Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d’abord remercier le groupe du RDSE d’avoir suscité l’organisation de ce débat non seulement parce qu’il porte sur un sujet passionnant, mais aussi parce qu’il est politique. Chacun d’entre vous a souligné, à juste raison, l’importance majeure de la mobilité dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Je le rappelle, nous parlons, tous chiffres confondus, de 15 000 trains qui transportent six millions de personnes par jour ! J’espère donc que le thème de la mobilité trouvera la place qui lui revient dans les débats à venir.
Les propositions sont attendues et bienvenues ! À cet égard, je tiens à remercier notamment MM. Maurey et Nègre, qui ont commencé à évoquer des solutions de gestion alternative. Je n’ai pas été surpris par la réponse, qui mérite cependant d’alimenter le débat public. De ce point de vue, l’initiative d’aujourd'hui me paraît tout à fait pertinente.
Deux ans après le vote de la loi portant réforme ferroviaire et alors que les échéances de l’ouverture à la concurrence sont désormais connues, notre système ferroviaire est, vous l’avez dit, à la croisée des chemins.
Dans ce contexte, il me paraît important et sain que la représentation nationale puisse avoir ce débat, sur des bases justes et des chiffres partagés. À ce propos, je me dois de revenir sur certains chiffres qui ne sont jamais cités parce qu’ils figurent dans le budget de l’État et que l’on n’en parle plus.
Je pense notamment à la dotation d’équipement des territoires ruraux, ainsi qu’aux droits de passage des TER, qui sont payés par le budget de l’État. Il ne s’agit pas d’une petite somme : 1, 4 milliard d’euros sont inscrits à cet effet dans la loi de finances. J’ajoute que cela ne concerne pas la région parisienne. Je le dis à l’intention de M. Bertrand : dans une approche qui englobe la ruralité – approche qui est juste et que je partage, moi qui suis aussi originaire d’un département rural –, les sommes extrêmement importantes qui lui sont allouées dans le budget de l’État ne doivent pas être oubliées. La solidarité nationale est bien au rendez-vous !
Il faut aussi être attentif aux exemples que l’on donne. Je veux m’adresser ici à M. Maurey et dissiper une confusion au sujet de la commande de six rames à Alstom. Elle est destinée non au Lyon-Turin, mais à la ligne Paris-Milan-Turin, qui existe depuis un bon moment – elle ne sera pas mise en service en 2030 ! S’il faut changer le matériel, c’est parce que – quoi qu’on puisse penser de cette décision – les Italiens ont décidé de modifier leur mode de signalétique.
Au-delà de ces questions, vous avez cependant bien posé le problème. Nous avons en effet besoin de réfléchir aux enjeux dans le cadre de la transition énergétique. Le transport ferroviaire a évidemment, à l’heure où l’accord de Paris sur le climat entre en vigueur, toute sa place dans la réponse que nous devons apporter à ce défi.
Là aussi, regardons les faits. Peut-être faut-il dépasser les deux simples formules que sont « l’État stratège » et « l’ouverture à la concurrence », et aller un peu plus dans le détail pour examiner les réalisations. Je suis d’autant plus à l’aise pour en parler qu’elles n’ont pas été le fait de ce seul gouvernement.
Je tiens à le redire, quoi qu’en pense la Cour des comptes, on devrait à mon sens mettre en exergue l’existence de l’AFITF. En effet, elle dispose de 2, 1 milliards d'euros de ressources qui toutes proviennent de la route, mais qui sont destinées pour l’essentiel – à hauteur de 80 % – à financer des dépenses pour le rail et le fluvial.
Quand on parle de transition énergétique et de report modal, il faut donc avoir ces chiffres à l’esprit. La mécanique est extrêmement importante. Sur le principe, souvenons-nous que nous avons l’outil et la politique, politique qui s’inscrit bien sûr dans une stratégie de long terme et que pratiquement tous les gouvernements ont d’ailleurs appliquée.
