La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
Madame la présidente, lors du scrutin n° 65 du 17 novembre dernier sur les amendements identiques n° 1 rectifié quater et 177 rectifié sexies tendant à insérer un article additionnel après l’article 43 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, j’ai été inscrit comme ayant voté contre, alors que je souhaitais voter pour.
Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
M. le président du Sénat a reçu de M. le président de l’Assemblée de la Polynésie française, par lettre en date du 10 novembre 2016 :
- le rapport n° 128-2016 et l’avis n° 2016-20 A/APF du 10 novembre 2016 sur le projet de loi autorisant l’adhésion de la France, pour le compte de la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna et Saint-Barthélemy, à la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
- le rapport n°154-2016 et l’avis n° 2016-21 A/APF du 10 novembre 2016 sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume hachémite de Jordanie relatif au statut de leurs forces ;
- le rapport n°155-2016 et l’avis n° 2016-22 A/APF du 10 novembre 2016 sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Chili relatif à l’emploi rémunéré des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre et de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État plurinational de Bolivie relatif à l’emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre.
Acte est donné de cette communication.
L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir du transport ferroviaire en France, organisé à la demande du groupe du RDSE.
La parole est à M. Alain Bertrand, orateur du groupe auteur de la demande.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le réseau ferroviaire en France, c’est un ensemble de composantes aux problématiques très différentes : Intercités, trains à grande vitesse, trains express régionaux ou encore fret. Je ne vais pas aborder tous ces sujets, sur lesquels il y aurait beaucoup à dire, préférant utiliser le temps qui m’est accordé pour évoquer à cette tribune la question sous l’angle de la desserte de nos territoires ruraux et hyper-ruraux.
Pendant que, d’un côté, on se demande quel TGV va battre le prochain record de vitesse entre des métropoles et des grandes villes, d’un autre, on ferme des lignes et des gares dans des territoires qui souffrent pourtant déjà de l’affaiblissement du signal républicain et d’un sentiment d’abandon, cela produisant aux élections des choses détestables que nous condamnons tous.
Mis en place le 13 novembre 2010, les trains d’équilibre du territoire – les TET – devaient principalement assurer la desserte des territoires ruraux et hyper-ruraux. Or la feuille de route du Gouvernement dévoilée en juillet dernier prévoit le transfert aux régions d’ici à la fin de l’année de la quasi-intégralité de ces lignes. Les régions deviendraient alors « autorités organisatrices des TET à vocation régionale ». On masque sous ces mots une réalité que je vais décrire.
À l’heure où nous parlons, seule la région Normandie a signé un accord. Quid des autres régions et, surtout, des TET qu’aucune collectivité ne voudra prendre à sa charge ? Je remarque d’ailleurs que nombre de ces collectivités ne pourront pas le faire, faute de financements suffisants… Ces trains vont-ils purement et simplement disparaître ? Cela serait inacceptable, monsieur le secrétaire d’État, en particulier de la part d’un gouvernement socialiste que je soutiens.
Certains vont dire qu’il existe des moyens alternatifs pour assurer la desserte de tous les territoires. On ne peut évidemment pas parler de l’avion pour la ruralité et l’hyper-ruralité… En ce qui concerne la voiture individuelle, y recourir n’est pas possible pour une grande partie de la population, notamment pour certaines personnes handicapées, pour certains de nos aînés ou pour les plus jeunes.
D’autres citent les « bus Macron », qui répondent, certes, en partie, au problème de desserte, mais en partie seulement, puisqu’ils relient essentiellement des grandes villes. En outre, après la phase d’expérimentation, des lignes insuffisamment rentables ferment déjà. Ainsi, FlixBus a récemment supprimé les arrêts de Montluçon et de Guéret, tandis que ceux de Lyon, Lille, Montpellier ou Marseille étaient évidemment maintenus… La liste de ces suppressions ne va pas manquer de s’allonger. Ce n’est donc pas une solution pour les ruralités.
Monsieur le secrétaire d’État, vous venez du monde rural, et vous savez que le rail est indispensable : là où le train disparaît, la République disparaît ! Il n’est ni concevable ni acceptable de laisser de vastes territoires sans dessertes attractives par le rail. En plus, cela va à contre-courant des enjeux écologiques chers à Ségolène Royal.
Quels trains desserviront demain les territoires ruraux s’il n’y a plus de train d’équilibre du territoire ? En effet, ceux, peu nombreux, que vous maintiendriez, monsieur le secrétaire d’État, sont de fait des Intercités, qui relient de grandes villes, et non des outils de desserte de la ruralité et de l’hyper-ruralité.
Pour prendre un exemple précis, vous avez décidé de maintenir dans le giron de l’État la ligne Paris-Clermont-Ferrand, mais les lignes prolongeant cet axe – d’un côté Clermont-Ferrand-Béziers, avec l’Aubrac, de l’autre, Clermont-Ferrand-Nîmes, avec le Cévenol – sont directement menacées, pour ne pas dire condamnées.
Plutôt que d’en donner la gestion aux régions, qui n’ont absolument pas les moyens de l’assurer, je vous proposais, le mois dernier, une solution alternative : la mise en place d’un train « Transmassif central », qui comporterait une partie commune Paris-Clermont-Ferrand – sur laquelle le renouvellement du matériel roulant est déjà engagé –, puis une prolongation vers Nîmes à l’est et une branche ouest vers Béziers, lignes déjà électrifiées. Cette solution, qui paraît intelligente, pourrait s’appliquer mutatis mutandis à d’autres lignes.
Mais, quelle que soit l’idée retenue, l’essentiel est que, dans la ruralité, l’État, bien sûr en partenariat avec les régions, maintienne son engagement et reste chef de file : si ce n’est pas le cas, ces lignes seront fermées à terme, et sûrement de manière assez rapide compte tenu des contraintes budgétaires.
Je ne méconnais en rien les politiques envers les ruralités mises en œuvre par Cécile Duflot, Sylvia Pinel et, actuellement, par Jean-Michel Baylet, sous la houlette de Manuel Valls.
Je ne méconnais pas non plus le fait que la rigueur budgétaire que vous avez choisie, monsieur le secrétaire d’État, est l’une des conséquences de l’héritage financier, de la dette et des déficits de la précédente majorité.
Enfin, je n’oublie pas que Manuel Valls et Jean-Michel Baylet ont doublé la dotation d’équipement des territoires ruraux, créé un fonds régional de la ruralité, le Fonds de soutien aux initiatives locales, ce qui donne le sigle barbare de FSIL, et inventé – il était temps… – les contrats de ruralité, qui sont le pendant des contrats de ville ou d’agglomération. Ce sont de bonnes initiatives.
Les ruraux, comme votre serviteur, sont le plus souvent des citoyens et des élus simples et de bon sens. C’est ce bon sens et la voix des citoyens qui nous conduisent à vous alerter avec force, détermination et gravité.
Il n’est pas acceptable et il est injuste, au sens de l’équité républicaine, que nous soyons les parias de la République, les oubliés, les sans-grades, les humiliés, les déclassés, surtout si nous devions l’être du fait d’une décision politique émanant d’un gouvernement que je soutiens.
Ce train dont nous parlons aujourd’hui et qui risque de disparaître tracte beaucoup de sombres wagons.
Ainsi, malgré les maisons de service au public, nous assistons à la quasi-disparition du service public en zone rurale, qu’il s’agisse des implantations du ministère des finances ou de celles des directions départementales des territoires.
Sur l’école, un effort a été fait et ça va un peu mieux, mais, de manière générale, il n’y a pas de « démétropolisation » : aucune décision d’implantation ne se fait au bénéfice de la ruralité ou de l’hyper-ruralité, comme si elles étaient maudites !
Dans certains départements, les chances de survie comme les risques de handicap ou de souffrances ne sont pas les mêmes qu’ailleurs, tout simplement parce qu’on ne dispose sur place ni de scanner ou d’IRM en bon état, ni d’hélicoptère. Est-ce cela l’égalité républicaine ?
Outre la faiblesse des moyens de santé, je pourrais citer l’absence de couverture de téléphonie mobile et la relégation dans la couverture internet… Dans les zones dites blanches, il faut monter sur le toit d’une église et brandir quatre téléphones pour espérer qu’une barre de connexion finisse, éventuellement, par apparaître…
Finalement, nous faisons face à une absence d’aménagement et de solidarité réelle pour nos territoires. Nous, les ruraux, nous sommes solidaires des autres politiques d’équité républicaine, celles qui sont destinées aux villes et aux banlieues, à l’équipement moderne des métropoles, des capitales régionales et des grandes agglomérations, comme à l’ensemble des populations qui souffrent, sauf la nôtre…
En fait, la question « quel train pour l’avenir ? » nous amène à celle de la France que nous voulons. Est-ce la France des seuls grands nombres et de l’entassement, ou une France républicaine et équilibrée grâce à chacun de ses territoires ?
Monsieur le secrétaire d’État, cher Alain Vidalies, soit vous maintenez les trains d’équilibre du territoire, arbitrage purement politique, qui représente 300 millions d’euros sur un budget de 400 milliards d’euros – je compte sur vous et sur Manuel Valls… –, soit vous abandonnez ces lignes, qui desservent la ruralité et l’hyper-ruralité, aux régions, ce qui revient, de fait, à les supprimer définitivement.
Dans ce second cas, vous donnerez un signal d’inégalité et d’abandon aux différentes ruralités qui constituent notre pays : Alpes, Massif central, Pyrénées, Bretagne, Vosges, Jura, Loir-et-Cher, Vendée, Ardennes, etc. Ces territoires sont pourtant une importante composante de l’avenir.
Je termine en ajoutant que je ne souhaite pas que nous soit resservie la litanie des mauvais comptes des trains d’équilibre du territoire, alors même qu’ils sont le plus souvent sans contrôleur – il n’y a donc pas de réel comptage –, sous-équipés en matériel, pas indiqués dans les gares principales et absents sur internet. En outre, leurs horaires sont impensables – un aller-retour Mende-Paris, c’est dix-sept heures, monsieur le secrétaire d'État ! –, les voies sont à demi abandonnées et les vitesses de circulation sont parfois réduites à 30 kilomètres par heure.
Qu’avons-nous fait, nous, les ruraux, pour mériter cette injustice ? Sommes-nous de mauvais citoyens ? Non ! Concourons-nous insuffisamment à la création de richesses ? Non ! Avons-nous versé moins de sang pour défendre notre pays ? Non ! Refusons-nous d’être l’indispensable hinterland des métropoles et de leurs habitants, qui viennent chez nous se ressourcer ? Non ! Refusons-nous d’acquitter les mêmes prélèvements – TVA, impôt sur le revenu ou sur les sociétés… – que les autres ? Non !
La suppression des trains d’équilibre du territoire, ce à quoi aboutira leur renvoi aux régions, constituerait une décision de déclassement programmé, politique et volontaire de nos territoires.
(Sourires sur plusieurs travées.) Faites preuve d’ambition, d’équité et de volontarisme ! On ne peut pas tuer une partie du territoire ou de la République !
Applaudissements.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous ne le voulez pas et je vous demande de ne pas noyer le chien de la ruralité et des trains d’équilibre du territoire : il n’a pas la rage ! §
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « plus on habite loin d’une gare, plus on vote FN ».
Le démographe Hervé Le Bras analysait ainsi en décembre 2015 les résultats des dernières élections régionales.
Le transport ferroviaire porte donc un enjeu lié non pas à la seule mobilité, mais aussi à l’égalité et à l’inclusion des territoires, la mobilité s’assimilant au dynamisme du territoire et de ses habitants. La gare désaffectée délivre, plus que tout autre bâtiment, un terrible message d’abandon d’un territoire et de relégation de ses habitants.
C’est pourquoi je remercie le groupe du RDSE de son initiative. Il est vrai que nous avons déjà eu ce débat, mais les derniers événements politiques, que ce soit le Brexit ou l’élection de Trump aux États-Unis, montrent qu’il est largement temps de revenir sur ce sujet afin de forger des solutions.
Le transport ferroviaire est un vecteur d’aménagement du territoire. Nous savons bien, au Sénat, que des politiques de mobilité réussies contribuent au dynamisme et réduisent les fractures territoriale et sociale.
Cela fait au moins trente ans que les gouvernements annoncent la « préférence ferroviaire ». Pourtant, les financements ne suivent pas et la SNCF se retrouve dans une équation impossible, qui l’amène à abandonner les wagons isolés, les terminaux embranchés et les trains de nuit ou d’équilibre du territoire. Elle doit faire transporter ses essieux par la route et privilégier les voyageurs par rapport aux marchandises, le TGV par rapport aux lignes ordinaires, fermant chaque année des centaines de kilomètres de lignes secondaires et ne consacrant pas suffisamment de moyens à l’entretien, avec les conséquences que l’on connaît.
Nous devons donc débattre de nouveau ici de ce choix politique. Le groupe écologiste s’oppose, évidemment, à l’orientation actuelle, et ce pour deux raisons principales : l’intérêt du ferroviaire sur le plan de l’écologie et de la transition énergétique, ainsi que sur celui de l’aménagement du territoire.
En premier lieu, faut-il encore souligner que le transport ferroviaire est un moyen de transport décarboné ? Quand on a à l’esprit qu’un quart des émissions de gaz à effet de serre est dû aux transports, que le transport routier, à lui seul, en est responsable à hauteur de 92 % et qu’en France les émissions de CO2 liées au transport ont augmenté l’an dernier après avoir été en baisse régulière depuis dix ans, on mesure la nécessité de développer les alternatives à la route et, parmi celles-ci, le transport ferroviaire de voyageurs et de marchandises, qui apparaît comme une urgence écologique et de santé publique.
Deuxième enjeu : l’aménagement du territoire.
Dans le contexte que je viens d’évoquer, le tout-TGV est une impasse, disons-le clairement. En effet, les financements ne sont pas illimités, bien au contraire, et il faut privilégier la mobilité du quotidien et les réseaux qui irriguent l’ensemble du territoire.
Je ne donnerai qu’un seul exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Lors du débat public organisé par la Commission nationale du débat public au sujet de la nouvelle ligne Bretagne-Pays de la Loire, les usagers ont plébiscité la modernisation et la rénovation du réseau ferroviaire. Pour eux, la priorité devait aller au quotidien, c’est-à-dire aux liaisons entre Brest et Quimper, Saint-Nazaire et Rennes, Nantes et Bordeaux, ou encore à la réouverture de l’axe entre Auray et Saint-Brieuc – Michel Le Scouarnec pourrait nous en parler… Il est temps d’entendre les priorités mises en avant par les usagers !
Les villes moyennes sont encore fragilisées par l’affaiblissement du réseau de transport ferroviaire, qu’il s’agisse des Intercités ou des TER. J’insiste notamment sur les problèmes à répétition rencontrés par les usagers dans le cadre de leurs transports entre domicile et travail. Certains reviennent même à la voiture alors qu’ils ont des abonnements de train. C’est une aberration !
Nous déplorons les fermetures de lignes sur le réseau dit secondaire, où circulent les bien nommés trains d’équilibre du territoire. Alors qu’entre 1995 et 2013 110 000 kilomètres de route ont été réalisés en France, ce qui correspond à une extension de 11 % en moins de vingt ans, le réseau ferré en service s’est contracté, dans le même temps, de 6 %, soit une perte d’environ 2 000 kilomètres de lignes.
Par exemple, je suis plus qu’inquiet en ce qui concerne la ligne Brive-Aurillac par Bretenoux, que je connais bien : elle est aujourd’hui en travaux, mais sans qu’il y ait une réelle garantie de réouverture… J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous pourrez nous donner des indications à ce sujet.
Nous dénonçons aussi l’arrêt, à l’automne, de la moitié des trains de nuit qui fait suite à la décision du Gouvernement de ne plus financer leur exploitation, non pas parce qu’ils ne répondent pas à la demande des citoyens, mais parce que leurs coûts d’exploitation, trop élevés, ne seraient plus assez couverts par le prix des billets.
La question n’est cependant pas seulement celle du prix du billet, car une telle décision veut dire, par exemple, que des PME ne s’installeront pas dans les villes moyennes concernées. Le sentiment de déclassement ne peut que se développer et il est temps d’intégrer dans l’équilibre financier de la SNCF l’ensemble des coûts publics, qui sont finalement bien plus importants que le seul prix du billet.
Je sais que le président Jacques Mézard et moi-même sommes en complet accord sur ce point.
Sourires.
Je ne dispose pas de suffisamment de temps pour développer plus avant, mais il est nécessaire de trouver des moyens de financement pour cela.
Il faut d’abord ramener vers le train un certain nombre d’usagers. Aujourd’hui, l’aérien est bien plus subventionné en France, notamment en raison de la détaxation du kérosène. Le train pâtit de cette distorsion de concurrence.
Il faut raisonner sur des péréquations financières nationales et régionales. Les métropoles mettent-elles une part suffisante de la richesse créée au service des villes moyennes ? Il faudra revenir sur cette question importante.
En outre, la SNCF assume effectivement un service public, si bien que la dette ferroviaire doit relever du budget de la nation, pas uniquement du sien.
Enfin, l’écotaxe aurait dû nous permettre de capter des recettes sur l’usage des routes. Nous commençons seulement à mesurer le coût pour la nation de l’abandon de cette mesure.
M. Ronan Dantec. L’avenir du ferroviaire doit constituer un grand débat pour notre pays : il était important de l’ouvrir de nouveau aujourd’hui.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.
La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour le groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe du RDSE d’avoir pris l’initiative de ce débat, opportunément organisé à l’aube d’échéances importantes.
Chacun des intervenants aura sans doute l’occasion de faire valoir des exemples concrets de bonnes initiatives ou de dysfonctionnements constatés dans son territoire. Cela ne sera pas mon cas. En effet, je suis élu de l’un des très rares départements de métropole qui ne disposent pas du tout de lignes de train les reliant à la capitale. C’est dire que, en prenant part à ce débat, j’ai l’intérêt général chevillé au corps ! C’est dire aussi que je considère comme prioritaire la nécessité de préserver et de faire vivre les transports ferroviaires dans l’ensemble de nos régions.
Plus que jamais, le secteur des transports ferroviaires est confronté à un environnement particulièrement mouvant, qui incite à des priorités d’action beaucoup mieux ciblées et mutualisées : dette, régionalisation dès 2017, ouvertures à la concurrence – 2020 pour les TGV, 2023 pour les lignes régionales –, montée en puissance de modes de déplacements intermodaux, collaboratifs et concurrents, mais aussi défis industriels posés par la situation d’Alstom et environnementaux pour la mise en œuvre des accords de Paris.
Dans ce contexte, je ne peux que rappeler combien il serait totalement contre-productif de procéder à des changements brutaux de stratégie nationale et budgétaire, y compris par des désinvestissements publics ou le désengagement soudain de lignes jugées non rentables.
Dans les transports ferroviaires, plus que dans tout autre secteur concurrentiel, la péréquation est une nécessité absolue et l’absence de solidarité nationale un non-sens. La régulation est tout aussi nécessaire. Je souhaite d’ailleurs que nous puissions donner à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, les moyens humains, financiers et réglementaires de fonctionner pleinement.
À ce titre, la loi de 2014 portant réforme ferroviaire a constitué une étape déterminante, permettant de prendre des mesures de gouvernance et d’adaptation à la concurrence, plutôt que de subir massivement les effets de cette dernière.
Le rapport sur le bilan d’application de cette loi, déposé le 19 octobre dernier par nos collègues députés Bertrand Pancher et Gilles Savary, prône la mise en place d’un plan pluriannuel d’investissements qui permettrait de maintenir l’économie générale du secteur et d’engager plus nettement d’autres réformes complémentaires. J’y souscris totalement. À long terme, l’un des plus grands dangers qui guettent l’ensemble des transports ferroviaires est en effet le désamour des usagers.
Le Gouvernement a pris un virage notable pour veiller à préserver la qualité de service offerte à un usager qui dispose d’offres multimodales de plus en plus performantes.
Le premier axe mis en œuvre concerne la régénération des réseaux et du maillage régional et sa traduction budgétaire.
Je regrette profondément que nous ne puissions pas débattre, en séance, de la mission consacrée aux transports ferroviaires du projet de loi de finances pour 2017. Vous conviendrez, mes chers collègues, que 2017 constitue un avenir proche qui a le mérite d’être concret !
Je ne peux que saluer les investissements dédiés à la sécurité des réseaux, soit 2, 6 milliards d’euros en 2016 finançant des travaux qui doivent permettre d’éviter les ralentissements parfois insupportables qui touchent 5 000 kilomètres de lignes et affectent considérablement la vie quotidienne des voyageurs. Ma collègue Nelly Tocqueville me racontait les péripéties qu’ils subissent sur les lignes régionales normandes, situation néfaste aussi pour les politiques de développement économique.
Grâce à ces investissements, qui doivent impérativement être poursuivis, le vieillissement est arrêté, même le malade est moribond… Le choix du tout-TGV, fait il y a plus de quinze ans, continue de faire des victimes.
Deuxième axe : le confort et un certain rapport qualité-prix.
Nous devons être conscients que les transports ferroviaires constituent un mode de déplacement très coûteux pour nombre de nos concitoyens. Des usagers font ainsi le choix des avions low cost ou du covoiturage. Sans investissements majeurs pour le confort des trains et la sécurité des réseaux, je doute que la tendance ne soit ralentie. À terme, cela ne sera pas sans conséquence sur les prix pratiqués et la fréquentation générale. Alors que nous fêtons cette année les quatre-vingts ans des congés payés, je vous avoue que la perspective de voir certains transports ferroviaires devenir financièrement inaccessibles ne me réjouit pas.
Je plaide pour que nos investissements industriels sur les trains changent aussi de nature. Lors de la réunion de présentation du rapport d’application de la loi de 2014, Gilles Savary a insisté sur ce point, en indiquant d’ailleurs que ce changement de stratégie devrait permettre d’importantes économies. La gamme des trains actuellement proposés et construits est sans doute trop limitée. Nous devons accompagner l’industrie ferroviaire pour que de nouveaux trains soient totalement calibrés pour les lignes régionales. Il me paraît indispensable que nous envisagions très concrètement les prochains investissements à l’aune des possibilités et des enjeux industriels de nos territoires.
Dernier point, mais non des moindres : le dossier du fret.
Année après année, malgré l’engagement des pouvoirs publics – le vôtre aussi, monsieur le secrétaire d’État – et cinq plans de relance, le fret ferroviaire ne parvient pas à s’imposer comme un mode de transport de marchandises suffisamment attractif.
Il y a vingt-cinq ans, l’Union européenne avait fixé comme objectif majeur d’augmenter la part du rail dans le transport global de marchandises et d’atteindre 50 % à l’horizon 2050. Les avantages environnementaux ne sont plus à démontrer.
La Cour des comptes européenne vient de rendre le résultat d’un audit sur la situation comparée du transport ferroviaire de marchandises en Europe, réalisé dans cinq pays membres, dont la France, de la mi-2014 à la mi-2015. Force est de constater que, dans notre pays comme dans nombre de pays d’Europe, la part du fret n’a pas réussi le pari de la compétitivité. L’Allemagne, elle, a réussi à augmenter sa part de 5 % en un an, alors que nous nous maintenons à 19 %. Bien sûr, nous ne sommes pas les seuls, mais le constat est un peu amer.
Les difficultés pointées sont parfois les mêmes que pour les transports d’usagers : des ralentissements considérables, une vitesse très insatisfaisante de 18 kilomètres par heure, des ruptures transfrontalières, des statuts de personnels à harmoniser dans la plus grande transparence, concertation et anticipation. Les conditions d’ouverture à la concurrence en 2009 ont été bâclées et ont considérablement fermé les perspectives.
Devons-nous pour autant abandonner le fret ferroviaire ? Certainement pas, mais, là encore, l’écoute des usagers potentiels et le recours à des investissements de long terme seront plus que jamais nécessaires pour transformer durablement une politique qui devrait être une priorité.
Notre industrie ferroviaire dispose de très nombreux atouts, parmi lesquels un grand savoir-faire. Le prochain défi, après la loi de 2014, sera sans aucun doute de donner les moyens institutionnels aux opérateurs de transport ferroviaire de mener les politiques d’investissement nécessaires. Cette nouvelle étape paraît indispensable.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d’une délégation de sénateurs du Cambodge, conduite par Mme Ty Borasy, présidente de la commission des affaires étrangères et de la coopération internationale du Sénat cambodgien.
Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche, se lèvent.
La délégation effectue actuellement un séjour d’études en France sur les thèmes des collectivités territoriales, du développement économique local, de l’aménagement du territoire et de la politique en faveur des petites et moyennes entreprises.
Après une journée d’entretiens au Sénat lundi, elle a été reçue hier en Seine-et-Marne par notre collègue Vincent Éblé, président de notre groupe d’amitié France-Cambodge. Elle a pu notamment y découvrir les activités de la chambre de métiers et de l’artisanat, et visiter deux centres de formation d’apprentis.
La délégation vient d’être reçue à déjeuner par les membres du groupe d’amitié, à l’invitation de nos collègues Vincent Éblé et Catherine Tasca, présidente déléguée.
Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt que la délégation porte à notre institution dans le cadre des relations anciennes et fructueuses entre nos deux assemblées.
Au nom du Sénat de la République, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue. Je forme des vœux pour que son séjour en France lui soit profitable et contribue à renforcer encore les liens qui unissent nos deux pays.
Applaudissements.
Nous reprenons le débat sur l’avenir du transport ferroviaire en France.
Dans la suite du débat, la parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour le groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’interviens dans ce débat en tant que sénatrice du groupe Les Républicains, mais je me fais également la porte-parole du groupe de travail pluraliste sur le financement des infrastructures de transport de la commission des finances, qui a rendu ses conclusions le 28 septembre dernier.
Le sujet étant très vaste, je limiterai mon intervention à quatre points.
Tout d’abord, j’affirme que la régénération des lignes structurantes de notre réseau ferré, qui est le deuxième d’Europe avec 29 000 kilomètres de voies ferrées, est une urgence absolue. Ce patrimoine exceptionnel connaît un vieillissement alarmant.
À force de consacrer toutes les ressources financières et humaines de la SNCF au développement des lignes à grande vitesse, notre pays a gravement négligé les autres lignes du réseau structurant, notamment en Île-de-France, de sorte que l’âge moyen du réseau atteignait trente-deux ans en 2015.
Les désagréments, tels que les retards et les ralentissements, sont nombreux pour les usagers, et c’est parfois même leur sécurité qui peut être mise en péril, comme l’a montré le tragique accident de Brétigny-sur-Orge. Assurer le renouvellement et la modernisation de notre réseau ferroviaire, après plusieurs décennies de sous-investissements, représente donc une tâche colossale et de longue haleine.
Le Gouvernement, qui a pris progressivement conscience de l’enjeu, a mis en place ces dernières années des plans destinés à augmenter l’investissement en faveur de la régénération de ce réseau. Alors qu’en 2005 l’effort de rénovation du réseau ferroviaire n’était que de 900 millions d’euros par an, il est désormais de 2, 5 milliards d’euros par an, mais ce montant permet seulement de limiter le vieillissement des lignes les plus utilisées. Il ne permet ni de remettre à neuf la signalisation ni de moderniser les lignes de desserte fine des territoires.
C’est pourquoi j’estime qu’il est indispensable de dégager de 1 milliard à 2 milliards d’euros supplémentaires pour le renouvellement des lignes structurantes de notre réseau ferré, afin de porter l’effort consenti par SNCF Réseau à une somme comprise entre 3, 5 milliards et 4, 5 milliards d’euros par an pendant quinze ans.
Pour assurer le financement de ce grand plan de modernisation, il est inévitable que l’État gèle, là encore pendant une quinzaine d’années, toute participation au financement des projets de développement des LGV, les lignes à grande vitesse, ce qui n’empêchera pas que des études, financées par l’Union européenne ou par les collectivités territoriales, puissent être menées.
Même si elle est de plus en plus partagée, cette proposition ne fait évidemment pas l’unanimité, mais j’ai la conviction qu’il n’est plus du tout raisonnable, dans le contexte actuel, de continuer à développer notre réseau de LGV à marche forcée. Nous devons nous concentrer sur la remise à niveau du réseau existant.
Le deuxième point que je souhaite aborder est la situation financière très dégradée de SNCF Réseau.
La réforme ferroviaire de 2014 était censée permettre des gains de productivité et, partant, une amélioration de la situation financière du groupe SNCF. À ce stade, ces objectifs tardent à se matérialiser. SNCF Réseau porte ainsi une dette de 44 milliards d’euros, dont les intérêts viennent grever ses finances de 1, 2 milliard d’euros par an, et ce dans un contexte de taux bas. Cette dette, qui a connu une forte hausse ces dernières années, est devenue un fardeau trop lourd à porter pour le gestionnaire de notre réseau ferré national.
Je sais que le Gouvernement refuse pour le moment catégoriquement d’envisager tout cantonnement ou toute reprise par l’État, même partielle, de la dette. Pour autant, il nous faut absolument trouver une solution pour sortir de cette situation intenable, d’autant qu’a été instaurée une règle d’or en vertu de laquelle SNCF Réseau ne peut financer de nouveaux projets d’investissement qu’à la condition de respecter un certain ratio d’endettement. Là aussi, je constate que nous avons déjà accepté une première exception à cette règle d’or en faveur du Charles-de-Gaulle Express, ce qui augure mal de son respect dans l’avenir.
Monsieur le secrétaire d’État, il faudra tôt ou tard envisager une opération de reprise, même partielle, de la dette de SNCF Réseau ou son cantonnement.
Le troisième sujet que je voulais évoquer est la réforme actuellement en cours des trains d’équilibre du territoire, les TET.
Le Gouvernement fait actuellement évoluer en profondeur l’offre, notamment en déléguant les lignes d’intérêt local, pour lesquelles des synergies avec les lignes TER sont pertinentes, aux régions. Cette approche me paraît judicieuse.
Enfin, et pour conclure, madame la présidente, le dernier point que je voulais évoquer, même s’il y en a bien d’autres à soulever, est l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire, qui devrait intervenir à compter du 3 décembre 2019, en vertu du quatrième paquet ferroviaire européen. L’échéance étant très proche, il convient de nous y préparer.
Il faudra tout d’abord rendre la concurrence la plus équitable possible, ce qui impliquera de renforcer l’indépendance du gestionnaire des gares ou de transformer SNCF Mobilités en société anonyme.
Par ailleurs, je vois mal comment nous pourrions éviter de rouvrir le dossier du cadre social applicable aux personnels du groupe SNCF, sa réforme de juin 2016 ayant conduit à un nouveau renchérissement de ses coûts, ce qui n’est pas soutenable.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
La parole est à Mme Évelyne Didier, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’avenir du transport ferroviaire en France suscite de fortes inquiétudes chez les élus, les usagers et les salariés.
En préambule, je veux rappeler que nous parlons d’un secteur d’intérêt général, d’un réseau structurant pour notre pays, pour l’économie et pour la mobilité, d’un outil qui constitue une alternative crédible et efficace à la route et à l’aérien pour la transition énergétique et le passage à une économie décarbonée.
Or les politiques de mise en concurrence et de privatisation, d’assèchement des ressources, d’endettement massif de l’opérateur et l’absence d’investissements publics à la hauteur des besoins font craindre pour la viabilité du système.
Selon la Cour des comptes, il manque 11, 8 milliards d’euros à l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, pour tenir ses engagements en matière d’investissement sur l’ensemble des infrastructures, dont le ferroviaire. Le changement de statut de la SNCF et l’arrêt des investissements dans de lignes nouvelles sont les deux principales solutions avancées, mais nous savons que c’est insuffisant.
Rappelons que depuis trente ans nous créons les conditions du dépérissement du service public ferroviaire. Ainsi, nous avons instauré une concurrence déloyale avec la route et l’aérien pour des motifs que je n’ai pas le temps de détailler ici.
Pour bien comprendre les enjeux, il est utile de se pencher, même rapidement, sur l’histoire du rail français.
Depuis 1827, la France a développé son réseau ferroviaire pour les besoins de l’industrie. Or, dès 1920, toutes les compagnies sont déficitaires, leur dette globale s’élevant à 37 milliards de francs en 1936 ! La nationalisation fut la réponse à cette situation périlleuse. Il y a donc quatre-vingts ans la puissance publique avait su faire le choix de la reprise de la dette ferroviaire pour donner un avenir au rail.
