Intervention de Anne-Catherine Loisier

Réunion du 23 novembre 2016 à 14h30
Sauvegarde et valorisation de la filière élevage — Débat organisé à la demande du groupe du rdse

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sociologue François Purseigle a dit de l’agriculture française d’aujourd'hui qu’elle est « effacée, éclatée, fragilisée, économiquement assujettie et précarisée, socialement déclassée et de plus en plus controversée dans ses pratiques ».

Les élevages français, qui avaient su jusque-là relever les défis en matière de production, de technique, de qualité, sont aujourd’hui victimes d’une concurrence mondialisée, pénalisés par des exigences sanitaires, environnementales et sociétales qui achèvent de miner leur modèle économique.

Soumis aux fluctuations internationales des marchés, de moins en moins compétitifs, les éleveurs français, quel que soit leur domaine de production, sont aujourd’hui menacés, voire dépassés par leurs concurrents européens.

En conséquence, nombreux sont ceux qui ne parviennent plus à vivre de leur travail. Il y a donc danger de déclin, voire de disparition, comme pour les filières de la métallurgie ou du textile voilà quelques années.

Avons-nous tous bien pris la mesure d’un tel bouleversement sur les populations, l’économie, les paysages, notre alimentation, l’équilibre sociétal de la France ? Est-ce bien là la France que nous souhaitons ?

Du fait de sa diversité et de son maillage territorial, l’élevage est le pilier de l’architecture économique, sociale et paysagère de la ruralité. Il nourrit et emploie les populations. Il transforme et entretient les paysages. Il est une force et un atout pour la France : il représente 37 % du chiffre d’affaires du secteur agricole, soit plus de 30 milliards d’euros, et constitue le premier secteur de production agricole.

La France occupe le premier rang européen pour la production de bovins, d’œufs et de poulets, le deuxième pour le lait et le quatrième pour le porc.

Cependant la filière française de l’élevage doit aujourd’hui se réorganiser afin de mieux relever les défis à venir, le premier d’entre eux étant le défi alimentaire.

À l’horizon de 2050, il faudra nourrir 9 milliards d’êtres humains. La production mondiale de viande atteint déjà aujourd’hui 200 millions de tonnes, mais la consommation de viande et de lait est en augmentation constante, notamment dans les pays émergents.

Un autre défi est celui de la durabilité : comment satisfaire durablement les besoins alimentaires sans appauvrir les sols ou menacer les équilibres naturels de la planète ?

En matière de développement durable, les éleveurs français ont indiscutablement un temps d’avance sur leurs concurrents, grâce au partenariat avec la recherche, à l’agroécologie, aux efforts en matière de qualité et de traçabilité, aux mesures agro-environnementales, à la méthanisation, aux fermes à énergie positive, à la séquestration du carbone dans les sols dans le cadre du plan 4 pour 1 000 lancé par la France lors de la COP 21, grâce aussi à une approche raisonnée et responsable, au concept One Health relayé par l’INRA – une approche globale pour appréhender de manière intégrée production, santé humaine, santé animale et gestion de l’environnement.

Pour autant, la prise en compte de ces préoccupations a un coût, et le modèle économique de l’élevage français a perdu en compétitivité. À cela s’ajoutent des évolutions sociétales qui bousculent les équilibres fondamentaux et remettent en cause la viabilité même des élevages, au premier rang desquelles figure la baisse de la consommation nationale de viande depuis les années 2000. S’agit-il d’une tendance de fond ou d’un effet de mode ? L’avenir le dira, mais les proportions qu’elle prend aujourd’hui interdisent de l’ignorer.

La montée des contraintes liées à l’environnement ou au bien-être animal renchérit également les coûts de production.

Les exploitations françaises ont du mal à s’adapter à ces réalités nouvelles, à un marché mondialisé, complexifié, fragmenté entre de nombreux intermédiaires, notamment dans la distribution et la commercialisation des produits carnés. Alors que, au début des années quatre-vingt, la moitié des Français s’approvisionnaient en boucherie traditionnelle, ils n’étaient plus que 14 % dans ce cas en 2009. Aujourd'hui, 66 % d’entre eux achètent leur viande en grandes et moyennes surfaces.