Je tiens à évoquer – vous ne l’avez pas fait aujourd’hui – la révolution numérique, qui est à l’origine du développement de nouvelles formes de mobilité et de nouveaux services, comme le covoiturage et le transport aérien low cost. Que l’on parle de clients ou d’usagers, selon ses choix ou la sémantique retenue, de toute façon, le résultat est le même : des choix sont faits par ceux qui accèdent à ces nouvelles formes de mobilité.
Cette révolution numérique est à la fois un problème et une solution : on voit bien qu’elle ouvre, aujourd’hui, des marges de progression considérables, notamment en termes d’efficacité et de compétitivité, pour tous les modes de transport, y compris le chemin de fer.
Enfin, s’agissant de l’ouverture à la concurrence, le quatrième « paquet ferroviaire » et les échéances retenues –2020 pour le réseau commercial, 2023 pour le réseau concédé – ne relèvent pas de décisions de la France. La situation en Europe est assez diverse, mais on trouve aussi, dans les principaux pays voisins du nôtre, un grand opérateur historique.
Je rappelle que l’ouverture à la concurrence du réseau concédé, en 2023, relèvera d’une décision des autorités concédantes. En effet, le texte sur lequel l’ensemble des pays européens se sont mis d’accord laisse à ces autorités la possibilité de maintenir une relation avec l’opérateur historique : cela s’appelle la responsabilité politique. Gardons bien à l’esprit que cette alternative existe et qu’il faut se préparer à cette échéance.
Dans cette perspective, quelle a été la démarche de l’État ? Comme la question de l’ouverture à la concurrence sur les lignes concédées se pose, essentiellement, aux responsables des régions, j’ai proposé à M. Richert, président de l’Association des régions de France, d’engager un travail en commun préalablement à l’expérimentation. Cette expérimentation, sur laquelle nous sommes d’accord, pourrait se dérouler en 2018-2019, mais il faut absolument accomplir ce travail préalable, pour répondre aux deux questions suivantes.
En premier lieu, sur quelles lignes faire l’expérimentation ? Elle ne peut être menée uniquement sur des lignes a priori rentables : en vue de l’ouverture à la concurrence, il faudra faire des lots, pour éviter que celle-ci ne concerne que les lignes rentables, les autres continuant à relever d’une gestion publique. À ceux qui nous reprochent de ne pas aller assez vite, j’indique que M. Richert et moi-même sommes d’accord quant à la démarche et à la nécessité de travailler ensemble : un échange de courriers entre nous en atteste.
En second lieu, quel sera le statut des personnels lorsqu’un lot aura été attribué à une entreprise autre que l’opérateur historique ? M. Maurey a déclaré que ce ne pourrait être le statut actuel des cheminots. C’est intéressant, car cela n’avait jamais été dit de façon aussi précise dans le débat public. Je pense pour ma part qu’il faudra préalablement régler certaines questions juridiques. Nous sommes convenus de le faire dans les prochains mois, afin de clarifier les choses avant que commence la phase d’expérimentation.
La perspective de l’ouverture à la concurrence imposera également de clarifier l’organisation de la gestion des gares de voyageurs. Le Gouvernement remettra bientôt au Parlement un rapport qui écartera un certain nombre de pistes et laissera ouverte l’alternative entre la création d’un nouvel EPIC et la mise en place d’une nouvelle filiale de SNCF Réseau.
Dans ce contexte, la réforme ferroviaire, qui ne remonte qu’à 2014 et s’est avérée extrêmement complexe à définir, notamment en matière de transfert de personnel, avait pour ambition de remettre l’opérateur historique sur une trajectoire vertueuse. Il s’agissait, en particulier, d’assurer un transport ferroviaire performant et le retour à l’équilibre économique.
La naissance d’un nouveau groupe public profondément réorganisé, à l’été 2015, est le signe que nous sommes capables de relever les défis, ce dont certains doutaient.
Nous avons constaté l’adoption, prévue par la réforme, d’un nouveau cadre social harmonisé de haut niveau. Le point le plus important, dans ce processus, est le passage d’un système réglementaire, où le statut du personnel et les conditions de travail étaient fixés par décret, à un système conventionnel. Il ne faut pas oublier que cela constitue l’acquis principal de la réforme et que les organisations syndicales ont participé à cette démarche. Demain, c’est donc via un accord que l’on pourra modifier ou adapter ce cadre.