Le 31 décembre 1982, la SNCF devient un établissement public à caractère industriel et commercial, avec l’État comme unique actionnaire. Cela lui garantit une autonomie de fonctionnement et une unicité de commandement sur un réseau unifié et cohérent. Il s’agit alors d’un opérateur en charge du service public, qui a su également se doter d’une filière industrielle dont l’objet était de répondre aux exigences de performance technologique.
Malheureusement, depuis trente ans, nous allons de recul en recul pour en revenir à la situation d’avant 1937 : un système ferroviaire morcelé dépendant de multiples décideurs ; un système éclaté auquel on demande d’être rentable partout, ligne par ligne. Un non-sens !
Petit à petit, l’exploitant, le réseau et l’industrie sont soit livrés au privé, soit abandonnés, comme c’est le cas pour les trains d’équilibre du territoire, dont l’exploitation a été arrêtée sur plusieurs axes.
Une pression s’exerce parallèlement sur les collectivités pour qu’elles reprennent les activités jugées non rentables, comme les lignes dites capillaires.
Les nouveaux investissements, notamment concernant les lignes TGV, sont confiés au privé, à travers les partenariats public-privé, les PPP. In fine, au moment du bilan, nous constaterons que cela aura coûté beaucoup plus cher à tout le monde.
Les acteurs actionnaires soumettent le secteur à une telle pression que le service ne peut plus être rendu dans des conditions satisfaisantes. La financiarisation de l’économie n’est pas compatible avec l’économie réelle, car elle met en péril les industries, et notamment l’industrie ferroviaire.
Le développement à l’international est devenu la priorité. Quant à la politique salariale, elle se résume à la réduction du nombre de cheminots : 28 000 suppressions de postes sont annoncées dans les sept ans à venir, comme si une telle solution était susceptible de résoudre les problèmes.
Régulièrement, les gouvernements annoncent qu’ils vont investir pour relancer la machine. D’ailleurs, je ne nie pas que des choses ont été faites, mais, dans le même temps, on a privé l’industrie ferroviaire de financements pérennes et dynamiques : privatisation des autoroutes, abandon de l’écotaxe, non-reprise de la dette ferroviaire… Autant de décisions qui condamnent le système ferroviaire au déclin par asphyxie financière.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a urgence à réorienter la politique ferroviaire nationale !
Pour jouer son rôle de stratège, l’État doit, comme l’a souligné le récent rapport de la commission des finances, programmer des lois pluriannuelles d’investissement. Il faut donner de la cohérence et de la lisibilité à notre stratégie ferroviaire.
Il convient par ailleurs de soulager SNCF Réseau du fardeau de sa dette, qui ne cesse de s’alourdir – 50 milliards d’euros actuellement, mais cette dette est dynamique –, à l’image de ce qui s’est fait en l’Allemagne. Une telle démarche permettrait de se dégager de l’emprise des banques, qui gagnent tout de même chaque année 1, 7 milliard d’euros avec cette dette, sur le dos du système ferroviaire. Pourtant, le Gouvernement vient encore récemment de refuser cette possibilité.
Il convient également de recréer une filière intégrée et cohérente entre l’industrie ferroviaire, les infrastructures et les opérateurs.
Il faut enfin replacer au cœur des politiques publiques la dimension d’aménagement du territoire du transport des personnes et des marchandises. Les exigences environnementales imposent de surcroît de donner la priorité au rail.
La bonne gestion des deniers publics et le soin à apporter à notre développement économique imposent ainsi de conserver la maîtrise publique de ces secteurs. Il s’agit notamment de trouver une forme d’équilibre dégagé du poids de la rente financière en recherchant de nouvelles sources de financements dédiés, comme nous le proposons régulièrement : généralisation du versement transport, création d’une écotaxe gérée par le service des douanes, création d’un livret de financement des infrastructures et, surtout, retour des autoroutes dans le giron de l’État.
Enfin, il faut mettre un terme aux exonérations sociales et fiscales indues des secteurs routier et aérien. Il faut créer la fiscalité et les outils nécessaires pour répondre aux besoins de nos concitoyens et de notre économie, dans le respect de notre environnement. Nous devons accompagner et développer notre industrie, et non pas les marchés financiers.
Mes chers collègues, voilà, de notre point de vue, les conditions essentielles pour garantir l’avenir du système ferroviaire. Il y va de notre responsabilité politique et morale.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand et M. Ronan Dantec applaudissent également.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le train cherche sa voie…
Exclamations amusées.
Nous sommes face à un véritable problème d’aménagement du territoire, et cela depuis des années. Monsieur le secrétaire d’État, la situation actuelle n’est en effet pas le fruit de la politique menée depuis cinq ans : elle est le résultat de longues années d’errance en la matière.
Nous connaissons tous l’endettement de SNCF Réseau, à hauteur de 44 milliards d’euros, ce qui nous amène à faire un constat plus que préoccupant.
Alain Bertrand a excellemment parlé des territoires ruraux et hyper-ruraux, et Ronan Dantec a bien fait le lien entre la fermeture des gares et le développement des votes extrêmes, mais les problèmes ne se rencontrent pas qu’au sein de ces territoires : dans les grandes agglomérations ou encore en Île-de-France, certains de nos concitoyens vivent au quotidien les difficultés que vous savez et les trouvent de plus en plus insupportables.
Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons pas programmé ce débat en séance publique pour faire le procès de la politique que vous menez. Je puis même en assurer mes collègues, chaque fois que j’ai eu l’occasion de vous signaler les difficultés graves que mon territoire rencontrait, vous m’avez prêté une oreille attentive pour essayer d’améliorer la situation.
Si nous l’avons fait, c’est parce que nous considérons que ce pays a besoin d’une vraie vision en termes d’aménagement du territoire et de mobilité. Or cette vision programmatique nous semble trop absente.
Nous avons eu un exemple frappant de ce déficit de concertation entre l’État et les grandes collectivités avec les incohérences entre les contrats de plan État-régions mis en place dans les différentes régions. Ainsi, dans mon territoire, nous avons une ligne ferroviaire qui concerne trois régions, lesquelles ont pris des engagements différents concernant cette ligne. On ne va quand même pas couper la circulation aux frontières départementales ! C’est une réalité à laquelle il faut mettre fin, monsieur le secrétaire d’État, ce qui nécessite que l’État reprenne le rôle qu’il n’aurait jamais dû abandonner, celui du coordonnateur qui trace les grandes lignes – c’est le cas de le dire. Nous subissons en effet aujourd’hui les conséquences cruciales de l’abandon de son rôle.
Certes, chacun plaide ici un peu pour sa paroisse, même si j’ai dit ce que je pensais des transports en Île-de-France et dans les métropoles. Par ailleurs, je ne remets pas en cause le choix du TGV, qui répond à un besoin. Mais il faut savoir sérier les problèmes, harmoniser les situations et, surtout, dire les choses telles qu’elles sont, plutôt que de faire voyager nos concitoyens dans des conditions absolument inacceptables sur les lignes rurales et hyper-rurales, comme l’a dit Alain Bertrand. Il faut savoir qu’il y a des lignes qui sont suspendues pendant des mois au motif que les feuilles mortes entraînent des risques de déshuntage. C’est la réalité, et pas seulement sur des lignes que je connais !
Marques d’approbation.
Quand on explique cela à nos concitoyens, ils se demandent vraiment si la République progresse.
Face à ces problèmes, mes chers collègues, nous avons le devoir d’apporter des réponses, sans être condamnés à attendre ce que va dire la SNCF pour savoir si telle ou telle ligne est suspendue, supprimée ou remplacée par des bus. Au XXIe siècle, on ne peut pas supporter un fonctionnement du service public ferroviaire nettement moins performant qu’il y a vingt ou quarante ans.
Je le répète, je ne vous en fais pas grief, monsieur le secrétaire d’État, et vous connaissez tout cela.
Quand j’organise une réunion de travail avec la SNCF dans mon département, c’est pour m’entendre dire qu’il faut 100 millions d’euros pour éviter une sortie de rails dans le Cantal. Mais où trouve-t-on cette somme ? Si encore la SNCF me répondait qu’elle ne peut pas y arriver et qu’il faut faire des choix, je saurais à quoi m’en tenir. Mais enfin, monsieur le secrétaire d’État, quand on n’a plus ni route ni train, comment fait-on ?
Sourires.
M. Jacques Mézard. Oui, c’est bien, mais cela n’est quand même peut-être pas la solution d’avenir, n’en déplaise à notre collège Ronan Dantec.
Nouveaux sourires.
Telles sont les réalités auxquelles nous sommes confrontés dans nos territoires.
Nous avons bien vécu une tentative de planification avec le schéma national des infrastructures de transport, mais, une fois les additions faites, la note totale s’élevait à 245 milliards d’euros… Le travail de Louis Nègre a été très apprécié, et nous l’en avons félicité, mais force est malheureusement de constater que sa mise en œuvre est impossible.
Monsieur le secrétaire d’État, ces questions méritent des réponses claires et loyales pour que nous puissions avancer. Vous devez toujours avoir à l’esprit que nous ne pouvons pas nous passer de la parole et des engagements de l’État en la matière. Voilà ce que je voulais vous dire aujourd’hui.
Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le groupe du RDSE, qui a pris l’initiative de ce débat sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur en tant que président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de représentant du Sénat au sein du conseil de surveillance de la SNCF.
Ce débat intervient à un moment particulièrement critique pour le transport ferroviaire. J’illustrerai mon propos au moyen de quatre constats.
Premièrement, la dette ferroviaire atteint le montant record de 50 milliards d’euros et croît de près de 3 milliards d’euros par an.
Deuxièmement, les écarts de productivité de l’entreprise nationale par rapport à ses concurrents étrangers sont de l’ordre de 20 % à 30 %.
Troisièmement, l’état lamentable du réseau, dont l’âge moyen atteint trente-trois ans, alors qu’il est de dix-sept ans en Allemagne, non seulement constitue un réel risque pour la sécurité – il est presque surprenant qu’il n’y ait pas plus d’accidents mortels… –, mais conduit aussi à une dégradation de la qualité du service, puisqu’il entraîne des ralentissements et des retards sur de nombreux tronçons.
Quatrièmement, la concurrence des autres modes de transports, notamment le transport routier, avec le développement des autocars et du covoiturage, est de plus en plus vive. Il faut reconnaître que le transport ferroviaire a perdu de son attractivité, pour des raisons de coût et de qualité du service. L’ouverture du marché aux autres entreprises du transport ferroviaire en 2020 ne fera qu’aggraver la situation pour SNCF Mobilités.
Face à ces enjeux, le Gouvernement a proclamé le retour de l’État stratège, en particulier lors des débats sur la loi de réforme ferroviaire de 2014. Dans les faits, nous sommes malheureusement obligés de constater qu’il n’en est rien. Comme l’ont affirmé nos collègues Gilles Savary, député socialiste, qui était rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, Bertrand Pancher et la quasi-totalité des acteurs, « l’État stratège est aux abonnés absents » !
Pis, l’État fait preuve d’incohérence dans ses actions, comme l’illustre l’actualité récente.
Premier exemple : la loi de 2014 devait donner lieu à une réforme sociale ambitieuse. Hélas, quelques grèves, les tensions sociales dues à la loi El Khomri et la volonté de ne pas troubler l’Euro 2016 ont eu raison de cette réforme pourtant indispensable, vitale même. Alors que la direction de la SNCF travaillait pourtant depuis des mois sur ce dossier, l’État lui a purement et simplement demandé de capituler.
En agissant ainsi, le Gouvernement a définitivement enterré toute perspective de voir l’entreprise devenir compétitive, et il a gravement compromis son avenir.
En effet, en l’absence de réforme sociale, la dérive des coûts et donc celle de la dette vont se poursuivre et, avec elles, la perte de compétitivité du ferroviaire par rapport aux autres modes de transport.
Cet immobilisme en matière sociale va de pair avec une position extrêmement frileuse quant à l’ouverture à la concurrence. Le Gouvernement l’avait fermement écartée en 2014 ; il commence à peine à l’envisager, pressé par les échéances européennes, tout en indiquant que ce processus prendra du temps, qu’il faudra commencer par des expérimentations, résoudre des difficultés juridiques, etc.
Attention à ne pas répéter les erreurs du passé, car nous savons tous comment la SNCF, insuffisamment préparée à l’ouverture à la concurrence du fret, s’est effondrée face à ses concurrents dans ce domaine.
Le Gouvernement s’est longtemps réfugié derrière les négociations européennes sur le quatrième paquet ferroviaire pour écarter cette question.
Les dates sont désormais fixées : la concurrence sera ouverte à partir de 2020 sur les lignes commerciales et à partir de 2023 pour les lignes sous convention de service public. Cela suppose que le cadre juridique soit fixé bien avant.
Le Gouvernement soulève déjà des difficultés en évoquant les questions du sort des personnels et de la reprise des matériels, questions certes légitimes, mais il faut être lucide : on ne peut pas imposer aux nouveaux entrants d’employer les personnels dans les mêmes conditions. Veillons à ne pas étouffer dans l’œuf cette ouverture à la concurrence, qui doit être un aiguillon pour l’entreprise nationale.
Deuxième exemple : la dette.
La loi de 2014 avait créé plusieurs instruments pour la contenir. L’État devait signer des contrats de performance avec la SNCF pour lui imposer des efforts de productivité et définir avec elle une trajectoire financière pluriannuelle.
La loi a aussi instauré une règle d’or pour éviter la fuite en avant d’une dette colossale.
Plus de deux ans après, ces contrats ne sont toujours pas signés et le décret d’application de la règle d’or n’est toujours pas sorti, mais le Gouvernement propose déjà d’y déroger dans le cadre du CDG Express !
Cela n’est ni sérieux ni responsable.
En juin dernier, le Premier ministre avait annoncé à l’Assemblée nationale qu’il prendrait des mesures pour alléger la dette afin de compenser sa décision d’enterrer la réforme sociale. Finalement, dans le rapport remis à ce sujet en septembre, il renvoie à un prochain gouvernement pour toute décision en la matière.
La loi d’août 2014 comportait d’autres promesses également non tenues.
On nous avait annoncé des économies d’échelle, permises par la réunion des services de gestion de l’infrastructure. On observe au contraire une augmentation des charges d’exploitation de SNCF Réseau, et il n’y a aucun effort de productivité particulier par rapport à ceux qui avaient déjà été engagés avant 2014.
L’effet de ciseaux entre l’augmentation des coûts et la baisse des recettes semble donc irréversible.
Le gestionnaire d’infrastructures unique a également encore des progrès à faire pour gérer efficacement les demandes de sillons. En attendant, le fret ferroviaire ne pourra pas devenir compétitif par rapport aux autres modes de transport, plus fiables et plus souples.
De façon générale, l’architecture globale du groupe public ferroviaire retenue à l’occasion de la réforme laisse toujours planer des doutes sur l’étanchéité entre l’activité de gestion de l’infrastructure et l’exploitation des services ferroviaires, ce qui est problématique dans la perspective de l’ouverture à la concurrence. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, l’a souligné à plusieurs reprises, pointant notamment les difficultés liées au rattachement des gares à SNCF Mobilités. J’en profite pour rappeler au Gouvernement que, sur ce sujet précis, nous attendons toujours le rapport qui devait être remis cet été, en application de la loi de 2014.
Enfin, dernière illustration de l’absence d’État stratège, des membres de notre commission avaient alerté à plusieurs reprises le Gouvernement sur la situation de la filière ferroviaire française, bien avant la crise de cet automne relative au site Alstom de Belfort.
Là encore, rien n’a été fait jusqu’à ce que cette crise éclate. Le Gouvernement a alors dû commander, en urgence, quinze rames de TGV pour circuler sur des lignes d’équilibre du territoire, à une vitesse limitée à 250 kilomètres par heure, et a également imposé à la SNCF, qui n’en avait vraiment pas besoin, l’achat de six rames TGV pour la ligne Lyon-Turin, dont les plus optimistes annoncent l’ouverture en 2030. Mais chacun sait que cette échéance ne sera pas respectée.
On a donc de nouveau fait preuve de « court-termisme » tout en chargeant la barque de la SNCF.
Monsieur le secrétaire d’État, il est désormais grand temps de réagir en préparant effectivement l’ouverture à la concurrence.
Cela passe notamment par la réouverture de la négociation sociale pour permettre à l’entreprise de renouer avec la compétitivité.
Il faut également investir fortement et dans la durée pour assurer la remise en état du réseau, ce qui passe par l’octroi de moyens importants et peut aussi être l’occasion de structurer une filière industrielle.
Enfin, il s’agit de prendre les dernières mesures d’application de la loi de 2014 : signature des contrats de performance et décret sur la règle d’or pour mettre fin à cette augmentation permanente et exponentielle de la dette.
C’est à ces trois conditions que notre système ferroviaire peut encore envisager un avenir, ce à quoi je veux croire.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.
La parole est à M. Philippe Madrelle, pour le groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les assises du ferroviaire, organisées en fin de mandature, en 2011, par Mme Kosciusko-Morizet, alors ministre des transports en titre, avaient dressé un constat alarmiste de la situation de notre système ferroviaire. Il affichait, à l’époque, un endettement de l’ordre de 27, 5 milliards d'euros, dont 5, 1 milliards d'euros pour l’opérateur et une dérive financière annuelle de l’ordre de 1 à 1, 5 milliard d’euros.
Curieusement, ces assises étaient infiniment plus discrètes sur l’état catastrophique du réseau malgré deux audits successifs très préoccupants de l’École polytechnique fédérale de Lausanne.
Au-delà des bonnes résolutions prises pendant ces assises, il ne se passa rien. Surtout, le gouvernement sortant de François Fillon transmit à celui de Jean-Marc Ayrault l’héritage empoisonné de quatre chantiers TGV simultanés, lesquels ont porté mécaniquement la dérive de la dette à 3, 5 milliards d'euros par an.
La politique du tout-TGV des gouvernements du quinquennat de Nicolas Sarkozy continue à creuser mécaniquement cette dette, établie désormais à 50, 1 milliards d'euros au total.
Je sais que cela vous gêne !
Depuis lors, les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls ont agi…
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, s’il vous plaît, un peu de silence ! Laissez l’orateur parler !
Depuis lors, disais-je, les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls ont réagi face à cette situation.
Le premier nous a proposé une réforme ferroviaire ambitieuse qui poursuivait deux objectifs : stabiliser les finances de la SNCF en réduisant sa dette et mettre en place une gouvernance moderne en réunifiant enfin tous les métiers de l’infrastructure dans l’EPIC SNCF Réseau. Cette réforme a été promulguée le 4 août 2014.
Le gouvernement de Manuel Valls a lui aussi réagi, sous votre impulsion, monsieur le secrétaire d'État, et il a pris la mesure, à partir des préconisations de la commission Mobilité 21, présidée par Philippe Duron, de la nécessité d’engager un immense effort de régénération du réseau, de maintenance des infrastructures et de mise en sécurité des circulations. Cet effort a plus que doublé le concours de l’État pour la seule réhabilitation du réseau.
Pour autant, et malgré ce changement de politique, qui survient à un niveau avancé de dégradation du réseau et suppose un effort long et continu, nous sommes fondés à nourrir sinon des inquiétudes, du moins de fortes interrogations sur l’avenir du rail, même s’il incarne en principe le mode de transport le plus compatible avec nos engagements climatiques et énergétiques de la COP 21.
Non seulement la situation financière de notre système ferroviaire reste gravement hypothéquée par l’inertie de la politique du tout-TGV, mais le chemin de fer, mode de transport lourd et très exigeant en capital, subit lui aussi les bouleversements qui affectent nos sociétés. Je pense aux nouveaux comportements et aspirations des usagers s’agissant de mobilité.
Sur la longue distance grande vitesse, le low cost aérien profite des infrastructures légères existantes et menace sérieusement la compétitivité du modèle TGV, que la France est tentée d’utiliser en train de cabotage d’aménagement du territoire, mais à contre-emploi, avec un coût d’exploitation exorbitant, dénoncé par la Cour des comptes.
Par ailleurs, le développement fulgurant du covoiturage interurbain, dont le trajet moyen est de plus de 300 kilomètres, montre une « préférence pour le tarif sur la vitesse » qui interroge sur le choix de prestige trop exclusif de la très grande vitesse à la française, techniquement gratifiant, mais que l’on ne parvient pas à exporter.
Concernant les trains de grandes lignes, vous avez, monsieur le secrétaire d'État, courageusement pris la mesure du gouffre financier dans lequel ils s’enfonçaient, avec un déficit de l’ordre de 330 millions d’euros par an pour très peu de passagers transportés – moins 20 % depuis 2011 – en restructurant les lignes d’aménagement du territoire et en modernisant leurs matériels et leurs prestations.
En matière de TER et de RER, figures de proue des trafics, absolument essentiels aux déplacements domicile-travail de six millions de Français par jour, un effort gigantesque de mise à niveau de l’Île-de-France est engagé. L’on observe toutefois une dégradation préoccupante du climat avec les autorités organisatrices régionales, qui en appellent à la mise en concurrence de la SNCF pour un modèle économique dont l’usager couvre moins de 30 % du coût d’exploitation !
Enfin, le fret ferroviaire est soumis à de telles conditions de concurrence par le transport routier de marchandises que, malgré quatre plans successifs de relance, son trafic est tombé de près de 50 milliards de tonnes par kilomètre en 2000 à environ 34 milliards de tonnes par kilomètre seize ans plus tard !
Finalement, malgré le changement de politique et l’effort budgétaire opérés, ce sont désormais 4 000 kilomètres du réseau historique, souvent laissés sans travaux depuis plus de trente ans, où la circulation est ralentie pour des raisons de sécurité.
En d’autres termes, si le train reste théoriquement un mode de transport prometteur, tous les clignotants semblent paradoxalement y être au rouge !
On ne peut donc manquer de s’interroger sur l’avenir de ce mode lourd à une époque où les usagers ont manifestement pris le pouvoir sur les ingénieurs et sur nos propres décisions politiques avec l’appui de l’internet, de l’open data et d’une mobilité en mutation profonde. Nos concitoyens préfèrent manifestement, comme le montrent les « cars Macron », « voyager plus, et moins cher » que « voyager moins, et plus vite » !
Ce constat préoccupant m’amène, monsieur le secrétaire d'État, à vous poser quelques questions.
La première porte sur votre appréciation et votre évaluation de la réforme ferroviaire mise en œuvre par votre prédécesseur, Frédéric Cuvillier.
Dans leur récent rapport d’information, nos collègues députés se félicitent de la mise en œuvre de la réforme, « la plus ambitieuse depuis la loi de nationalisation de 1937 », mais regrettent que l’État n’ait pas fait le même effort que l’Allemagne, en reprenant au moins la composante maastrichtienne de la dette, et préconisent de « réformer la réforme » sur quelques points laissés en suspens, comme le positionnement de Gares & Connexions dans le groupe. Ils mettent en garde, en revanche, contre la tentation invoquée par certains membres de l’opposition d’en revenir au système précédent d’une séparation totale entre le réseau et l’exploitation.
La deuxième question porte sur la mise en œuvre effective de la règle d’or et des contrats de performance entre l’État et les trois EPIC du groupe SNCF, qui constituent les garde-fous et les garants d’un progressif assainissement financier du groupe SNCF ! Le fait qu’avant même la publication du décret sur la règle d’or il nous ait été demandé d’y faire exception pour le CDG Express suscite évidemment une interrogation forte sur la trajectoire de stabilisation financière de SNCF Réseau, alors que l’État a par ailleurs confirmé des chantiers colossaux, comme celui du tunnel Lyon-Turin et de ses accès, ou celui de la LGV GPSO, le grand projet ferroviaire du Sud-Ouest, que nous connaissons bien tous les deux, monsieur le secrétaire d'État, projet préféré à une régénération plus ambitieuse et plus polyvalente du réseau existant.
Enfin, alors que vous venez de vous engager, en cohérence avec les décisions prises avant vous, à effacer les bases législatives et réglementaires de l’écotaxe, je me pose la question de savoir si nos investissements ferroviaires, alors que nous sommes désormais les seuls en Europe à devoir faire face à la régénération d’un réseau historique considérable et très dégradé, ainsi qu’au développement simultané d’un second réseau dédié à la grande vitesse à des coûts exponentiels, sont raisonnablement soutenables sans opérer des choix stratégiques plus nets et inscrits dans la durée à partir d’un minimum de consensus politique national.
M. Philippe Madrelle. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, des réponses que vous voudrez bien apporter à ces réelles interrogations sur l’avenir du ferroviaire français dans la société contemporaine et dans l’Europe de demain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous le savons tous, depuis plusieurs années, le secteur ferroviaire s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise. Je remercie donc le groupe du RDSE de nous permettre de parler de ce sujet important.
Trois exemples caractérisent cette dégringolade de l’un de nos plus beaux fleurons nationaux.
Premier exemple, la dette atteint désormais plus de 50 milliards d’euros, selon le rapport de l’Agence des participations de l’État, avec une projection à 60 milliards d’euros à l’horizon 2025.
Cette course vers l’abîme obère très directement l’avenir du système ferroviaire.
Deuxième exemple, la règle d’or – ô combien nécessaire, monsieur le secrétaire d'État ! – que le Parlement a votée dans la loi de 2014 est balayée à la première occasion. Même sur les travées du groupe socialiste on en convient, M. Madrelle venant de reconnaître que cela pouvait, en effet, poser problème.
Ainsi, le projet de loi relatif à une liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris-Charles de Gaulle aggravera la dette de SNCF Réseau de 300 millions d’euros environ. Ce texte, dans lequel il est écrit, noir sur blanc, de faire l’inverse d’un article essentiel de la loi portant réforme ferroviaire, porte une atteinte grave à la crédibilité du Parlement. Nous ne pouvons pas vous suivre, monsieur le secrétaire d'État, dans cette démarche contraire à nos valeurs !
M. Jacques Legendre applaudit.
Troisième exemple : où est l’État stratège, que nous appelons tous de nos vœux ?
Sur les investissements indispensables pour l’avenir du ferroviaire, malgré des efforts récents que je reconnais, cinq ans après votre arrivée aux responsabilités l’âge moyen de notre réseau ferroviaire est de trente-trois ans contre dix-sept ans en Allemagne. Plus inquiétant, cet âge moyen continue à augmenter et, pour la première fois depuis vingt ans, nous déplorons, malheureusement, des accidents mortels.
Dans le même temps, monsieur le secrétaire d'État, Bercy ponctionne sans vergogne le prélèvement de 2 centimes voté en 2015 et destiné à l’AFITF. C’est bien une politique de gribouille, monsieur Madrelle !
Votre gestion du dossier Alstom en est l’illustration, monsieur le secrétaire d'État. Alors que nous vous alertions depuis des années sur les risques de fermeture de sites industriels, c’est sous la pression des événements et en catastrophe que vous avez décidé d’acheter des rames de TGV, qui coûtent le double des rames des Intercités, pour faire de l’Intercité ! Ce matériel conçu pour aller à près de 320 kilomètres par heure roulera à 160 kilomètres par heure. Qui peut comprendre cette logique ?
Au-delà de l’insuffisance des moyens financiers pour nos infrastructures, que tout le monde a évoquée, il manque d’abord une vision, monsieur le secrétaire d'État, une vision à moyen et à long terme digne d’un État qui se veut stratège.
Sans une telle vision, vous ne pouvez pas définir une politique avec des objectifs clairs, une politique qui se décline à travers un programme d’action cohérent, étalé dans le temps et favorable au développement de notre industrie, la troisième dans le monde.
Notre vision de l’avenir du transport ferroviaire est optimiste, mais elle passe par un assainissement financier de SNCF Réseau, par un système de financement stabilisé après la disparition de l’écotaxe, par l’ouverture à la concurrence pour stimuler la SNCF, améliorer sensiblement sa compétitivité et rendre un meilleur service aux usagers.
Ces derniers sont les naufragés d’une situation dégradée, qui n’est pas digne d’une nation au passé ferroviaire prestigieux !
Bien évidemment, tout cela ne pourra se faire que dans le cadre d’une réforme structurelle du fonctionnement d’un système obsolète sur de nombreux points, son cadre social notamment.
Je le répète depuis des années : le système ferroviaire est le mieux à même de nous permettre de faire face au changement climatique et de lutter contre une pollution qui affecte la santé publique.
En conclusion, nous croyons plus que jamais à l’avenir du ferroviaire, en France et dans le monde. Sous réserve d’une vision à moyen et à long terme, c’est le système ferroviaire qui est le plus en mesure de répondre à la demande exponentielle des déplacements dans les zones urbanisées, où vivra demain plus de 60 % de la population du globe ! C’est un acte de foi, mais il est réaliste !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
La parole est à Mme Brigitte Micouleau, pour le groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comment imaginer, en 2016, une France sans TGV entre Paris et Lyon ?
Quelle serait la réaction des Marseillais, des Lillois, des Strasbourgeois ou encore des Bordelais si on leur disait : « Désolé, le TGV pour Paris, c’est fini ! Faudra faire sans maintenant ! » ?
Et je ne pose même pas la question pour les millions de voyageurs qui empruntent chaque année les lignes à grande vitesse Paris-Londres et Paris-Bruxelles !
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous ne m’en voudrez pas si ce débat sur l’avenir du transport ferroviaire en France est donc pour moi l’occasion de poser la question de la desserte par une ligne à grande vitesse de ma très chère grande ville, Toulouse.
En effet, comment accepter et comprendre que Toulouse, quatrième ville de France, et sa grande agglomération, qui accueillent en moyenne plus de 17 000 nouveaux habitants par an et qui est, en termes de croissance économique, loin devant toutes les autres métropoles françaises – y compris Paris – ces dernières années, devraient être les seules de cette importance à être exclues du réseau ferré français à grande vitesse ?
En termes d’équité sur le plan de l’aménagement du territoire, en termes de fair play dans la compétition que se livrent les grandes métropoles françaises et européennes, cette hypothèse est tout simplement inacceptable, monsieur le secrétaire d'État !
C’est une évidence, la réalisation de la LGV Bordeaux-Toulouse, qui permettrait, je vous le rappelle, de mettre Toulouse à 3 heures 10 de la gare Montparnasse, contre, au mieux, 5 heures 15, actuellement, est un enjeu national prioritaire. C’est d’ailleurs ce qu’avait conclu la commission Mobilité 21 en juin 2013.
En vérité, la seule et unique question qui doit retenir notre attention quant à la réalisation de nouvelles LGV en France, et en particulier celle de la LGV Bordeaux-Toulouse, c’est bien la question du financement.
Quel est aujourd’hui le bon modèle économique ? Celui qui a été retenu pour la réalisation de la LGV Tours-Bordeaux a montré ses limites – personne ne dira le contraire, monsieur le secrétaire d'État.
Dans le contexte économique actuel, imaginer un plan de financement réaliste et soutenable par les collectivités locales n’est pas un mince défi.
Et pourtant, parce que cette LGV Bordeaux-Toulouse correspond à une véritable attente de tout le grand Sud-Ouest et qu’elle est portée par une vraie dynamique politique et économique, les quatre grandes collectivités du territoire – les métropoles de Toulouse et Bordeaux, les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine – ont décidé de relever ce défi et de travailler ensemble, de manière très forte, en faisant fi des clivages politiques.
Cette réflexion, qui s’effectue dans le cadre d’une commission ministérielle que vous avez souhaité créer l’an dernier, monsieur le secrétaire d'État, et je vous en remercie, devrait rendre ses propositions d’ici à l’été prochain.
On sait déjà que ces quatre collectivités locales n’ont pas souhaité limiter leur réflexion aux modèles classiques de financement comme le partenariat public-privé, la concession et la délégation de service public. Elles souhaitent en effet étudier toutes les approches possibles et sont même disposées à aller voir ce qui se fait hors de nos frontières.
Je suis prête à prendre le pari que cette démarche originale portera ses fruits et qu’elle fera émerger un nouveau modèle de financement, plus pertinent et mieux adapté aux réalités économiques actuelles, un modèle qui permettra de maintenir le caractère prioritaire de la desserte de Toulouse par une ligne à grande vitesse et également de respecter le calendrier initial prévoyant une mise en service de cette ligne en 2024.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d’abord remercier nos collègues du RDSE d’avoir pris l’initiative d’organiser un débat aussi important et qui concerne si directement l’aménagement du territoire. En effet, s’il est un bel outil d’aménagement du territoire, c’est bien le transport ferroviaire ! À une époque où l’on nous répète à l’envi que les échanges mondiaux sont pourvoyeurs de croissance, on ne va pas nous dire que l’on pourrait se passer des échanges à l’intérieur même de notre pays !
