Intervention de Alain Bertrand

Réunion du 23 novembre 2016 à 14h30
Avenir du transport ferroviaire en france — Débat organisé à la demande du groupe du rdse

Photo de Alain BertrandAlain Bertrand :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le réseau ferroviaire en France, c’est un ensemble de composantes aux problématiques très différentes : Intercités, trains à grande vitesse, trains express régionaux ou encore fret. Je ne vais pas aborder tous ces sujets, sur lesquels il y aurait beaucoup à dire, préférant utiliser le temps qui m’est accordé pour évoquer à cette tribune la question sous l’angle de la desserte de nos territoires ruraux et hyper-ruraux.

Pendant que, d’un côté, on se demande quel TGV va battre le prochain record de vitesse entre des métropoles et des grandes villes, d’un autre, on ferme des lignes et des gares dans des territoires qui souffrent pourtant déjà de l’affaiblissement du signal républicain et d’un sentiment d’abandon, cela produisant aux élections des choses détestables que nous condamnons tous.

Mis en place le 13 novembre 2010, les trains d’équilibre du territoire – les TET – devaient principalement assurer la desserte des territoires ruraux et hyper-ruraux. Or la feuille de route du Gouvernement dévoilée en juillet dernier prévoit le transfert aux régions d’ici à la fin de l’année de la quasi-intégralité de ces lignes. Les régions deviendraient alors « autorités organisatrices des TET à vocation régionale ». On masque sous ces mots une réalité que je vais décrire.

À l’heure où nous parlons, seule la région Normandie a signé un accord. Quid des autres régions et, surtout, des TET qu’aucune collectivité ne voudra prendre à sa charge ? Je remarque d’ailleurs que nombre de ces collectivités ne pourront pas le faire, faute de financements suffisants… Ces trains vont-ils purement et simplement disparaître ? Cela serait inacceptable, monsieur le secrétaire d’État, en particulier de la part d’un gouvernement socialiste que je soutiens.

Certains vont dire qu’il existe des moyens alternatifs pour assurer la desserte de tous les territoires. On ne peut évidemment pas parler de l’avion pour la ruralité et l’hyper-ruralité… En ce qui concerne la voiture individuelle, y recourir n’est pas possible pour une grande partie de la population, notamment pour certaines personnes handicapées, pour certains de nos aînés ou pour les plus jeunes.

D’autres citent les « bus Macron », qui répondent, certes, en partie, au problème de desserte, mais en partie seulement, puisqu’ils relient essentiellement des grandes villes. En outre, après la phase d’expérimentation, des lignes insuffisamment rentables ferment déjà. Ainsi, FlixBus a récemment supprimé les arrêts de Montluçon et de Guéret, tandis que ceux de Lyon, Lille, Montpellier ou Marseille étaient évidemment maintenus… La liste de ces suppressions ne va pas manquer de s’allonger. Ce n’est donc pas une solution pour les ruralités.

Monsieur le secrétaire d’État, vous venez du monde rural, et vous savez que le rail est indispensable : là où le train disparaît, la République disparaît ! Il n’est ni concevable ni acceptable de laisser de vastes territoires sans dessertes attractives par le rail. En plus, cela va à contre-courant des enjeux écologiques chers à Ségolène Royal.

Quels trains desserviront demain les territoires ruraux s’il n’y a plus de train d’équilibre du territoire ? En effet, ceux, peu nombreux, que vous maintiendriez, monsieur le secrétaire d’État, sont de fait des Intercités, qui relient de grandes villes, et non des outils de desserte de la ruralité et de l’hyper-ruralité.

Pour prendre un exemple précis, vous avez décidé de maintenir dans le giron de l’État la ligne Paris-Clermont-Ferrand, mais les lignes prolongeant cet axe – d’un côté Clermont-Ferrand-Béziers, avec l’Aubrac, de l’autre, Clermont-Ferrand-Nîmes, avec le Cévenol – sont directement menacées, pour ne pas dire condamnées.

Plutôt que d’en donner la gestion aux régions, qui n’ont absolument pas les moyens de l’assurer, je vous proposais, le mois dernier, une solution alternative : la mise en place d’un train « Transmassif central », qui comporterait une partie commune Paris-Clermont-Ferrand – sur laquelle le renouvellement du matériel roulant est déjà engagé –, puis une prolongation vers Nîmes à l’est et une branche ouest vers Béziers, lignes déjà électrifiées. Cette solution, qui paraît intelligente, pourrait s’appliquer mutatis mutandis à d’autres lignes.

Mais, quelle que soit l’idée retenue, l’essentiel est que, dans la ruralité, l’État, bien sûr en partenariat avec les régions, maintienne son engagement et reste chef de file : si ce n’est pas le cas, ces lignes seront fermées à terme, et sûrement de manière assez rapide compte tenu des contraintes budgétaires.

Je ne méconnais en rien les politiques envers les ruralités mises en œuvre par Cécile Duflot, Sylvia Pinel et, actuellement, par Jean-Michel Baylet, sous la houlette de Manuel Valls.

