Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’avenir du transport ferroviaire, notre groupe souhaite évoquer la sauvegarde et la valorisation de la filière élevage : ces deux sujets sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens et des collectivités locales, que le Sénat représente.
Depuis plus d’un an, la filière de l’élevage de notre pays traverse une crise grave, je n’ose dire sans précédent, les crises se succédant de manière cyclique. Une accumulation de difficultés a mis à mal cette filière.
Les mesures tant nationales qu’européennes adoptées pour en limiter l’impact, bien qu’indispensables, n’ont pas suffi à garantir les prix payés aux producteurs.
Globalement, les productions animales souffrent encore de la crise. Le secteur du lait est loin d’être sorti d’affaire, même si le lait en poudre et le beurre se négocient mieux. Les dernières mesures communautaires ont eu un effet positif, mais la politique de régulation conduisant à l’abattage déverse les carcasses issues de l’élevage laitier sur le marché de la viande, ce qui entraîne un nouveau risque de déséquilibre.
Dans le cadre des différents débats que nous avons eus cette année sur les questions agricoles, nous avons fait le constat alarmant d’une fragilisation durable de la filière.
L’impact de la crise est en effet lourd de conséquences. Pour ne prendre que l’exemple du lait, dans vingt ans, si rien n’est fait, la France ne comptera plus que 30 000 éleveurs dans ce secteur, contre plus du double aujourd’hui.
C’est un véritable drame silencieux qui se joue au cœur de nos campagnes, car la disparition d’une ferme, c’est une situation de détresse humaine, mais c’est aussi un coup porté à l’équilibre de nos territoires. Dans beaucoup de nos départements, la cessation d’activité d’un nombre croissant d’agriculteurs qui ne peuvent vivre de leur travail est extrêmement préoccupante et nuit à la vie des territoires.
C’est pourquoi, au-delà des plans d’urgence, nous devons donner à l’agriculture un cap, une vision stratégique qui permette à notre pays de rester une grande nation agricole. J’ai déjà eu l’occasion de le dire et de le redire, une planification serait souhaitable, et même urgente.
C’est dans ce contexte que le groupe du RDSE a souhaité la tenue d’un débat pour réfléchir avec le Gouvernement à la définition des principales orientations qui permettraient de sauver l’élevage et de lui donner un avenir.
Au sein de l’agriculture, l’élevage est particulièrement dynamique, cette filière représentant 37 % de la production agricole française. Près de la moitié des exploitations agricoles ont une activité d’élevage.
Aujourd’hui, nous voyons des éleveurs qui ne comptent pas leurs heures, qui investissent, qui répondent aux normes ainsi qu’aux exigences tant quantitatives que qualitatives, pour, au bout du compte, vendre souvent à des prix qui ne couvrent pas leurs coûts de production. C’est insoutenable…
Une telle situation d’injustice ne peut conduire qu’à des mouvements de colère, comme ceux que nous avons connus au cours de l’été 2015 et auxquels vous avez voulu apporter des réponses, monsieur le ministre.
Je pense aux deux plans de soutien à l’élevage, décidés aux mois de juillet et de septembre 2015. Le 4 octobre dernier, vous avez aussi présenté le pacte de consolidation et de refinancement des exploitations agricoles, qui concerne aussi les producteurs de céréales, également en difficulté en raison des intempéries estivales. Tout ce qui peut soulager la trésorerie des exploitations les plus fragiles va dans le bon sens, et nous approuvons bien entendu ces dispositifs, que ce soit l’acompte de 1 000 euros par producteur laitier ou encore l’aide forfaitaire de 150 euros par jeune bovin mâle de race allaitante ou mixte. Parmi les mesures plus anciennes, la baisse de dix points des charges permet de s’attaquer au déficit de compétitivité de nos éleveurs.
Cependant, il faut agir sur d’autres leviers, car si les écarts de compétitivité entre pays européens se resserrent, les éleveurs français sont encore désavantagés, notamment en raison du dumping social permis par le recours aux travailleurs détachés. La croissance des détachements frontaliers en Allemagne de travailleurs en provenance de l’Est, encore observée l’année dernière, aboutit à un surcoût de 6 % à 7 % par kilogramme pour nos produits par rapport aux produits allemands. On en a vu les conséquences néfastes pour nos abattoirs. Si l’Allemagne a récemment mis en place un salaire minimum national, il faut poursuivre, monsieur le ministre, le travail d’harmonisation sociale et fiscale à l’échelon européen.
Il est également urgent de décréter un moratoire européen sur les normes. Le montant moyen de la dette des exploitations d’élevage est particulièrement élevé en raison d’investissements de plus en plus lourds. La multiplication des normes entraîne souvent de nouveaux coûts : les éleveurs n’en ont vraiment pas besoin. La commission des affaires économiques a travaillé sur cette question et elle recommande d’aller vers une politique de simplification et d’allégement des normes applicables à l’agriculture. Nous partageons cette orientation et approuvons l’association des agriculteurs à la définition des normes les concernant.