Vous ne me verrez jamais défendre le monde rural sur un mode corporatiste. Ce que je défends, c’est la France, et il n’y a pas, d’un côté, le monde rural et, de l’autre, le monde urbain. L’ensemble des territoires doivent être reliés, d’abord, parce qu’il n’y a pas une sorte de monde urbain et une sorte de monde rural. Il y en a de toutes sortes !
Il faut que nous soyons reliés entre nous pour que la France reste puissante tant sur le plan économique que sur celui du bien-être.
Je suis plutôt optimiste de nature, mais j’exprimerai trois inquiétudes à cette tribune.
Première inquiétude, non seulement on n’a plus les moyens de payer le service de dettes comme celle – entre 40 milliards et 60 milliards d’euros ! – qui pèse sur nos infrastructures ferroviaires, mais l’Agence de financement des infrastructures de transport de France s’est vue privée de plus de 10 millions d'euros à cause de la décision désastreuse de Mme Royal sur l’écotaxe. Il sera maintenant difficile de revenir en arrière ! Et si les régions les plus riches décidaient de rétablir l’écotaxe, cela irait à rebours de la logique de l’aménagement du territoire puisque n’en profiteraient que les infrastructures, tant routières que ferroviaires d’ailleurs, de ces régions.
Deuxième inquiétude, faute d’argent, on va faire, comme on peut le lire dans tous les rapports, une « sélection plus rigoureuse », mais qu’est-ce que cela signifie sinon que l’on va privilégier les routes et les trains à forte fréquentation ? Ainsi, l’écart entre les régions sera encore accentué !
J’en arrive à ma troisième inquiétude. L’État est garant de l’aménagement du territoire, dont les trains d’équilibre du territoire étaient un élément. Un TET, ce n’est pas un TER ! Les TET permettent de remplir une mission régalienne en assurant une liaison ferroviaire entre les villes de province et Paris. Même s’ils se sont parfois transformés en TET, les TGV ont une autre fonction, qui était, à l’origine, de traverser l’Europe. Or, monsieur le secrétaire d'État, l’État vient de décider d’abandonner en rase campagne un certain nombre de TET.
Certes, comme ma collègue Brigitte Micouleau vient de le dire, les régions prennent le dossier à bras-le-corps, mais elles ne font pas de gaieté de cœur ! Elles n’ont tout simplement pas le choix, sauf à voir les TET disparaître. Je citerai l’exemple de la ligne Paris-Belfort-Mulhouse, qui concerne l’Île-de-France, le Grand Est et la Bourgogne-Franche-Comté. Le déficit est de 30 millions d'euros, paraît-il – je le crois un plus élevé. Or la dotation de l’État est de 13 millions d'euros…
Contrairement à ce que prévoit la Constitution, on ne cesse de diminuer les dotations des régions et de procéder à des transferts de compétences sans les assortir du financement correspondant complet. Je vous renvoie à mon exemple : comment voulez-vous que les régions arrivent à compenser un déficit de 30 millions d'euros avec une dotation de 13 millions d'euros ? Peut-être les régions les plus riches pourront-elles faire payer un peu plus leurs contribuables pour compenser le manque, mais cela ne durera pas longtemps !
Je m’inquiète donc de la pérennité des TET. Pour le moment, les régions se battent pour essayer de les maintenir. Le risque, c’est de les voir petit à petit se transformer en TER. Nos territoires seront à nouveau complètement séparés les uns des autres !
Voilà les quelques inquiétudes que je souhaitais soumettre à notre noble assemblée.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Ronan Dantec applaudit également.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d’abord remercier le groupe du RDSE d’avoir suscité l’organisation de ce débat non seulement parce qu’il porte sur un sujet passionnant, mais aussi parce qu’il est politique. Chacun d’entre vous a souligné, à juste raison, l’importance majeure de la mobilité dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Je le rappelle, nous parlons, tous chiffres confondus, de 15 000 trains qui transportent six millions de personnes par jour ! J’espère donc que le thème de la mobilité trouvera la place qui lui revient dans les débats à venir.
Les propositions sont attendues et bienvenues ! À cet égard, je tiens à remercier notamment MM. Maurey et Nègre, qui ont commencé à évoquer des solutions de gestion alternative. Je n’ai pas été surpris par la réponse, qui mérite cependant d’alimenter le débat public. De ce point de vue, l’initiative d’aujourd'hui me paraît tout à fait pertinente.
Deux ans après le vote de la loi portant réforme ferroviaire et alors que les échéances de l’ouverture à la concurrence sont désormais connues, notre système ferroviaire est, vous l’avez dit, à la croisée des chemins.
Dans ce contexte, il me paraît important et sain que la représentation nationale puisse avoir ce débat, sur des bases justes et des chiffres partagés. À ce propos, je me dois de revenir sur certains chiffres qui ne sont jamais cités parce qu’ils figurent dans le budget de l’État et que l’on n’en parle plus.
Je pense notamment à la dotation d’équipement des territoires ruraux, ainsi qu’aux droits de passage des TER, qui sont payés par le budget de l’État. Il ne s’agit pas d’une petite somme : 1, 4 milliard d’euros sont inscrits à cet effet dans la loi de finances. J’ajoute que cela ne concerne pas la région parisienne. Je le dis à l’intention de M. Bertrand : dans une approche qui englobe la ruralité – approche qui est juste et que je partage, moi qui suis aussi originaire d’un département rural –, les sommes extrêmement importantes qui lui sont allouées dans le budget de l’État ne doivent pas être oubliées. La solidarité nationale est bien au rendez-vous !
Il faut aussi être attentif aux exemples que l’on donne. Je veux m’adresser ici à M. Maurey et dissiper une confusion au sujet de la commande de six rames à Alstom. Elle est destinée non au Lyon-Turin, mais à la ligne Paris-Milan-Turin, qui existe depuis un bon moment – elle ne sera pas mise en service en 2030 ! S’il faut changer le matériel, c’est parce que – quoi qu’on puisse penser de cette décision – les Italiens ont décidé de modifier leur mode de signalétique.
Au-delà de ces questions, vous avez cependant bien posé le problème. Nous avons en effet besoin de réfléchir aux enjeux dans le cadre de la transition énergétique. Le transport ferroviaire a évidemment, à l’heure où l’accord de Paris sur le climat entre en vigueur, toute sa place dans la réponse que nous devons apporter à ce défi.
Là aussi, regardons les faits. Peut-être faut-il dépasser les deux simples formules que sont « l’État stratège » et « l’ouverture à la concurrence », et aller un peu plus dans le détail pour examiner les réalisations. Je suis d’autant plus à l’aise pour en parler qu’elles n’ont pas été le fait de ce seul gouvernement.
Je tiens à le redire, quoi qu’en pense la Cour des comptes, on devrait à mon sens mettre en exergue l’existence de l’AFITF. En effet, elle dispose de 2, 1 milliards d'euros de ressources qui toutes proviennent de la route, mais qui sont destinées pour l’essentiel – à hauteur de 80 % – à financer des dépenses pour le rail et le fluvial.
Quand on parle de transition énergétique et de report modal, il faut donc avoir ces chiffres à l’esprit. La mécanique est extrêmement importante. Sur le principe, souvenons-nous que nous avons l’outil et la politique, politique qui s’inscrit bien sûr dans une stratégie de long terme et que pratiquement tous les gouvernements ont d’ailleurs appliquée.
Je tiens à évoquer – vous ne l’avez pas fait aujourd’hui – la révolution numérique, qui est à l’origine du développement de nouvelles formes de mobilité et de nouveaux services, comme le covoiturage et le transport aérien low cost. Que l’on parle de clients ou d’usagers, selon ses choix ou la sémantique retenue, de toute façon, le résultat est le même : des choix sont faits par ceux qui accèdent à ces nouvelles formes de mobilité.
Cette révolution numérique est à la fois un problème et une solution : on voit bien qu’elle ouvre, aujourd’hui, des marges de progression considérables, notamment en termes d’efficacité et de compétitivité, pour tous les modes de transport, y compris le chemin de fer.
Enfin, s’agissant de l’ouverture à la concurrence, le quatrième « paquet ferroviaire » et les échéances retenues –2020 pour le réseau commercial, 2023 pour le réseau concédé – ne relèvent pas de décisions de la France. La situation en Europe est assez diverse, mais on trouve aussi, dans les principaux pays voisins du nôtre, un grand opérateur historique.
Je rappelle que l’ouverture à la concurrence du réseau concédé, en 2023, relèvera d’une décision des autorités concédantes. En effet, le texte sur lequel l’ensemble des pays européens se sont mis d’accord laisse à ces autorités la possibilité de maintenir une relation avec l’opérateur historique : cela s’appelle la responsabilité politique. Gardons bien à l’esprit que cette alternative existe et qu’il faut se préparer à cette échéance.
Dans cette perspective, quelle a été la démarche de l’État ? Comme la question de l’ouverture à la concurrence sur les lignes concédées se pose, essentiellement, aux responsables des régions, j’ai proposé à M. Richert, président de l’Association des régions de France, d’engager un travail en commun préalablement à l’expérimentation. Cette expérimentation, sur laquelle nous sommes d’accord, pourrait se dérouler en 2018-2019, mais il faut absolument accomplir ce travail préalable, pour répondre aux deux questions suivantes.
En premier lieu, sur quelles lignes faire l’expérimentation ? Elle ne peut être menée uniquement sur des lignes a priori rentables : en vue de l’ouverture à la concurrence, il faudra faire des lots, pour éviter que celle-ci ne concerne que les lignes rentables, les autres continuant à relever d’une gestion publique. À ceux qui nous reprochent de ne pas aller assez vite, j’indique que M. Richert et moi-même sommes d’accord quant à la démarche et à la nécessité de travailler ensemble : un échange de courriers entre nous en atteste.
En second lieu, quel sera le statut des personnels lorsqu’un lot aura été attribué à une entreprise autre que l’opérateur historique ? M. Maurey a déclaré que ce ne pourrait être le statut actuel des cheminots. C’est intéressant, car cela n’avait jamais été dit de façon aussi précise dans le débat public. Je pense pour ma part qu’il faudra préalablement régler certaines questions juridiques. Nous sommes convenus de le faire dans les prochains mois, afin de clarifier les choses avant que commence la phase d’expérimentation.
La perspective de l’ouverture à la concurrence imposera également de clarifier l’organisation de la gestion des gares de voyageurs. Le Gouvernement remettra bientôt au Parlement un rapport qui écartera un certain nombre de pistes et laissera ouverte l’alternative entre la création d’un nouvel EPIC et la mise en place d’une nouvelle filiale de SNCF Réseau.
Dans ce contexte, la réforme ferroviaire, qui ne remonte qu’à 2014 et s’est avérée extrêmement complexe à définir, notamment en matière de transfert de personnel, avait pour ambition de remettre l’opérateur historique sur une trajectoire vertueuse. Il s’agissait, en particulier, d’assurer un transport ferroviaire performant et le retour à l’équilibre économique.
La naissance d’un nouveau groupe public profondément réorganisé, à l’été 2015, est le signe que nous sommes capables de relever les défis, ce dont certains doutaient.
Nous avons constaté l’adoption, prévue par la réforme, d’un nouveau cadre social harmonisé de haut niveau. Le point le plus important, dans ce processus, est le passage d’un système réglementaire, où le statut du personnel et les conditions de travail étaient fixés par décret, à un système conventionnel. Il ne faut pas oublier que cela constitue l’acquis principal de la réforme et que les organisations syndicales ont participé à cette démarche. Demain, c’est donc via un accord que l’on pourra modifier ou adapter ce cadre.
Concernant le fret, la différence de compétitivité entre les acteurs privés et l’opérateur historique – ce secteur est ouvert à la concurrence depuis 2006 –, évaluée initialement entre 20 % et 25 %, a été réduite à peu près de moitié parce que l’accord de branche a permis de rapprocher les situations. Les entreprises privées, dont l’accord était nécessaire, ont permis, avec l’opérateur historique, la signature de cet accord de branche. Je les en remercie : ce n’est pas rien que d’être parvenus à établir un système conventionnel, avec un accord de branche et un accord d’entreprise qui a lui-même retenu le principe d’adaptation par accord majoritaire au niveau local. Cela peut constituer un instrument important pour les opérateurs régionaux de demain.
La modernisation du service public ferroviaire se traduira par la conclusion de contrats de performance entre l’État et le groupe public ferroviaire. Ces contrats seront d’une durée de dix ans, avec actualisation tous les trois ans. Je concède que le calendrier n’est pas forcément respecté – les sujets sont complexes –, mais ils sont en cours de finalisation ; ils sont précis et intègrent des engagements de progrès, de performance économique et opérationnelle, en vue de la modernisation du service public ferroviaire.
La loi de 2014 prévoyait aussi la remise, par le Gouvernement, d’un rapport stratégique d’orientation. Il a été soumis pour avis au Haut Comité du système de transport ferroviaire le 14 septembre dernier. Nous sommes convenus, avec l’ensemble des acteurs représentés au sein du Haut Comité du système de transport ferroviaire, qu’il serait remis au Parlement avec leurs avis.
Quelles doivent être, aujourd’hui, nos priorités ?
La première d’entre elles n’a pas encore été évoquée dans ce débat : c’est la sécurité. Les accidents survenus ces dernières années nous ont rappelé que la sécurité n’est pas un acquis et doit faire l’objet d’une mobilisation sans relâche de tous les acteurs. Je le redis, il doit y avoir un avant et un après Brétigny ! C’est la raison pour laquelle, dès mon entrée en fonctions, j’ai créé un comité de suivi de la sécurité ferroviaire, qui se réunit deux fois par an. Sa mission est de s’assurer de la mobilisation totale des acteurs pour mettre en œuvre les recommandations du Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre, le BEATT, et de faire toute la transparence à l’égard des associations de voyageurs ou de victimes d’accidents collectifs et des organisations syndicales, qui participent à ce comité.
La sécurité, c’est aussi et d’abord la maintenance du réseau, dont certains d’entre vous ont évoqué le vieillissement. Les choix qui ont été faits à un moment donné ont mené à des arbitrages, compte tenu de la contrainte financière. En particulier, la décision majeure a été prise de réaliser quatre lignes à grande vitesse, pour un montant de 5 milliards d’euros. Or un lien presque automatique s’établit, dans les budgets successifs, entre la diminution des crédits de maintenance et de tels choix.
La maintenance, c’est d’une part l’entretien quotidien, d’autre part la régénération des lignes. Les collectivités connaissent bien ce dilemme : quand on ne peut pas refaire la route, on bouche les trous ! C’est exactement ce qui s’est passé dans le domaine ferroviaire. Le montant des crédits était tombé, à un moment donné, à 3 milliards d’euros, presque exclusivement consacrés au traitement des urgences, alors que les travaux de régénération étaient abandonnés. Il est logique de constater ensuite un vieillissement du réseau ! On nous parle d’État stratège, mais cette stratégie-là nous a menés dans le mur…
Nous avons donc rompu avec elle. Pour la première fois depuis des années, le projet de loi de finances prévoit de consacrer davantage de crédits à la régénération qu’à la maintenance ordinaire. Cela ne suffira pas : il faudra probablement maintenir cet effort pendant huit à dix ans pour remettre à niveau notre réseau ; sinon, des lignes devront être fermées.
Là est l’enjeu majeur ! Pour notre part, notre choix est de ne pas fermer de lignes, ce qui sera possible à condition que l’effort engagé depuis plusieurs années pour améliorer l’état du réseau soit poursuivi. Les contrats de performance, en particulier celui avec SNCF Réseau, préciseront la trajectoire. Le Gouvernement a pris la décision d’augmenter les crédits affectés à la restructuration du réseau de 100 millions d’euros par an, pour arriver à terme à 3 milliards d’euros.
En ce qui concerne les trains d’équilibre du territoire, des choix ont été faits en matière de redécoupage et de compétences des régions. On peut être pour ou contre, mais la loi de la République s’impose à tous. Avec la création des nouvelles grandes régions, la différence entre un TER et un TET qui effectuent exactement le même parcours s’estompe. Avant le redécoupage, le fait que certaines lignes reliaient deux régions différentes pouvait expliquer qu’elles soient gérées par l’État. Mais, désormais, leur trajet s’inscrit souvent dans une seule et même région. Ce que veut le voyageur, ce sont des trains qui arrivent à l’heure et soient relativement confortables : peu lui importe qu’il s’agisse de TER ou de TET !
La responsabilité de l’État était donc de proposer aux régions d’engager un débat pour déterminer si, compte tenu de la nouvelle situation, il ne serait pas opportun d’instaurer un interlocuteur unique de la SNCF aujourd’hui, de l’ensemble des opérateurs demain.
D’emblée, l’État a exclu du champ de cette négociation certaines lignes structurantes qui continueront à relever de sa responsabilité. L’appréciation que M. Raison a portée sur la ligne Paris-Mulhouse-Belfort arrive tardivement : un accord a déjà été trouvé avec la région Grand Est. Il s’est plaint que les régions allaient devoir supporter le déficit, mais je ferai observer que l’État leur propose, dans le cadre de ces négociations, de financer le renouvellement du matériel, ce qui représente des sommes considérables – 250 millions d’euros pour la région Grand Est, et sans doute 2, 5 milliards d’euros au total –, et de les accompagner, suivant des modalités d’ailleurs assez diverses, pour la prise en charge d’une partie du déficit, comme annoncé dans le rapport Duron ; les régions, pour leur part, reprennent la gestion des lignes.
Des accords ont déjà été conclus avec la Normandie et le Grand Est. Les négociations avec la Nouvelle Aquitaine sont très avancées et elles se poursuivent avec d’autres régions. Toutes n’aboutiront peut-être pas, mais il est, selon moi, de bonne politique d’allier gestion rationnelle et investissements. Je rappelle que nous parlons ici de 410 millions d’euros par an de déficit pour l’État, pour 135 trains.
Dans six ou sept ans, je pense qu’il apparaîtra que les régions et l’État ont eu raison de passer ces contrats, qui nous semblent bien répondre à l’intérêt général. En tout cas, c’est dans cet esprit que je poursuivrai les négociations.
En 2015, le fret ferroviaire a connu une croissance plus forte que le fret routier ou le fret fluvial. Sa part dans le transport de marchandises est remontée à 12 % environ, après avoir connu une baisse importante depuis l’ouverture à la concurrence et être tombée de 20 % à 10 %. Cependant, pour des raisons conjoncturelles, cette amélioration ne semble pas s’être prolongée en 2016. Depuis deux ans, nous avons mis en œuvre une politique destinée à aider au développement du fret ferroviaire : 90 millions d’euros de crédits ont été pérennisés à cette fin.
La question, économique avant d’être ferroviaire, du réseau capillaire est elle aussi essentielle. Si les entreprises implantées en bout de ligne ont la possibilité de rejoindre le réseau, elles utiliseront plus volontiers le transport ferroviaire que le transport routier. Certaines lignes de ce réseau n’étant exploitées que quelques semaines par an, il n’est pas nécessaire qu’elles répondent, comme c’est le cas actuellement, aux mêmes normes que le reste du réseau ferré. Nous avons donc travaillé, de concert avec les opérateurs et les syndicats, pour modifier les normes applicables au réseau capillaire. C’est une démarche simple, rationnelle, qui répond aux attentes des entreprises et des opérateurs eux-mêmes.
La création, comme sur le port de Bordeaux, d’opérateurs ferroviaires de proximité ou de structures similaires, rassemblant entreprises, collectivités locales et grands opérateurs ferroviaires, constitue une bonne solution.
En matière de transport de voyageurs, la concurrence joue déjà entre le transport ferroviaire et les autres modes de transport, tels que le covoiturage ou les cars. Le citoyen choisit, en fonction du prix, de la ponctualité, du confort, de l’accueil : c’est un paramètre nouveau et important. Les nouveaux modes de transport permettent à certains d’accéder à la mobilité.
Le transport ferroviaire doit être au rendez-vous ! À cet égard, les initiatives prises, notamment sur le plan tarifaire, y compris par l’opérateur historique, me paraissent aller dans le bon sens. Le management et les personnels s’adaptent à ces évolutions. La question de la sûreté doit elle aussi être abordée.
L’endettement du système ferroviaire a été évoqué par beaucoup d’entre vous. Celui de SNCF Réseau, en particulier, s’élève aujourd’hui à environ 40 milliards d’euros. Il s’est fortement accru afin de financer la réalisation de nouvelles lignes à grande vitesse.
La loi de réforme ferroviaire prévoyait la reprise ou le cantonnement de la dette. À l’heure actuelle, l’existence de cette dernière empêche-t-elle le financement des investissements ? Sommes-nous obligés de consacrer au remboursement de la dette des sommes telles que cela obérerait la capacité d’investissement ? La réponse est non : on n’a jamais autant investi que cette année, et nous pourrons néanmoins régler les intérêts de la dette. Cela n’est cependant possible que parce que les taux d’intérêt sont aujourd’hui très bas.
Après examen des conditions d’un éventuel cantonnement ou reprise de la dette, il est apparu que, puisque SNCF Réseau emprunte actuellement sur les marchés à des taux dont même l’État ne pourrait bénéficier compte tenu de la structure de la dette – tout cela est précisé dans le rapport adressé au Parlement –, il est plus intéressant, du point de vue de la bonne gestion de l’argent public, de conserver la structure actuelle, dès lors que cela ne nous empêche pas d’augmenter les investissements. Le rapport prévoit toutefois une clause de revoyure, qui jouera dans trois ans : en cas de remontée des taux, l’équation que je vous expose aujourd’hui pourrait se trouver déséquilibrée, et la question du cantonnement ou de la reprise de la dette serait alors de nouveau posée.
C’est dans ce contexte qu’il faut envisager une éventuelle application de la règle d’or. Nous avons eu un débat sur une deuxième exception à la deuxième règle d’or… Le Sénat a adopté une position intermédiaire entre celle de l’Assemblée nationale et ce que souhaitait le Gouvernement : nous verrons bien quelle sera l’issue de la navette !
Le Gouvernement a adressé son projet de décret au Conseil d’État. Après délibération, ce dernier a refusé de statuer sans disposer de l’avis de l’ARAFER. Nous avons donc saisi l’ARAFER, dont le collège se réunit aujourd’hui même pour se prononcer sur cette question. J’espère que cela répondra aux impatiences qui ont pu s’exprimer…
Pour répondre de manière encore plus précise à Mme Des Esgaulx et à M. Madrelle, j’indique que SNCF Réseau ne financera plus la construction de nouvelles infrastructures. Les choses sont claires ! Cela signifie non pas qu’on ne réalisera pas de nouvelles infrastructures, mais qu’il faudra trouver d’autres modes de financement, …
Sourires sur les travées du RDSE.
Ce débat se tiendra à partir de l’année prochaine.
Évidemment, certaines régions sont confrontées à des difficultés particulières. Quand des lignes ont le statut de liaisons ferroviaires d’équilibre du territoire et constituent la seule réponse aux besoins de mobilité de la population – je pense au Cévenol –, la situation est spécifique : en l’absence d’autres moyens de déplacement, le ferroviaire s’impose. Les conclusions de la commission Duron, à la composition pluraliste, vont d’ailleurs dans ce sens. Le travail d’analyse constructif et minutieux qu’elle a effectué nous sert souvent de base de réflexion.
Je remercie une fois encore le groupe RDSE d’avoir pris l’initiative de ce débat. J’espère que ces questions majeures et passionnantes seront abordées dans le débat public, au cours des mois à venir, afin que chacun puisse exprimer sa vision de l’avenir du transport ferroviaire et, au-delà, de la mobilité au quotidien.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.
Nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir du transport ferroviaire en France.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.
Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a proposé les candidatures de M. Jérôme Bignon et de Mme Nicole Bonnefoy.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
J’informe le Sénat que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente :
- d’une part, à la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à une liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle ;
- d’autre part, à la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes.
Ces listes ont été publiées conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et seront ratifiées si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
L’ordre du jour appelle le débat sur le thème « Sauvegarde et valorisation de la filière élevage », organisé à la demande du groupe du RDSE.
La parole est à M. Jacques Mézard, orateur du groupe auteur de la demande.
Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Patricia Schillinger et M. Didier Guillaume applaudissent également.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’avenir du transport ferroviaire, notre groupe souhaite évoquer la sauvegarde et la valorisation de la filière élevage : ces deux sujets sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens et des collectivités locales, que le Sénat représente.
Depuis plus d’un an, la filière de l’élevage de notre pays traverse une crise grave, je n’ose dire sans précédent, les crises se succédant de manière cyclique. Une accumulation de difficultés a mis à mal cette filière.
Les mesures tant nationales qu’européennes adoptées pour en limiter l’impact, bien qu’indispensables, n’ont pas suffi à garantir les prix payés aux producteurs.
Globalement, les productions animales souffrent encore de la crise. Le secteur du lait est loin d’être sorti d’affaire, même si le lait en poudre et le beurre se négocient mieux. Les dernières mesures communautaires ont eu un effet positif, mais la politique de régulation conduisant à l’abattage déverse les carcasses issues de l’élevage laitier sur le marché de la viande, ce qui entraîne un nouveau risque de déséquilibre.
Dans le cadre des différents débats que nous avons eus cette année sur les questions agricoles, nous avons fait le constat alarmant d’une fragilisation durable de la filière.
L’impact de la crise est en effet lourd de conséquences. Pour ne prendre que l’exemple du lait, dans vingt ans, si rien n’est fait, la France ne comptera plus que 30 000 éleveurs dans ce secteur, contre plus du double aujourd’hui.
C’est un véritable drame silencieux qui se joue au cœur de nos campagnes, car la disparition d’une ferme, c’est une situation de détresse humaine, mais c’est aussi un coup porté à l’équilibre de nos territoires. Dans beaucoup de nos départements, la cessation d’activité d’un nombre croissant d’agriculteurs qui ne peuvent vivre de leur travail est extrêmement préoccupante et nuit à la vie des territoires.
C’est pourquoi, au-delà des plans d’urgence, nous devons donner à l’agriculture un cap, une vision stratégique qui permette à notre pays de rester une grande nation agricole. J’ai déjà eu l’occasion de le dire et de le redire, une planification serait souhaitable, et même urgente.
C’est dans ce contexte que le groupe du RDSE a souhaité la tenue d’un débat pour réfléchir avec le Gouvernement à la définition des principales orientations qui permettraient de sauver l’élevage et de lui donner un avenir.
Au sein de l’agriculture, l’élevage est particulièrement dynamique, cette filière représentant 37 % de la production agricole française. Près de la moitié des exploitations agricoles ont une activité d’élevage.
Aujourd’hui, nous voyons des éleveurs qui ne comptent pas leurs heures, qui investissent, qui répondent aux normes ainsi qu’aux exigences tant quantitatives que qualitatives, pour, au bout du compte, vendre souvent à des prix qui ne couvrent pas leurs coûts de production. C’est insoutenable…
Une telle situation d’injustice ne peut conduire qu’à des mouvements de colère, comme ceux que nous avons connus au cours de l’été 2015 et auxquels vous avez voulu apporter des réponses, monsieur le ministre.
Je pense aux deux plans de soutien à l’élevage, décidés aux mois de juillet et de septembre 2015. Le 4 octobre dernier, vous avez aussi présenté le pacte de consolidation et de refinancement des exploitations agricoles, qui concerne aussi les producteurs de céréales, également en difficulté en raison des intempéries estivales. Tout ce qui peut soulager la trésorerie des exploitations les plus fragiles va dans le bon sens, et nous approuvons bien entendu ces dispositifs, que ce soit l’acompte de 1 000 euros par producteur laitier ou encore l’aide forfaitaire de 150 euros par jeune bovin mâle de race allaitante ou mixte. Parmi les mesures plus anciennes, la baisse de dix points des charges permet de s’attaquer au déficit de compétitivité de nos éleveurs.
Cependant, il faut agir sur d’autres leviers, car si les écarts de compétitivité entre pays européens se resserrent, les éleveurs français sont encore désavantagés, notamment en raison du dumping social permis par le recours aux travailleurs détachés. La croissance des détachements frontaliers en Allemagne de travailleurs en provenance de l’Est, encore observée l’année dernière, aboutit à un surcoût de 6 % à 7 % par kilogramme pour nos produits par rapport aux produits allemands. On en a vu les conséquences néfastes pour nos abattoirs. Si l’Allemagne a récemment mis en place un salaire minimum national, il faut poursuivre, monsieur le ministre, le travail d’harmonisation sociale et fiscale à l’échelon européen.
Il est également urgent de décréter un moratoire européen sur les normes. Le montant moyen de la dette des exploitations d’élevage est particulièrement élevé en raison d’investissements de plus en plus lourds. La multiplication des normes entraîne souvent de nouveaux coûts : les éleveurs n’en ont vraiment pas besoin. La commission des affaires économiques a travaillé sur cette question et elle recommande d’aller vers une politique de simplification et d’allégement des normes applicables à l’agriculture. Nous partageons cette orientation et approuvons l’association des agriculteurs à la définition des normes les concernant.
Sachons aussi raison garder en matière de bien-être animal, sujet qui prend de plus en plus de place dans le débat public alors que les professionnels de la filière viande adhèrent au principe de la protection des animaux et sont ouverts à la transparence. Nous ne devons pas céder au matraquage des « vegans » et autres groupes de pression qui font de la désinformation leur mode d’expression privilégié. Ils ont moins de sollicitude pour ceux de nos agriculteurs qui se suicident !
Bien sûr, ces facteurs exogènes n’expliquent pas toutes les difficultés de la filière, laquelle doit continuer à s’adapter aux évolutions du marché, en étant accompagnée par les pouvoirs publics. S’adapter ne signifie pas s’aligner sur le modèle des feedlots canadiens pour être compétitif à tout prix.
Nous devons bien entendu encourager l’export, car nourrir 9 milliards d’individus à l’horizon 2050 ouvre des opportunités aux grands pays agricoles, dont la France fait partie. Pour que nous restions compétitifs dans ce cadre, il faut encourager la modernisation des exploitations, les équipements de certaines étant fort vétustes. Il faut aussi lutter contre les lourdeurs administratives, parfois dues à l’application zélée du principe de précaution, qui empêche l’ouverture de nouvelles installations. En effet, au-delà de l’export, des exploitations plus performantes pourraient mieux alimenter la restauration collective, sachant que celle-ci se fournit en viande pour la majeure partie sur les marchés étrangers. Enfin, je salue la mise en œuvre cette semaine du dispositif de court terme d’aide à l’exportation de produits agricoles et agroalimentaires vers l’Algérie, le Liban et l’Égypte.
Dans le même temps, la France doit s’attacher à conserver ses petites structures, qui sont essentielles au dynamisme des territoires ruraux et investissent le segment de la production de qualité et des filières de proximité. Valoriser la qualité est en effet porteur. Les produits carnés français sont réputés pour leur traçabilité. Les éleveurs de races locales vendent mieux leurs produits. Par conséquent, la politique de promotion des signes de qualité doit être encouragée. Monsieur le ministre, l’étiquetage doit être développé et généralisé et ne pas rester au stade de l’expérimentation, auquel la Commission européenne nous cantonne pour l’indication de l’origine du lait et des viandes intégrés dans les plats transformés.
La survie de la filière de l’élevage passe aussi par un meilleur partage de la valeur ajoutée. Nous avons tous suivi l’épisode Lactalis. Pour reprendre une formule du commissaire européen Phil Hogan, « la réalité est que les agriculteurs restent le maillon faible » dans les négociations commerciales. Si les agriculteurs doivent mieux se défendre par le biais des organisations de producteurs et de la relance des interprofessions, les distributeurs doivent, pour leur part, accepter un meilleur équilibre entre l’amont et l’aval.
La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche n’a pas suffi à tout régler. Le projet de loi Sapin II est allé plus loin avec la modification des conditions de prise en compte des coûts de production des agriculteurs dans la contractualisation. Le groupe du RDSE se réjouit de cette avancée, mais il faudra un certain temps pour en mesurer l’intérêt. En attendant, nous espérons une ouverture lors du comité des relations commerciales qui se réunira au mois de décembre prochain.
Enfin, puisque notre agriculture s’inscrit dans le cadre de la PAC, je ne puis que déplorer que l’Union européenne manque à ses devoirs en ne garantissant plus la protection de son agriculture.
