Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le groupe du RDSE, qui a pris l’initiative de ce débat sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur en tant que président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de représentant du Sénat au sein du conseil de surveillance de la SNCF.
Ce débat intervient à un moment particulièrement critique pour le transport ferroviaire. J’illustrerai mon propos au moyen de quatre constats.
Premièrement, la dette ferroviaire atteint le montant record de 50 milliards d’euros et croît de près de 3 milliards d’euros par an.
Deuxièmement, les écarts de productivité de l’entreprise nationale par rapport à ses concurrents étrangers sont de l’ordre de 20 % à 30 %.
Troisièmement, l’état lamentable du réseau, dont l’âge moyen atteint trente-trois ans, alors qu’il est de dix-sept ans en Allemagne, non seulement constitue un réel risque pour la sécurité – il est presque surprenant qu’il n’y ait pas plus d’accidents mortels… –, mais conduit aussi à une dégradation de la qualité du service, puisqu’il entraîne des ralentissements et des retards sur de nombreux tronçons.
Quatrièmement, la concurrence des autres modes de transports, notamment le transport routier, avec le développement des autocars et du covoiturage, est de plus en plus vive. Il faut reconnaître que le transport ferroviaire a perdu de son attractivité, pour des raisons de coût et de qualité du service. L’ouverture du marché aux autres entreprises du transport ferroviaire en 2020 ne fera qu’aggraver la situation pour SNCF Mobilités.
Face à ces enjeux, le Gouvernement a proclamé le retour de l’État stratège, en particulier lors des débats sur la loi de réforme ferroviaire de 2014. Dans les faits, nous sommes malheureusement obligés de constater qu’il n’en est rien. Comme l’ont affirmé nos collègues Gilles Savary, député socialiste, qui était rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, Bertrand Pancher et la quasi-totalité des acteurs, « l’État stratège est aux abonnés absents » !
Pis, l’État fait preuve d’incohérence dans ses actions, comme l’illustre l’actualité récente.
Premier exemple : la loi de 2014 devait donner lieu à une réforme sociale ambitieuse. Hélas, quelques grèves, les tensions sociales dues à la loi El Khomri et la volonté de ne pas troubler l’Euro 2016 ont eu raison de cette réforme pourtant indispensable, vitale même. Alors que la direction de la SNCF travaillait pourtant depuis des mois sur ce dossier, l’État lui a purement et simplement demandé de capituler.
En agissant ainsi, le Gouvernement a définitivement enterré toute perspective de voir l’entreprise devenir compétitive, et il a gravement compromis son avenir.
En effet, en l’absence de réforme sociale, la dérive des coûts et donc celle de la dette vont se poursuivre et, avec elles, la perte de compétitivité du ferroviaire par rapport aux autres modes de transport.
Cet immobilisme en matière sociale va de pair avec une position extrêmement frileuse quant à l’ouverture à la concurrence. Le Gouvernement l’avait fermement écartée en 2014 ; il commence à peine à l’envisager, pressé par les échéances européennes, tout en indiquant que ce processus prendra du temps, qu’il faudra commencer par des expérimentations, résoudre des difficultés juridiques, etc.
Attention à ne pas répéter les erreurs du passé, car nous savons tous comment la SNCF, insuffisamment préparée à l’ouverture à la concurrence du fret, s’est effondrée face à ses concurrents dans ce domaine.
Le Gouvernement s’est longtemps réfugié derrière les négociations européennes sur le quatrième paquet ferroviaire pour écarter cette question.
Les dates sont désormais fixées : la concurrence sera ouverte à partir de 2020 sur les lignes commerciales et à partir de 2023 pour les lignes sous convention de service public. Cela suppose que le cadre juridique soit fixé bien avant.
Le Gouvernement soulève déjà des difficultés en évoquant les questions du sort des personnels et de la reprise des matériels, questions certes légitimes, mais il faut être lucide : on ne peut pas imposer aux nouveaux entrants d’employer les personnels dans les mêmes conditions. Veillons à ne pas étouffer dans l’œuf cette ouverture à la concurrence, qui doit être un aiguillon pour l’entreprise nationale.