Sachons aussi raison garder en matière de bien-être animal, sujet qui prend de plus en plus de place dans le débat public alors que les professionnels de la filière viande adhèrent au principe de la protection des animaux et sont ouverts à la transparence. Nous ne devons pas céder au matraquage des « vegans » et autres groupes de pression qui font de la désinformation leur mode d’expression privilégié. Ils ont moins de sollicitude pour ceux de nos agriculteurs qui se suicident !
Bien sûr, ces facteurs exogènes n’expliquent pas toutes les difficultés de la filière, laquelle doit continuer à s’adapter aux évolutions du marché, en étant accompagnée par les pouvoirs publics. S’adapter ne signifie pas s’aligner sur le modèle des feedlots canadiens pour être compétitif à tout prix.
Nous devons bien entendu encourager l’export, car nourrir 9 milliards d’individus à l’horizon 2050 ouvre des opportunités aux grands pays agricoles, dont la France fait partie. Pour que nous restions compétitifs dans ce cadre, il faut encourager la modernisation des exploitations, les équipements de certaines étant fort vétustes. Il faut aussi lutter contre les lourdeurs administratives, parfois dues à l’application zélée du principe de précaution, qui empêche l’ouverture de nouvelles installations. En effet, au-delà de l’export, des exploitations plus performantes pourraient mieux alimenter la restauration collective, sachant que celle-ci se fournit en viande pour la majeure partie sur les marchés étrangers. Enfin, je salue la mise en œuvre cette semaine du dispositif de court terme d’aide à l’exportation de produits agricoles et agroalimentaires vers l’Algérie, le Liban et l’Égypte.
Dans le même temps, la France doit s’attacher à conserver ses petites structures, qui sont essentielles au dynamisme des territoires ruraux et investissent le segment de la production de qualité et des filières de proximité. Valoriser la qualité est en effet porteur. Les produits carnés français sont réputés pour leur traçabilité. Les éleveurs de races locales vendent mieux leurs produits. Par conséquent, la politique de promotion des signes de qualité doit être encouragée. Monsieur le ministre, l’étiquetage doit être développé et généralisé et ne pas rester au stade de l’expérimentation, auquel la Commission européenne nous cantonne pour l’indication de l’origine du lait et des viandes intégrés dans les plats transformés.
La survie de la filière de l’élevage passe aussi par un meilleur partage de la valeur ajoutée. Nous avons tous suivi l’épisode Lactalis. Pour reprendre une formule du commissaire européen Phil Hogan, « la réalité est que les agriculteurs restent le maillon faible » dans les négociations commerciales. Si les agriculteurs doivent mieux se défendre par le biais des organisations de producteurs et de la relance des interprofessions, les distributeurs doivent, pour leur part, accepter un meilleur équilibre entre l’amont et l’aval.
La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche n’a pas suffi à tout régler. Le projet de loi Sapin II est allé plus loin avec la modification des conditions de prise en compte des coûts de production des agriculteurs dans la contractualisation. Le groupe du RDSE se réjouit de cette avancée, mais il faudra un certain temps pour en mesurer l’intérêt. En attendant, nous espérons une ouverture lors du comité des relations commerciales qui se réunira au mois de décembre prochain.
Enfin, puisque notre agriculture s’inscrit dans le cadre de la PAC, je ne puis que déplorer que l’Union européenne manque à ses devoirs en ne garantissant plus la protection de son agriculture.
En effet, elle ne protège pas son agriculture lorsqu’elle s’entête dans des postures politiques : je pense à l’embargo contre la Russie. On le sait, les éleveurs ont été pénalisés et il n’est pas certain qu’ils retrouvent les marchés perdus.
Elle ne protège pas non plus son agriculture lorsqu’elle négocie des accords commerciaux – je pense au CETA – sans fixer de ligne rouge. L’entrée massive de contingents de viandes canadiennes n’est pas compatible avec les objectifs fixés par le Traité sur l’Union européenne.
C’est pourquoi il faut revenir aux fondamentaux : la sécurisation du marché européen passe également par la régulation, la suppression des quotas laitiers ayant elle aussi montré ses effets négatifs. À la demande la France, certains outils de régulation ont été réactivés au cours de ces derniers mois, ce qui tend à prouver que la libéralisation totale du marché laitier était suicidaire.
(Exclamations amusées.) Je voulais dire les éleveurs, bien sûr ! Mais ceux-ci sont aussi des électeurs, et souhaitons qu’ils ne boudent pas les urnes pour nous signifier le mécontentement que peut leur inspirer la politique menée à l’échelon européen. Nous leur devons davantage d’attention, à eux qui font vivre nos territoires !