En effet, elle ne protège pas son agriculture lorsqu’elle s’entête dans des postures politiques : je pense à l’embargo contre la Russie. On le sait, les éleveurs ont été pénalisés et il n’est pas certain qu’ils retrouvent les marchés perdus.
Elle ne protège pas non plus son agriculture lorsqu’elle négocie des accords commerciaux – je pense au CETA – sans fixer de ligne rouge. L’entrée massive de contingents de viandes canadiennes n’est pas compatible avec les objectifs fixés par le Traité sur l’Union européenne.
C’est pourquoi il faut revenir aux fondamentaux : la sécurisation du marché européen passe également par la régulation, la suppression des quotas laitiers ayant elle aussi montré ses effets négatifs. À la demande la France, certains outils de régulation ont été réactivés au cours de ces derniers mois, ce qui tend à prouver que la libéralisation totale du marché laitier était suicidaire.
(Exclamations amusées.) Je voulais dire les éleveurs, bien sûr ! Mais ceux-ci sont aussi des électeurs, et souhaitons qu’ils ne boudent pas les urnes pour nous signifier le mécontentement que peut leur inspirer la politique menée à l’échelon européen. Nous leur devons davantage d’attention, à eux qui font vivre nos territoires !
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.
Je conclurai en soulignant qu’il est inadmissible que le paiement des aides européennes au titre de l’année 2015 accuse encore un retard, comme nous le constatons sur le terrain. Cette situation est inédite, à un moment où les électeurs… §
La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces dernières années, l’agriculture française a été fortement éprouvée par les aléas économiques et les désastres climatiques et sanitaires. L’élevage est particulièrement touché. Chaque année, 10 000 agriculteurs, principalement des éleveurs, renoncent à exercer leur profession. Je viens d’apprendre la vente de la dernière vache d’un couple d’éleveurs du Tarn-et-Garonne que j’avais rencontré cet été. Les éleveurs sont déboussolés et multiplient les démonstrations de colère. Il faut les comprendre.
Pourtant, sous ce quinquennat, nous le savons, l’agriculture a fait l’objet d’un déploiement sans précédent de moyens financiers et juridiques. Différents plans d’aide à l’élevage ont été mis en œuvre. Le budget de 2016 prévoyait 1 milliard d’euros d’aides au secteur de l’élevage. En trois ans, les aides européennes et nationales auront été revalorisées de 60 %.
Au mois d’octobre dernier, le Gouvernement a présenté un pacte de consolidation et de refinancement des exploitations agricoles. Au total, les allégements de charges sociales et fiscales issus du pacte de responsabilité et du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi atteindront 1, 7 milliard d’euros en 2017. À ces allégements s’ajoutent les réductions de cotisations sociales des exploitants agricoles, qui équivalent à dix points depuis 2015.
Ces plans ne répondent qu’en partie à l’urgence de la situation. Alors, que faire au-delà ? La PAC ne joue absolument plus le rôle qui était originellement le sien. La libéralisation effrénée de l’agriculture engagée par l’Union européenne est – sans exagération – une catastrophe. La fin des quotas laitiers, au mois d’avril 2015, a précipité les élevages français dans une concurrence mondiale dévoyée, dans un monde sans loi, ou plutôt un monde dans lequel la volatilité des cours des matières premières agricoles fait la loi. Résultat, les cours se sont effondrés et 13 000 producteurs de lait français ont déposé un dossier en vue de bénéficier d’une aide européenne.
De son côté, la filière de la viande bovine a subi les conséquences de l’afflux massif de dizaines de milliers de carcasses de vaches laitières abattues pour tenter de réduire la surproduction laitière. Les cours ont encore baissé de 16 % sur un an.
Nous avions dressé ces constats partagés en avril dernier, lors de la discussion de la proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture, que j’avais notamment cosignée avec Franck Montaugé. Des députés français ont également proposé, au début du mois d’octobre, la création d’un outil européen de régulation des prix du lait. Pour lutter contre la volatilité des prix, ils ont aussi proposé la mise en place de fonds de mutualisation ou encore la réorientation des fonds européens, par exemple en déployant les financements européens de la PAC vers des mécanismes assurantiels susceptibles d’intervenir dans les périodes de crise, afin de constituer une sorte de troisième pilier, comme vous l’aviez suggéré, monsieur le ministre. Tel était, pour partie, l’objet de notre proposition de loi visant à mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture, votée à l’unanimité par le Sénat en juin dernier.
Par ailleurs, si certaines des difficultés de la filière de l’élevage sont d’ordre conjoncturel, nombre d’entre elles sont de nature structurelle, comme je le souligne souvent pour d’autres filières. La plupart des bâtiments d’élevage sont vieillissants. Une modernisation serait indispensable, mais la sous-capitalisation des exploitations empêche les agriculteurs d’investir dans de nouveaux outils de production. Pour effectuer sa révolution, l’élevage a donc besoin d’une vraie stratégie de filière diversifiée, qui ne peut se construire qu’avec la volonté des professionnels.
En outre, doit être privilégiée la production d’électricité par méthanisation. Plusieurs propositions de bon sens ont été formulées par le Gouvernement à cet égard : amélioration du dispositif d’achat de l’électricité produite à partir de biogaz, en adaptant la prime d’effluents d’élevage à la réalité des projets de méthanisation agricole ; poursuite de la mobilisation du fonds « déchets » de l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ; poursuite de la simplification administrative pour l’élaboration de tels projets et, surtout, soutien de la BPI au financement de ces investissements coûteux.
Une autre réforme de taille tient à la différenciation qualitative. Il faut tout d’abord privilégier les circuits courts ! L’avenir de l’élevage dépend ensuite de la capacité des professionnels à se différencier avec le lancement de leur propre marque, à l’image du lait équitable « FaireFrance » ou du « Lait du consommateur », sans que le coût final soit exorbitant pour le consommateur : entre 3, 5 et 7 euros par an. Dans l’Hérault, le syndicat mixte de la filière viande a offert aux éleveurs, via la plateforme d’Agrilocal, un canal pour vendre leur production directement aux consommateurs. Il s’agit d’une initiative à double portée, puisque cette action permet également de valoriser l’abattoir de Pézenas, seul abattoir public de notre région.
Un effort particulier doit être consenti concernant la restauration hors domicile : il faut un engagement fort des collectivités territoriales, mais aussi de la filière, afin d’approvisionner la restauration scolaire. À ce sujet, alors que la publication d’images obsolètes par l’association L 214 a irrémédiablement entaché la réputation de l’abattoir de Pézenas, je soutiens la démarche du ministre de l’agriculture visant à renforcer le dialogue national sur la question du bien-être animal à l’abattoir. Il faut mettre en valeur les établissements consentant d’importants efforts en termes de transparence des pratiques et de formation du personnel.
Structurelles ou conjoncturelles, locales, nationales ou européennes, les mesures en faveur de l’élevage doivent être déployées rapidement et efficacement. Pour nous, l’agriculture française a un grand avenir devant elle. Le grand défi à relever, au-delà de celui de l’indispensable survie de nos paysans, est d’assurer notre indépendance alimentaire.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les éleveurs ont été les premiers à être gravement touchés par la crise de l’agriculture française. Prix non rémunérateurs, absence d’outils efficaces de gestion de marchés, difficultés pour l’installation, la modernisation et la transmission des exploitations : les défis à relever pour permettre aux éleveurs de trouver la volonté de poursuivre leur activité sont de taille. Pourtant, jour après jour, ceux-ci produisent de la valeur ajoutée pour l’économie française, assurent à nos concitoyens la sécurité alimentaire en quantité et en qualité, exportent et dynamisent le monde rural.
Je commencerai par évoquer la situation de l’élevage bovin laitier et allaitant, sujet sur lequel j’ai présenté un rapport d’information en 2013 avec Germinal Peiro, alors que j’étais député. L’élevage de ruminants est pratiqué dans plus d’une exploitation sur deux et dans 95 % des cantons de l’Hexagone. Avec près de 19 millions de têtes, dont 7, 3 millions de vaches laitières et allaitantes, la France dispose du cheptel bovin le plus important d’Europe, caractérisé par une grande diversité de races.
L’élevage bovin est un métier de passion, exercé 365 jours sur 365. Il fait vivre plus de 71 000 éleveurs laitiers et 60 000 éleveurs allaitants.
Cependant, les éleveurs sont confrontés à de nombreuses difficultés, tant conjoncturelles que structurelles. Les conséquences en sont dramatiques. On assiste à un accroissement du nombre des arrêts d’activité. En dix ans, le pays a par exemple perdu 40 % de ses producteurs laitiers.
Les revenus des éleveurs sont parmi les plus bas du secteur agricole. Il est donc essentiel de leur assurer une juste rémunération, qui soit en rapport avec les astreintes et les contraintes inhérentes à leur métier. Maintenir la production française dans sa diversité et ses garanties de qualité et de traçabilité doit être une préoccupation permanente.
En l’espèce, le TTIP, projet de partenariat transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis, menace notre élevage bovin. Tandis que, en France, les bovins de races à viande sont nourris d’herbe à hauteur de 80 % et que 90 % de leur alimentation est produite sur la ferme, les producteurs américains recourent massivement au maïs OGM, aux farines animales et aux antibiotiques, pour accélérer la prise de poids de leurs animaux. Alors qu’en France une exploitation moyenne d’élevage bovin viande compte cinquante têtes disposant chacune d’un hectare de prairie pour se nourrir, aux États-Unis plus de 40 % des animaux sont engraissés dans des feedlots, ou parcs d’engraissement, de plus de 32 000 têtes. On est loin de la ferme des 1 000 vaches qui a tant défrayé la chronique chez nous !
Enfin, si, en Europe et en France, chaque animal est tracé, de sa naissance à la commercialisation de sa viande et les pratiques des professionnels rigoureusement contrôlées, il n’existe aucune obligation réglementaire de traçabilité individuelle similaire dans la filière viande américaine.
Alors même que notre élevage entretient nos prairies, façonne nos paysages, contribue à protéger la biodiversité, à maintenir du lien social dans nos départements ruraux, ce sont plus de 50 000 emplois qui pourraient être supprimés demain en France, dans cette filière, en raison de la concurrence déloyale des viandes américaines. Et que dire du CETA, l’accord entre l’Union européenne et le Canada ?
Monsieur le ministre, une nouvelle fois, je souhaite vous alerter sur l’accumulation de normes et de réglementations parfois ubuesques à laquelle agriculteurs et éleveurs sont confrontés et qui entrave leur action. Cessons, en France, de surtransposer les textes européens ! Cette propension française à aller bien au-delà de ce qui est utile a conduit par exemple à l’instauration de normes plus sévères en France qu’en Allemagne en matière d’exploitations classées pour la protection de l’environnement. Cette inflation normative bride la compétitivité de notre agriculture. Comment les exploitants agricoles français peuvent-ils exercer sereinement leur activité quand ces normes les écrasent en permanence ? Une simplification apparaît indispensable !
Monsieur le ministre, qu’attendez-vous pour défendre véritablement l’agriculture française et sa filière élevage, qui se sentent abandonnées ? Faites en sorte que nos agriculteurs puissent toucher leurs primes : les retards considérables dans leur versement les mettent en difficulté. Il est urgent que le Président de la République et le Gouvernement prennent la pleine mesure des enjeux agricoles et assument leurs responsabilités.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré les mesures d’urgence adoptées, l’élevage traverse une crise profonde et durable. Le retour de ce débat illustre encore une fois la nécessité de prendre des mesures structurelles pour sauvegarder ce pan de notre agriculture, mais aussi de notre patrimoine. Les plans de soutien ne suffisent plus pour éviter le plan social massif qui s’annonce dans nos campagnes ! Toutes les filières de l’élevage sont menacées, victimes de la dégradation rapide des prix d’achat des productions, qui ne permettent pas aux agriculteurs de s’en sortir.
Pourtant, nous le savons tous, l’élevage modèle nos paysages et nos régions. Il évite la désertification, il maintient de la vie, il crée des emplois. Or la déréglementation des relations commerciales entre producteurs, abatteurs et distributeurs, la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, ont ruiné bon nombre de producteurs. Les marges des producteurs sont en régression, celles de la grande distribution explosent ! Pourtant, aucune mesure législative forte n’a été proposée, alors que nous attendions la remise en cause de la loi Chatel.
Nous l’avons souligné, et nous ne sommes pas les seuls à l’avoir fait. En effet, il y a peu, M. Xavier Beulin lui-même affirmait que « le tout-marché ne fonctionne pas, qu’il faut revoir la PAC et remettre une sauvegarde du revenu agricole ». Il est temps d’en prendre acte : la politique agricole commune est en plein déclin au profit de l’idéologie ultralibérale, comme en témoigne l’exemple particulièrement éloquent de la suppression des quotas laitiers au 1er avril 2015.
Devant cette situation de dépendance économique, il est urgent de garantir un prix de vente rémunérateur à l’ensemble des producteurs. Nous demandons depuis des années l’instauration d’un coefficient multiplicateur élargi à tous les produits de l’élevage, qui créerait un lien direct entre le prix payé au producteur et le prix de vente au consommateur.
Lors de précédents débats, nous avions aussi rappelé la mise en place en France d’un quantum pour le blé en 1945. Pendant des décennies, les cinquante premiers quintaux de blé vendus par chaque exploitation étaient payés à un prix fort garanti par l’État, le reste de la production étant soumis aux lois du marché.
Un tel système, qui a fonctionné en France pendant des années pour la production de jeunes bovins, subsiste aux États-Unis. On pourrait aujourd'hui utiliser le budget consacré aux primes de la PAC pour assurer un complément de prix d’achat pour la première tranche de production de chaque éleveur.
Nous aurions tout intérêt à approfondir ces pistes de réflexion à l’échelon tant national qu’européen si nous voulons véritablement sauver notre agriculture. Comme nous l’avons maintes fois répété, il faut exiger l’instauration de prix minimaux européens, rétablir les quotas, défendre un modèle agricole vertueux, renforcer l’étiquetage. Il faut opérer ce changement de modèle avant qu’il ne soit trop tard et agir dans le bon sens pour enrayer cette crise structurelle.
Ce que vit aujourd’hui le secteur agricole est la conséquence d’un parti pris : celui du libéralisme. Or, dans l’agriculture, l’élevage, l’alimentation, pratiquer un libéralisme sans limites consistant à tendre vers les prix les plus bas, quelles qu’en soient les conséquences sociales et environnementales, est voué à l’échec, tant une telle orientation est mortifère. Abandonner le CETA et le TAFTA irait assurément dans le bon sens.
De même, la culture du tout-export conduit à une dépendance aux marchés extérieurs. Il serait sans doute plus judicieux, comme le soulignent de nombreux observateurs, de construire par exemple, dans toute l’Europe, un secteur de l’élevage indépendant des végétaux importés, comme le soja argentin, le maïs brésilien ou nord-américain, et répondant aux exigences de qualité des consommateurs et à celles de respect des normes environnementales et sociales des citoyens.
Il importe également de rassurer le consommateur en instaurant une certification des abattoirs. La question du bien-être animal doit être posée à tous les échelons de la chaîne de production. Tout cela participera véritablement de la valorisation de l’élevage.
Il faut aussi aller plus loin dans le soutien à l’installation des jeunes agriculteurs. Or, selon la Confédération paysanne, le Gouvernement a confirmé la mise en place d’une surprime à l’investissement au titre de la dotation jeune agriculteur. L’attribution de cette nouvelle surprime, dont la création fait suite à l’abandon des prêts bonifiés, est conditionnée au respect d’un niveau d’investissement minimal de 100 000 euros. En pleine crise, le ministère fait donc le choix d’inciter les agriculteurs à s’endetter davantage. Selon nous, c’est une erreur. Pouvez-vous nous donner, monsieur le ministre, des précisions sur ce point ?
Pour favoriser l’installation, nous pensons qu’il faut mettre en œuvre une politique de partage du foncier comportant un système de location-vente de terres aux jeunes, ainsi qu’un prêt bonifié à taux zéro.
L’agriculture reste un métier d’avenir. Cette année, plus de 500 nouveaux agriculteurs se sont installés en Bretagne. Toutefois, ils doivent être accompagnés, car, au-delà de la technique, de l’économie de l’exploitation, ces nouveaux chefs d’entreprise doivent pouvoir effectuer leurs propres choix en fonction du contexte.
En Bretagne, les différents partenaires – chambres d’agriculture, région, Jeunes Agriculteurs… – proposent un accompagnement spécifique au travers notamment d’un point accueil installation et un dispositif de conseil et de formation, le plan de professionnalisation personnalisé. Celui-ci comprend une formation, des stages, une présentation des systèmes d’exploitation agricoles aux niveaux européen et international. Il s’agit de véritables outils de professionnalisation, gages pour les agriculteurs de réussite de leur future vie professionnelle. Serait-il possible, monsieur le ministre, de s’inspirer de tous ces exemples locaux pour aider la filière de l’élevage ?
Aux yeux du groupe CRC, il s’agit de prendre en main l’outil de production, mais aussi de lutter contre l’isolement ; contre l’individualisme, en continuant à se former, en participant à des réflexions de groupe. Nous croyons en la dimension collective. C’est elle qui aidera les agriculteurs à sortir de l’ornière, à progresser ensemble dans la solidarité. L’installation des jeunes éleveurs doit rester une priorité. Surtout, l’humain doit demeurer au cœur des projets.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de l’été 2015, les manifestations d’éleveurs ont révélé au public la crise profonde que traversait la profession depuis plusieurs mois déjà. Il faut que la situation soit particulièrement grave pour que les agriculteurs sortent de leur silence, tant ils sont investis dans leur métier et passionnés par lui. Ils ont du mérite, car, comme le disait Jean-Pierre Coffe : « Jardiner n’est pas une contrainte, élever est un esclavage. »
Le groupe du RDSE a choisi de revenir aujourd’hui sur la situation du secteur de l’élevage, d’évoquer l’avenir et la valorisation de celui-ci, l’un n’allant pas sans l’autre. Au sein de l’agriculture française, cette filière tient une place importante, la moitié des exploitations agricoles se consacrant à l’élevage. Hélas, depuis plusieurs années, on constate que la production française stagne, contrairement à celle de nos voisins européens.
La filière porcine française, qui représente le troisième cheptel européen, s’essouffle. Les productions allemande, espagnole, italienne et danoise ont augmenté entre 2000 et 2014, tandis que celle de la France a baissé de 4 %. Les Russes, placés sous embargo, construisent des porcheries à tour de bras !
La filière laitière est particulièrement touchée, 5 000 exploitations disparaissant chaque année depuis vingt ans. La suppression des quotas laitiers pourrait accélérer cette tendance si l’on ne pérennise pas les instruments de régulation réactivés par l’Union européenne à la demande de la France et de vous-même, monsieur le ministre.
La filière viande bovine se maintient, mais l’arrivée des vaches de réforme sur le marché de la viande peut rompre un équilibre fragile.
Seule la filière avicole semble être en mesure de résister, à condition de ne pas avoir à affronter des crises sanitaires à répétition, telles que celle de la grippe aviaire, qui a conduit à la mise en œuvre d’un plan national d’intervention sanitaire drastique à l’excès selon les producteurs de palmipèdes gras, très touchés par les mesures de vide sanitaire.
Dans ces conditions, comme vient de le rappeler le président Mézard, la sauvegarde de la filière de l’élevage passe par la définition d’une véritable stratégie, voire d’une planification, lui permettant de répondre aux enjeux d’un marché de plus en plus ouvert.
Tout d’abord, cela a été rappelé, la filière a tout intérêt à valoriser encore davantage la qualité de ses produits, par un développement fort des labels. Dans un contexte de ralentissement de la consommation de viande, on a observé le bon maintien, en grande distribution des produits bio et des produits valorisés et de grande qualité bouchère.
La création du logo « Viande de France » est l’exemple de ce qu’il faut faire, mais il faut passer de l’étiquetage volontaire à l’étiquetage obligatoire. Je sais, monsieur le ministre, que vous y travaillez auprès de la Commission européenne. Vous avez notre soutien.
Le rééquilibrage des relations commerciales est bien entendu un autre sujet fondamental. L’Observatoire de la formation des prix et des marges a établi en 2014 que l’industrie de la transformation et la grande distribution avaient reconstitué leurs marges au détriment des éleveurs. Malgré l’intervention du législateur, en particulier pour améliorer la contractualisation – encore récemment lors de l’examen du projet de loi Sapin II –, le rapport de force demeure très défavorable aux exploitants.
La baisse des charges, engagée dans le cadre des différents plans de soutien à l’élevage, est aussi bien entendu un axe fondamental devant être pérennisé. Le cumul des différents plans de soutien aboutit à une baisse des charges de dix points : cet effort mérite d’être souligné.
Selon le même principe d’allégement, il serait souhaitable de réduire les normes, dont l’excès peut affecter les conditions de travail des éleveurs. Par ailleurs, il n’est pas utile d’aller au-delà des recommandations européennes, comme c’est souvent le cas en matière d’encadrement des pratiques phytosanitaires. Comme l’indique l’intitulé du rapport de notre collègue Daniel Dubois sur les normes agricoles, il est temps de « retrouver le chemin du bon sens ».
C’est ce même bon sens que nous aurions aimé voir présider à la réforme de la carte des communes classées en zones soumises à contraintes naturelles que vous avez présentée le 22 septembre dernier, monsieur le ministre. Récemment, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, mon collègue Yvon Collin vous a interpellé sur ce dossier, qui inquiète fortement les représentants du monde agricole.
Dans le Lot, où vous serez demain, 111 communes ne seraient plus classées en zone défavorisée simple ou en zone de piémont. Cela induirait une perte de 9 millions d’euros par an dans mon département, qui mettrait en danger 1 300 exploitations.
Le maintien des aides spécifiques, en particulier communautaires, telles que l’indemnité compensatoire de handicap naturel, est essentiel à la survie des exploitations en zones de montagne. Comme vous le savez, monsieur le ministre, les élevages des zones de montagne sont déterminants pour la sauvegarde du tissu économique de ces territoires. Il existe des réalités locales que la nouvelle carte ne doit pas ignorer.
Mes chers collègues, la France est une grande nation agricole parce qu’elle a su conserver la diversité de ses productions. L’élevage fait partie intégrante de nos paysages et, malgré les difficultés, cette filière demeure un vivier important d’emplois. Son dynamisme est la condition de la vitalité rurale dans de nombreux départements.
L’élevage, c’est bien sûr, aussi et avant tout, une affaire d’hommes et de femmes, qui se découragent, faute d’un avenir certain dans leur métier. Fixer quelques orientations fortes, au-delà des mesures conjoncturelles, permettrait de leur redonner espoir.
Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe de l’UDI-UC.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sociologue François Purseigle a dit de l’agriculture française d’aujourd'hui qu’elle est « effacée, éclatée, fragilisée, économiquement assujettie et précarisée, socialement déclassée et de plus en plus controversée dans ses pratiques ».
Les élevages français, qui avaient su jusque-là relever les défis en matière de production, de technique, de qualité, sont aujourd’hui victimes d’une concurrence mondialisée, pénalisés par des exigences sanitaires, environnementales et sociétales qui achèvent de miner leur modèle économique.
Soumis aux fluctuations internationales des marchés, de moins en moins compétitifs, les éleveurs français, quel que soit leur domaine de production, sont aujourd’hui menacés, voire dépassés par leurs concurrents européens.
En conséquence, nombreux sont ceux qui ne parviennent plus à vivre de leur travail. Il y a donc danger de déclin, voire de disparition, comme pour les filières de la métallurgie ou du textile voilà quelques années.
Avons-nous tous bien pris la mesure d’un tel bouleversement sur les populations, l’économie, les paysages, notre alimentation, l’équilibre sociétal de la France ? Est-ce bien là la France que nous souhaitons ?
Du fait de sa diversité et de son maillage territorial, l’élevage est le pilier de l’architecture économique, sociale et paysagère de la ruralité. Il nourrit et emploie les populations. Il transforme et entretient les paysages. Il est une force et un atout pour la France : il représente 37 % du chiffre d’affaires du secteur agricole, soit plus de 30 milliards d’euros, et constitue le premier secteur de production agricole.
La France occupe le premier rang européen pour la production de bovins, d’œufs et de poulets, le deuxième pour le lait et le quatrième pour le porc.
Cependant la filière française de l’élevage doit aujourd’hui se réorganiser afin de mieux relever les défis à venir, le premier d’entre eux étant le défi alimentaire.
À l’horizon de 2050, il faudra nourrir 9 milliards d’êtres humains. La production mondiale de viande atteint déjà aujourd’hui 200 millions de tonnes, mais la consommation de viande et de lait est en augmentation constante, notamment dans les pays émergents.
Un autre défi est celui de la durabilité : comment satisfaire durablement les besoins alimentaires sans appauvrir les sols ou menacer les équilibres naturels de la planète ?
En matière de développement durable, les éleveurs français ont indiscutablement un temps d’avance sur leurs concurrents, grâce au partenariat avec la recherche, à l’agroécologie, aux efforts en matière de qualité et de traçabilité, aux mesures agro-environnementales, à la méthanisation, aux fermes à énergie positive, à la séquestration du carbone dans les sols dans le cadre du plan 4 pour 1 000 lancé par la France lors de la COP 21, grâce aussi à une approche raisonnée et responsable, au concept One Health relayé par l’INRA – une approche globale pour appréhender de manière intégrée production, santé humaine, santé animale et gestion de l’environnement.
Pour autant, la prise en compte de ces préoccupations a un coût, et le modèle économique de l’élevage français a perdu en compétitivité. À cela s’ajoutent des évolutions sociétales qui bousculent les équilibres fondamentaux et remettent en cause la viabilité même des élevages, au premier rang desquelles figure la baisse de la consommation nationale de viande depuis les années 2000. S’agit-il d’une tendance de fond ou d’un effet de mode ? L’avenir le dira, mais les proportions qu’elle prend aujourd’hui interdisent de l’ignorer.
La montée des contraintes liées à l’environnement ou au bien-être animal renchérit également les coûts de production.
Les exploitations françaises ont du mal à s’adapter à ces réalités nouvelles, à un marché mondialisé, complexifié, fragmenté entre de nombreux intermédiaires, notamment dans la distribution et la commercialisation des produits carnés. Alors que, au début des années quatre-vingt, la moitié des Français s’approvisionnaient en boucherie traditionnelle, ils n’étaient plus que 14 % dans ce cas en 2009. Aujourd'hui, 66 % d’entre eux achètent leur viande en grandes et moyennes surfaces.
Dans le même temps, la part des produits carnés dans la restauration collective augmente, mais 67 % des viandes servies sont issues de l’importation. Cela nous ramène au débat sur les circuits courts et l’ancrage territorial de l’alimentation, que nous avons déjà eu ici.
Enfin, nous le savons, nos éleveurs évoluent dans un environnement concurrentiel européen qui les pénalise. L’Espagne et l’Allemagne s’en sortent mieux que nous dans cette mondialisation forcée, où les traités commerciaux internationaux inquiètent.
La France a beau être le premier pays bénéficiaire du budget de la PAC, qui s’élève au total à 400 milliards d’euros pour la période 2014-2020, les distorsions de concurrence sont telles que les éleveurs français n’arrivent plus à positionner leurs productions.
Au niveau national, monsieur le ministre, les plans d’aide à l’agriculture se sont succédé, des mesures conjoncturelles ont été prises pour alléger les charges et améliorer les trésoreries. Devant la commission des affaires économiques, vous avez chiffré à 1, 4 milliard d’euros le montant total des aides exceptionnelles versées par la France aux agriculteurs.
Pourtant, les éleveurs n’ont jamais autant souffert : production à perte, poids excessif des charges sociales, endettement élevé, revenus bas, voire négatifs, perte d’attractivité du métier, chute du nombre des reprises d’exploitation familiale, mauvaises relations commerciales entre l’amont et l’aval, chute des prix, perte de compétitivité, manque de cohérence et de dynamisme à l’export… Malheureusement, l’année 2017 s’annonce encore difficile pour les éleveurs, qui vont subir de plein fouet les conséquences des aléas climatiques et le renchérissement du prix de l’alimentation du bétail. La filière, déjà mal en point, scrute aujourd'hui avec angoisse les risques de réapparition de crises sanitaires –tuberculose ou grippe aviaire.
Nous sommes tous d’accord : nous ne pouvons laisser notre agriculture familiale productive, fleuron de notre économie, sombrer et notre alimentation nous échapper au profit d’une industrie agroalimentaire mondialisée ne répondant pas à nos critères de qualité de production.
Monsieur le ministre, que préconisez-vous pour assurer l’avenir de la filière élevage ? En quoi le CETA est-il une chance pour cette filière ? Qu’en est-il de la prochaine carte des aides de la PAC pour les éleveurs des zones les plus fragiles, à l’instar de celles de piémont ?
Le Sénat s’est impliqué dans le traitement de ces questions. Rappelons la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, le rapport consacré aux normes agricoles préconisant de gager toute création de norme par l’abrogation d’une autre, ou encore la discussion de la loi Sapin et de ses dispositions relatives aux prix et aux négociations commerciales.
Il faut d’abord peser sur la définition de la nouvelle PAC, qui entrera en vigueur en 2020, pour sécuriser les crédits alloués aux éleveurs français et simplifier les démarches qui entravent les agriculteurs. La PAC doit être un levier pour aider les éleveurs à se restructurer.
Il faut ensuite organiser une régulation européenne et mettre en place des outils puissants d’aide à l’exportation, fonder les relations commerciales sur un juste prix de vente, de nature à assurer un revenu décent aux producteurs, redonner de la compétitivité aux élevages français en instaurant une fiscalité adaptée aux réalités de la concurrence européenne, encourager la contractualisation, la négociation interprofessionnelle et le regroupement.
Enfin, il faut miser sur la qualité, la traçabilité, la diversification et l’innovation.
Bref, au-delà des mesures conjoncturelles, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu’il est temps de fonder un nouveau pacte entre les agriculteurs et le Gouvernement, un pacte propre à redonner confiance et espoir aux éleveurs, à les aider à renouveler leur modèle agricole et à relever les défis cruciaux de notre siècle ?
Applaudissements sur les travées de l'UDI -UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai assisté tout à l’heure, au Conseil économique, social et environnemental, à la présentation du rapport de Cécile Claveirole sur l’agroécologie. Je l’ai écoutée avec beaucoup d’attention, et j’ai entendu avec plaisir vos propos sur ce sujet, monsieur le ministre.
Comment mettre en œuvre ces intentions louables ? Tel est l’enjeu.
Nous débattons régulièrement ici de l’agriculture. Hier soir encore, nous parlions des régions ultrapériphériques, les RUP – dénomination sans poésie aucune, qui me donne des boutons ! –, et de l’adaptation des normes européennes. J’ai pu rappeler à cette occasion à votre collègue Ericka Bareigts que la question des PNPP, les préparations naturelles peu préoccupantes, et des produits de biocontrôle n’était toujours pas réglée, malgré deux décrets pris par votre ministère.
En effet, de son propre aveu, l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, n’a toujours pas mis en place de procédure simplifiée d’autorisation des produits de biocontrôle ni de procédure pour enrichir la liste des PNPP. Or cela devient urgent, car le développement de nombreuses PME innovantes, qui reçoivent pourtant régulièrement des prix décernés par votre ministère et celui de l’écologie, se trouve bloqué. Je vais d’ailleurs vous remettre en main propre des courriers émanant des entreprises Axioma, Osmobio et M21, qui attendent que des décisions soient prises.
Les plans d’aides à l’agriculture s’enchaînent et se ressemblent finalement.
Le principe d’intervention sur le marché du lait, à nouveau consacré avec un relèvement du seuil d’intervention à 500 millions d’euros, et la diminution volontaire des volumes de production viennent pallier provisoirement la forte baisse annoncée des cours, liée à la fin des quotas laitiers.
Telle est, dans toute son horreur, la doctrine à l’œuvre à l’échelon européen : libéralisons d’abord, nous verrons ensuite s’il convient de réguler ! Cette stratégie dangereuse, fondée sur des hypothèses optimistes en matière d’exportations vers la Chine et la Russie, s’est révélée désastreuse pour les producteurs européens qui en ont fait les frais.