Deuxième exemple : la dette.
La loi de 2014 avait créé plusieurs instruments pour la contenir. L’État devait signer des contrats de performance avec la SNCF pour lui imposer des efforts de productivité et définir avec elle une trajectoire financière pluriannuelle.
La loi a aussi instauré une règle d’or pour éviter la fuite en avant d’une dette colossale.
Plus de deux ans après, ces contrats ne sont toujours pas signés et le décret d’application de la règle d’or n’est toujours pas sorti, mais le Gouvernement propose déjà d’y déroger dans le cadre du CDG Express !
Cela n’est ni sérieux ni responsable.
En juin dernier, le Premier ministre avait annoncé à l’Assemblée nationale qu’il prendrait des mesures pour alléger la dette afin de compenser sa décision d’enterrer la réforme sociale. Finalement, dans le rapport remis à ce sujet en septembre, il renvoie à un prochain gouvernement pour toute décision en la matière.
La loi d’août 2014 comportait d’autres promesses également non tenues.
On nous avait annoncé des économies d’échelle, permises par la réunion des services de gestion de l’infrastructure. On observe au contraire une augmentation des charges d’exploitation de SNCF Réseau, et il n’y a aucun effort de productivité particulier par rapport à ceux qui avaient déjà été engagés avant 2014.
L’effet de ciseaux entre l’augmentation des coûts et la baisse des recettes semble donc irréversible.
Le gestionnaire d’infrastructures unique a également encore des progrès à faire pour gérer efficacement les demandes de sillons. En attendant, le fret ferroviaire ne pourra pas devenir compétitif par rapport aux autres modes de transport, plus fiables et plus souples.
De façon générale, l’architecture globale du groupe public ferroviaire retenue à l’occasion de la réforme laisse toujours planer des doutes sur l’étanchéité entre l’activité de gestion de l’infrastructure et l’exploitation des services ferroviaires, ce qui est problématique dans la perspective de l’ouverture à la concurrence. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, l’a souligné à plusieurs reprises, pointant notamment les difficultés liées au rattachement des gares à SNCF Mobilités. J’en profite pour rappeler au Gouvernement que, sur ce sujet précis, nous attendons toujours le rapport qui devait être remis cet été, en application de la loi de 2014.
Enfin, dernière illustration de l’absence d’État stratège, des membres de notre commission avaient alerté à plusieurs reprises le Gouvernement sur la situation de la filière ferroviaire française, bien avant la crise de cet automne relative au site Alstom de Belfort.
Là encore, rien n’a été fait jusqu’à ce que cette crise éclate. Le Gouvernement a alors dû commander, en urgence, quinze rames de TGV pour circuler sur des lignes d’équilibre du territoire, à une vitesse limitée à 250 kilomètres par heure, et a également imposé à la SNCF, qui n’en avait vraiment pas besoin, l’achat de six rames TGV pour la ligne Lyon-Turin, dont les plus optimistes annoncent l’ouverture en 2030. Mais chacun sait que cette échéance ne sera pas respectée.
On a donc de nouveau fait preuve de « court-termisme » tout en chargeant la barque de la SNCF.
Monsieur le secrétaire d’État, il est désormais grand temps de réagir en préparant effectivement l’ouverture à la concurrence.
Cela passe notamment par la réouverture de la négociation sociale pour permettre à l’entreprise de renouer avec la compétitivité.
Il faut également investir fortement et dans la durée pour assurer la remise en état du réseau, ce qui passe par l’octroi de moyens importants et peut aussi être l’occasion de structurer une filière industrielle.
Enfin, il s’agit de prendre les dernières mesures d’application de la loi de 2014 : signature des contrats de performance et décret sur la règle d’or pour mettre fin à cette augmentation permanente et exponentielle de la dette.
C’est à ces trois conditions que notre système ferroviaire peut encore envisager un avenir, ce à quoi je veux croire.