Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai assisté tout à l’heure, au Conseil économique, social et environnemental, à la présentation du rapport de Cécile Claveirole sur l’agroécologie. Je l’ai écoutée avec beaucoup d’attention, et j’ai entendu avec plaisir vos propos sur ce sujet, monsieur le ministre.
Comment mettre en œuvre ces intentions louables ? Tel est l’enjeu.
Nous débattons régulièrement ici de l’agriculture. Hier soir encore, nous parlions des régions ultrapériphériques, les RUP – dénomination sans poésie aucune, qui me donne des boutons ! –, et de l’adaptation des normes européennes. J’ai pu rappeler à cette occasion à votre collègue Ericka Bareigts que la question des PNPP, les préparations naturelles peu préoccupantes, et des produits de biocontrôle n’était toujours pas réglée, malgré deux décrets pris par votre ministère.
En effet, de son propre aveu, l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, n’a toujours pas mis en place de procédure simplifiée d’autorisation des produits de biocontrôle ni de procédure pour enrichir la liste des PNPP. Or cela devient urgent, car le développement de nombreuses PME innovantes, qui reçoivent pourtant régulièrement des prix décernés par votre ministère et celui de l’écologie, se trouve bloqué. Je vais d’ailleurs vous remettre en main propre des courriers émanant des entreprises Axioma, Osmobio et M21, qui attendent que des décisions soient prises.
Les plans d’aides à l’agriculture s’enchaînent et se ressemblent finalement.
Le principe d’intervention sur le marché du lait, à nouveau consacré avec un relèvement du seuil d’intervention à 500 millions d’euros, et la diminution volontaire des volumes de production viennent pallier provisoirement la forte baisse annoncée des cours, liée à la fin des quotas laitiers.
Telle est, dans toute son horreur, la doctrine à l’œuvre à l’échelon européen : libéralisons d’abord, nous verrons ensuite s’il convient de réguler ! Cette stratégie dangereuse, fondée sur des hypothèses optimistes en matière d’exportations vers la Chine et la Russie, s’est révélée désastreuse pour les producteurs européens qui en ont fait les frais.
Parallèlement, une dynamique pernicieuse se met en place : on incite les producteurs les plus importants à s’agrandir pour faire des économies d’échelle et à industrialiser au maximum leur production et on indique aux petits producteurs une porte de « sortie dans la dignité », au travers de l’accord-cadre national 2016-1018 visant à accompagner et à former les chefs d’exploitation et d’entreprise agricole, leurs conjoints collaborateurs et les aides familiaux dans leur reconversion professionnelle. Le message est clair, on l’entend trop souvent : 15 % des exploitations doivent disparaître, pour permettre aux autres de survivre à grand renfort d’emprunts, de subventions et d’investissements colossaux, en espérant qu’elles puissent surmonter la prochaine et inévitable crise du secteur.
Les distributeurs profitent trop souvent de la situation de faiblesse des producteurs.
Vous nous avez annoncé, monsieur le ministre, avoir assigné l’enseigne Carrefour en justice pour des pratiques commerciales abusives. Gageons que ce type de démarche permettra d’assainir enfin des pratiques commerciales souvent déloyales, dont les victimes sont en général les producteurs.
À ce propos, on assiste à l’émergence sur tous nos territoires de magasins de producteurs. Monsieur le ministre, c’est sur votre initiative que ces magasins ont été reconnus. Encore peu nombreux aujourd'hui, ils se développent, et c’est heureux !
Votre stratégie concernant la viande, monsieur le ministre, est sensiblement la même que pour le lait, et les résistances de la Commission européenne sont également très fortes. Un excès de l’offre a conduit à une baisse des cours. Pour les faire remonter, il faut diminuer la production et stimuler les exportations.
Les prix de la viande porcine se sont relevés grâce aux exportations, mais n’oublions pas que, au prochain ralentissement de la consommation en Chine, nos producteurs vivront à nouveau une crise terrible.
Toutes ces mesures sont conjoncturelles. Elles visent à amortir les soubresauts du marché et à éviter qu’un trop grand nombre de nos éleveurs ne mettent rapidement la clé sous la porte.
Il faut encourager la transformation de notre système agricole, de notre « ferme France », comme vous aimez dire, et, bien entendu, de notre « ferme Europe », puisque nous sommes dans le même bateau, ou plutôt sur le même marché.
Il faut promouvoir l’autonomisation des fermes en approvisionnement en énergie et en protéines, la diversification des productions, les circuits courts et les labels de qualité. L’avenir est au retour au système de polyculture-élevage sur les territoires.
La massification à outrance des productions actuellement à l’œuvre ne permettra jamais une revalorisation des prix payés aux producteurs et les marges engendrées par les économies d’échelle continueront d’être captées par la distribution et la transformation. Les consommateurs continueront de manger des produits importés, comme c’est largement le cas aujourd’hui pour le poulet : 40 % de la viande de poulet consommée en France est importée, alors que nous sommes un grand pays exportateur de volailles. Il en est de même pour la plupart des produits préparés et de nombreux produits servis en restauration collective.
Comme nous, vous soutenez avec force l’ancrage territorial de l’alimentation. Trouverons-nous un jour une majorité pour le mettre en place ? Où en sommes-nous de la mise en œuvre des projets alimentaires territoriaux, initiative inscrite dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ? L’instauration de filières courtes est aussi porteuse d’avenir pour les territoires ruraux et pour les producteurs. Comment pouvons-nous continuer aujourd'hui à entretenir un système qui méprise à ce point ceux qui nous nourrissent ?