Parallèlement, une dynamique pernicieuse se met en place : on incite les producteurs les plus importants à s’agrandir pour faire des économies d’échelle et à industrialiser au maximum leur production et on indique aux petits producteurs une porte de « sortie dans la dignité », au travers de l’accord-cadre national 2016-1018 visant à accompagner et à former les chefs d’exploitation et d’entreprise agricole, leurs conjoints collaborateurs et les aides familiaux dans leur reconversion professionnelle. Le message est clair, on l’entend trop souvent : 15 % des exploitations doivent disparaître, pour permettre aux autres de survivre à grand renfort d’emprunts, de subventions et d’investissements colossaux, en espérant qu’elles puissent surmonter la prochaine et inévitable crise du secteur.
Les distributeurs profitent trop souvent de la situation de faiblesse des producteurs.
Vous nous avez annoncé, monsieur le ministre, avoir assigné l’enseigne Carrefour en justice pour des pratiques commerciales abusives. Gageons que ce type de démarche permettra d’assainir enfin des pratiques commerciales souvent déloyales, dont les victimes sont en général les producteurs.
À ce propos, on assiste à l’émergence sur tous nos territoires de magasins de producteurs. Monsieur le ministre, c’est sur votre initiative que ces magasins ont été reconnus. Encore peu nombreux aujourd'hui, ils se développent, et c’est heureux !
Votre stratégie concernant la viande, monsieur le ministre, est sensiblement la même que pour le lait, et les résistances de la Commission européenne sont également très fortes. Un excès de l’offre a conduit à une baisse des cours. Pour les faire remonter, il faut diminuer la production et stimuler les exportations.
Les prix de la viande porcine se sont relevés grâce aux exportations, mais n’oublions pas que, au prochain ralentissement de la consommation en Chine, nos producteurs vivront à nouveau une crise terrible.
Toutes ces mesures sont conjoncturelles. Elles visent à amortir les soubresauts du marché et à éviter qu’un trop grand nombre de nos éleveurs ne mettent rapidement la clé sous la porte.
Il faut encourager la transformation de notre système agricole, de notre « ferme France », comme vous aimez dire, et, bien entendu, de notre « ferme Europe », puisque nous sommes dans le même bateau, ou plutôt sur le même marché.
Il faut promouvoir l’autonomisation des fermes en approvisionnement en énergie et en protéines, la diversification des productions, les circuits courts et les labels de qualité. L’avenir est au retour au système de polyculture-élevage sur les territoires.
La massification à outrance des productions actuellement à l’œuvre ne permettra jamais une revalorisation des prix payés aux producteurs et les marges engendrées par les économies d’échelle continueront d’être captées par la distribution et la transformation. Les consommateurs continueront de manger des produits importés, comme c’est largement le cas aujourd’hui pour le poulet : 40 % de la viande de poulet consommée en France est importée, alors que nous sommes un grand pays exportateur de volailles. Il en est de même pour la plupart des produits préparés et de nombreux produits servis en restauration collective.
Comme nous, vous soutenez avec force l’ancrage territorial de l’alimentation. Trouverons-nous un jour une majorité pour le mettre en place ? Où en sommes-nous de la mise en œuvre des projets alimentaires territoriaux, initiative inscrite dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ? L’instauration de filières courtes est aussi porteuse d’avenir pour les territoires ruraux et pour les producteurs. Comment pouvons-nous continuer aujourd'hui à entretenir un système qui méprise à ce point ceux qui nous nourrissent ?
M. Michel Le Scouarnec applaudit.
La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte difficile résultant des crises économiques, sanitaires et environnementales que vivent la plupart des filières d’élevage, la tenue de ce débat est bienvenue.
Mon propos, forcément réducteur compte tenu du peu de temps qui m’est imparti, sera centré sur la présentation de propositions de nature à contribuer à la sauvegarde de la filière bovine dans les territoires défavorisés : il y va de l’avenir de cette filière, bien entendu, mais également de celui des territoires ruraux et hyper-ruraux concernés.
Je partirai de l’exemple de mon département, le Gers. Des pans entiers de son territoire sont en grande difficulté. Le déclin démographique et économique – c’est bien de cela qu’il s’agit ! – est étroitement lié à l’évolution des filières d’élevage et à ce type d’agriculture particulière que l’on appelle la polyculture-élevage.
Ce type d’agriculture est adapté aux terroirs de coteaux à faible potentiel agronomique, à faible capacité naturelle hydrologique et à la pluviométrie aléatoire. Elle s’est développée au fil des siècles dans un cadre familial et a su évoluer sous différentes formes d’organisation.
Répondre aux difficultés de ces filières d’élevage, c’est aussi dessiner un avenir pour ces territoires. Le sentiment d’abandon que traduit la progression scrutin après scrutin du vote pour l’extrême droite nous en dit toute l’urgence.
Après la grande crise de la grippe aviaire, qui a touché de plein fouet tous les acteurs de la filière des palmipèdes gras et qui a été surmontée, je tiens à le souligner, avec un grand sens collectif des responsabilités, c’est l’avenir de la filière bovine, rien de moins, qui est en jeu.
Dans le Gers, en quelques années, la chute des cours du lait a fait disparaître les uns après les autres tous les cheptels allaitants. Aujourd’hui, les études les plus sérieuses mettent en lumière la situation critique des éleveurs bovins viande, dont atteste également la chronique de leurs revenus : entre 2013 et 2015, le revenu annuel moyen dégagé par ces éleveurs n’a jamais excédé 4 000 euros ; il a même été négatif en 2013.
La PAC en vigueur devait permettre un rééquilibrage entre les zones défavorisées simples, dont fait partie le Gers, et les zones plus favorables, qui bénéficient notamment – on ne peut que s’en réjouir – des aides de montagne. Il n’en a, hélas ! rien été pour le Gers, qui se retrouve désormais contributeur net à hauteur de 15 millions d’euros.
Sur le fondement de cette situation qui est également, j’en suis sûr, celle d’autres départements comparables, je soumets au débat les propositions suivantes.
La révision des critères de 1970, dans sa dimension européenne actuelle comme dans sa dimension nationale et dans la perspective de la PAC post-2020, doit aboutir au maintien des zones défavorisées simples actuelles. Il est nécessaire de créer une aide complémentaire, dite « zone handicap », ciblée sur la production de bovins en zones vulnérables et éligibles à l’ICHN, d’un montant permettant d’atteindre, cumulé à celui des aides allouées aux zones défavorisées simples, le niveau de l’aide montagne.
Je me réjouis des effets extrêmement positifs de la loi montagne et de la révision prochaine de celle-ci, mais il y va ici de l’équité à l’égard de tous les territoires de la nation et de leur population. Nous avons là la possibilité de donner un sens concret à la notion d’égalité des territoires, de plus en plus souvent invoquée dans nos débats publics.
Enfin, par cohérence avec le grand enjeu planétaire, qui nous rassemble, de la lutte contre le réchauffement climatique, il serait opportun et bienvenu de créer un tarif spécifique de rachat de l’électricité d’origine photovoltaïque produite par les installations réalisées sur les toits des bâtiments des élevages bovins. Fondé sur le même critère que celui qui a été retenu pour l’aide conjoncturelle de 2015, un tel tarif permettrait d’apporter une solution économique structurelle à ces zones.
Cette mesure viendrait renforcer les territoires à énergie positive pour la croissance verte promus et labellisés, comme dans le Gers, par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Parallèlement à la mise en œuvre de ces mesures urgentes, les producteurs continueront à se structurer et à moderniser l’outil de travail. Ils devront être aidés pour cela, notamment par le biais des coopératives et de démarches originales : à l’abattoir d’Auch, par exemple, un montage réunissant collectivités locales, éleveurs et exploitant a permis de sauver l’outil en le modernisant et de développer son activité au service des circuits courts, de la promotion de la viande de qualité et, bien entendu, des éleveurs eux-mêmes.
Voilà les propositions que je souhaitais verser au débat, en insistant sur le soutien permanent apporté par l’État et le ministre de l’agriculture aux filières d’élevage. Les budgets de ces dernières années en attestent, tout comme le projet de loi de finances pour 2017, que la majorité sénatoriale refuse d’examiner en séance publique.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, je tiens à dire à M. Mézard que je souscris à son propos lorsqu’il parle de « drame silencieux » à propos de la disparition des éleveurs. Comme je le dis souvent, tant qu’il y a des manifestations, c’est qu’il y a de la vie ! Or, dans le monde paysan, on meurt en silence, et il n’y a rien de plus terrible. Les éleveurs sont de ceux qui souffrent au quotidien et qui, aujourd'hui, se posent de nombreuses questions.
La dimension territoriale de ce débat prend tout son sens au Sénat. Nous avons évoqué il y a peu de la désertification médicale des campagnes ; demain, quand il n’y aura plus suffisamment d’éleveurs pour faire vivre certains services dans les secteurs ruraux, nous risquons de devoir évoquer la disparition des cabinets de vétérinaire…
En matière d’accompagnement des investissements, je suis tenté de vous dire, monsieur le ministre, à propos du projet de loi de finances pour 2017 : bien, mais peut mieux faire !
Dans le secteur de l’élevage, les investissements sont très lourds, comme l’a souligné M. Mézard. Aujourd'hui, on constate une stagnation, voire une légère diminution, de l’accompagnement des investissements, alors que, dans d’autres pays de l’Union européenne, notamment en Allemagne, les soutiens sont bien plus offensifs en la matière.
Je voudrais maintenant évoquer l’application de la loi NOTRe portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Le plan « bâtiments », souvent accompagné par les régions, mais aussi par les départements, a connu un succès formidable sur nos territoires. §Désormais, les départements ne peuvent plus intervenir, puisqu’ils ont perdu la compétence économique. Aujourd'hui, on n’a pas la certitude que ce désengagement forcé des départements sera compensé par les régions. C’est un véritable motif d’interrogation.
Les prêts bonifiés présentent beaucoup moins d’intérêt en période de taux d’intérêt bas, comme récemment. C’était donc un moment opportun pour repenser notre politique d’installation, notamment en matière d’élevage, activité qui s’inscrit dans le temps long. Nous aurions dû, comme nos concurrents au sein de l’Union européenne, mettre en œuvre une politique d’accompagnement des investissements sur vingt-cinq ou trente ans. Cela aurait permis non seulement de donner une plus grande souplesse en matière d’installation, mais surtout de dégager une capacité d’investissement complémentaire. Profiter de cette période de taux bas n’aurait pas coûté plus cher aux finances publiques, mais aurait ouvert des perspectives au secteur de l’élevage et lui aurait donné des moyens supplémentaires de réussir.
Le dossier des zones défavorisées est important. Monsieur le ministre, vous souhaitez y intégrer les zones d’élevage, mais quid des éleveurs isolés, dont la situation pourrait devenir absolument dramatique ? Le temps de parole qui m’est imparti ne me permet pas de développer plus longuement cette question, mais nous devons y être très attentifs.
Disposer d’une capacité de régulation des marchés est une nécessité. Mes chers collègues, l’élevage est souvent le dernier rempart avant la désertification. L’Europe, l’État, les régions, qui détiennent la compétence économique, devront adopter une position claire sur cette question. On parle souvent de la fracture numérique ; si on ne donne pas envie à des éleveurs de s’installer, la fracture territoriale s’aggravera encore.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI -UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. Yannick Botrel, pour le groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’avenir de la filière élevage intervient à un moment où celle-ci se trouve particulièrement malmenée, à l’instar de plusieurs autres secteurs de la production agricole, par une crise que, par commodité, on qualifie de « crise de l’agriculture ».
En réalité, des raisons diverses ont amené à cette situation : certaines sont d’ordre politique – nous avons tous évoqué l’embargo sur les exportations de viandes de porc vers la Russie –, d’autres d’ordre sanitaire – je pense à la fièvre catarrhale ovine, qui a bloqué ou ralenti nos exportations de viande bovine vers plusieurs pays –, d’autres encore d’ordre économique, à l’instar de la surproduction de lait.
Il faut aussi évoquer les habitudes nouvelles de consommation : ainsi, 50 % de la viande bovine se consomme désormais sous forme de viande hachée, au détriment de la valorisation des viandes de grande qualité que produisent nos éleveurs.
Il existe enfin des causes sociétales de la crise, telles les conséquences de certains épisodes médiatiques venant susciter la suspicion du consommateur quant à la qualité de ce qu’on lui propose.
Il s’agit là d’éléments contextuels dont on ne saura sans doute jamais s’abstraire tout à fait. Il convient en tout cas de tout faire pour qu’ils ne s’additionnent pas.
À cet égard, vous avez été confronté, monsieur le ministre, à une crise simultanée de la plupart des filières, et vous y avez répondu du mieux qu’il était possible selon moi. Je n’hésite pas à affirmer que, à travers votre action, l’État a été bien présent.
Cependant, il convient de parler d’avenir, et pour ma part j’évoquerai un aspect essentiel concernant particulièrement l’élevage : la résilience des exploitations agricoles face aux aléas économiques ou sanitaires et à l’évolution climatique.
Nous le constatons dans la période que nous traversons : toutes les exploitations ne sont pas économiquement affectées de la même manière, parce qu’elles n’ont pas toutes adopté le même modèle technico-économique.
Cela est vrai dans le domaine de l’élevage, où les coûts de production peuvent être très variables selon les choix opérés, qu’ils soient agronomiques ou de gestion économique de l’exploitation.
C’est sur ce point, je le crois, que doit porter la réflexion s’agissant de l’élevage. Comment accroître la capacité à affronter les crises ? En d’autres termes, comment renforcer la résilience ? En Bretagne, des groupes de travail réfléchissent sur l’autonomie alimentaire de l’exploitation, donc sur l’agronomie.
Le modèle le plus courant d’alimentation du bétail repose sur le couple maïs-soja, qui s’avère coûteux économiquement parce que le soja que nous importons massivement est cher depuis 2007 et que ce régime alimentaire a pour conséquence une longévité moindre des vaches laitières.
A contrario, promouvoir un assolement fondé sur le maïs et les légumineuses permettrait un recours moindre aux produits phytosanitaires, ainsi qu’aux engrais.
Certes, ce modèle, vertueux à deux égards, économique et environnemental, est plus complexe à gérer techniquement. L’enjeu est donc d’accompagner les agriculteurs dans le passage à de nouvelles méthodes de culture. L’agronomie est donc l’une des voies de la résilience, et nous devons prendre ses apports en considération.
Il existe d’autres voies, que le temps qui m’est imparti ne me permet que de citer.
La future PAC, en particulier, devra affirmer à travers ses options stratégiques la place qu’elle assigne à l’élevage. Il serait du plus grand intérêt que vous nous fassiez part, monsieur le ministre, de l’approche de la France sur cette question.
Quelle pourrait être la place d’un régime assurantiel ? La piste de paiements contracycliques a été évoquée à l’occasion d’une table ronde tenue lors du dernier salon de la production agricole SPACE, à Rennes, ainsi que le renforcement des aides au titre des mesures agroenvironnementales et climatiques.
Surtout, les observateurs insistent très fréquemment sur la nécessité de renforcer le pouvoir de négociation des producteurs ; cela paraît en effet une évidence. Comment se peut-il que ceux qui sont à la source de la production soient aussi peu pris en considération dans le partage des marges ?
L’avenir de l’élevage au plan national peut se construire sur la capacité des exploitations à résister aux turbulences économiques, sanitaires et, parfois, politiques. Sur le plan européen, il se construira au travers d’une PAC dont les outils seront adaptés au contexte volatil qui est désormais celui dans lequel évoluent nos éleveurs.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’élevage bovin français traverse depuis de nombreux mois une crise grave. Dans nos campagnes, beaucoup d’exploitants sont au bord de la faillite.
Si nous voulons sauvegarder notre spécificité agricole et nos savoir-faire, il y a urgence à agir et, dans ce domaine, l’intervention de l’État est essentielle à différents niveaux.
Vous venez d’annoncer, monsieur le ministre, le 18 novembre dernier, le versement d’aides ponctuelles destinées à limiter les quantités de viande bovine mises sur le marché, cela afin de faire remonter les cours. En effet, la crise laitière met sévèrement en danger la production de viande bovine de qualité, en raison de l’afflux de vaches laitières dans les abattoirs.
Mais ces mesures ne suffisent plus pour sauvegarder une filière, fleuron de notre économie, qui représente des milliers d’emplois directs et indirects. La réponse à cette crise, qui n’est pas nouvelle, mais qui s’accentue inexorablement, doit être structurelle.
Depuis le début de cette crise, le Sénat travaille à proposer des mesures de long terme. Je suis élu des Deux-Sèvres, département où l’élevage bovin représente une part importante de l’activité agricole. Je rencontre des agriculteurs fiers de leurs savoir-faire, de leur production, mais qui désespèrent, n’arrivant plus à vivre décemment de leur travail.
L’État doit avant tout réduire les charges pesant sur les entreprises agricoles, qu’elles soient sociales, fiscales ou normatives. Nos agriculteurs croulent sous les normes sanitaires, sociales et environnementales, bien plus exigeantes en France que dans les pays voisins, et ils ne peuvent lutter à armes égales avec leurs concurrents. D’une manière générale, nous avons le don de sur-transposer les directives européennes ; c’est plus vrai encore dans le domaine de l’agriculture. Cela entraîne des surcoûts financiers importants et une perte de compétitivité de nos entreprises agricoles, par rapport à celles de nos voisins européens principalement.
Le Sénat a inscrit dans la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire une disposition prévoyant que, pour chaque norme nouvellement créée dans le domaine agricole, soit abrogée une norme antérieure, un bilan devant être établi chaque année. Malheureusement, cette proposition de loi n’est toujours pas adoptée.
L’État doit également accompagner la filière bovine dans l’amélioration de la valorisation de la commercialisation de la viande sur le marché intérieur, en facilitant l’achat de viande française par les collectivités territoriales et tous les partenaires publics. En effet, la restauration hors distribution, la RHD, est un marché important à reconquérir : 70 % de la viande servie est à ce jour importée. Il s’agit là d’un enjeu économique et sociétal majeur. La viande servie en RHD est majoritairement une viande de qualité inférieure provenant de pays voisins.
À titre d’exemple, les représentants de la filière bovine ont demandé à être reçus au ministère de la défense pour évoquer le sujet des achats des armées ; cette demande est restée sans suite à ce jour.
Dans un esprit identique, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation et imposant à l’État et aux collectivités d’intégrer, dans la composition des repas, 40 % de produits issus des circuits courts ou répondant à des critères de développement durable, notamment des produits biologiques. Nous attendons toujours que le Gouvernement prenne ses responsabilités.
La réponse structurelle à la crise passe aussi par une démarche offensive à l’export. Accompagner la filière à l’exportation doit être une des priorités de l’État.
Nos agriculteurs, nos savoir-faire, nos territoires n’ont pas à pâtir des politiques étrangères de la France. Ainsi, l’attitude française à l’égard de la Russie leur cause un tort considérable, tout comme les restrictions aux exportations de bovins vers la Turquie, qui relèvent davantage d’une question de géopolitique que d’une préoccupation sanitaire.
Il est urgent que l’État travaille avec les filières à la mise en place d’une stratégie de conquête des volumes à l’exportation. D’ailleurs, la filière de l’élevage attend la réunion du comité d’exportation, qui ne s’est plus tenue depuis l’automne 2015.
Nous comptons sur une réaction rapide du Gouvernement. Monsieur le ministre, vous devez adresser un signe fort aux agriculteurs, qui sont aujourd’hui à bout.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI -UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous connaissons tous parfaitement la situation des différentes filières agricoles. La filière porcine, qui a connu des difficultés l’an dernier, a vu les prix se redresser, mais sa situation impose la poursuite des réformes structurelles. La filière laitière connaît, elle aussi, un début de redressement des prix, après que ceux-ci se sont établis à des niveaux extrêmement bas durant deux années.
Nous faisons tous le même constat. Quand on débat de l’agriculture, il y a deux éléments qu’il toujours avoir présents à l’esprit : les aides publiques à l’agriculture, européennes, nationales et, maintenant, régionales, d’une part ; le marché et les prix, d’autre part.
Le jeu de l’économie de marché influe sur l’équilibre des prix agricoles dans toutes les filières. Par exemple, quand j’ai pris mes fonctions au ministère de l’agriculture, en 2012, le prix de la tonne de céréales dépassait 200 euros ; il est aujourd'hui de 120 ou 130 euros. Le ministre de l’agriculture ne décide pas des prix, ni personne d’autre d'ailleurs.
La France est un grand pays producteur et exportateur de lait, sous forme de produits transformés, tel le fromage, ou peu transformés, telle la poudre de lait. Sur les 25 milliards à 26 milliards de litres de lait que nous produisons, de 7 milliards à 8 milliards sont exportés : j’invite ceux qui pensent qu’il suffirait de fermer notre marché aux importations pour le rééquilibrer à garder cette réalité à l’esprit. De ce fait, pour la poudre de lait en particulier, dont une grande partie est exportée en Asie – des industriels chinois investissent même en France dans des tours de séchage –, même une régulation européenne de la production ne nous prémunit pas totalement contre les déséquilibres de marché qui peuvent exister ailleurs dans le monde.
Il importe donc de considérer la situation d’ensemble des différents secteurs. Cela vaut aussi pour la viande porcine, qui est exportée en Chine. Le marché chinois, qui s’était contracté, s’est redressé, ce qui a entraîné un relèvement du prix de la viande de porc en France, en dépit de l’embargo sur les exportations vers la Russie.
La réforme de la politique agricole commune a été négociée en 2013. Tout le monde l’a oublié, mais il n’était pas évident d’obtenir que le budget de la PAC soit préservé. J’attends d’ailleurs de voir à quoi aboutiront les négociations qui se tiendront en 2020 !
Nous avons par exemple obtenu, pour la France, le doublement des fonds européens du deuxième pilier de la politique agricole commune. Notre discussion d’aujourd'hui serait sûrement tout autre si tel n’avait pas été le cas, ou si je ne m’étais pas battu pour obtenir le maintien des aides couplées à l’élevage, alors que la logique européenne était de découpler la totalité des aides. Ainsi, 680 millions d'euros ont été alloués à la prime à la vache allaitante, qui est absolument indispensable.
De même, l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, va bénéficier du transfert de plus de 1 milliard d’euros. Le choix d’orienter une partie de ce montant vers l’élevage a fait débat au sein même de la profession agricole, certains se demandant s’il était opportun d’augmenter dans une telle proportion les aides à l’élevage dans la mesure où des opérateurs pouvaient anticiper cette augmentation en baissant les prix.
Aujourd'hui, les aides sont mieux réparties, ce qui aura une incidence sur l’ensemble du monde agricole. En 2019, au terme de la mise en application de l’ensemble de la nouvelle politique agricole commune – paiement redistributif, c'est-à-dire rehaussement des aides pour les cinquante-deux premiers hectares, compris –, 47 % des aides iront à 20 % des agriculteurs, contre 54 % en 2013 et 52 % en 2015. Cette répartition plus équilibrée des aides profite aussi aux éleveurs.
C’est un choix d’équilibre, que je revendique. La politique agricole commune a été réorientée en faveur de l’élevage.
Cela suffit-il ? Non, puisque les aides, aujourd'hui, ne permettent pas de compenser, pour les éleveurs, la perte de revenus liée à la baisse des prix. Les crises que nous connaissons en sont la preuve.
Il est donc absolument nécessaire de débattre des prix et des marchés. Après 2014 et la fin des quotas laitiers, le marché du lait s’est trouvé déséquilibré à l’échelle mondiale. La production mondiale, en particulier européenne, n’a cessé d’augmenter, ce qui a entraîné la catastrophe que l’on sait pour les prix.
Il fallait donc essayer d’enrayer l’emballement de la production. Pour faire en sorte que les États membres de l’Union et la Commission européenne s’engagent enfin à envoyer un signal de baisse de la production laitière, j’ai obtenu que soient activés les articles 221 et 222 du règlement sur l’organisation commune de marché. Je regrette qu’il ait fallu huit mois pour que cette décision soit arrêtée. La remontée des prix actuelle liée à l’instauration d’un nouvel équilibre sur le marché permet d’anticiper, pour 2017, des prix plus élevés, et partant plus rémunérateurs pour les producteurs. Cette évolution serait sans doute intervenue plus tôt si les mesures de maîtrise de la production avaient été mises en place plus vite. La difficulté est de trouver une majorité à l’échelle européenne, de convaincre la Commission européenne. C’est ce que j’ai fait à trois reprises, en septembre 2015, en février 2016 et en juin 2016, pour aboutir à la mise en œuvre du plan en septembre 2016, qui porte ses fruits aujourd'hui.
J’organiserai avec Michel Sapin une réunion du comité des relations commerciales afin de prévenir une résurgence de la guerre des prix au moment où seront renégociés les prix entre la grande distribution et les industriels du lait, alors que l’on sort d’une crise et que l’on sait que le prix du lait va remonter en 2017, comme l’indique clairement une publication récente de la Rabobank, qui finance beaucoup l’industrie agroalimentaire néerlandaise. Nous devons anticiper cette remontée, en essayant de la lisser, afin de redonner des marges à nos producteurs, qui en ont bien besoin compte tenu de ce qu’ils ont subi ces deux dernières années.
Ces efforts pour ajuster la production au marché et tenir les prix viennent en complément des aides : les uns et les autres sont liés. Bien entendu, on a davantage de prise sur les aides que sur la situation globale des marchés. Ainsi, la chute des prix des céréales est liée à la concomitance de récoltes exceptionnelles en Ukraine, en Russie, aux États-Unis et en Amérique latine : cela ne s’était jamais produit auparavant. L’offre agricole peut être supérieure à la demande. On disait volontiers que, avec 9 milliards de bouches à nourrir sur la planète, les prix agricoles allaient nécessairement flamber. On sait aujourd'hui que les choses sont plus compliquées : si toutes les grandes zones agricoles produisent au maximum de leur potentiel, la demande solvable ne suffira pas à absorber la production, d’où un risque de baisse des prix.
Devant cette réalité, au-delà du recours aux outils de la PAC, on pourrait envisager de mettre en place une politique agricole contracyclique, en mobilisant plus d’aides quand les prix sont bas et moins quand les prix sont hauts. L’idée est séduisante et logique, mais l’Union européenne n’est pas un État fédéral. Le cadre budgétaire est fixé pour cinq ou six ans, et les marges de manœuvre sont faibles. Si l’on prévoit de ne verser aucune aide l’année n, il est à peu près certain qu’il en ira de même l’année n+1 . La démarche contracyclique, en termes de compensation des fluctuations de prix, ne fonctionne donc pas aujourd’hui à l’échelle européenne, en raison d’un manque de flexibilité budgétaire. Le Parlement européen vote des dépenses, mais il n’a rien à dire sur les recettes, puisqu’elles résultent des contributions des États.
Par conséquent, il faut procéder autrement si l’on veut mettre en place une politique contracyclique. C'est pourquoi nous proposons qu’une partie des aides du premier pilier puisse être utilisée pour nourrir une épargne de précaution, disponible pour aider l’agriculteur à faire face aux aléas climatiques, sanitaires et économiques, et assortie bien sûr d’une fiscalité adaptée.
Nous aurons ce débat prochainement, lorsque le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux aura remis son rapport. Il s’agira de recenser les outils à notre disposition en vue de donner aux agriculteurs les moyens de mieux supporter les fluctuations de prix. Certes, l’idéal serait peut-être d’établir des prix planchers garantis et des aides indexées sur les prix, mais nous ne trouverons pas de majorité, à l’échelon européen, pour modifier la PAC dans ce sens. L’essentiel est de trouver un moyen de mobiliser des aides supplémentaires en cas de crise sur un marché, sachant qu’une politique publique qui attribue le même montant d’aides que le prix de la tonne de céréales soit de 220 euros ou qu’il soit de 120 euros pose légitimement question.
C’est seulement en trouvant une voie pour permettre aux agriculteurs de constituer une épargne de précaution, des provisions, que l’on pourra définir des mesures contracycliques, sauf à changer l’organisation de l’Union européenne de sorte que les budgets puissent être gérés sur une base annuelle : c’est un autre sujet, éminemment politique !
La compétitivité du secteur de l’élevage tient à deux éléments.
Le premier est le soutien à l’investissement, en particulier dans les bâtiments d’élevage et la structuration des exploitations, afin d’obtenir des gains de compétitivité.
Je rencontrerai ce soir l’Association des régions de France pour discuter du plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations, le PCAE. Le transfert de deux rubriques du premier pilier vers le deuxième pilier a déjà permis, en deux ans et demi, environ 600 millions d’euros d’investissements dans les bâtiments d’élevage. Cela prouve qu’il y a une demande de la part des agriculteurs ! L’État a porté sa contribution à 85 millions d’euros, mais le dispositif fonctionne tellement bien qu’on me suggère d’aller au-delà. La demande reste en effet importante, par exemple pour réaliser des investissements dans les dispositifs de biosécurité là où la grippe aviaire a frappé, dans le Sud-Ouest. Cela vaut également pour les autres zones d’élevage de volailles. On atteindra sans doute le milliard d’euros d’investissements en cinq ans, notamment pour assurer le respect des règles de bien-être animal dans l’élevage ou financer des bâtiments neufs pour réduire la consommation énergétique. Tout cela permettra aux éleveurs de disposer d’un outil de production plus performant, et donc d’être plus compétitifs.
Le second élément de compétitivité est l’allégement des charges. Le plan de soutien à l’élevage a permis de diminuer de sept points, soit de 765 millions d’euros, les cotisations sociales supportées par les exploitations agricoles. En ajoutant les « exonérations Fillon », on arrive à 1, 1 milliard d’euros d’exonérations de cotisations sociales.
Mais, pour améliorer la compétitivité des élevages, il faut aussi agir sur les charges opérationnelles, qui ont beaucoup augmenté au cours des dernières années, notamment en raison de l’utilisation de produits, phytosanitaires et autres, coûteux.
Aujourd’hui, les systèmes agricoles les plus compétitifs sont ceux qui nécessitent le moins d’investissements en capital. Par exemple, dans le domaine de la production laitière, la Nouvelle-Zélande a misé sur l’optimisation de la gestion des pâturages. Sans faire la même chose, nous devons, nous aussi, mettre en œuvre des stratégies de baisse des charges opérationnelles.
Investir, diminuer les coûts de production, réduire le coût du capital pour les jeunes agriculteurs à travers la dotation jeune agriculteur, la DJA : tels sont nos axes d’action. Les prêts bonifiés étant moins utiles quand les taux d’intérêt sont voisins de 0, 25 %, nous avons décidé de transférer les crédits destinés à leur financement vers la DJA, en ajoutant une clause d’investissement pour une part de celle-ci, ce qui répond à une demande des jeunes agriculteurs. Ces derniers estiment que cela permettra de financer les investissements de façon beaucoup plus simple et rapide qu’avec les prêts bonifiés, dont la mise en œuvre impliquait une relation avec les banques. Maintenant, avec la DJA, tout se passe entre l’État et les jeunes agriculteurs, sans intermédiaire.
En ce qui concerne le handicap que représente l’inflation des normes pour la compétitivité, je connais le sujet par cœur ! Je n’ai pas ajouté de normes. J’en ai plutôt supprimé, conjointement avec les ministres de l’environnement successifs, en particulier Philippe Martin. Qu’il s’agisse des installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE, ou de la procédure d’enregistrement, que nous avons mise en place pour la production porcine avant de l’étendre à l’aviculture et, bientôt, à la production de viande bovine, nous avons procédé à une simplification.
Lorsque je suis arrivé à la tête de ce ministère, la France était en contentieux avec l’Union européenne au sujet de la directive nitrates. Nous avons dû revoir les cartes des zones vulnérables. Le débat fut vif, à l’époque. Aujourd’hui, le problème est réglé, nos plans d’action ont été validés par l’Europe. Maintenant, c’est l’Allemagne qui est rattrapée par ce contentieux. Les Allemands ont tellement développé l’élevage intensif, en particulier dans l’est du pays, qu’ils ont à présent un gros problème de gestion des excédents de nitrates par rapport à la capacité d’absorption de leurs terres agricoles. L’ensemble du territoire allemand est aujourd’hui classé en zone vulnérable !
Cela étant, je suis d’accord, nous devons encore avancer dans la simplification. Lors de la réunion, à Chambord en septembre, d’une vingtaine de ministres de l’agriculture européens – cela constitue largement une majorité qualifiée du Conseil, malgré l’absence du ministre italien, pour cause de tremblement de terre, et de la ministre espagnole, pour cause de constitution du Gouvernement –, quatre points de consensus se sont dégagés.