Concernant le fret, la différence de compétitivité entre les acteurs privés et l’opérateur historique – ce secteur est ouvert à la concurrence depuis 2006 –, évaluée initialement entre 20 % et 25 %, a été réduite à peu près de moitié parce que l’accord de branche a permis de rapprocher les situations. Les entreprises privées, dont l’accord était nécessaire, ont permis, avec l’opérateur historique, la signature de cet accord de branche. Je les en remercie : ce n’est pas rien que d’être parvenus à établir un système conventionnel, avec un accord de branche et un accord d’entreprise qui a lui-même retenu le principe d’adaptation par accord majoritaire au niveau local. Cela peut constituer un instrument important pour les opérateurs régionaux de demain.
La modernisation du service public ferroviaire se traduira par la conclusion de contrats de performance entre l’État et le groupe public ferroviaire. Ces contrats seront d’une durée de dix ans, avec actualisation tous les trois ans. Je concède que le calendrier n’est pas forcément respecté – les sujets sont complexes –, mais ils sont en cours de finalisation ; ils sont précis et intègrent des engagements de progrès, de performance économique et opérationnelle, en vue de la modernisation du service public ferroviaire.
La loi de 2014 prévoyait aussi la remise, par le Gouvernement, d’un rapport stratégique d’orientation. Il a été soumis pour avis au Haut Comité du système de transport ferroviaire le 14 septembre dernier. Nous sommes convenus, avec l’ensemble des acteurs représentés au sein du Haut Comité du système de transport ferroviaire, qu’il serait remis au Parlement avec leurs avis.
Quelles doivent être, aujourd’hui, nos priorités ?
La première d’entre elles n’a pas encore été évoquée dans ce débat : c’est la sécurité. Les accidents survenus ces dernières années nous ont rappelé que la sécurité n’est pas un acquis et doit faire l’objet d’une mobilisation sans relâche de tous les acteurs. Je le redis, il doit y avoir un avant et un après Brétigny ! C’est la raison pour laquelle, dès mon entrée en fonctions, j’ai créé un comité de suivi de la sécurité ferroviaire, qui se réunit deux fois par an. Sa mission est de s’assurer de la mobilisation totale des acteurs pour mettre en œuvre les recommandations du Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre, le BEATT, et de faire toute la transparence à l’égard des associations de voyageurs ou de victimes d’accidents collectifs et des organisations syndicales, qui participent à ce comité.
La sécurité, c’est aussi et d’abord la maintenance du réseau, dont certains d’entre vous ont évoqué le vieillissement. Les choix qui ont été faits à un moment donné ont mené à des arbitrages, compte tenu de la contrainte financière. En particulier, la décision majeure a été prise de réaliser quatre lignes à grande vitesse, pour un montant de 5 milliards d’euros. Or un lien presque automatique s’établit, dans les budgets successifs, entre la diminution des crédits de maintenance et de tels choix.
La maintenance, c’est d’une part l’entretien quotidien, d’autre part la régénération des lignes. Les collectivités connaissent bien ce dilemme : quand on ne peut pas refaire la route, on bouche les trous ! C’est exactement ce qui s’est passé dans le domaine ferroviaire. Le montant des crédits était tombé, à un moment donné, à 3 milliards d’euros, presque exclusivement consacrés au traitement des urgences, alors que les travaux de régénération étaient abandonnés. Il est logique de constater ensuite un vieillissement du réseau ! On nous parle d’État stratège, mais cette stratégie-là nous a menés dans le mur…
Nous avons donc rompu avec elle. Pour la première fois depuis des années, le projet de loi de finances prévoit de consacrer davantage de crédits à la régénération qu’à la maintenance ordinaire. Cela ne suffira pas : il faudra probablement maintenir cet effort pendant huit à dix ans pour remettre à niveau notre réseau ; sinon, des lignes devront être fermées.