Depuis lors, disais-je, les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls ont réagi face à cette situation.
Le premier nous a proposé une réforme ferroviaire ambitieuse qui poursuivait deux objectifs : stabiliser les finances de la SNCF en réduisant sa dette et mettre en place une gouvernance moderne en réunifiant enfin tous les métiers de l’infrastructure dans l’EPIC SNCF Réseau. Cette réforme a été promulguée le 4 août 2014.
Le gouvernement de Manuel Valls a lui aussi réagi, sous votre impulsion, monsieur le secrétaire d'État, et il a pris la mesure, à partir des préconisations de la commission Mobilité 21, présidée par Philippe Duron, de la nécessité d’engager un immense effort de régénération du réseau, de maintenance des infrastructures et de mise en sécurité des circulations. Cet effort a plus que doublé le concours de l’État pour la seule réhabilitation du réseau.
Pour autant, et malgré ce changement de politique, qui survient à un niveau avancé de dégradation du réseau et suppose un effort long et continu, nous sommes fondés à nourrir sinon des inquiétudes, du moins de fortes interrogations sur l’avenir du rail, même s’il incarne en principe le mode de transport le plus compatible avec nos engagements climatiques et énergétiques de la COP 21.
Non seulement la situation financière de notre système ferroviaire reste gravement hypothéquée par l’inertie de la politique du tout-TGV, mais le chemin de fer, mode de transport lourd et très exigeant en capital, subit lui aussi les bouleversements qui affectent nos sociétés. Je pense aux nouveaux comportements et aspirations des usagers s’agissant de mobilité.
Sur la longue distance grande vitesse, le low cost aérien profite des infrastructures légères existantes et menace sérieusement la compétitivité du modèle TGV, que la France est tentée d’utiliser en train de cabotage d’aménagement du territoire, mais à contre-emploi, avec un coût d’exploitation exorbitant, dénoncé par la Cour des comptes.
Par ailleurs, le développement fulgurant du covoiturage interurbain, dont le trajet moyen est de plus de 300 kilomètres, montre une « préférence pour le tarif sur la vitesse » qui interroge sur le choix de prestige trop exclusif de la très grande vitesse à la française, techniquement gratifiant, mais que l’on ne parvient pas à exporter.
Concernant les trains de grandes lignes, vous avez, monsieur le secrétaire d'État, courageusement pris la mesure du gouffre financier dans lequel ils s’enfonçaient, avec un déficit de l’ordre de 330 millions d’euros par an pour très peu de passagers transportés – moins 20 % depuis 2011 – en restructurant les lignes d’aménagement du territoire et en modernisant leurs matériels et leurs prestations.
En matière de TER et de RER, figures de proue des trafics, absolument essentiels aux déplacements domicile-travail de six millions de Français par jour, un effort gigantesque de mise à niveau de l’Île-de-France est engagé. L’on observe toutefois une dégradation préoccupante du climat avec les autorités organisatrices régionales, qui en appellent à la mise en concurrence de la SNCF pour un modèle économique dont l’usager couvre moins de 30 % du coût d’exploitation !
Enfin, le fret ferroviaire est soumis à de telles conditions de concurrence par le transport routier de marchandises que, malgré quatre plans successifs de relance, son trafic est tombé de près de 50 milliards de tonnes par kilomètre en 2000 à environ 34 milliards de tonnes par kilomètre seize ans plus tard !
Finalement, malgré le changement de politique et l’effort budgétaire opérés, ce sont désormais 4 000 kilomètres du réseau historique, souvent laissés sans travaux depuis plus de trente ans, où la circulation est ralentie pour des raisons de sécurité.
En d’autres termes, si le train reste théoriquement un mode de transport prometteur, tous les clignotants semblent paradoxalement y être au rouge !
On ne peut donc manquer de s’interroger sur l’avenir de ce mode lourd à une époque où les usagers ont manifestement pris le pouvoir sur les ingénieurs et sur nos propres décisions politiques avec l’appui de l’internet, de l’open data et d’une mobilité en mutation profonde. Nos concitoyens préfèrent manifestement, comme le montrent les « cars Macron », « voyager plus, et moins cher » que « voyager moins, et plus vite » !
Ce constat préoccupant m’amène, monsieur le secrétaire d'État, à vous poser quelques questions.
La première porte sur votre appréciation et votre évaluation de la réforme ferroviaire mise en œuvre par votre prédécesseur, Frédéric Cuvillier.
Dans leur récent rapport d’information, nos collègues députés se félicitent de la mise en œuvre de la réforme, « la plus ambitieuse depuis la loi de nationalisation de 1937 », mais regrettent que l’État n’ait pas fait le même effort que l’Allemagne, en reprenant au moins la composante maastrichtienne de la dette, et préconisent de « réformer la réforme » sur quelques points laissés en suspens, comme le positionnement de Gares & Connexions dans le groupe. Ils mettent en garde, en revanche, contre la tentation invoquée par certains membres de l’opposition d’en revenir au système précédent d’une séparation totale entre le réseau et l’exploitation.
La deuxième question porte sur la mise en œuvre effective de la règle d’or et des contrats de performance entre l’État et les trois EPIC du groupe SNCF, qui constituent les garde-fous et les garants d’un progressif assainissement financier du groupe SNCF ! Le fait qu’avant même la publication du décret sur la règle d’or il nous ait été demandé d’y faire exception pour le CDG Express suscite évidemment une interrogation forte sur la trajectoire de stabilisation financière de SNCF Réseau, alors que l’État a par ailleurs confirmé des chantiers colossaux, comme celui du tunnel Lyon-Turin et de ses accès, ou celui de la LGV GPSO, le grand projet ferroviaire du Sud-Ouest, que nous connaissons bien tous les deux, monsieur le secrétaire d'État, projet préféré à une régénération plus ambitieuse et plus polyvalente du réseau existant.
Enfin, alors que vous venez de vous engager, en cohérence avec les décisions prises avant vous, à effacer les bases législatives et réglementaires de l’écotaxe, je me pose la question de savoir si nos investissements ferroviaires, alors que nous sommes désormais les seuls en Europe à devoir faire face à la régénération d’un réseau historique considérable et très dégradé, ainsi qu’au développement simultané d’un second réseau dédié à la grande vitesse à des coûts exponentiels, sont raisonnablement soutenables sans opérer des choix stratégiques plus nets et inscrits dans la durée à partir d’un minimum de consensus politique national.