Premièrement, nous voulons le maintien du budget de la PAC.
Deuxièmement, nous voulons que la PAC tienne compte des grands enjeux liés à la protection de l’environnement, à la citoyenneté, au bien-être animal et à la traçabilité, sujet dont nous allons traiter sans attendre à l’échelon national, par exemple en mettant en place, à titre expérimental, la mention obligatoire de l’origine de la viande intégrée dans les produits transformés. Les premières étiquettes seront apposées à la fin de cette année ou au début de la prochaine. Le logo « Viandes de France » a permis, selon l’interprofession nationale porcine, INAPORC, de réduire de 20 % environ les importations de viande porcine. Ce logo se rencontre aujourd’hui dans presque tous les linéaires des petits, moyens et grands distributeurs. C’est un bouleversement, qui contribue incontestablement à la sécurisation d’une partie du débouché national.
Troisièmement, nous voulons de la simplification.
Quatrièmement, les ministres qui étaient présents à Chambord sont d’accord pour la mise en place de systèmes de mutualisation et d’assurance à l’échelle européenne. Un ministre est même allé au-delà, en proposant la création d’un troisième pilier de la PAC, dédié à la gestion des aléas. Ce serait là une vraie avancée à mes yeux.
L’accord de plus de vingt pays européens sur ces quatre points va permettre d’envisager différemment l’avenir de la PAC.
S’agissant des retards dans le versement des aides, je rappelle que la France, rattrapée en 2013 par un apurement européen, a dû corriger entre 0, 5 % et 0, 8 % de ses surfaces éligibles aux aides européennes. Nous avons dû refaire l’orthophotographie de 26 millions d’hectares, soit un travail colossal qui, au moins, n’incombera pas à mon successeur. C’est la raison pour laquelle nous avons pris un an de retard dans les paiements ; ce retard va être rattrapé.
Certains ont souligné que le solde 2015 n’avait pas été versé. Avec la réforme de la PAC, nous sommes passés du droit au paiement unique, ou DPU, aux droits à paiement de base, ou DPB. Cela nécessite de se caler sur une référence historique pour le calcul du montant des aides à verser. Or, en cas de modification concomitante de parcelles, on ne peut plus se référer à la DPU. Nous avons donc parfois rencontré des problèmes de calcul liés à l’agrandissement de certaines exploitations, ce qui a entraîné des retards techniques de paiement, mais tout sera réglé d’ici à la fin de l’année. Il en ira de même pour les retards de versement des primes ovines.
Par ailleurs, les ICHN ont déjà été versées à concurrence de 89 %, mais il reste encore 4 800 dossiers à régler : ils le seront, eux aussi, d’ici à la fin du mois de décembre. Nous délivrons des attestations pour rassurer les agriculteurs sur les aides qu’ils recevront et nous allons apurer le plus vite possible les retards de paiement.
La question des zones défavorisées simples, les ZDS, a été soulevée à la suite d’une décision de la Cour de justice des communautés européennes de 2003 et d’une réforme décidée en 2010, qui doit entrer en vigueur en 2018. J’aurais pu laisser à mon successeur le soin de traiter le dossier, mais j’ai préféré agir. Nous avons élaboré une première carte, établie exclusivement sur la base des critères européens. Elle a suscité des débats, certaines communes se trouvant exclues. Nous avons, ce matin, mis la dernière main à une deuxième carte, qui prend en compte le critère des prairies permanentes, de l’herbe, avec des taux de chargement que nous avons fixés, après discussion, à 1, 3 ou 1, 4 unité gros bétail par hectare. Avec cette nouvelle carte, les surfaces classées progressent de 4 % par rapport à la première. Elle permet de régler un certain nombre de problèmes, en particulier dans l’Est, le Limousin et le Sud-Ouest.
Nous devons prendre en compte d’autres critères encore pour pouvoir aller plus loin. Tous les départements sont concernés. Nous avons eu ce matin une réunion avec les représentants du monde agricole, qui s’est plutôt bien passée. Nous allons travailler à la refonte de cette deuxième carte d’ici au 6 décembre. Mon objectif est de ne pénaliser personne et de faire en sorte que, partout où il y a de l’élevage, on puisse obtenir le classement en zone défavorisée et bénéficier ainsi de l’ICHN. Nous progressons vers cet objectif, par des discussions extrêmement sérieuses avec les responsables de la profession agricole.
En attendant l’élaboration de la troisième carte, la deuxième sera mise à disposition, ce qui permettra déjà de rassurer certains d’entre vous. Je le redis, la troisième carte permettra d’accroître encore les surfaces classées en ZDS : tenez-en compte quand vous examinerez la deuxième mouture. Nous avançons progressivement, à mesure de la prise en compte de nouveaux critères, sans oublier personne.
L’élevage tient une place très importante dans notre pays, sur le plan économique, bien sûr, mais aussi du point de vue environnemental. À cet égard, ceux qui, comme les vegans, voudraient que l’on ne mange plus de viande ont-ils conscience qu’il n’y aurait alors plus de prairies permanentes ? Il n’y aurait plus de Normandes, de Charolaises, de Salers, de Limousines, de Rouges des Prés, de Blondes d’Aquitaine, de Gasconnes, de Montbéliardes, de Brunes des Alpes, d’Aubrac, de Vosgiennes…
Sourires.
La sauvegarde et la valorisation de l’élevage sont un enjeu économique, culturel et d’aménagement du territoire. Nous devons nous donner les moyens d’aider les éleveurs, en jouant et sur les aides, et sur les prix. Vous en êtes tous conscients, ici au Sénat, et depuis longtemps !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.
Nous en avons terminé avec le débat sur la sauvegarde et la valorisation de la filière élevage.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a proposé deux candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Jérôme Bignon et Mme Nicole Bonnefoy membres du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité.
Il va être procédé à la nomination des sept membres titulaires et des sept membres suppléants des commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion, d’une part, du projet de loi relatif à une liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, et, d’autre part, de la proposition de loi relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes.
Les listes des candidats établies par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ont été publiées conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, ces listes sont ratifiées et je proclame représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires :
Pour le projet de loi :
Titulaires : MM. Hervé Maurey, Louis Nègre, Patrick Chaize, Rémy Pointereau, Mmes Nicole Bonnefoy, Nicole Bricq et Évelyne Didier ;
Suppléants : MM. Guillaume Arnell, Jérôme Bignon, Vincent Capo-Canellas, Alain Fouché, Gérard Miquel, Mme Nelly Tocqueville et M. Michel Vaspart.
Pour la proposition de loi :
Titulaires : MM. Hervé Maurey, Jean-François Rapin, Patrick Chaize, Rémy Pointereau, Claude Bérit-Débat, Jean Yves Roux et Mme Évelyne Didier ;
Suppléants : MM. Guillaume Arnell, Jérôme Bignon, Vincent Capo-Canellas, Gérard Cornu, Didier Mandelli, Gérard Miquel et Mme Nelly Tocqueville.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente.
Madame la présidente, je souhaite procéder à plusieurs rectifications de vote.
Lors du scrutin public n° 65 sur les amendements identiques n° 1 rectifié quater et 177 rectifié sexies tendant à insérer un article additionnel après l’article 43 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, MM. Didier Mandelli, Alain Marc, Michel Vaspart, Daniel Gremillet et moi-même avons été inscrits comme ayant voté contre, alors que nous souhaitions voter pour.
Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste et républicain, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional (proposition n° 497 [2015-2016], texte de la commission n° 52, rapport n° 51).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est pour moi un grand honneur d’être parmi vous aujourd’hui pour l’examen, en première lecture, de la proposition de loi relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, préparée par Serge Letchimy.
Cette proposition de loi a été adoptée conforme à l’issue de vos travaux en commission. Je tiens à saluer l’engagement du Sénat et de l’Assemblée nationale, ainsi que, bien sûr, l’engagement sans faille de Serge Letchimy, qui a accompli un travail de grande qualité, de nature à participer à renforcer le rôle de nos territoires et les moyens dont disposent ces derniers pour bâtir un modèle de développement s’inscrivant dans leur environnement régional.
Ce travail, aujourd’hui soumis à l’examen de la Haute Assemblée, est en un sens, me semble-t-il, une belle évolution historique et conceptuelle. Il élargit le sens des échanges jusqu’alors principalement pensés entre les outre-mer et l’Hexagone, pour créer plus d’opportunités avec de nouveaux partenaires.
C’est un moment important pour moi, qui avais cosigné la proposition de loi soumise aujourd’hui à votre examen en qualité de députée. Cette cosignature est la traduction concrète de l’attachement qui est le mien au développement de la coopération régionale pour les collectivités territoriales et particulièrement pour les territoires ultramarins, et de la conviction qui est la mienne.
Aussi, je souhaite que nous partagions ensemble cette conviction : les outre-mer ne peuvent tirer leur réussite uniquement des échanges construits avec l’Hexagone. La condition fondamentale de leur développement est de les inscrire dans les échanges mondialisés, au cœur de leur environnement régional.
Vous le savez comme moi, le monde est pris dans une phase intense de mondialisation, mais aussi de régionalisation, plaçant les États face à l’obligation de mettre en commun leurs ressources humaines, financières et culturelles au service du développement durable de leur population.
La coopération régionale contribue à cette mondialisation ; elle en est une composante. Cette possibilité revêt une importance particulièrement stratégique pour nos territoires. Ceux-ci comportent de nombreux atouts : leur situation géographique en est, sans aucun doute, le premier.
La France est magnifiquement représentée sur les trois océans. C’est le seul pays au monde à bénéficier d’une telle présence géographique. Plus qu’un défi, c’est une chance, celle de pouvoir rayonner de manière démultipliée. En effet, à son influence continentale, régionale, au sein de l’Union européenne, s’ajoute l’influence dans les différentes régions du monde permise par nos territoires ultramarins.
Il ne s’agit plus d’osciller entre repli et ouverture, entre intégration et marginalisation, comme certains semblent vouloir s’y résoudre, et ce, il faut le dire, au détriment des populations. Pouvons-nous continuer à regarder la jeunesse ultramarine et lui enjoindre de se résigner face à un monde clos, étanche, qui limiterait ses possibles et les moyens de s’émanciper ? La coopération régionale, je le dis clairement, rompt avec cette logique contre-productive qui ferme les horizons.
La coopération est un atout. Libérer davantage l’action extérieure des collectivités territoriales et favoriser la coopération régionale des collectivités ultramarines, c’est faire grandir l’influence de la France à travers le monde. C’est rendre nos territoires acteurs de cette influence.
Les collectivités ont tout à gagner à s’inscrire dans ce mouvement : l’action extérieure est devenue un enjeu majeur. Leur rôle en ce domaine est incontournable. Ainsi, plus de 4 800 collectivités territoriales françaises sont engagées dans des actions extérieures avec plus de 9 000 collectivités appartenant à 146 pays différents.
L’action extérieure est, pour les collectivités territoriales, une chance : celle d’inscrire son action partenariale en fonction de ses besoins propres. Cette approche, adaptée à chaque territoire, est celle que je porte aussi dans le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique au travers des plans de convergence. C’est une vraie innovation que de partir des réalités, des besoins et des horizons de chaque espace.
C’est vrai avec d’autant plus d’acuité pour nos territoires ultramarins. Insulaires, très éloignés géographiquement, bien que faisant partie intégrante de la France, ceux-ci répondent à des exigences propres et s’inscrivent dans un environnement géographique dont ils doivent tirer tous les bénéfices.
Liées par une communauté de destin avec leurs voisins asiatiques, africains, américains, les collectivités d’outre-mer appartiennent à un bassin dont elles doivent pouvoir se servir pour enclencher, renforcer et accentuer leur développement socio-économique, éducatif et culturel. Ce changement de paradigme les invite à regarder près d’elles, autour d’elles et chez elles dans l’Hexagone, mais pas seulement.
Essor économique, recherche universitaire, amélioration des systèmes de santé, enseignement, développement de la francophonie, voilà autant de domaines à enrichir par la régionalisation, au travers, notamment, de la mutualisation des moyens. En favorisant la mobilité et les échanges scolaires linguistiques dans les zones géographiques de nos territoires, le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer a, là aussi, souhaité tirer les conséquences de la richesse de l’environnement insulaire français. Le texte soumis à votre appréciation viendra en parfaire le cadre.
D’où partons-nous ? La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie disposent, de fait, de pouvoirs étendus en matière de négociation. Depuis la loi du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer, ont été renforcées les compétences des DROM, les départements et régions d’outre-mer, auxquels ont été confiées des prérogatives devant leur permettre de favoriser leur insertion dans leur environnement régional.
Depuis lors, les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, celles qui sont exclusivement visées par la présente proposition de loi – celles qui relèvent de l’article 74 de la Constitution nécessitent une loi organique pour toute modification de leur statut –, peuvent se prévaloir, pour asseoir leur action extérieure, de la possibilité de conclure, au nom de l’État, des accords bilatéraux ou multilatéraux, sous couvert d’une procédure d’approbation. Elles bénéficient du concours des ambassadeurs délégués à la coopération régionale chargés de l’animer et elles disposent d’instruments financiers comme le Fonds de coopération régionale.
Cependant, force est de constater que, malgré ces avancées, la capacité des collectivités à s’intégrer dans leur environnement régional n’est pas suffisamment permise. L’insuffisance des échanges économiques régionaux, alors que les défis communs ne font aucun doute, résulte d’un cadre procédural de décision en matière de coopération régionale complexe ou, en tout cas, insuffisamment souple.
Une nouvelle étape doit donc être assurément franchie. Tel est l’objet de cette proposition de loi ambitieuse.
Je crois, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il faut permettre à ce processus de se déployer pleinement, en le renforçant, en l’accompagnant et en le sécurisant. Car les coopérations internationale et régionale ne se décrètent pas. Elles se construisent, et c’est précisément le sens de la proposition de loi qui vient parfaire un cadre juridique jugé insuffisamment propice au rayonnement de notre pays par ses territoires.
La coopération transfrontalière exige trois présupposés : une volonté locale, qui est manifeste, nos élus ayant une réelle vision de la coopération régionale – mes nombreux déplacements au cœur des territoires l’ont prouvé ; une volonté politique, qui est réelle – le choix de la procédure accélérée en témoigne –, enfin, un cadre juridique stabilisé, dont l’objectif est de garantir une action internationale de la France cohérente, coordonnée pour être forte et crédible – c’est précisément ce que prévoit le texte soumis à votre examen.
En effet, en l’état actuel des dispositions prévues, le texte répond à l’objectif de permettre aux collectivités à la fois d’être le démultiplicateur de la présence française et de tirer profit de leur ancrage géographique pour faire en sorte que l’action internationale de notre pays intègre les spécificités de nos territoires.
Par une disposition générale, le texte vient préciser les exceptions au principe de l’interdiction faite aux collectivités territoriales de conclure une convention avec un État étranger.
Les articles 2 à 8 procèdent à une extension du champ géographique de la coopération régionale, afin de ne pas la réduire au seul voisinage de proximité. Nous défendons le « grand voisinage », comme l’a fait, en son temps, Paul Vergès.
Les articles 9 à 12 bis prévoient, quant à eux, la possibilité pour les présidents des collectivités, dans leurs domaines de compétence, d’élaborer un programme-cadre de coopération régionale à conduire dans le cadre de leur mandat. Novatrices, ces dispositions permettront, notamment, l’élaboration et la visibilité de stratégies de coopérations régionales. Validé en amont par les autorités de la République, ce programme-cadre donnera davantage de marge de manœuvre aux présidents des collectivités pour négocier des accords internationaux avec les États ou organisations régionales voisins.
Enfin, les articles 13 à 16 offrent un statut aux agents des collectivités d’outre-mer affectés au sein du réseau diplomatique français. L’article 16 permet à ces agents de bénéficier des privilèges et immunités du corps diplomatique d’État qui sont reconnus par la convention de Vienne de 1961. Cet article suppose la possibilité, au profit de l’État, de demander la présentation à l’État accréditaire, lequel demeure libre d’y accéder ou non. En ce sens, la disposition ne soulève aucune difficulté au regard de la séparation des pouvoirs et pourra être adoptée conforme, suivant en cela les conclusions de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, saisie par commission des lois du Sénat.
Dans le même temps, le texte garantit et réaffirme – c’est un point fondamental, essentiel – les prérogatives de notre État unitaire en matière diplomatique. Car la conduite des relations extérieures demeure une compétence de l’État. Si elle requiert souplesse du cadre et adaptations aux exigences du développement de nos territoires dans leur environnement, la « diplomatie des territoires » ne peut se concevoir, dans l’intérêt de chacun, que dans le respect des prérogatives régaliennes de l’État destinées à garantir la cohérence des engagements internationaux.
Agir de là où l’on se trouve sans oublier d’où l’on est, afin de construire ensemble où l’on va : ce sera également l’objectif du Livre blanc, qui a été acté lors de la semaine des ambassadeurs organisée à la fin du mois d’août dernier sous l’égide de Jean-Marc Ayrault.
Mesdames, messieurs les sénateurs, construisons une France qui se dote de moyens pour rayonner dans tous les océans ! Les outre-mer sont cette porte d’entrée sur le monde que nous devons permettre à chacun de pousser. La coopération régionale sera le bras armé pour concrétiser notre ambition. En dotant les collectivités territoriales de nouvelles possibilités d’agir, nous renforçons le développement de partenariats stratégiques, d’échanges économiques, commerciaux et culturels.
Ces possibilités sont in fine des chances pour les habitants. Elles participeront ainsi à consolider la marche pour l’égalité réelle, qui consiste à donner les capacités de s’insérer pleinement dans la société et de pouvoir se réaliser.
La proposition de loi relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, préparée par Serge Letchimy, nous permet d’avancer dans cette direction. Je suis heureuse qu’elle ait été adoptée conforme en commission et je souhaite que nos discussions se poursuivent avec cette même philosophie.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – MM. Jean-Marie Bockel et Michel Magras applaudissent également.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui confirme le caractère inéluctable du puissant mouvement de décentralisation, qui touche l’organisation de nos pouvoirs publics et rappelle la nécessité de confier les bonnes compétences aux bons échelons et aux bons acteurs.
Qu’il me soit permis, en préambule de l’examen de ce texte, de rendre hommage à Paul Vergès qui, au-delà de nos divergences et de nos différentes sensibilités politiques, figurait parmi les grandes figures ayant marqué la vie des collectivités locales d’outre-mer. Je souhaite dire à Mme Hoarau, qui retrouve une assemblée qu’elle connaît bien, que la disparition du doyen du Sénat a affecté ses collègues sur toutes les travées.
Aujourd’hui, l’action extérieure des collectivités territoriales, que l’on nommait jadis « coopération décentralisée », est une réalité qui requiert une base législative adéquate pour offrir tout le potentiel qu’elle porte déjà en son sein.
L’ampleur de cette « diplomatie des territoires » – expression évoquée lors de l’une des séances de la semaine des ambassadeurs du mois d’août 2016 – illustre l’importance du sujet. Elle concerne en effet 4 800 collectivités territoriales françaises, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la ministre, pour des actions extérieures en relation avec 146 pays et impliquant 9 000 collectivités étrangères. L’enjeu est de taille, puisqu’il représente un total de 12 700 projets, à hauteur de 1 milliard d’euros.
Situation unique au monde, nos territoires ultramarins sont aux avant-postes du rayonnement et de l’influence de la France sous toutes les latitudes. Insérés dans un environnement économique et stratégique, ils sont aux avant-postes, et leur position est un atout précieux pour eux-mêmes et l’ensemble du pays.
Actuellement, force est de constater que le cadre légal actuel pour pouvoir exploiter pleinement tout le bénéfice potentiel de cette position est devenu trop étroit. En effet, si la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie se voient attribuer par la République des pouvoirs autonomes étendus en matière de négociation, ce n’est pas encore le cas pour les autres collectivités territoriales régies par l’article 73 de la Constitution.
Les départements et régions d’outre-mer possèdent, depuis la loi du 13 décembre 2000, la possibilité de conclure des accords avec des États étrangers, au nom de l’État. Ils disposent de plusieurs instruments en matière de coopération régionale, comme la conclusion d’accords multilatéraux ou le concours des ambassadeurs délégués à la coopération régionale, ainsi que divers instruments financiers.
Toutefois, si la loi de 2000 leur a permis de mener des actions que l’on peut qualifier de « diplomatiques », ces collectivités manifestent le besoin de recevoir de nouvelles compétences, qui leur permettront de renforcer leur intégration régionale et, par là même, d’accroître le périmètre de leur influence.
Cette volonté est constamment manifestée par les représentants ultramarins, et elle s’est encore exprimée en octobre 2012, lors des États généraux de la démocratie territoriale, organisés sur l’initiative de la Haute Assemblée.
La proposition de loi adoptée par les députés et dont vous avez été cosignataire, madame la ministre, comme vous l’avez rappelé, a deux objets : d’une part, augmenter la capacité des territoires ultramarins relevant de l’article 73 de la Constitution de bénéficier d’outils renforcés et étendus en matière de coopération régionale et, d’autre part, résoudre les difficultés rencontrées dans leur politique d’intégration régionale.
Ces difficultés sont les suivantes. Actuellement, les collectivités rencontrent des difficultés pour contractualiser avec des États dans lesquels n’existent pas de collectivités territoriales. L’article 1er de la proposition de loi permet donc de déroger au principe général leur interdisant de signer des accords avec un ou plusieurs États étrangers.
Il convient de créer un périmètre géographique plus adapté aux réalités de leur politique de coopération régionale. Les articles 2 à 8 de ce texte apportent une réponse en la matière, en ouvrant vers une extension géographique la notion de coopération régionale. Chaque collectivité pourra désormais nouer des partenariats avec un nombre d’États élargi.
Ces restrictions constituaient des freins au développement d’une vision à long terme et, pour les exécutifs, à l’élaboration de projets à l’échelle du mandat.
Afin de débloquer ces verrous, les articles 9 à 13 de la proposition de loi offrent aux présidents des collectivités concernées la possibilité d’élaborer des programmes-cadres de coopération, afin de définir les objectifs qu’ils entendent poursuivre en la matière durant toute la durée de leur mandat.
Cette mesure, pour laquelle l’accord des autorités de la République devra être obtenu, a pour objet d’entretenir un dialogue continu et fructueux entre les autorités de l’État et les élus ultramarins sur la question de la coopération régionale.
Dans la mesure où des agents publics émanant de ces collectivités seront appelés à les représenter dans le cadre de leurs missions diplomatiques, les articles 13 à 15 prévoient le régime indemnitaire adéquat, ainsi que le remboursement des frais engagés dans l’exercice de leurs missions.
Enfin, l’article 16 permet à ces agents de bénéficier des privilèges et immunités du corps diplomatique d’État qui sont reconnus par la convention de Vienne. Lors de son examen en commission, ce dernier point a soulevé des interrogations d’ordre juridique et diplomatique, et je tiens à remercier Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, d’avoir bien voulu nous éclairer sur ces dispositions. Il nous a ainsi été précisé que l’ambassadeur restera bien la seule autorité compétente pour proposer à l’État accréditaire les agents aux fins d’obtention des privilèges et immunités.
La commission a donc approuvé les dispositions adoptées ajoutées lors de son examen par l’Assemblée nationale, puisque celles-ci ne remettent pas en cause les prérogatives d’un État unitaire comme le nôtre en matière diplomatique, mais ouvrent de belles perspectives pour les collectivités d’outre-mer, en élargissant leurs compétences.
Certes, certains articles de la proposition de loi auraient gagné en clarté, avec une meilleure rédaction. Cependant, amender ce texte et, par voie de conséquence, poursuivre la navette parlementaire à quelques mois de la fin de la législature n’a pas semblé judicieux à la commission des lois. Celle-ci estime qu’il est nécessaire – je dirais même opérationnel. D’ailleurs, madame la ministre, j’en profite pour déplorer que le Gouvernement ne l’ait pas inscrit plus tôt à l’ordre du jour de nos travaux dans les semaines qui lui sont réservées.
Il s’agit donc aujourd’hui pour les territoires d’outre-mer d’une avancée majeure et d’une marque de confiance renouvelée de la République envers ses collectivités. Et il s’agit aussi, bien sûr, d’une vision d’avenir pour les Ultramarins, qui pourront agir par eux-mêmes sur leur destin en contribuant à la nouvelle page de l’histoire que la France écrit sur les trois océans.
Applaudissements.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les « quatre vieilles colonies » que sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion doivent faire face à un double défi : s’insérer, d’une part, dans l’ensemble français et européen et, d’autre part, dans leur environnement régional.
Cette insertion, voulue tant par la France que par l’Europe et, bien sûr, par les outre-mer, n’est pas facile. En effet, leur statut – région monodépartementale ou collectivité unique – n’est pas celui de leurs voisins géographiques, qui sont tous des États.
Le premier écueil est de nature juridique. Le deuxième, de nature économique, est l’écart de développement. Et le troisième est historique.
À cause de leur statut de colonie, La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane échangeaient uniquement avec la France, puis avec l’Europe. Les économies ultramarines du XXIe siècle en portent encore les traces : la France est le premier fournisseur et le premier client des outre-mer. Ainsi, près des deux tiers du commerce de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane et plus de 50 % de celui de La Réunion et de Mayotte se font avec la France métropolitaine et l’Union européenne.
Pourtant, les pays proches de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, de La Réunion et de Mayotte sont des « pays émergents ». En 2015, selon des sources diplomatiques, le taux de croissance était de 6, 3 % au Mozambique, 7, 6 % en Inde, 6, 8 % en Chine, 1, 33 % au Brésil, 3, 3 % au Surinam, 1, 9 % à Antigua et 4 % à Cuba.
Un nouvel équilibre mondial est donc en train de se dessiner, les ex-« pays du tiers-monde » étant en passe d’être le moteur de l’économie mondiale. Sans compter que tous ces pays émergents n’ont pas fini leur transition démographique : leur population va encore augmenter dans les trente ans à venir, ce qui renforcera leur dynamisme.
La croissance de l’Afrique peut profiter à La Réunion et à Mayotte ; celle de l’Amérique du Sud à la Guyane, celle des pays de la Caraïbe à la Guadeloupe et à la Martinique – c’est cette vision que défendait le sénateur Paul Vergès.
Face à ce bouleversement mondial, devons-nous rester figés sur les schémas économiques et commerciaux issus de la colonie ? N’est-il pas temps, notamment pour les outre-mer, de passer de la politique de coopération régionale à la diplomatie économique territoriale ? D’enclencher des opérations offensives et non de se contenter d’actions défensives ? Je pense, notamment, aux questions sanitaires et, malheureusement, migratoires.
Pour nous, la réponse est oui, sans l’ombre d’une hésitation : il faut continuer ce qui a été lancé, en 2000, par la loi d’orientation pour l’outre-mer, la LOOM, qui a offert aux outre-mer les capacités juridiques d’être activement présentes dans leur bassin géographique et de figurer dans des regroupements déjà très actifs dans les trois océans. Si les structures existent, il n’en reste pas moins que la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion n’ont pas la capacité d’y être pleinement adhérentes.
Cette reconnaissance des outre-mer dans leur environnement passe, notamment, par la reconnaissance de ce qu’elles peuvent proposer. Et c’est l’objet du chapitre III de ce texte : donner la possibilité aux exécutifs d’outre-mer – région comme département, ou collectivité unique pour la Guyane et la Martinique – d’établir un programme-cadre d’actions extérieures, qui porte sur plusieurs thématiques. Ils auront ainsi la possibilité de négocier et de signer les accords de coopération dans ces domaines ; ceux-ci sont d’ailleurs mieux définis dans le chapitre Ier du texte.
Néanmoins, encore faut-il que ce qui a été acquis ne soit pas remis en question. Je pense notamment à La Réunion, où s’est tenu, en février dernier, le 31e conseil des ministres de la Commission de l’océan Indien, la COI, structure qui regroupe Madagascar, Maurice, les Seychelles et les Comores, ainsi que la France via La Réunion et Mayotte. En effet, pour la première fois depuis l’adhésion de la France-Réunion à la COI, les élus réunionnais ont été relégués au rôle d’observateurs, celui de chef de file étant occupé uniquement par le ministre Vallini. Pourtant, l’idée lancée par M. Fabius était, au contraire, celle d’une coopération et d’une diplomatie économique territoriale…
Cette reculade on ne peut plus regrettable aura eu pour conséquence de saper le travail mené par La Réunion pendant des années et de lui faire perdre un peu de crédibilité aux yeux de ses partenaires mauriciens, seychellois, malgaches et comoriens.
Toujours est-il que la présente proposition de loi comprend, outre la création de programmes d’actions extérieures, une autre avancée importante : un élargissement de la notion de zone de voisinage. Jusqu’ici, en effet, La Réunion et Mayotte pouvaient conclure des accords avec les pays de la COI, mais pas avec l’Afrique du Sud, le Mozambique, la Tanzanie, la Chine, l’Inde ou l’Australie, tous pays avec lesquels, pourtant, le potentiel d’échanges est considérable.
Madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi marque une avancée réelle pour les outre-mer. Elle élargit le champ des possibilités d’exporter : savoir, savoir-faire et connaissances, dans les domaines de la santé, de l’énergie et de la lutte contre les changements climatiques, entre autres.
Les outre-mer, en négociant directement avec les pays de leur environnement géographique, couperont le cordon économique avec la France hexagonale. Par exemple, en matière d’accords commerciaux, La Réunion pourra acheter des produits alimentaires provenant de son environnement, à moins de trois heures de vol, et non de Paris, à douze heures de vol, ce qui contribuera à faire baisser le coût de la vie tout en améliorant le bilan carbone.
Tout n’est pas pour autant résolu. Ainsi, les accords de partenariat économique, les APE, signés entre l’Europe et ses anciennes colonies ont été ratifiés sans qu’une étude d’impact sur les économies d’outre-mer ait été menée ni que les outre-mer aient été consultés. Quant à leur contenu, il reste, comme celui du TAFTA, soigneusement protégé.
Ces accords auront pourtant des conséquences catastrophiques sur les économies ultramarines. Aussi demandons-nous un moratoire ou la mise en place de clauses de sauvegarde automatiques avant leur application dans les outre-mer, comme nous demandons que les outre-mer soient partie intégrante de la délégation française chargée de les négocier.
Aujourd’hui, certains pays d’Afrique ne souhaitent pas ratifier les APE, s’interrogeant sur l’impact réel de ceux-ci sur leur économie. Ne serait-il pas temps de stopper cette machine infernale ?
Cette proposition de loi jette les bases d’un nouveau contrat économique entre la France et ses anciennes colonies, qui permettra à celles-ci de poursuivre leur démarche de décolonisation. Elle entrouvre une porte pour le développement économique des outre-mer dans leur environnement proche. C’est pourquoi nous la voterons !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – MM. Jean-Claude Requier et Jean-Marie Bockel applaudissent également.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’article 52 de la Constitution affirme clairement la responsabilité de l’État en matière d’engagements internationaux de la République, mais la situation géographique de nos collectivités d’outre-mer a rendu nécessaire une évolution du développement de la coopération régionale. En effet, depuis une vingtaine d’années, une véritable diplomatie territoriale de proximité tente de se développer, en dépit d’un cadre juridique encore trop incertain et restrictif.
Ce cadre, fixé par les lois de décentralisation de 1982 et 1992, mais principalement par la loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000, prévoit la possibilité pour les collectivités territoriales ultramarines d’être autorisées par l’État à négocier et à signer des conventions internationales à des fins de coopération régionale. Cette faculté n’a pas toujours été très utilisée, en raison de la complexité des procédures de décision, quelque volontariste que soit la politique menée par les collectivités concernées.
La présente proposition de loi a pour objet d’accroître la liberté d’action des collectivités ultramarines, bien trop souvent enfermées dans des carcans imposés par la métropole. Permettez-moi d’insister sur quelques-unes des raisons pour lesquelles son adoption est nécessaire.
Premièrement, les États de la Caraïbe veulent régulièrement négocier avec les décisionnaires locaux, mais ceux-ci n’en ont pas les moyens, bien que, dans tous les cas, ils connaissent parfaitement les sujets, l’environnement et les contraintes.
Deuxièmement, la France continue d’agir de manière unilatérale, et la concertation avec les élus locaux peut encore être singulièrement améliorée.
Troisièmement, les outre-mer, aujourd’hui encore, sont considérés comme la périphérie d’une France malheureusement trop à l’aise avec la centralité décisionnaire.
