé les limitations des quantités d’achat de tabac autorisées dans les pays limitrophes pour une consommation personnelle. Nous sommes même allés, je le dis tout bas, au-delà des standards européens : nous avons pris des dispositions plus dures pour limiter le nombre de paquets autorisés pour sa consommation personnelle. Pour l’instant, personne ne nous a attaqués…

Yves Daudigny a cité un article de presse témoignant de cette réalité dans le nord de la France. J’ai personnellement assisté à des contrôles aux frontières. La personne qui se rend dans un pays étranger pour acheter des cigarettes pour son beau-frère, sa belle-sœur, son tonton et son fiston, on la reconnaît : elle achète souvent des marques différentes. Elle a même parfois la naïveté de le dire. Or je peux vous dire qu’elle est sanctionnée. Naturellement, si cette personne achète deux cartouches pour son usage personnel, elle ne l’est pas.

Autre observation : certains orateurs ont l’air de considérer que le dispositif prévu par l’article 16 entraînera automatiquement une augmentation des prix. Nous faisons le pari que tel ne sera pas le cas. Georges Labazée l’a parfaitement expliqué : les principaux producteurs de tabac sont localisés à l’étranger et vendent presque exclusivement à un seul distributeur agréé en France, qui est d’ailleurs l’une de leurs filiales. Les profits sont donc réalisés à l’étranger, pour un chiffre d’affaires fait en France. Cela est parfaitement anormal.

D’après nos estimations, fondées sur des calculs et des comparaisons, les marges réalisées par les fabricants sur les produits vendus en France sont très supérieures à ce qu’elles peuvent être à l’étranger, où le prix de vente est inférieur. Nous faisons donc le pari que, avec le lancement simultané du paquet neutre, les fabricants peuvent absorber cette taxe d’un rendement attendu de 130 millions d'euros, compte tenu des quantités écoulées et du chiffre d’affaires en jeu.

Reste un problème particulièrement important, parmi d’autres, qui doit être traité : la situation des petites entreprises qui fabriquent en France et qui passent par le principal distributeur agréé pour écouler leurs marchandises. Ces petites entreprises se voient déjà appliquer des tarifs près de quatre fois supérieurs à ceux acquittés par les fabricants installés à l’étranger. C’est là qu’est le problème ! Il n’est pas de savoir si la contribution supplémentaire sera répercutée ou non sur les prix par le distributeur agréé, dont nous tairons d’ailleurs le nom, la loi ayant une portée générale et non particulière.

Une harmonisation est possible. C’est l’objet du travail que nous avons conduit récemment et que nous allons reprendre, j’en prends l’engagement devant vous, à l’occasion de la navette sur ce texte. Nous devons trouver la meilleure des solutions pour ces fabricants nationaux. Je m’y suis également engagé auprès d’eux et auprès des députés. Prenons seulement garde aux chiffres qui circulent, notamment des marges réalisées, et qui ne correspondent pas toujours à la réalité.

Dans tous les cas, supprimer l’article 16, comme le propose la commission des affaires sociales, irait complètement à l’encontre de nos objectifs collectifs : la lutte contre le tabagisme et la justice fiscale. Les gros producteurs de tabac, qui réalisent des milliards d’euros de chiffres d’affaires, et donc des milliards d’euros de profit sur les ventes de tabac en France, ne paient pas un radis d’impôt à notre pays !

Le seul moyen que nous avons trouvé pour mettre fin à cette situation – d’autres moyens apparaîtront peut-être à l’avenir ; des travaux sont actuellement menés en ce sens à l’échelle européenne – est celui que nous vous proposons dans cet article : la contribution du distributeur agréé, dont je rappelle qu’il est le fiston d’un des fabricants. Nous faisons le pari qu’il l’absorbera pour qu’il n’y ait pas d’impact à la vente.

Un mot, enfin, sur la traçabilité des cigarettes. C’est un sujet important qui, je le dis franchement, nous a divisés. Nous avons eu des combats violents sur ce sujet à l’Assemblée nationale. Ce ne sera pas le cas ici ; ce n’est pas le genre de la maison.

Je me suis fait traiter de tous les noms : défenseur du lobby du tabac, défenseur du lobby des fabricants des puces électroniques permettant la traçabilité des cigarettes… Je vous le dis dans les yeux, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne fréquente ni les uns ni les autres.

Les députés ont souhaité supprimer la disposition transcrivant la directive européenne sur ce sujet dans la loi française. Je leur ai fait part de mon profond désaccord. Les députés m’ont alors indiqué leur intention d’écrire au Président et de militer pour qu’un système de traçabilité soit mis en place à l’échelle européenne. Un an plus tard, rien n’a été fait. Le Parlement a commis une erreur.

J’ai signé ce matin, avec Marisol Touraine, un courrier à l’adresse de la Commission européenne pour rappeler les priorités de la France.

Première priorité : mettre en place un système de traçabilité.

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