Dans le même temps, la part des produits carnés dans la restauration collective augmente, mais 67 % des viandes servies sont issues de l’importation. Cela nous ramène au débat sur les circuits courts et l’ancrage territorial de l’alimentation, que nous avons déjà eu ici.

Enfin, nous le savons, nos éleveurs évoluent dans un environnement concurrentiel européen qui les pénalise. L’Espagne et l’Allemagne s’en sortent mieux que nous dans cette mondialisation forcée, où les traités commerciaux internationaux inquiètent.

La France a beau être le premier pays bénéficiaire du budget de la PAC, qui s’élève au total à 400 milliards d’euros pour la période 2014-2020, les distorsions de concurrence sont telles que les éleveurs français n’arrivent plus à positionner leurs productions.

Au niveau national, monsieur le ministre, les plans d’aide à l’agriculture se sont succédé, des mesures conjoncturelles ont été prises pour alléger les charges et améliorer les trésoreries. Devant la commission des affaires économiques, vous avez chiffré à 1, 4 milliard d’euros le montant total des aides exceptionnelles versées par la France aux agriculteurs.

Pourtant, les éleveurs n’ont jamais autant souffert : production à perte, poids excessif des charges sociales, endettement élevé, revenus bas, voire négatifs, perte d’attractivité du métier, chute du nombre des reprises d’exploitation familiale, mauvaises relations commerciales entre l’amont et l’aval, chute des prix, perte de compétitivité, manque de cohérence et de dynamisme à l’export… Malheureusement, l’année 2017 s’annonce encore difficile pour les éleveurs, qui vont subir de plein fouet les conséquences des aléas climatiques et le renchérissement du prix de l’alimentation du bétail. La filière, déjà mal en point, scrute aujourd'hui avec angoisse les risques de réapparition de crises sanitaires –tuberculose ou grippe aviaire.

Nous sommes tous d’accord : nous ne pouvons laisser notre agriculture familiale productive, fleuron de notre économie, sombrer et notre alimentation nous échapper au profit d’une industrie agroalimentaire mondialisée ne répondant pas à nos critères de qualité de production.

Monsieur le ministre, que préconisez-vous pour assurer l’avenir de la filière élevage ? En quoi le CETA est-il une chance pour cette filière ? Qu’en est-il de la prochaine carte des aides de la PAC pour les éleveurs des zones les plus fragiles, à l’instar de celles de piémont ?

Le Sénat s’est impliqué dans le traitement de ces questions. Rappelons la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, le rapport consacré aux normes agricoles préconisant de gager toute création de norme par l’abrogation d’une autre, ou encore la discussion de la loi Sapin et de ses dispositions relatives aux prix et aux négociations commerciales.

Il faut d’abord peser sur la définition de la nouvelle PAC, qui entrera en vigueur en 2020, pour sécuriser les crédits alloués aux éleveurs français et simplifier les démarches qui entravent les agriculteurs. La PAC doit être un levier pour aider les éleveurs à se restructurer.

Il faut ensuite organiser une régulation européenne et mettre en place des outils puissants d’aide à l’exportation, fonder les relations commerciales sur un juste prix de vente, de nature à assurer un revenu décent aux producteurs, redonner de la compétitivité aux élevages français en instaurant une fiscalité adaptée aux réalités de la concurrence européenne, encourager la contractualisation, la négociation interprofessionnelle et le regroupement.

Enfin, il faut miser sur la qualité, la traçabilité, la diversification et l’innovation.

Bref, au-delà des mesures conjoncturelles, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu’il est temps de fonder un nouveau pacte entre les agriculteurs et le Gouvernement, un pacte propre à redonner confiance et espoir aux éleveurs, à les aider à renouveler leur modèle agricole et à relever les défis cruciaux de notre siècle ?

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