Quatrièmement, trop souvent encore, les outre-mer sont regardés comme une charge pour la France, un handicap, et non – ou peu souvent – comme une richesse.
Il me plaît souvent de rappeler que les outre-mer sont des vitrines avancées de la France et que, pour cette raison, il leur importe de devenir encore plus des acteurs de leur propre développement économique. Il nous faut sortir non seulement des stéréotypes que je viens de décrire, mais aussi de notre dépendance socio-économique vis-à-vis de la métropole, et même de l’Europe, en accédant à ce vaste marché supplémentaire de près de 300 millions de personnes que représente la Grande Caraïbe.
Le territoire insulaire de Saint-Martin, que j’ai l’honneur de représenter, rencontre des difficultés liées à sa binationalité et à la coexistence de deux statuts européens différents : celui de région ultrapériphérique et celui de pays et territoire d’outre-mer.
Nous arrivons pourtant à avancer avec les autorités néerlandaises, en matière, par exemple, de coopération policière, de politique de l’eau et d’assistance hospitalière, mais sans cadre formalisé, sauf pour la coopération policière. Il me semble que c’est ce vers quoi tendent les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution. La définition d’un cadre formalisé est donc nécessaire.
Au demeurant, j’aurais souhaité que les collectivités territoriales régies par l’article 74 de la Constitution soient elles aussi comprises dans le dispositif de la proposition de loi, afin que la coopération régionale puisse aller encore plus loin. Je suis toutefois conscient qu’une modification des dispositions organiques régissant ces territoires eût été nécessaire, et que tel n’est pas l’objet du présent texte.
Par ailleurs, nous nous félicitons de l’élargissement de la notion de voisinage : plus vastes, les espaces de coopération permettront des échanges avec des pays situés dans un périmètre plus lointain.
De même, il est indispensable que les régions et collectivités territoriales d’outre-mer soient en mesure d’assurer à leurs représentants un régime indemnitaire – rémunération, protection sociale et retraite –, ainsi que des facilités de résidence et de remboursements de frais, en lien avec leurs fonctions, selon les articles 13, 14 et 15 du présent texte.
Permettez-moi toutefois de formuler une interrogation quant à l’article 16 de la proposition de loi, qui prévoit pour les agents territoriaux nommés dans les ambassades de France la possibilité de bénéficier des privilèges et immunités du corps diplomatique de l’État qui sont reconnus par la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. J’ai bien entendu sur ce sujet la remarque de M. le rapporteur, éclairé par notre collègue Jean-Pierre Raffarin.
Malgré les quelques réserves que vous m’aurez autorisé à formuler, cette proposition de loi ouvre la voie à une réelle avancée pour la liberté d’action des collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution. Elle favorisera une meilleure intégration régionale et permettra une véritable diplomatie territoriale, sans altérer en rien le rayonnement international de la France, bien au contraire. Le groupe RDSE la votera donc avec conviction !
Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mmes Gélita Hoarau et Lana Tetuanui applaudissent également.
Mme Françoise Cartron remplace Mme Jacqueline Gourault au fauteuil de la présidence.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cette après-midi a pour objectif de favoriser l’émergence d’une coopération régionale moderne, efficace et pérenne, menée par nos collectivités ultramarines.
Trop souvent, nous nous plaignons dans cet hémicycle d’une vision trop centralisatrice et trop parisienne de nos politiques. Si la République est assurément une et indivisible, elle n’en est pas moins constituée de territoires dont chacun a ses richesses et ses spécificités.
S’agissant de l’outre-mer, ses richesses et ses spécificités sont nombreuses. Deux spécificités, en particulier, me viennent à cet instant à l’esprit : l’éloignement de ces territoires et leur étendue. De l’hémisphère sud à l’hémisphère nord, de l’Atlantique au Pacifique en passant par l’océan Indien, nos outre-mer sont éloignés de l’Hexagone et, nous le savons, se sentent souvent oubliés, alors même que certains disposent d’étendues maritimes ou terrestres particulièrement vastes.
Conscient de cette double spécificité, le Sénat, représentant tous les territoires de la République, a toujours veillé à prévoir pour les outre-mer des dispositions particulières. Nous sommes tous soucieux de ménager dans les lois les adaptations nécessaires. Toutefois, il existe des domaines où cette adaptation aux réalités locales reste perfectible, et notre action extérieure en fait partie.
De fait, il devenait urgent de dépoussiérer et de moderniser quelque peu notre vision d’une diplomatie dictée de Paris et éloignée des réalités régionales de nos territoires ultramarins. La présente proposition de loi nous offre l’occasion historique de reconnaître une spécificité ultramarine en matière de coopération.
L’objectif n’est pas de créer une diplomatie parallèle, comme certains ont pu le craindre ou le craignent encore ; ce serait, de toute manière, non conforme à nos institutions. Il s’agit de donner à nos collectivités d’outre-mer les moyens de s’inscrire naturellement dans leur environnement régional. Cette proposition de loi répond à un principe de réalité en faisant entrer nos outre-mer et notre diplomatie dans une modernité qui leur offrira une meilleure visibilité sur la scène internationale.
En élargissant la notion de voisinage et le périmètre dans lequel les collectivités territoriales ultramarines peuvent contracter avec des pays étrangers, la proposition de loi donne corps à une réalité que nul ne peut contester : la France ne se résume ni à sa seule métropole hexagonale ni à sa seule administration centrale parisienne. La France est riche de ses outre-mer, et ses pays frontaliers sont, tout autant que la Belgique, l’Italie, l’Allemagne et la Suisse, le Brésil et le Surinam, ou encore les Comores et Maurice. Son vaste espace maritime nécessite l’élaboration de coopérations régionales spécifiques. Les collectivités territoriales sont les mieux placées pour identifier et accompagner ces coopérations régionales.
Cette réforme permettra également à nos départements et régions d’outre-mer de renforcer leur intégration économique régionale, alors qu’ils ont souvent le privilège de se trouver dans des environnements géographiques émergents et très dynamiques. La nécessité pour ces territoires de commercer avec leurs voisins et de conclure des traités a été largement soulignée par les orateurs précédents. Les nouvelles possibilités qui leur sont offertes contribueront peut-être à les sortir d’économies encore trop figées, où les monopoles restent nombreux. De ce point de vue, les premiers articles de la proposition de loi ne sont que la reconnaissance et la traduction juridique d’une évidence et d’une réalité géographique incontestable.
Par ailleurs, la proposition de loi inscrit nos collectivités dans la modernité, en leur donnant les outils nécessaires pour mener une coopération régionale renforcée.
Plus précisément, elle permet aux collectivités ultramarines régies par l’article 73 de la Constitution de négocier plus facilement des accords avec un ou plusieurs États étrangers dans les domaines relevant de leurs compétences propres, en conformité avec un programme-cadre de coopération régionale adopté par leur assemblée. Ces outils juridiques, tout en étant conformes à notre Constitution – il n’y a aucune ambiguïté à cet égard – et soumis à une validation des autorités de la République, permettront aux territoires concernés d’être maîtres de leur destin régional et pleinement associés aux décisions prises dans leur aire géographique.
Enfin, la proposition de loi renforce la visibilité régionale de notre diplomatie. C’est, en somme, du gagnant-gagnant. En effet, le multilatéralisme auquel la France est particulièrement attachée passe également par des coopérations régionales renforcées. Pont entre l’Europe et les aires géographiques extraeuropéennes, nos collectivités ultramarines seront essentielles, à l’avenir, pour dynamiser et rénover notre action diplomatique, dans le respect de nos institutions républicaines.
En ce sens, la proposition de loi me paraît à la fois équilibrée et novatrice. Comme l’indique à juste titre notre collègue Mathieu Darnaud dans son rapport, ses dispositions « apportent la souplesse réclamée par les Ultramarins tout en l’inscrivant dans notre cadre constitutionnel selon lequel la diplomatie est un domaine régalien par excellence ».
En donnant une base légale à de futurs textes réglementaires qui valorisent les enjeux territoriaux de notre diplomatie, la proposition de loi contribue à moderniser notre action extérieure en évitant d’en faire un produit hors-sol, tout en favorisant des dynamiques concrètes sur le terrain, dans l’intérêt de nos concitoyens et de nos partenaires locaux. Certains territoires qui ont déjà la possibilité de conclure des accords en font d’ailleurs le meilleur usage.
Symbole du lien que nous devons tisser entre, d’une part, l’international et le national, et, d’autre part, le régional et le local, cette proposition de loi favorise l’émergence d’une diplomatie à la fois pragmatique et concrète, ambitieuse et moderne. Il s’agit d’une pierre essentielle sur la voie de cette diplomatie moderne dont la France a tant besoin et que j’appelle de mes vœux, comme nombre d’entre nous, sur toutes les travées.
Si certains de mes collègues de l’UDI-UC n’ont pas été convaincus par mes arguments…
Sourires.
M. Jean-Marie Bockel. … et s’abstiendront, comme ils sont en droit de le faire, tous les membres de notre groupe présents dans l’hémicycle, au premier rang desquels les deux sénateurs polynésiens, voteront la proposition de loi avec conviction et enthousiasme !
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Gélita Hoarau applaudit également.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous souscrivons tous à l’objectif du texte soumis à notre examen, ce qui n’est pas si fréquent. Il s’agit de reconnaître une activité diplomatique spécifique des collectivités territoriales ultramarines et de donner à celles-ci davantage d’outils pour la mettre en œuvre.
La situation géographique de ces territoires et leur histoire, à laquelle il a été fait référence, ont entraîné, d’une façon ou d’une autre, une proximité très forte entre eux et les États voisins, ce dont chacun se félicite. De fait, nos collectivités d’outre-mer ont souvent avec ces États une culture commune, mais aussi des défis proches à relever.
Donner à ces territoires une marge de manœuvre dans le développement de leurs relations culturelles, économiques et commerciales n’allait pourtant pas de soi ; il y a même fallu beaucoup de temps. C’est de longue date, en effet, que collectivités ultramarines demandent des compétences plus nombreuses pour conclure des accords et partenariats sans devoir attendre la validation du Quai d’Orsay.
Notre collègue Marie-Christine Blandin, ancienne présidente du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, se souvient encore très bien du déplacement qu’elle a effectué en Martinique en 1999 à la demande de Charles Josselin, alors ministre délégué chargé de la coopération dans le gouvernement Jospin. L’ambiance était tendue, sur fond de conflits sociaux liés à la crise de la pêche et au conflit dit « de la banane ». Selon notre collègue, cet épisode avait parfaitement démontré « l’absurdité » du cadre juridique de l’époque, qui ne permettait pas aux collectivités d’outre-mer d’avoir des relations commerciales directes avec leurs voisins immédiats.
S’ensuivirent des promesses du Premier ministre d’une plus grande autonomie, puis, en 2000, la loi d’orientation pour l’outre-mer, qui a marqué d’importantes avancées, déjà détaillées par les précédents orateurs. Mais Lionel Jospin lui-même, alors candidat à la présidentielle, fit le constat, lors d’une visite à La Réunion en 2002, qu’il fallait « aller beaucoup plus loin ».
Or nous voilà en 2016 ! C’est dire à quel point cette proposition de loi est attendue et mûrie. Selon nous, elle donnera aux collectivités une plus grande souplesse et des outils renforcés dans toutes leurs coopérations régionales ; elle garantira aussi une meilleure protection à leurs agents chargés de missions diplomatiques.
Les collectivités d’outre-mer sont, de fait, aux avant-postes de la diplomatie française, du fait de leur situation géographique. D’ailleurs, certains dirigeants de ces collectivités ont déjà rempli ce rôle. Je pense particulièrement à notre regretté collègue Paul Vergès, qui, comme président du conseil régional de La Réunion, s’était rendu dans différents pays africains voisins. C’est l’occasion pour moi de lui rendre hommage et de saluer Mme Gélita Hoarau, nouvelle sénatrice de La Réunion.
La diplomatie des territoires n’est plus un vague concept : elle est devenue une réalité sur la scène internationale, notamment dans les négociations sur le climat.
Cette reconnaissance du rôle des territoires, très forte dans l’accord de la COP 21, a été possible parce que ceux-ci ont fait la démonstration de véritables savoir-faire sur des actions concrètes, des bonnes pratiques et des connaissances fines des problématiques de la vie quotidienne des citoyens, donc d’une véritable légitimité. En matière d’action extérieure et de coopération décentralisée, les collectivités territoriales ont à jouer, et jouent d’ailleurs déjà, un rôle majeur. Souvenez-vous du rapport que notre collègue Michel Delebarre avait remis à Pascal Canfin, en 2013, sur le rôle des collectivités territoriales dans la préparation de la COP 21.
L’histoire et la situation géographique de nos collectivités d’outre-mer placent ces dernières dans d’excellentes conditions pour développer des coopérations régionales aux enjeux stratégiques, en particulier dans un domaine qui nous intéresse tout spécialement : la préservation des écosystèmes marins et terrestres, la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique et les conséquences de celui-ci.
La montée en puissance d’une vision régionale de ces sujets est bien illustrée par la conférence régionale de l’océan Indien organisée en avril dernier à La Réunion par l’ambassadeur délégué à la coopération régionale, avec les représentants de La Réunion, de Mayotte et des Terres australes et antarctiques françaises et des agents des ambassades françaises des pays d’Afrique de l’Est : elle a mis au menu de ses discussions les enjeux liés au climat et à l’environnement, sous l’angle, notamment, de la préservation des ressources naturelles et de l’adaptation aux effets du changement climatique.
Le projet « Géothermie Caraïbe » est un autre exemple intéressant : financé par le programme européen INTERREG et mené par la région Guadeloupe en partenariat, notamment, avec la région Martinique, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et l’Agence française de développement, il vise à développer la géothermie dans les Caraïbes, en premier lieu en Dominique.
On pourrait certainement multiplier les exemples innovants – je ne veux me fâcher avec personne… – qui montrent qu’il n’y a lieu que de se réjouir de voir les collectivités ultramarines enfin dotées de plus grandes libertés permettant une action concrète. C’est pourquoi l’ensemble du groupe écologiste – ce n’est pas si fréquent – votera la proposition de loi !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Gélita Hoarau et M. Claude Kern applaudissent également.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi une proposition de loi, adoptée en mars dernier par l’Assemblée nationale, qui nous importe particulièrement, à nous sénatrices et sénateurs, puisqu’elle touche aux collectivités territoriales.
Pendant un quart de siècle, le législateur a accompagné de façon empirique la volonté des élus locaux de valoriser leurs atouts à l’étranger et de construire des partenariats. Il s’agit à présent de surmonter les obstacles qui subsistent, tout en respectant le principe, posé par notre Constitution, selon lequel la conduite des relations internationales est un pouvoir régalien de l’État.
Si cette proposition de loi fixe, dans son article 1er, les cas dérogatoires à l’interdiction faite aux collectivités territoriales de conclure des conventions avec des États étrangers, son objet principal est de donner leur pleine efficacité aux facultés d’ores et déjà accordées aux départements, régions et collectivités d’outre-mer relevant de l’article 73 de la Constitution.
En effet, la loi leur permet déjà de représenter la France auprès d’organismes régionaux et parfois d’y adhérer en leur nom propre, mais aussi de participer à la négociation de traités internationaux et d’affecter des agents pour les représenter au sein des missions diplomatiques. La pratique a cependant montré que les procédures d’autorisation et de décision sont trop complexes, que la notion de voisinage est trop restreinte et que les agents territoriaux envoyés à l’étranger connaissent des difficultés matérielles nuisant à l’efficacité de leurs actions.
De là cette proposition de loi, qui ouvre la voie à une nouvelle étape. Les régions et départements d’outre-mer et les collectivités de Guyane et de Martinique agiront dans un cadre élargi aux continents voisins. Ils élaboreront des programmes-cadres de coopération régionale dans les domaines relevant de leurs compétences propres et négocieront et signeront plus facilement des accords. Par ailleurs, un statut donnera aux agents un minimum de sécurité.
Par leur ancrage géographique, les outre-mer ont constitué et demeurent l’avant-garde de la coopération extérieure des territoires. À des dizaines de milliers de kilomètres de l’Hexagone, ils partagent avec leurs voisins une part d’histoire, des cultures, des richesses et des fragilités communes.
Or leurs échanges avec eux restent faibles, en matière de santé, d’éducation et de culture comme de transport et de produits industriels et agricoles. De fait, les DOM ne représentent que 0, 5 % des exportations françaises ! Les pays voisins de la Guadeloupe lui achètent moins de 3 % de ses exportations et ne lui fournissent que 15 % de ses importations, le montant des transactions restant d’ailleurs très modeste.
Pourtant, nos collectivités ne sont-elles pas les mieux placées pour impulser dans leur environnement régional, très éloigné de l’Hexagone, des politiques adaptées à leurs réalités et aux aspirations des populations qui y vivent ?
Il faut organiser et réguler un codéveloppement mutuellement profitable. Les enjeux sont importants et les potentialités de croissance économique, réelles. Les défis sont cependant multiples et difficiles à relever, parce que, aujourd’hui, dans la Caraïbe comme dans l’océan Indien, les économies sont plus concurrentes que complémentaires.
Aussi l’action extérieure de nos collectivités ultramarines ne réussira-t-elle pleinement que si l’État, qui garde la maîtrise de la politique extérieure de la France, et l’Europe, dont des fonds ont vocation à soutenir nos économies ultramarines, mais dont les règlements sont parfois inadaptés, voire contraires à nos impératifs, agissent en synergie avec elles. La Réunion, Mayotte, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe sont aussi la France, sont aussi l’Europe ! Les décisions prises à Paris, Bruxelles ou Strasbourg doivent donc aussi tenir compte de leur situation et préserver leurs intérêts.
Cette proposition de loi est nécessaire et, comme nous sommes contraints par le calendrier législatif, la commission des lois l’a adoptée conforme. Nous pourrions faire de même en séance. À titre personnel, même si j’entends tout à fait le souhait commun de la majorité sénatoriale et de la majorité gouvernementale de procéder ainsi, par-delà les clivages traditionnels, afin que cette proposition de loi soit adoptée définitivement avant la fin de la session parlementaire, j’avoue regretter un peu que la qualité rédactionnelle ait à en pâtir.
Les deux amendements que j’ai déposés visaient à illustrer mon propos. Nous légiférons beaucoup, et les textes se bousculent. Élaborés quelquefois dans la précipitation, ils peuvent contenir des maladresses ou des incohérences susceptibles d’entraîner des difficultés. Pour ce qui est des dispositions dont nous débattons, il se dit d’ores et déjà que des rectifications pourront être opérées dans le cadre de l’examen du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
Toutefois, pour ne pas nous faire perdre du temps inutilement et nous permettre d’adopter un texte conforme à celui de l’Assemblée nationale, je retirerai les amendements déposés en mon nom. Unanime, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – MM. Guillaume Arnell et Jean-Marie Bockel applaudissent également.
M. Serge Larcher. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me félicite que nous examinions aujourd’hui la proposition de loi élaborée par mon collègue et ami Serge Letchimy, qui nous a fait l’honneur de se déplacer pour assister à notre débat !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Guillaume Arnell applaudit également.
Ce texte, qui est soutenu par le Gouvernement, est le fruit d’une expérience acquise localement. Il répond aux engagements pris par le Président de la République lors de son déplacement aux Antilles au mois de mai 2015. Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par nos collègues députés. J’ose espérer que la Haute Assemblée saura en faire de même, restant ainsi fidèle à l’intérêt qu’elle a toujours manifesté pour les outre-mer.
Le présent texte a pour objet d’entretenir et de servir le développement d’une politique d’insertion régionale plus ambitieuse, en mettant en avant les fers de lance de l’action locale, à savoir les collectivités ultramarines. Il constitue une avancée majeure pour les territoires d’outre-mer évidemment, mais également pour la France. En effet, s’appuyant sur des bases rigoureuses, il accroît les possibilités d’intervention des collectivités ultramarines dans le cadre de l’action diplomatique de notre pays.
En favorisant également le développement de la francophonie, cette proposition de loi répond à la fois à l’intérêt manifesté par les collectivités concernées et à un enjeu plus global pour la France. Les territoires ultramarins constituent un atout indéniable pour renforcer l’influence de la France dans des zones situées aux quatre coins du globe. Ils sont aux avant-postes et servent d’ambassadeurs de l’Europe sur tous les océans.
Si l’insertion des départements d'outre-mer au sein de leur environnement régional est une préoccupation relativement récente, elle est tout à fait essentielle pour des régions ultrapériphériques aussi éloignées de l’Hexagone.
La loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000 en a posé les fondements. La loi du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, quant à elle, accorde un rôle accru à ces collectivités. Depuis 2011, les régions et départements d’outre-mer peuvent adhérer en tant que membres associés à des organisations internationales à travers le CIOM, le Conseil interministériel de l'outre-mer.
Cette nouvelle liberté d’action, pourvoyeuse d’énergie créatrice, a immédiatement été mise à profit par les collectivités ultramarines dans leurs bassins régionaux. Actuellement, une soixantaine d’actions de coopération sont menées par les départements et régions d’outre-mer avec leurs pays voisins, dont trente-trois projets conduits par les collectivités de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane.
Aujourd’hui, l’insertion régionale est considérée comme l’une des clefs du développement des outre-mer. Le renforcement de la coopération régionale répond également aux intérêts communs des collectivités d’outre-mer et de leurs voisins. Il est de l’intérêt de toutes les parties, y compris de l’Union européenne, de favoriser une coopération étroite dans des secteurs aussi variés que les transports, la sécurité civile, l’environnement, l’énergie, les services à la personne, la culture, le sport, et bien d’autres encore.
La coopération régionale et transfrontalière est un axe fort du mouvement de décentralisation qu’a connu notre pays. Partout où elle s’est développée, elle a contribué à résoudre des problèmes communs recensés conjointement dans les régions voisines. Elle a également permis d’exploiter le potentiel inutilisé de certaines zones et d’améliorer le processus de coopération aux fins d’un développement harmonieux de l’ensemble de l’Union.
En vérité, il s’agit là d’un outil supplémentaire pour le développement économique, social et humain de nos bassins, qui permet de mettre en avant les points forts, si spécifiques, de nos régions. La coopération pourrait concourir efficacement à la diversification et l’internationalisation de nos économies, ce qui aurait un effet bénéfique sur la création d’emplois stables et à forte valeur ajoutée.
Malgré les efforts entrepris ces quinze dernières années, l’insertion des collectivités françaises d’outre-mer dans leur environnement régional restait trop limitée, notamment du fait de nombreux obstacles, que l’auteur de la proposition de loi a parfaitement identifiés, avant de formuler des propositions concrètes pour les lever. En réalité, il existe encore une série de freins d’ordre institutionnel, économique ou culturel à la coopération régionale. Ils tiennent à la diversité des pays concernés, bien sûr, à leurs différences de statut ou encore aux relations qu’ils ont nouées avec l’Union européenne.
Enfin, des éléments d’ordre juridique et matériel affectent toujours la crédibilité des collectivités d’outre-mer auprès de leurs partenaires régionaux, ce que Serge Letchimy a souligné à de nombreuses reprises.
La présente proposition de loi vise à apporter des réponses pratiques à chacune de ces difficultés.
En premier lieu, elle propose d’étendre la notion de voisinage, afin de permettre à chaque collectivité ultramarine de coopérer avec un bassin géographique élargi, ce en quoi elle répond aux préoccupations de notre collègue Georges Patient.
En second lieu, elle offre la possibilité à chaque collectivité d’outre-mer qui le souhaite d’établir un programme-cadre avec l’ensemble des pays du bassin géographique transfrontalier, afin de négocier et de signer des accords de coopération. Elle formalise ainsi la possibilité de s’inscrire dans un partenariat avec les institutions financières de proximité.
Enfin, elle reconnaît un véritable statut aux agents territoriaux des collectivités d’outre-mer affectés dans les missions diplomatiques de la France à l’étranger.
Grâce à la vision globale de ses auteurs, ce texte de loi entraînera, à n’en pas douter, un développement endogène des collectivités d’outre-mer. Plus largement, ces avancées en matière de coopération représentent une chance. Elles recèlent un gisement de compétitivité encore insuffisamment exploité. Elles forment des catalyseurs du développement et participent à la nécessaire union entre les peuples.
Mes chers collègues, nous sommes à la veille de Noël, …
Exclamations amusées.
Sourires.
En tout cas, pour les populations de la Caraïbe, ce texte est une bonne nouvelle. C'est la raison pour laquelle je le soutiens et vous invite à l’adopter conforme, dans l’espoir qu’il aboutisse au plus vite !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et de l’UDI-UC. – Mme Gélita Hoarau et M. Guillaume Arnell applaudissent également.
Sourires.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les territoires ultramarins disposent de compétences régionales plus ou moins étendues selon leur statut.
On considère que le cadre juridique et institutionnel actuel est légitime, parce qu’il représenterait un point d’équilibre entre la libre administration des collectivités ultramarines dans un État unitaire et les compétences en matière de souveraineté de l’État français.
Si, pour les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution et la Nouvelle-Calédonie, la situation paraît claire, elle méritait d’être clarifiée pour les collectivités relevant de l’article 73. C’est l’objet de la proposition de loi de Serge Letchimy.
Ce texte cherche en effet à matérialiser la représentation des collectivités d’outre-mer de l’article 73 de la Constitution au sein du réseau diplomatique français. Pour ce faire, il vise deux objectifs : tout d’abord, renforcer la capacité des collectivités à bénéficier d’outils renforcés et étendus en matière de coopération régionale ; ensuite, leur permettre de résoudre les difficultés qu’elles rencontrent dans leur politique d’intégration régionale en réalisant les adaptations nécessaires.
C’est ainsi que, grâce aux articles 1er, 2, 3, 5, 7 et 8 de la présente proposition de loi, la Guyane, mon département d’origine, pourra établir des relations conventionnelles avec un plus grand nombre d’États. Ces nouvelles dispositions devraient faciliter son adhésion à la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, lui permettant de coopérer avec l’ensemble des pays de l’Amérique du Sud, et pas seulement avec ses voisins immédiats, le Brésil et le Surinam. Le ministre des affaires étrangères a pris acte de la demande de la Guyane, laquelle a été transmise à l’ambassade de France au Chili.
Afin d’obtenir le texte le plus précis possible, j’avais déposé deux amendements qui tendent à remplacer les mots « au voisinage de la Guyane » par les mots « en Amérique du Sud ». La Guyane développe en effet des échanges avec l’ensemble du continent sud-américain. Ayant désormais obtenu les précisions et les assurances nécessaires, j’ai néanmoins décidé de retirer ces amendements.
Marques de satisfaction sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.
Je souhaite souligner un autre apport significatif de ce texte : grâce à l’article 6 bis, la Guyane pourra « adhérer, en qualité de membre ou de membre associé, à une banque régionale de développement […] dont la France [serait] membre régional, membre associé ou participante au capital. » Il s’agit d’une disposition fort opportune quand on sait que la Guyane a demandé le retour de la France au capital de la Banque caribéenne de développement, la BDC, principale institution de développement de la communauté des Caraïbes, la CARICOM.
Madame la ministre, vous avez annoncé ce retour de la France au capital de la BDC lors de votre point presse relatif au budget des outre-mer pour 2017. Une date a-t-elle été arrêtée pour la mise en œuvre de cet engagement du Président de la République ?
Les dispositions prévues aux articles 9, 10, 11 et 12 sont également très importantes et novatrices : elles autorisent les présidents d’exécutif régional ou départemental à élaborer un programme-cadre de coopération régionale, définissant ainsi la politique de coopération qu’ils entendent conduire au cours de leur mandat. Il s’agit d’avancées notables pour la crédibilité des représentants de ces collectivités dans leur dialogue avec leurs voisins. C’est un enjeu essentiel, car ces voisins ne les considèrent pas comme des interlocuteurs légitimes.
Lors de son propre point de presse il y a quelques instants, notre collègue député Serge Letchimy a utilisé pour les représentants de nos collectivités le terme fort approprié de « tèbè ».
Sourires.
Pour ceux qui ne comprennent pas notre belle langue créole, cela signifie « inutile, sans pouvoir » !
La proposition de loi de Serge Letchimy représente une étape importante dans cet indispensable processus de reconnaissance extérieure. Elle permet de passer « du cloisonnement colonial au codéveloppement régional » pour reprendre le titre évocateur du récent rapport de notre collègue député Jean-Jacques Vlody sur l’insertion des départements et régions d’outre-mer dans leur environnement géographique.
Il nous reste maintenant à utiliser au mieux les instruments qui sont mis en avant. La recherche d’une meilleure insertion dans son environnement régional est souvent considérée comme l’un des principaux leviers d’une croissance durable, d’une économie qui crée des emplois tout en restant compétitive. Cette insertion doit donc avoir des effets économiques et sociaux bénéfiques sur nos territoires.
Dans cette perspective, les spécificités et les atouts dont peuvent disposer les outre-mer face à leurs voisins doivent être développés et valorisés. Toutes ces initiatives devront être menées à chaque échelon, que celui-ci soit régional, national ou européen, tant pour l’élaboration des projets que pour leur mise en œuvre.
Vous comprendrez, mes chers collègues, que j’appelle au retrait des divers amendements déposés et à l’adoption conforme de ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Guillaume Arnell applaudit également.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Chapitre Ier
Dispositions relatives à l’action extérieure des collectivités territoriales
(Non modifié)
L’article L. 1115-5 du code général des collectivités territoriales est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« L’interdiction mentionnée au premier alinéa ne s’applique pas aux conventions conclues pour les besoins d’une coopération territoriale ou régionale et dont la signature a été préalablement autorisée par le représentant de l’État lorsqu’elles entrent dans l’un des cas suivants :
« 1° La convention met en œuvre un accord international antérieur approuvé par l’État ;
« 2° La convention a pour objet l’exécution d’un programme de coopération régionale établi sous l’égide d’une organisation internationale et approuvé par la France en sa qualité de membre ou de membre associé de ladite organisation ;
« 3° La convention met en place un groupement de coopération transfrontalière, régionale ou interterritoriale autre que ceux mentionnés au premier alinéa, quelle que soit sa dénomination. L’adhésion à ce groupement est soumise à l’autorisation préalable du représentant de l’État. »
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous m’excuserez de m’exprimer de façon générale sur l’article 1er, mais j’aimerais insister sur ce que ce texte représente pour la Nation, et plus particulièrement pour les outre-mer, à savoir une avancée considérable.
Moi qui ai été président de la Guyane pendant dix-huit ans, je puis témoigner du chemin chaotique qui a été parcouru, des embuscades et des obstacles que l’on a dressés devant nous pendant plusieurs décennies !
Nos territoires ont souvent souffert d’être considérés comme des acteurs de second plan, des cautions exotiques, dans le cadre de la construction des relations diplomatiques de la France avec leurs voisins directs.
Des formes de coopération ont bien fini par émerger. Cependant, des obstacles importants subsistent, en particulier pour les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution. C’est d’ailleurs le sens et la portée de la proposition de loi de mon ami et collègue Serge Letchimy.
Ce texte constitue une étape extrêmement importante. Il marque tout d’abord un changement de paradigme : la République comprend une réalité, selon laquelle l’émancipation et le développement des outre-mer passent nécessairement par une meilleure intégration régionale.
Il traduit ensuite une ambition : placer nos territoires sur le chemin de la coopération économique. Dans cette perspective, nous devons trouver des solutions pour libérer les échanges commerciaux, aujourd’hui totalement étouffés par les normes européennes, ce dont nombre de ceux qui étaient hier dans cet hémicycle peuvent témoigner. Je tiens d’ailleurs à saluer la proposition de résolution européenne déposée au nom de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, qui pointe avec bon sens l’inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux régions ultrapériphériques.
Enfin, ce texte porte un espoir : mobiliser la jeunesse et les énergies de nos territoires. Vous le savez, j’invite régulièrement mes collègues de l’Hexagone à venir en Guyane. À chaque visite, tout le monde atteste de l’énergie que l’on y trouve. En effet, tout au long des centaines de kilomètres de frontières que la Guyane partage avec le Brésil et le Surinam, les énergies sont déjà en action et les échanges sont permanents. Nous avons même un pont franco-brésilien, qui attend d’être inauguré depuis 2011…
Sourires.
Nous l’aurons tous compris, nous ne sommes pas là pour bavarder ou rêver de relations qui n’existent pas, mais bien pour traiter du réel et construire en toute confiance le cadre du développement des outre-mer dans leur environnement immédiat !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Serge Letchimy vise à conforter les départements et régions d’outre-mer, ainsi que les collectivités territoriales, dans leur mission de diplomatie économique territoriale. Depuis l’an 2000, ces territoires peuvent conclure des accords avec des États étrangers au nom de l’État français.
Ce texte est la traduction législative d’un engagement pris par le Président de la République lors de son déplacement aux Antilles en mai 2015. Le chef de l’État indiquait alors que « les collectivités locales françaises ont toute leur part dans une politique d’action internationale, qui peut avoir les mêmes principes que celle que l’État conduit, c’est-à-dire le respect de l’indépendance, la solidarité, la capacité de porter des projets de développement et le respect des peuples ».
Ce cadre juridique modernisé constitue une avancée fondamentale pour favoriser la négociation et la mise en place de projets de développement dans l’environnement régional des outre-mer. Ces projets créeront de réelles opportunités, qui permettront de répondre aux aspirations des jeunes et à leur volonté de s’engager pour des causes d’intérêt général notamment.
Les collectivités d’un même espace géographique échangent une part importante de leurs produits entre eux, au détriment des échanges commerciaux avec l’environnement régional, limités tant en parts de marché qu’en volumes de transaction. La Guadeloupe réalise 3, 3 % de ses importations avec son environnement régional. Les échanges de la Guadeloupe avec les quinze États caribéens, membres du CARIFORUM, s’élèvent à environ 109 millions d’euros.
Le savoir-faire, l’ingénierie et l’expertise représentent un véritable potentiel. Concernant les énergies renouvelables, la Guadeloupe a développé de nombreuses initiatives. Le projet « Marie-Galante, l’île du tourisme durable » s’inscrit dans une stratégie globale de développement du territoire pour laquelle de nombreux objectifs ont été identifiés, parmi lesquels, entre autres, faire de Marie-Galante une île à énergie positive, tournée vers son environnement maritime, avec un tourisme agricole durable.
Concernant la géothermie, des projets ont été mis en œuvre, afin de développer la capacité de production et d’exploiter les potentiels des sites de la Dominique et de Montserrat. Il s’agira d’une belle illustration de la coopération régionale, avec l’exportation du savoir-faire de nos territoires.
Vous l’avez compris, je voterai en faveur de cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Guillaume Arnell applaudit également.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je dirai d’emblée que ce texte relatif à la coopération régionale des outre-mer a fait l’objet d’un consensus de la part de l’ensemble des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, ce qui est un événement en soi assez rare pour être souligné.
Cette unanimité montre, outre la nécessité de légiférer sur ce thème, la pertinence et la qualité du travail effectué par mon collègue député Serge Letchimy, à l’origine du texte. Je ne doute pas, mes chers collègues, quelle que soit votre tendance politique, que vous soyez ultramarins ou non, que vous irez tous dans la même direction, celle de l’intérêt du pays, en adoptant ce projet qui accroît les possibilités de coopération des collectivités d’outre-mer.
La proposition de loi, même si elle ne comporte que dix-sept articles, est d’une importance cruciale : elle autorisera lesdites collectivités à mettre en œuvre des programmes-cadres avec les États environnants, et ce dans la limite des prérogatives de l’État français et dans le respect de la Constitution. Il s’agit de créer des dynamiques de coopération dans des domaines hétéroclites, mais ciblés par les collectivités, parfaitement à l’aise dans leur environnement régional et au fait des besoins qui se sont fait sentir au fil du temps.
Cela contribuera et enrichira aussi bien notre culture, avec les échanges d’étudiants par exemple, que nos activités économiques, notamment agricoles, tout en nous permettant d’exporter, si je puis dire, nos expertises et compétences made in France, bonifiées par les expérimentations menées dans un environnement tropical.
Cela augmentera aussi – j’en suis certain – la capacité des collectivités d’élaborer des instruments et de prendre des mesures d’entraide régionale en cas d’urgence, comme je l’ai souligné ici même très récemment lors des questions d’actualité au Gouvernement, madame la ministre, lorsque j’ai évoqué la situation d’Haïti.
La coopération en France résulte de l’investissement de plus de 5 000 collectivités territoriales ou groupements, pour un montant avoisinant les 30 millions d’euros ! On voit aisément, toutes proportions gardées, l’apport bénéfique de ce texte sur les économies ultramarines, que ce soit en termes de finances, d’emploi ou de consommation.
En bref, mes chers collègues, cette proposition de loi est un formidable outil, qui fera entrer nos outre-mer dans une dimension nouvelle pour le plus grand bénéfice de notre pays ! C’est par ailleurs avec plaisir, madame la ministre, que je vous ai entendu évoquer à l’Assemblée nationale les futures dispositions qui seront prises pour la mise en œuvre de mesures équivalentes à destination des collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution.
Pour finir, je tiens à souligner le fait qu’il n’y a pas une seule réalité transposée dans toutes les collectivités ultramarines, mais une diversité de réalités propres à chacun de ces territoires. Il va donc de soi que je voterai ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – MM. Guillaume Arnell et Jean-Marie Bockel applaudissent également.
L'article 1 er est adopté.
Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des présents.
Chapitre II
Dispositions portant extension du champ géographique de la coopération régionale outre-mer
(Non modifié)
L’article L. 3441-2 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« Art. L. 3441 -2. – Le conseil départemental de chaque département d’outre-mer peut adresser au Gouvernement des propositions en vue de la conclusion d’engagements internationaux concernant la coopération régionale entre la République française et, selon son environnement géographique, les États ou territoires de la Caraïbe, les États ou territoires du continent américain voisins de la Caraïbe, les États ou territoires de l’océan Indien ou les États ou territoires des continents voisins de l’océan Indien ou en vue de la conclusion d’accords avec des organismes régionaux des aires correspondantes, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions des Nations Unies. »
L'amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Desplan, Cornano, Karam, Patient et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
voisins de la Caraïbe,
insérer les mots :
les États voisins de la Guyane,
La parole est à M. Félix Desplan.
L'article 2 est adopté.
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article L. 3441-3 du même code, les mots : « dans la zone » sont remplacés par les mots : « sur le continent américain voisin de la Caraïbe, dans la zone de l’océan Indien ou sur les continents voisins ».
L’espace caribéen constitue la zone potentielle de coopération de la Guadeloupe, de la Martinique, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Cet espace est formé de trente-huit pays et territoires représentant plus de 5, 2 millions de kilomètres carrés, soit dix fois la superficie de la France métropolitaine, pour une population s’élevant à près de 250 millions d’habitants.
Il est actuellement difficile pour chaque territoire ultramarin de définir la région optimale au sein de laquelle il devrait déployer sa stratégie de coopération régionale, limité qu’il est par des restrictions qui ne sont pas forcément toujours comprises. J’en veux pour preuve la Martinique, dont je suis l’un des représentants, qui ne peut pas coopérer avec le Brésil malgré sa proximité géographique. Ce dernier constitue tout de même un marché de près 200 millions d’habitants, avec une grande variété et une abondance de matières premières !
C’est là tout l’intérêt de ce texte : son objectif, je le rappelle, est de parvenir à créer les conditions institutionnelles et culturelles favorables à l’ouverture des économies ultramarines au sein de leur zone géographique.
Ce point est important, puisque, grâce à ce texte et à l’insertion des articles 2 à 4, le champ géographique de la coopération régionale outre-mer sera étendu au continent américain pour les collectivités territoriales de la zone de la Caraïbe, c’est-à-dire la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique, et aux territoires ou États du continent africain, comme l’Afrique du Sud ou le Mozambique, mais aussi aux autres continents voisins de l’océan Indien, comme les territoires asiatiques – je pense à l’Inde ou la Chine – ou océaniens pour La Réunion et Mayotte.
Néanmoins, si le développement de la coopération régionale est un objectif majeur pour les élus et les acteurs économiques et sociaux des outre-mer, l’accroissement des échanges commerciaux et culturels est rendu très difficile en raison de la différence de statut des intervenants et notamment de l’obligation qui leur est faite d’obtenir des visas. En effet, madame la ministre, cette problématique ambiante – je pense parler au nom de tous mes collègues ultramarins – est fort pénalisante pour nos territoires.
Pourtant, les arrêtés de juillet 2011 relatifs à l’assouplissement des visas et documents exigés pour l’entrée des étrangers sur le territoire des collectivités françaises d’outre-mer ont permis de prendre près de 200 mesures de simplification, ce qui a contribué à faire du Pacifique, à deux exceptions près, une zone libre de visas de court séjour pour se rendre en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna ou en Polynésie française.
Cette mesure a fait ses preuves lors des jeux du Pacifique à Nouméa en 2011, par exemple. Des initiatives ont également été lancées pour encourager le tourisme, telles que la délivrance de visas à l’arrivée à La Réunion, dans le cadre du projet des « îles Vanille ».
Je milite avec force pour un assouplissement de la politique en matière de visas. Il faut favoriser l’entrée des étrangers dans les territoires ultramarins, afin d’accroître les échanges économiques, touristiques et les échanges liés à la formation, tout cela en adéquation avec l’esprit de cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.
L'article 2 bis est adopté.
(Non modifié)
L’article L. 4433-4-1 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 4433 -4 -1. – Les conseils régionaux de Guadeloupe et de La Réunion peuvent adresser au Gouvernement des propositions en vue de la conclusion d’engagements internationaux concernant la coopération régionale entre la République française et, selon les cas, les États ou territoires de la Caraïbe, les États ou territoires du continent américain voisins de la Caraïbe, les États ou territoires de l’océan Indien ou les États ou territoires des continents voisins de l’océan Indien ou en vue de la conclusion d’accords avec des organismes régionaux des aires correspondantes, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions des Nations Unies. »
L'amendement n° 6 rectifié bis, présenté par MM. Desplan, Cornano, Karam, Patient et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
les cas
par les mots :
leur environnement géographique
La parole est à M. Félix Desplan.
L'article 3 est adopté.
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article L. 4433-4-2 du même code, les mots : « le cas, dans la Caraïbe ou dans la zone » sont remplacés par les mots : « l’environnement géographique de chaque région, dans la Caraïbe ou dans la zone de l’océan Indien ou sur les continents voisins » et le mot : « spécialisées » est supprimé. –
Adopté.
(Non modifié)
Après l’article L. 4433-4-3 du même code, il est inséré un article L. 4433-4-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4433 -4 -3 -1. – Les régions de Guadeloupe, de Mayotte ou de La Réunion peuvent adhérer, en qualité de membre ou de membre associé, à une banque régionale de développement ou à une institution de financement dont la France est membre régional, membre associé ou participante au capital. Sur proposition de son président, le conseil régional peut demander aux autorités de la République d’autoriser son président à négocier et à signer tout instrument tendant à cette adhésion et à la participation au capital de cette banque ou institution de financement, dans les conditions prévues à l’article L. 4433-4-3. »
L'amendement n° 7, présenté par M. Soilihi, n’est pas soutenu.
Je mets aux voix l'article 4 bis.
L'article 4 bis est adopté.
(Non modifié)
L’article L. 7153-2 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 7153 -2. – L’assemblée de Guyane peut adresser au Gouvernement des propositions en vue de la conclusion d’engagements internationaux concernant la coopération régionale entre la République française et les États ou territoires situés au voisinage de la Guyane, les États ou territoires de la Caraïbe ou les États ou territoires du continent américain situés au voisinage de la Caraïbe ou en vue de la conclusion d’accords avec des organismes régionaux, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions des Nations Unies. »
L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Patient, Mohamed Soilihi, Karam, Desplan et Cornano, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
peut adresser
par le mot :
adresse
La parole est à M. Georges Patient.
L'amendement n° 1 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Patient, Mohamed Soilihi, Karam, Desplan et Cornano, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
au voisinage de la Guyane
par les mots :
en Amérique du Sud
La parole est à M. Georges Patient.
L'article 5 est adopté.
(Non modifié)
Le premier alinéa de l’article L. 7153-3 du même code est ainsi rédigé :
« Dans les domaines de compétence de l’État, les autorités de la République peuvent délivrer pouvoir au président de l’assemblée de Guyane pour négocier et signer des accords avec un ou plusieurs États ou territoires voisins de la Guyane, avec un ou plusieurs États ou territoires de la Caraïbe ou situés sur le continent américain au voisinage de la Caraïbe ou avec des organismes régionaux, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions des Nations Unies. »
L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Patient, Mohamed Soilihi, Karam, Desplan et Cornano, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
voisins de la Guyane
par les mots :
situés en Amérique du Sud
La parole est à M. Georges Patient.
L'article 6 est adopté.
(Non modifié)
Après l’article L. 7153-3 du même code, il est inséré un article L. 7153-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 7153 -3 -1. – La collectivité territoriale de Guyane peut adhérer, en qualité de membre ou de membre associé, à une banque régionale de développement ou à une institution de financement dont la France est membre régional, membre associé ou participante au capital. Sur proposition du président de l’assemblée de Guyane, la collectivité territoriale de Guyane peut demander aux autorités de la République d’autoriser son président à négocier et à signer tout instrument tendant à cette adhésion et à la participation au capital de cette banque ou institution de financement, dans les conditions prévues à l’article L. 7153-3. » –
Adopté.
(Non modifié)
L’article L. 7253-2 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 7253 -2. – L’assemblée de Martinique peut adresser au Gouvernement des propositions en vue de la conclusion d’engagements internationaux concernant la coopération régionale entre la République française et les États ou territoires de la Caraïbe, les États ou territoires du continent américain situés au voisinage de la Caraïbe et de la Guyane ou en vue de la conclusion d’accords avec des organismes régionaux, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions des Nations Unies. » –
Adopté.
(Non modifié)
Le premier alinéa de l’article L. 7253-3 du même code est ainsi rédigé :
« Dans les domaines de compétence de l’État, les autorités de la République peuvent délivrer pouvoir au président du conseil exécutif pour négocier et signer des accords avec un ou plusieurs États ou territoires de la Caraïbe ou situés au voisinage de la Caraïbe, sur le continent américain au voisinage de la Caraïbe ou de la Guyane ou avec des organismes régionaux, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions des Nations Unies. » –
Adopté.
(Non modifié)
Après l’article L. 7253-3 du même code, il est inséré un article L. 7253-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 7253 -3 -1. – La collectivité territoriale de Martinique peut adhérer, en qualité de membre ou de membre associé, à une banque régionale de développement ou à une institution de financement dont la France est membre régional, membre associé ou participante au capital. Sur proposition du président du conseil exécutif de Martinique, la collectivité territoriale de Martinique peut demander aux autorités de la République d’autoriser le président du conseil exécutif à négocier et à signer tout instrument tendant à cette adhésion et à la participation au capital de cette banque ou institution de financement, dans les conditions prévues à l’article L. 7253-3. » –
Adopté.
Chapitre III
Dispositions relatives aux règles applicables à l’autorisation de négocier des accords dans les domaines de compétence propre des collectivités territoriales d’outre-mer
(Non modifié)
Après l’article L. 3441-4 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 3441-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3441 -4 -1. – Dans les domaines de compétence du département d’outre-mer, le président du conseil départemental peut, pour la durée de l’exercice de ses fonctions, élaborer un programme-cadre de coopération régionale précisant la nature, l’objet et la portée des engagements internationaux qu’il se propose de négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République, avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux mentionnés à l’article L. 3441-2.
« Le président du conseil départemental soumet ce programme-cadre à la délibération du conseil départemental, qui peut alors demander, dans la même délibération, aux autorités de la République d’autoriser son président à négocier les accords prévus dans ce programme-cadre.
« Lorsque cette autorisation est expressément accordée, le président du conseil départemental peut engager les négociations prévues dans le programme-cadre. Il en informe les autorités de la République qui, à leur demande, sont représentées à la négociation.
« Le président du conseil départemental soumet toute modification de son programme-cadre à la délibération du conseil départemental. Ces modifications sont approuvées par les autorités de la République, dans les mêmes conditions que la procédure initiale.
« À l’issue de la négociation, le projet d’accord est soumis à la délibération du conseil départemental pour acceptation. Les autorités de la République peuvent ensuite donner, sous réserve du respect des engagements internationaux de celle-ci, pouvoir au président du conseil départemental aux fins de signature de l’accord. » –
Adopté.
(Non modifié)
À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 3441-5 du même code, la référence : « de l’article L. 3441-3 » est remplacée par les références : « des articles L. 3441-3 et L. 3441-4-1 ». –
Adopté.
(Non modifié)
Après l’article L. 4433-4-3 du même code, il est inséré un article L. 4433-4-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4433 -4 -3 -1. – Dans les domaines de compétence des régions d’outre-mer, le président du conseil régional peut, pour la durée de l’exercice de ses fonctions, élaborer un programme-cadre de coopération régionale précisant la nature, l’objet et la portée des engagements internationaux qu’il se propose de négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République, avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux mentionnés à l’article L. 4433-4-1.
« Le président du conseil régional soumet ce programme-cadre à la délibération du conseil régional, qui peut alors demander, dans la même délibération, aux autorités de la République d’autoriser son président à négocier les accords prévus dans ce programme-cadre.
« Lorsque cette autorisation est expressément accordée, le président du conseil régional peut engager les négociations prévues dans le programme-cadre. Il en informe les autorités de la République qui, à leur demande, sont représentées à la négociation.
« Le président du conseil régional soumet toute modification de son programme-cadre à la délibération du conseil régional. Ces modifications sont approuvées par les autorités de la République, dans les mêmes conditions que la procédure initiale.
« À l’issue de la négociation, le projet d’accord est soumis à la délibération du conseil régional pour acceptation. Les autorités de la République peuvent ensuite donner, sous réserve du respect des engagements internationaux de celle-ci, pouvoir au président du conseil régional aux fins de signature de l’accord. » –
Adopté.
(Non modifié)
À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 4433-4-4 du même code, la référence : « de l’article L. 4433-4-2 » est remplacée par les références : « des articles L. 4433-4-2 et L. 4433-4-3-1 ». –
Adopté.
(Non modifié)
Après l’article L. 7153-4 du même code, il est inséré un article L. 7153-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 7153 -4 -1. – Dans les domaines de compétence de la collectivité territoriale de Guyane, le président de l’assemblée de Guyane peut, pour la durée de l’exercice de ses fonctions, élaborer un programme-cadre de coopération régionale précisant la nature, l’objet et la portée des engagements internationaux qu’il se propose de négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République, avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux mentionnés à l’article L. 7153-3.
« Le président de l’assemblée de Guyane soumet ce programme-cadre à la délibération de l’assemblée de Guyane, qui peut alors demander, dans la même délibération, aux autorités de la République d’autoriser son président à négocier les accords prévus dans ce programme-cadre.
« Lorsque cette autorisation est expressément accordée, le président de l’assemblée de Guyane peut engager les négociations prévues dans le programme-cadre. Il en informe les autorités de la République qui, à leur demande, sont représentées à la négociation.
« Le président de l’assemblée de Guyane soumet toute modification de son programme-cadre à la délibération de l’assemblée de Guyane. Ces modifications sont approuvées par les autorités de la République, dans les mêmes conditions que la procédure initiale.
« À l’issue de la négociation, le projet d’accord est soumis à la délibération de l’assemblée de Guyane pour acceptation. Les autorités de la République peuvent ensuite donner, sous réserve du respect des engagements internationaux de celle-ci, pouvoir au président de l’assemblée de Guyane aux fins de signature de l’accord. » –
Adopté.
(Non modifié)
À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 7153-5 du même code, la référence : « de l’article L. 7153-3 » est remplacée par les références : « des articles L. 7153-3 et L. 7153-4-1 ». –
Adopté.
(Non modifié)
Après l’article L. 7253-4 du même code, il est inséré un article L. 7253-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 7253 -4 -1. – Dans les domaines de compétence de la collectivité territoriale de Martinique, le président du conseil exécutif de Martinique peut, pour la durée de l’exercice de ses fonctions, élaborer un programme-cadre de coopération régionale précisant la nature, l’objet et la portée des engagements internationaux qu’il se propose de négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République, avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux mentionnés à l’article L. 7253-3.
« Le président du conseil exécutif de Martinique soumet ce programme-cadre à la délibération de l’assemblée de Martinique, qui peut alors demander, dans la même délibération, aux autorités de la République d’autoriser le président du conseil exécutif à négocier les accords prévus dans ce programme-cadre.
« Lorsque cette autorisation est expressément accordée, le président du conseil exécutif de Martinique peut engager les négociations prévues dans le programme-cadre. Il en informe les autorités de la République qui, à leur demande, sont représentées à la négociation.
« Le président du conseil exécutif de Martinique soumet toute modification de son programme-cadre à la délibération de l’assemblée de Martinique. Ces modifications sont approuvées par les autorités de la République, dans les mêmes conditions que la procédure initiale.
« À l’issue de la négociation, le projet d’accord est soumis à la délibération du conseil exécutif de Martinique pour acceptation. Les autorités de la République peuvent ensuite donner, sous réserve du respect des engagements internationaux de celle-ci, pouvoir au président du conseil exécutif de Martinique aux fins de signature de l’accord. » –
Adopté.
(Non modifié)
À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 7253-5 du même code, la référence : « de l’article L. 7253-3 » est remplacée par les références : « des articles L. 7253-3 et L. 7253-4-1 ». –
Adopté.
(Non modifié)
La Polynésie française peut participer à la société publique créée en application de l’article L. 1611-3-2 du code général des collectivités territoriales, revêtant la forme de société anonyme régie par le livre II du code de commerce et dont l’objet est de contribuer, par l’intermédiaire d’une filiale, au financement des collectivités territoriales qui en sont membres. –
Adopté.
Chapitre IV
Dispositions relatives au cadre de l’action extérieure des collectivités territoriales
(Non modifié)
L’article L. 4433-4-5-1 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ces régions offrent aux agents publics mentionnés au premier alinéa un régime indemnitaire, des facilités de résidence et des remboursements de frais qui tiennent compte des conditions d’exercice de leurs fonctions. Les conditions d’application du présent alinéa sont précisées par décret en Conseil d’État. » –
Adopté.
(Non modifié)
Après l’article L. 4433-4-5-2 du même code, il est inséré un article L. 4433-4-5-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 4433 -4 -5 -3. – Le Département de Mayotte peut, dans les conditions déterminées par une convention avec l’État, désigner des agents publics chargés de le représenter au sein des missions diplomatiques de la France.
« Il offre aux agents publics mentionnés au premier alinéa un régime indemnitaire, des facilités de résidence et des remboursements de frais qui tiennent compte des conditions d’exercice de leurs fonctions. Les conditions d’application du présent alinéa sont précisées par décret en Conseil d’État.
« Il peut instituer une représentation, à caractère non diplomatique, auprès des institutions de l’Union européenne. Il en informe le Gouvernement. »
Le présent texte représente une avancée majeure pour l’insertion des outre-mer dans leur environnement régional. Nos territoires permettent à la France d’être présente et de rayonner sur tous les océans.
Il convient de le rappeler, l’océan Indien compte deux milliards d’habitants et il est pourvu d’importantes ressources naturelles et halieutiques. La France y est représentée au travers de trois collectivités : Mayotte, La Réunion et les Terres australes et antarctiques françaises. Si ces dernières ne comptent aucun habitant permanent, elles participent néanmoins à la coopération régionale, notamment en matière de recherche et d’observation des conditions atmosphériques.
Il est à noter que la coopération régionale dans cette zone se caractérise par sa grande complexité, eu égard au nombre élevé et à la diversité des organisations qui interviennent, ainsi qu’à l’insécurité juridique que provoque la revendication de souveraineté de certains pays sur d’autres et l’immigration clandestine qui résulte notamment de cette situation.
Il est, à ce titre, fort regrettable que la Commission de l’océan Indien, organisation intergouvernementale de coopération créée en 1982, réunissant Madagascar, l’île Maurice, les Seychelles, les Comores et La Réunion, ne compte pas Mayotte parmi ses membres. Je demande à ce que les instances françaises continuent à œuvrer pour que les Mahorais ne soient plus victimes de jeux diplomatiques.
L’Assemblée nationale a enrichi ce texte d’un article 13 bis visant à conférer au département de Mayotte les mêmes pouvoirs que ceux qui sont reconnus aux régions et collectivités uniques d’outre-mer en matière de représentation, en lui permettant, dans les conditions déterminées par une convention avec l’État, de désigner des agents publics chargés de le représenter au sein des missions diplomatiques de la France.
Mayotte pourra également instituer une représentation, à caractère non diplomatique, auprès des institutions européennes. Dans ce cas-là, à l’instar de ce qui est prévu par les articles 13 à 15 de la présente proposition de loi, le département de Mayotte devra offrir à ces agents publics un régime indemnitaire, des facilités de résidence et des remboursements de frais qui tiennent compte des conditions d’exercice de leurs fonctions, dans des conditions qui seront précisées par décret en Conseil d’État.
Je ne puis que souscrire à cette avancée, même si j’attire l’attention du Gouvernement sur le coût qu’induira la mise en place d’un tel statut pour le département, lequel connaît déjà de grandes difficultés.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
L'article 13 bis est adopté.
(Non modifié)
L’article L. 7153-10 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La collectivité territoriale offre aux agents publics mentionnés au premier alinéa un régime indemnitaire, des facilités de résidence et des remboursements de frais qui tiennent compte des conditions d’exercice de leurs fonctions. Les conditions d’application du présent alinéa sont précisées par décret en Conseil d’État. » –
Adopté.
(Non modifié)
L’article L. 7253-10 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La collectivité territoriale offre aux agents publics mentionnés au premier alinéa un régime indemnitaire, des facilités de résidence et des remboursements de frais qui tiennent compte des conditions d’exercice de leurs fonctions. Les conditions d’application du présent alinéa sont précisées par décret en Conseil d’État. » –
Adopté.
(Non modifié)
Les agents mentionnés aux articles L. 4433-4-5-1, L. 4433-4-5-3, L. 7153-10 et L. 7253-10 du code général des collectivités territoriales, chargés de représenter leur collectivité au sein des missions diplomatiques de la France, peuvent être présentés aux autorités de l’État accréditaire aux fins d’obtention des privilèges et immunités reconnus par la convention de Vienne sur les relations diplomatiques en date du 18 avril 1961. –
Adopté.
(Suppression maintenue)
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Michel Magras, pour explication de vote.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me réjouis de l’initiative qu’a prise notre collègue député Serge Letchimy en déposant cette proposition de loi.
Il me paraît en effet difficile d’imaginer une parfaite intégration des territoires ultramarins dans leur environnement régional si ceux-ci ne sont pas officiellement autorisés à discuter et à signer des accords, et ce dans de nombreux domaines. Outre ceux qui ont été cités, j’en ajouterai deux : le numérique et la sécurité au sens large, car la Caraïbe est située dans une zone soumise à des aléas climatiques.
Issu moi-même d’une collectivité favorisée à cet égard, je signale que ces engagements et ces accords sont signés dans le parfait respect des engagements internationaux de la France. Il n’est pas question pour nous d’agir de manière indépendante et en contradiction avec l’action de l’État français.
Toutefois, pour le fervent défenseur de la différenciation territoriale, du droit à l’expérimentation et de l’habilitation à fixer nos propres règles, celles qui sont les mieux adaptées aux territoires ultramarins, que je suis, vous comprendrez, mes chers collègues, que cette initiative ne peut, à mes yeux, que grandir le rayonnement de la France dans le monde.
Pour toutes ces raisons, à titre personnel et au nom du groupe auquel j’appartiens, je soutiens sans réserve cette proposition de loi.
Applaudissements.
Mes chers collègues, je tiens juste à attirer votre attention sur le fait que le présent texte intéresse un territoire qui a signé des accords-cadres avec l’État et les pays avoisinants.
La Guadeloupe se trouve aujourd’hui dans une situation de monstruosité politique, avec deux collectivités sur un même territoire. L’intervention que j’ai faite et l’amendement que j’avais déposé en vue de la fusion des deux collectivités peuvent sembler incompréhensibles, mais il faut savoir, comme Serge Letchimy, que si nous n’avons pas maintenu nos propositions initiales, c’est pour que le texte soit adopté.
Au demeurant, si un accord est signé par le conseil départemental et la région, mais que les deux collectivités ne trouvent pas de terrain d’entente, nos voisins auront quelques difficultés à comprendre notre politique. Cela méritait d’être souligné.
Je lance aujourd’hui un appel en direction de Mme la ministre, afin que, dans sa communication envers les collectivités, elle fasse mention d’un texte en vigueur selon lequel les deux collectivités peuvent se réunir en Congrès pour signer cet accord-cadre avec l’État, afin qu’il y ait une seule voix guadeloupéenne. C’est politiquement très fort.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et de l'UDI-UC.
Dans une autre vie, j’ai été enseignant et chef d’établissement. J’ai donc pratiqué très tôt les échanges avec les îles autour de la Guadeloupe. Or si nous pouvions, nous, envoyer nos élèves dans les îles, en retour, compte tenu de leur faible niveau de vie, ceux-ci ne pouvaient pas venir chez nous.
Toutefois, le vrai problème n’est pas là. Il faudrait que l’on pense à donner la possibilité, aux écoliers et aux collégiens de ces collectivités, de choisir une deuxième langue étrangère, indépendamment des propositions que pourrait formuler le ministère de l’éducation nationale, afin de faciliter notre relation avec ces pays avoisinants. S’agissant de la Guadeloupe, nos voisins immédiats parlent l’anglais. Mais, puisque ce texte ouvre notre horizon en matière d’échange et de coopération, l’espagnol serait bienvenu aussi.
Madame la ministre, vous aurez à transmettre cette proposition à Mme la ministre de l’éducation nationale.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux à mon tour saluer cette proposition de loi et me réjouir du débat qu’elle a suscité.
Le présent texte est pour nous important. Même s’il n’est pas encore au niveau de ce qui reste à accomplir dans nos territoires lointains, il représente une grande avancée pour nous, afin de nous donner les outils nécessaires à notre développement et à la coopération.
C’est pourquoi tous les sénateurs de l’UDI-UC présents ce soir voteront ce texte.
Vifs applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional.
La proposition de loi est adoptée définitivement.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je constate que le texte a été adopté à l’unanimité des présents.
Applaudissements.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord saluer M. le rapporteur et chacun d’entre vous, quelle que soit sa tendance politique. Je me félicite de cet extraordinaire vote unanime – il est historique, pour reprendre un terme qui a été employé.
Je me tourne maintenant vers Serge Letchimy, qui est présent dans les tribunes et qui a assisté à tous nos travaux, pour saluer son engagement. Je sais, monsieur le député, que la coconstruction avec le Gouvernement a été longue et difficile, mais, ce soir, elle est couronnée de succès.
Le cheminement a été très long, avec bien des débats et des engagements pour ancrer nos territoires dans les bassins géographiques. Durant ces années de combat, il nous a fallu faire preuve de cohérence pour porter politiquement notre vision des territoires. Cette vision, nous la partageons au-delà des clivages politiques, mais aussi au-delà de l’Hexagone. Ce soir, je m’en félicite.
J’ai été très fière d’être au banc des ministres lors de ce beau moment historique. D’ailleurs, j’ai senti une libération du souffle de l’ambition suscité par cette proposition de loi.
Vous me permettrez de ne pas passer en revue tous les thèmes abordés ni l’ensemble des questions que vous avez posées ; ce n’est ni l’heure ni le jour. Toutefois, je vous le dis, mesdames, messieurs les sénateurs, le temps législatif est ainsi fait que nous nous retrouverons lors de la discussion du projet de loi pour l’égalité réelle outre-mer, qui fera certainement l’objet d’amendements, dont l’issue dépendra notamment du débat que nous aurons à ce moment-là.
Nous pourrons aussi, au-delà de la loi, apporter ensemble un complément réglementaire et nous référer, comme le disait tout à l’heure Georges Patient, à des rapports comme celui que m’a remis le député Jean-Jacques Vlody, intitulé Du Cloisonnement colonial au codéveloppement régional – L’insertion des départements-régions d’outre-mer dans leur environnement géographique.
Toutes ces très belles propositions nous permettront d’avancer encore, pas à pas, sur ce chantier ouvert devant nous. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie encore de ce beau moment historique.
Applaudissements.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et comportant diverses dispositions relatives aux produits de santé.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 24 novembre 2016, à quinze heures :
Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances pour 2017, adopté par l’Assemblée nationale ;
Discussion générale.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures dix.