Je ne méconnais pas non plus le fait que la rigueur budgétaire que vous avez choisie, monsieur le secrétaire d’État, est l’une des conséquences de l’héritage financier, de la dette et des déficits de la précédente majorité.

Enfin, je n’oublie pas que Manuel Valls et Jean-Michel Baylet ont doublé la dotation d’équipement des territoires ruraux, créé un fonds régional de la ruralité, le Fonds de soutien aux initiatives locales, ce qui donne le sigle barbare de FSIL, et inventé – il était temps… – les contrats de ruralité, qui sont le pendant des contrats de ville ou d’agglomération. Ce sont de bonnes initiatives.

Les ruraux, comme votre serviteur, sont le plus souvent des citoyens et des élus simples et de bon sens. C’est ce bon sens et la voix des citoyens qui nous conduisent à vous alerter avec force, détermination et gravité.

Il n’est pas acceptable et il est injuste, au sens de l’équité républicaine, que nous soyons les parias de la République, les oubliés, les sans-grades, les humiliés, les déclassés, surtout si nous devions l’être du fait d’une décision politique émanant d’un gouvernement que je soutiens.

Ce train dont nous parlons aujourd’hui et qui risque de disparaître tracte beaucoup de sombres wagons.

Ainsi, malgré les maisons de service au public, nous assistons à la quasi-disparition du service public en zone rurale, qu’il s’agisse des implantations du ministère des finances ou de celles des directions départementales des territoires.

Sur l’école, un effort a été fait et ça va un peu mieux, mais, de manière générale, il n’y a pas de « démétropolisation » : aucune décision d’implantation ne se fait au bénéfice de la ruralité ou de l’hyper-ruralité, comme si elles étaient maudites !

Dans certains départements, les chances de survie comme les risques de handicap ou de souffrances ne sont pas les mêmes qu’ailleurs, tout simplement parce qu’on ne dispose sur place ni de scanner ou d’IRM en bon état, ni d’hélicoptère. Est-ce cela l’égalité républicaine ?

Outre la faiblesse des moyens de santé, je pourrais citer l’absence de couverture de téléphonie mobile et la relégation dans la couverture internet… Dans les zones dites blanches, il faut monter sur le toit d’une église et brandir quatre téléphones pour espérer qu’une barre de connexion finisse, éventuellement, par apparaître…

Finalement, nous faisons face à une absence d’aménagement et de solidarité réelle pour nos territoires. Nous, les ruraux, nous sommes solidaires des autres politiques d’équité républicaine, celles qui sont destinées aux villes et aux banlieues, à l’équipement moderne des métropoles, des capitales régionales et des grandes agglomérations, comme à l’ensemble des populations qui souffrent, sauf la nôtre…

En fait, la question « quel train pour l’avenir ? » nous amène à celle de la France que nous voulons. Est-ce la France des seuls grands nombres et de l’entassement, ou une France républicaine et équilibrée grâce à chacun de ses territoires ?

Monsieur le secrétaire d’État, cher Alain Vidalies, soit vous maintenez les trains d’équilibre du territoire, arbitrage purement politique, qui représente 300 millions d’euros sur un budget de 400 milliards d’euros – je compte sur vous et sur Manuel Valls… –, soit vous abandonnez ces lignes, qui desservent la ruralité et l’hyper-ruralité, aux régions, ce qui revient, de fait, à les supprimer définitivement.

Dans ce second cas, vous donnerez un signal d’inégalité et d’abandon aux différentes ruralités qui constituent notre pays : Alpes, Massif central, Pyrénées, Bretagne, Vosges, Jura, Loir-et-Cher, Vendée, Ardennes, etc. Ces territoires sont pourtant une importante composante de l’avenir.

Je termine en ajoutant que je ne souhaite pas que nous soit resservie la litanie des mauvais comptes des trains d’équilibre du territoire, alors même qu’ils sont le plus souvent sans contrôleur – il n’y a donc pas de réel comptage –, sous-équipés en matériel, pas indiqués dans les gares principales et absents sur internet. En outre, leurs horaires sont impensables – un aller-retour Mende-Paris, c’est dix-sept heures, monsieur le secrétaire d'État ! –, les voies sont à demi abandonnées et les vitesses de circulation sont parfois réduites à 30 kilomètres par heure.

Qu’avons-nous fait, nous, les ruraux, pour mériter cette injustice ? Sommes-nous de mauvais citoyens ? Non ! Concourons-nous insuffisamment à la création de richesses ? Non ! Avons-nous versé moins de sang pour défendre notre pays ? Non ! Refusons-nous d’être l’indispensable hinterland des métropoles et de leurs habitants, qui viennent chez nous se ressourcer ? Non ! Refusons-nous d’acquitter les mêmes prélèvements – TVA, impôt sur le revenu ou sur les sociétés… – que les autres ? Non !

La suppression des trains d’équilibre du territoire, ce à quoi aboutira leur renvoi aux régions, constituerait une décision de déclassement programmé, politique et volontaire de nos territoires.

(Sourires sur plusieurs travées.) Faites preuve d’ambition, d’équité et de volontarisme ! On ne peut pas tuer une partie du territoire ou de la République !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion